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Ce que les Sénégalais·e·s pensent des mesures gouvernementales contre la Covid-19

Des Sénégalais à l'intérieur du Marché de Grand Dakar le 12 mai, après l'assouplissement des mesures de lutte contre la COVID-19 par l'ouverture des marchés six jours par semaine et des lieux de culte. John Wessels/AFP

Bien avant l’apparition du premier cas confirmé de Covid-19 début mars 2020, le gouvernement du Sénégal a instauré, à l’instar d’autres pays en Afrique, une série de mesures gouvernementales pour lutter contre la pandémie. Une réunion extraordinaire du comité national de gestion des épidémies a été organisée dès le 6 janvier 2020. Le Sénégal disposait même d’un plan de riposte avant la détection du premier cas de Covid-19 sur son sol.

Il fallait, en effet, agir vite. Des chercheurs avaient prédit que le Sénégal allait subir un peu plus de 2 200 décès d’ici à la fin de l’année. D’autres avaient estimé que le pic des cas se produirait entre le 28 mai et le 15 juin 2020. En fait, l’évolution de l’épidémie au Sénégal est lente mais constante. Cependant, les données épidémiologiques disponibles dépendent beaucoup des stratégies de dépistage. La proportion de tests positifs reste autour de 10 % depuis plusieurs mois.

De nombreuses mesures visant à lutter contre la pandémie ont été mises en place de façon graduelle. Dès le 14 mars, le gouvernement décide d’interdire les rassemblements et la fréquentation des lieux de culte. Le 23 mars, trois mesures importantes sont décidées : couvre-feu (dont les horaires vont varier dans le temps) ; interdiction des déplacements entre les régions ; et fermeture des marchés. La réouverture des lieux de culte a eu lieu le 11 mai pour les volontaires, puis la restriction du transport entre les régions a été levée le 4 juin, le couvre-feu et les marchés ont été rouverts (sauf un jour par semaine) le 29 juin.

Pour que toutes ces mesures soient efficaces, elles doivent être appliquées, respectées et, bien sûr, acceptées par les personnes concernées. Il est donc essentiel de comprendre ce qu’en pensent les Sénégalais afin de les ajuster et de les adapter. C’est l’objectif de notre étude, qui sera bientôt publiée, centrée autour des quatre principales mesures (le couvre-feu ; l’interdiction des déplacements entre les régions ; la fermeture des marchés et la fermeture des lieux de culte) s’inscrivant dans l’évolution de l’incidence journalière des cas de Covid-19 présentée dans la figure suivante.

L’échantillonnage et les questions posées

Si plusieurs sondages téléphoniques ont été réalisés en Afrique de l’Ouest et au Sénégal sur la pandémie, rares sont ceux qui disposent d’un échantillon national et aucun ne s’est appuyé sur un modèle conceptuel éprouvé pour étudier l’acceptabilité des mesures.

Pour disposer d’un échantillon national sans mettre en danger les enquêtrices, notre sondage a été réalisé au téléphone à l’aide d’experts internationaux de ce type d’innovations technologiques. Nous avons suivi la méthode des quotas afin que notre échantillon respecte la distribution de la population du pays concernant l’âge, le sexe et la région de vie. À partir de plus de 30 000 numéros de téléphone créés de façon aléatoire au Sénégal, un tirage au sort a été réalisé et des appels ont été effectués. Plus de 800 personnes ont répondu. Notre étude a obtenu l’autorisation du comité d’éthique national.

Pour chacune des quatre mesures analysées, les questions posées portaient sur son importance, les efforts pour la respecter, le ressenti, l’efficacité pour réduire la maladie, les bénéfices tirés, la capacité́ à la respecter et enfin la concordance avec les valeurs personnelles.

Des mesures dont l’acceptabilité sociale est très variable

L’acceptabilité sociale des mesures prises par l’État a été calculée sur la base d’un score variant entre 0 (aucune acceptation) à 7 (acceptation totale). La figure montre que le couvre-feu et l’interdiction des déplacements entre les régions sont très bien acceptés, ce qui est aussi le cas de la fermeture des marchés. En revanche, la fermeture des lieux de culte porte plus à controverse. En dépit de quelques émeutes contre le couvre-feu, notre enquête montre que cette mesure a été appréciée positivement par la majorité des Sénégalais. Cela doit certainement s’expliquer par ses autres effets potentiels, notamment au plan de la sécurité et de la présence de tous les membres de la famille au domicile à la nuit tombée.

Les personnes les moins instruites et les plus pauvres sont celles qui sont le plus en accord avec le couvre-feu. Il ne semble pas y avoir de différence de ce point de vue pour les trois autres mesures.

De plus, la grande majorité des personnes qui ont participé à l’enquête disent respecter les consignes et les gestes barrières comme se laver les mains, éviter les cérémonies, réduire les transports ou encore porter le masque. Par exemple, 96 % affirment porter un masque. Si à l’époque du sondage c’était probablement le cas, les observateurs et les médias semblent considérer que ce n’est plus vraiment la situation aujourd’hui.

Une pandémie davantage prise au sérieux par les personnes âgées que par les jeunes

Le sondage montre que plus les personnes sont âgées et plus elles pensent que les mesures prises vont permettre de réduire la maladie et s’attaquer à l’épidémie. Par exemple, environ 80 % des personnes âgées pensent que le couvre-feu et la fermeture des lieux de culte seront efficaces pour réduire la maladie, contre seulement 62 % des moins de 25 ans.

Contrairement aux moins de 25 ans, une proportion très importante de personnes âgées ont parfaitement compris l’importance de la fermeture des lieux de culte, alors que ce sont elles qui les fréquentent le plus.

À l’inverse, ces dernières sont aussi inquiètes et en désaccord avec la réouverture des lieux de culte et des déplacements entre les régions. Elles ont donc bien conscience des risques de la pandémie pour eux, contrairement aux plus jeunes. C’était en effet le tableau dressé par les médias : une pandémie qui touche les plus âgés et qui ne concerne pas les jeunes. Enfin, ces mêmes personnes âgées ont une confiance presque totale dans le gouvernement pour agir contre la pandémie contrairement aux autres qui expriment des doutes.

Une épidémie qui mine la confiance envers le gouvernement et les médias sociaux ?

Nous avons demandé aux répondants d’évaluer, sur une échelle de 0 à 10, leur degré de confiance envers le gouvernement pour lutter contre l’épidémie. Les cartes montrent que les réponses sont inversement proportionnelles à la diffusion du virus.

Autrement dit, plus l’épidémie est présente et moins les répondants ont confiance dans l’efficacité du gouvernement. De surcroît, les hommes ont moins confiance dans la capacité du gouvernement que les femmes et, quel que soit l’âge, les hommes ont une tendance (déclarative !) à être moins inquiets que les femmes de l’épidémie. Des efforts d’information s’avèrent certainement nécessaires pour expliquer ce que fait le gouvernement, au-delà des actions concrètes qu’il faut évidemment organiser.

En outre, 77 % des sondés estiment que la communauté doit prendre en charge les cas simples de Covid-19, mais 50 % seulement jugent qu’elle doit également prendre en charge les cas contact. Cet écart s’explique peut-être par la volonté de prendre soin des malades, mais aussi par la peur de voir des personnes ayant été en contact avec des malades diffuser le virus.

En outre, les Sénégalais·e·s affirment faire beaucoup plus confiance aux médias nationaux (84 %) et aux professionnels de santé (93 %) pour obtenir des informations sur le coronavirus qu’aux réseaux sociaux (21 %), ce qui est rassurant. La majorité nous dit donc être en mesure de pouvoir faire la part des choses, ce qui pourrait expliquer qu’un tiers des répondants affirment qu’il n’existe pas de traitement efficace contre ce nouveau coronavirus et un autre tiers expliquent ne pas savoir.

Notre enquête qualitative auprès d’un échantillon de 30 de ces répondant·e·s apportera un éclairage plus en nuance et en profondeur des résultats. De plus, nous allons lancer une seconde enquête pour comprendre la perception des Sénégalais·e·s concernant un éventuel vaccin.

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