Encensées, décortiquées ou décriées, que ce soit dans l’espace médiatique ou académique, les séries destinées aux adolescents ne sont pas nouvelles mais de plus en plus nombreuses. Si elles représentent depuis toujours les amours et sexualités adolescentes, elles proposent aujourd’hui, notamment par des messages de promotion de la santé sexuelle, de nouveaux standards d’acceptabilité et touchent des sujets censés importer aux adolescents. Qu’en pensent les principaux concernés ? Se reconnaissent-ils toujours dans les représentations de cette période de la vie ?
En octobre 2023, une enquête américaine auprès de 1 500 adolescents âgés de 10 à 24 ans soulignait qu’ils étaient 51,5 % à vouloir plus de contenus centrés sur l’amitié et les relations platoniques et 44,3 % à trouver qu’il y avait trop de romance dans les films et séries.
Ces chiffres ne rendent pas compte des différences selon les âges et profils des adolescents. Malgré tout, ils témoignent d’avis contrastés et de préoccupations adolescentes variées.
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Ce décalage entre images proposées et attentes des adolescents ressort également des discours des élèves de dernière année de secondaire rencontrés en 2021-2022, en Haute-Vienne (France) et en Province de Namur (Belgique), dans le cadre d’une recherche doctorale sur leurs réceptions et usages sociaux des séries.
Une sexualité surreprésentée ?
Interrogés au cours des entretiens sur les séries qui leur sont destinées, les adolescents ont en majorité souligné le décalage important entre la fiction et leur quotidien. Principal argument : la surreprésentation d’histoires d’amour complexes et surtout, de relations sexuelles. Ainsi, Sonia, 17 ans, trouve la série Gossip Girl (2007-2012), qui raconte les frasques de jeunes riches new-yorkais, « poussée à l’extrême » :
« Tout le monde se tape tout le monde et c’est pas quand même le cas dans la réalité. Dans mon groupe de potes, il peut arriver que certains soient partagés entre deux personnes, mais pas non plus à ce point-là ! »
De même pour Faustine, 17 ans, qui explique que les séries parlent trop souvent de tromperie : « il y en a beaucoup trop dans les séries comparé à la réalité. Moi, je trouve qu’il n’y a pas beaucoup d’histoires là-dessus, enfin très peu, en tout cas à mon école, etc. Ou même, en dehors de l’école, hein, dans ma vie. »
La série espagnole Elite (2018–2024) est la plus citée pour souligner ces exagérations. Si la première saison semble avoir atteint sa cible en misant sur la résolution du mystère autour du meurtre d’une élève, les saisons suivantes, même si elles tentent de reproduire les mêmes ficelles narratives, sont plus volontiers critiquées.
Tara, 18 ans, explique pourquoi elle a été « choquée » en regardant les saisons suivantes de la série :
« Je trouvais que ça partait un peu en vrille, ça ne se rapprochait plus de la réalité, c’était vraiment du n’importe quoi. Ce n’était que faire la fête, faire la fête, et baiser un peu partout. Pour parler cru. »
Des stéréotypes sur l’adolescence ?
Les adolescents peuvent même regretter les effets de ces représentations, comme pour Jean, 17 ans :
« On pourrait mettre en évidence énormément d’autres choses qui font partie de l’adolescence mais on ne le met pas forcément. On met d’abord le sexe, etc. Et je pense d’ailleurs que les stéréotypes par rapport à l’adolescence viennent de là, hein. […] un adulte un petit peu plus innocent va penser que ça, c’est l’adolescence. Et il va catégoriser l’adolescence de maintenant comme ça. Et ça, je trouve ça dommage. »
Au final, ce qui ressort de ce discours est une volonté de casser les stéréotypes qui cloisonnent l’adolescence et, dans le prolongement, les adolescents eux-mêmes qui y sont réduits.
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Et Sex Education ? Si la série produite et diffusée sur Netflix entre 2019 et 2023 a connu de forts échos médiatiques et académiques, notamment pour souligner son approche pédagogique de la sexualité, les adolescents rencontrés au cours de cette enquête sont loin d’être unanimes.
Entre ceux qui ne l’ont tout simplement pas visionnée, ceux qui n’ont « pas accroché » et n’ont regardé que quelques épisodes, ceux qui la trouvent exagérée, il en reste peu qui la présentent comme « utile ». Et quand ils la disent « utile », ce serait surtout pour les autres :
« Je ne dis pas qu’il n’y a pas des situations qui me sont arrivées – et, si c’est le cas, je ne dirais pas forcément lesquelles. Mais j’ai vraiment bien aimé le fait qu’il y ait des gens qui puissent s’y retrouver, surtout des ados qui n’y connaissent rien ».
Peut-être leur est-il difficile de reconnaître, devant une chercheuse plus âgée, qu’elle leur a été utile à eux, dans leur éducation sexuelle.
Dans l’ensemble, les adolescents interrogés ne nient pas que les relations amoureuses font partie de leur vie mais ils se défendent qu’elles en soient le centre, tout particulièrement à cette étape de leur parcours, balisée par les examens et procédures d’admission dans le postsecondaire.
La réussite aux examens, préoccupation omniprésente chez les ados, mais oubliée par les séries ?
L’une des inquiétudes majeures, retrouvées chez tous les adolescents rencontrés, avec une intensité variable selon leurs profils sociaux et les filières suivies, est de réussir les examens de fin d’année. Durant la dernière année de secondaire, l’école organise leurs agendas. Une omniprésence qui rend encore plus flagrante l’absence de cours, de professeurs et de règles scolaires dans de nombreuses séries pour adolescents. « Dans ces séries, les élèves font un peu ce qu’ils veulent », note Erwan, 18 ans. Une forme de liberté qui jure avec ses propres contraintes scolaires.
Au-delà de leur réussite des examens, de nombreux élèves français s’inquiètent des procédures d’admission de la plateforme Parcoursup et de leur avenir scolaire. À tel point que Sarah et Massimo, 17 ans tous les deux, élèves en filière générale, disent en parler « tous les jours ».
Pourtant, dans les séries pour adolescents, ce type de préoccupations n’a que peu, voire pas, de place. Les rares qui en font un sujet central sont d’autant plus mentionnées pour leur réalisme même si elles sont plus anciennes. Suzon, 17 ans, préfère par exemple se référer à la série Gilmore Girls (2000-2007) qui met en scène le personnage de Rory, 16 ans, qui entre dans un lycée sélectif lors de la première saison :
« Pareil, on a aussi la pression des cours, de bien réussir. Et je trouve que ce sont des sujets qui sont toujours d’actualité, qui sont peut-être moins représentés, moins mis en avant dans les séries qu’on peut voir de nos jours. »
Amenés à se positionner sur leur futur professionnel, les adolescents peuvent alors regarder des séries qui les font entrer dans un monde qu’ils ne connaissent pas encore, ou que partiellement lors de jobs étudiants, à l’instar d’Amando, 17 ans, qui ne regarde plus de séries pour adolescents :
« C’est pas du tout ce que je recherche. Ce que j’aime bien moi, c’est les séries comme The Office et tout ça, qui sont dans le monde du travail. Ou les trucs fantastiques où c’est des adultes. »
Adultes en devenir, les adolescents en fin de secondaire se questionnent et s’inquiètent pour leur parcours scolaire et professionnel et tentent parfois de piocher dans certaines séries des bribes de réponses. Les séries pour adolescents, à ce moment de leur vie, semblent ne pas (plus ?) répondre assez à leurs attentes.