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Ce que les néobanques digitales ont à nous apprendre sur la mutation des lieux physiques

Ce lieu géré par l’entreprise Capital One sert de café, de salle de concert, d’espace de coworking et aussi parfois d’agence bancaire. Phillip Pessar / Flickr, CC BY-SA

Au moment où beaucoup de nos centres-villes se meurent et où la crise économique liée au coronavirus va pousser les organisations à couper les coûts en utilisant toujours plus de digital, des expériences originales tentées par des néobanques ont de quoi nous faire réfléchir.

Nées avec l’ère du digital, ces banques cherchent à mettre en place une vraie complémentarité entre réel et virtuel et travaillent sur la mutation de la fonction des lieux physiques pour recréer du sens, du lien social, de la créativité et de la culture au cœur de la cité.

Le coronavirus, un choc digital

La crise du coronavirus a sans conteste accéléré l’adoption du digital dans des sphères très diversifiées : plus d’un million de téléconsultations médicales en une semaine (6 au 12 avril 2020) contre 60 000 avant la crise du coronavirus en France ; 2 millions et demi de clients supplémentaires dans le e-commerce ; près d’un tiers des actifs en télétravail au cours des deux mois de confinement ; et 100 % des cours faits à distance dans les universités et les écoles sur cette même période. On peut réellement parler de choc digital.

Les nouvelles technologies apportent beaucoup de solutions opérationnelles intelligentes à même de redéfinir les contours d’un « monde d’après » offrant plus de possibilités d’interactions à distance tout en étant plus économe en déplacements, c’est-à-dire meilleur pour la planète et pour nos emplois du temps.

Néanmoins, des voix s’élèvent un peu partout dans le monde, pour souligner les dangers du 100 % digital : perte de sens et de repère, rupture de la confiance et du lien social, fragmentation des collectifs (pourtant cruciaux dans la performance des organisations), et enfin perte du capital social (fondamental pour le bon développement des territoires et des communautés humaines locales).

Ainsi, comment souvent, c’est dans un juste équilibre entre interactions virtuelles et réelles que réside la solution.

Le cas des néobanques, qualifiées aussi de « pures players » bancaires, c’est-à-dire proposant une offre uniquement par le biais du canal digital, s’inscrit dans cette voie. Certaines d’entre elles, se tournent progressivement vers les lieux physiques et en réinventent la fonction, leur donnant une valeur d’usage nouvelle dans une optique de complémentarité.

Leur expérience est significative, car elle montre que le « 100 % digital » rime avec l’apparition de lieux physiques complètement décalés.

Rompre avec l’agence bancaire traditionnelle

Aux États-Unis, où 13 000 agences bancaires ont disparu lors des 10 dernières années, l’entreprise Capital One a été l’une des premières à proposer un nouveau concept hybride.

Après la crise financière, cette banque en ligne américaine a commencé par racheter la branche américaine de ING et quelques autres réseaux plus locaux disposant d’agences. On aurait pu penser que la synergie entre ces agences locales bien implantées et une banque digitale constituerait les bases d’une banque équilibrée pour le futur.

Mais, contre toute attente, depuis 2015, la stratégie de One Capital a été de fermer progressivement ses agences bancaires classiques pour ouvrir des espaces très originaux, situés non loin des quartiers d’affaires : les Capital One Cafés.

Entre café (type Starbucks), centre de loisir et de détente, espace de coworking et centre communautaire, ces lieux restent extrêmement éloignés de ce que peut être une agence bancaire. Aux premiers abords, ils ressemblent plutôt à des cafés branchés et studieux mettant à disposition des clients de grandes tables pour travailler en consommant.

Programme du mois de décembre 2019 au Capital One Café de Fort Lauderdale en Floride. Valéry Michaux

Capital One a mis en place cette stratégie « phygitale » dans le but de se positionner au cœur de la communauté des résidents du quartier où elle est implantée et de jouer un rôle auprès de ceux qui y viennent, y vivent ou y travaillent.

Le directeur de cet espace original a des objectifs surprenants : développer des évènements tournés vers la communauté. Chaque semaine y sont organisés gratuitement des cours de yoga, des concerts, des conférences, etc. afin de créer du lien social et de l’animation locale.

Concert organisé au sein d’un Capital One Café à Miami Beach aux États-Unis (Prism Creative Group).

Attention, il ne s’agit pas d’une opération philanthropique. Ne nous trompons pas. Si vous avez besoin de discuter emprunt, problèmes financiers ou délais de paiement, bien entendu vous pouvez le faire que vous veniez en tant que particulier ou entreprise. L’équipe composée d’anciens conseillers clientèle est là, formée pour vous répondre. Mais l’offre bancaire étant 100 % digitale, les employés n’ont pas pour rôle de prospecter et de vendre des produits bancaires de manière directe.

Il s’agit de créer un lien plus émotionnel avec le client historique ou le prospect en s’offrant une place de choix dans sa vie quotidienne. Il s’agit également pour cette banque de créer un symbole fort en étant physiquement au milieu de la communauté en lien avec la ville et ses problèmes.

Cet espace original présente donc aussi des fonctions d’accueil des associations et des organisations à but non lucratif avec de vrais projets développés en faveur des personnes les plus défavorisées de la ville ou de causes locales identifiées comme sensibles.

Parallèlement, les espaces privatifs de coworking situés au fond de l’espace café servent pour les associations locales en priorité. Si les salles sont libres, les indépendants, consultants, professionnels du quartier ou simples passants peuvent venir y travailler aussi gratuitement.

On compte aujourd’hui une quarantaine de ces espaces originaux aux États-Unis. Ils ont donc pour vocation de continuer à se déployer petit à petit. Les consommateurs du café ne viennent quasiment jamais pour des questions bancaires.

« Nous voulons être parmi les trois banques qui viennent à l’esprit des consommateurs dans quelques années » déclare le directeur de l’espace, ravi d’avoir quitté le monde traditionnel de la banque pour un tout autre métier.

Une hybridation qui gagne du terrain

Capital One Café constitue le premier espace de ce type. Mais des lieux physiques multifonctions développés par les banques commencent à apparaître discrètement un peu partout dans le monde. Au Royaume-Uni, Virgin Money a ouvert son huitième Virgin Money Lounge à Cardiff. C’est le concept le plus proche de One Capital Café qui a développé les mêmes fonctions.

Un espace Virgin Money Lounge à Cardiff. VirginMoney

CaixaBank, la banque espagnole a créé ImaginBank, une néobanque uniquement en ligne et ImaginCafe, un espace en plein Barcelone, qui développe des nombreux évènements quotidiens : concerts, ateliers de création, exposition d’art moderne, etc.

L'ImaginCafe de CaixaBank illustre la dimension culturelle très large de ces nouveaux espaces (imaginCafé, 2018).

Plus proche d’une agence bancaire, DBS, une banque régionale située à Singapour a lancé dès 2017 un café-banque nommé Tech Lifestyle Space. Le café est central dans la fonction de cet espace. On peut néanmoins encore reconnaître le comptoir d’une agence bancaire au fond de l’espace.

De même, d’autres établissements financiers se sont lancés dans les cafés hybrides : Umpqua Bank a ouvert un café-banque à Portland et Halifax un espace-café évènementiel à Londres. Banco Galicia, qui est considérée comme la plus grande banque d’Argentine, a ouvert également des espaces de coworking.

Le café-banque Tech Lifestyle Space (TBS Bank – Singapour). DBS

En France, les avancées restent à l’heure actuelle timides. Notre pays reste l’un des premiers en Europe en matière de fermeture d’agences depuis les années 2010. Toutefois, depuis quelques années, différentes banques mènent des réflexions pour convertir une partie des locaux de leurs agences bancaires en espace de coworking.

Le Crédit du Nord a inauguré récemment à Lille un espace de coworking atypique entièrement ouvert, sans bureau individuel ni guichet. La Macif a créé un lieu également à destination des professionnels.

Les pratiques de ces acteurs traditionnels restent néanmoins encore très éloignées des concepts malins développés par les néobanques.

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