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Politique en jachères

Cénotaphe pour un parti défunt : la seconde mort du Parti socialiste

Cérémonie à Jarnac pour les vingt ans de la disparition de François Mitterrand, le 8 janvier 2016. Mathieu Delmestre/Flickr, CC BY-NC-ND

Ne passons pas indifférents au bord d’une rivière en disant : « Ce n’est rien, c’est un parti qui se noie ! » Imparfaits, trop faibles, les partis politiques n’en sont pas moins indispensables au fonctionnement du système représentatif. Ils devraient être en effet les médiateurs naturels entre les électeurs dans leur diversité et les acteurs politiques, donner et maintenir au programme intentionnel des gouvernants (ou de leurs opposants) sa cohérence dans l’espace et dans le temps.

Las, à droite comme à gauche, on est loin du compte. Les partis sont devenus des squelettes desséchés, des machines à distribuer les investitures et à entretenir des clientèles. Même plus capables, comme on le voit au PS aujourd’hui, de gérer leurs élus avec le minimum de discipline collective. L’affaire est plus évidente dans le cas du parti au pouvoir : il paraît tellement plus aisé d’être ferme dans les mots d’opposition. Elle concerne cependant tous les partis : qu’on se rappelle les convulsions crisiques de l’UMP après sa défaite de 2012 ; ou le fascinant bal des égos de sa future primaire ; ou le FN lui-même quand il tente de s’habiller d’un costume de respectabilité sans perdre son capital populiste…

Tant va la cruche à l’eau…

C’est que tous sont frappés de la même maladie : la présidentialisation abusive d’un système politique qui fonctionne à l’envers depuis plusieurs décennies. Au lieu, comme ailleurs, de jouer la carte souple d’un dialogue équilibré entre une diversité parlementaire – représentative des sensibilités réelles de l’opinion – et une autorité exécutive claire dans ses choix, on persiste à afficher l’image ternie d’un président démiurge, seul capable d’assurer la remise sur les rails d’un pays qui dérive dans la crise.

Les coups de menton d’un Manuel Valls ne suffisent pas à masquer les constantes reculades d’un pouvoir contredit par l’opinion publique. François Hollande a pu être sauvé de la déchéance par les terribles évènements de 2015 : il a su tenir un moment avec dignité l’attitude protectrice et tutélaire qu’on attendait de lui. Il était vraiment dans le rôle. Cela n’a pas duré, quand d’annonces intempestives en réformes constitutionnelles démocratiquement douteuses, il tente d’instrumentaliser cela dans sa course à la réélection.

Tout, en effet, se concentre autour de l’enjeu élyséen et de l’élection présidentielle, passage unique et obligé pour l’action politique. À peine effacée la claque des régionales, les jeux ont repris dans la perspective de 2017. C’est de la présence au second tour que tout dépendra. Avec le FN comme repoussoir national (merci Marine !), il faut assurer les alliances. Persuader qu’après-demain il fera beau. Multiplier les effets d’annonce pour convaincre de sa volonté réformiste. Et finalement, imputer aux Français le blocage des changements nécessaires. Erreur funeste que d’accuser les Français de conservatisme frileux : la France n’est pas frileuse, la France a froid ! La France a peur des peurs qu’on lui inflige.

Crise de la légitimité

Visiblement, on a franchi un seuil critique pour notre démocratie : ce qui était une simple crise du consensus, c’est-à-dire une perte de confiance dans l’efficience des gouvernants pour résoudre les problèmes du moment, se résolvant habituellement par une alternance démocratique, tourne aujourd’hui à la crise de légitimité. La légitimité institutionnelle, c’est la croyance dans la valeur sociale des institutions, dans leur capacité à garantir l’unité nationale autour de valeurs collectives. La légitimité des gouvernants découle de leur identification à ces valeurs et de leur capacité à les incarner.

Or, ce fil semble atteint, sinon encore détruit. Un récent sondage Ipsos (Le Monde, 12/03/2016) souligne cette rupture entre les Français et leurs représentants : 88 % des interrogés estiment que leurs idées ne sont pas bien représentées ; 93 % que les politiques agissent à des fins personnelles. Il y a, béant, un espace d’incommunication politique qui s’est creusé entre les citoyens et leurs élus ; d’ailleurs, le souhait premier des sondés (38 %) va pour un Président à l’écoute, qui demande l’avis des gens et qui en tient compte pour proposer des solutions.

Cette fin souhaitée d’un démiurge, Nicolas Sarkozy et François Hollande l’auront vivement accélérée, chacun à leur manière. Peut-être encore plus sûrement le second que le premier : les contradictions, les outrances et les foucades de Nicolas Sarkozy n’auront finalement emporté que lui-même sans porter atteinte aux valeurs traditionnelles de la droite. Amené par un vent d’espoir de renouveau, François Hollande aura, jusqu’à présent, non seulement échoué dans son combat pour le redressement économique et social : il aura mis à mal le socle des valeurs morales de la gauche à rebours de son anaphore de candidat.

Le miroir de la boue du ruisseau

Le déconcertant concert que nous offrent les socialistes aujourd’hui ne résulte ni simplement ni principalement d’un conflit d’égos : il n’est que le reflet de cette rupture introduite par un système politique en crise. La stratégie présidentielle, déconnectée de toute réflexion partisane, a vidé la Maison socialiste de ses meubles idéologiques, cédés à l’encan des besoins de l’exécutif : la voilà qui cesse d’être un foyer rassembleur, réchauffant les cœurs et les énergies. De Martine Aubry à Emmanuel Macron, de Manuel Valls à Christiane Taubira, de Michel Sapin à Benoit Hamon, les failles se creusent, qui éclatent au grand jour médiatique en dehors des instances internes régissant habituellement la vie du parti. Et cela alors même que celui-ci est en charge du pouvoir.

Martine Aubry n’hésite plus à sonner la charge contre la politique du gouvernement. Dominique Faget/AFP

L’implacable machinerie présidentialiste contraint à ce ballet lugubre entre monades dispersées. La concentration des décisions dans les mains du chef de l’État impose un carcan à la majorité parlementaire, qui doit subir le rythme et le cadre des projets élyséens : à peine si on lui laisse les marges d’amendement en cours de débat… À cet état de domination, venant encore restreindre l’espace de débat de fond, s’ajoute le calendrier électoral, tout entier articulé à l’échéance présidentielle. Aussi bien pour ce qui est du candidat à la présidence que pour les candidatures aux législatives, que Lionel Jospin a funestement placées dans son immédiat prolongement, tout est suspendu à la décision qui sera celle de l’occupant actuel du trône. Et celle-ci ne pourra être connue qu’au début de l’année 2017.

Dès lors, voici les différentes ambitions et les différentes sensibilités contraintes à des stratégies de contournement : ici on demande des primaires pour débattre, là on fait assaut de fidélité au Président ; là on affirme son identité, ici on plaide la solidarité. Ce qui peut surprendre, devant ce concert de paroles croisées, c’est que le Parti socialiste soit encore debout. Le mystère se dissipe si l’on se reporte à notre propos initial. Pourquoi diable, s’il arrive que l’on quitte le gouvernement, ne quitte-t-on pas un parti dont on conteste à ce point la ligne ? Pourquoi les frondeurs restent-ils ? Dure loi du système électoral et de la logique présidentielle : c’est le parti qui distribue les investitures. Le quitter serait se mettre en dehors du jeu, se condamner à l’aventure singulière, peut-être sans lendemains qui chantent… Cela demande un peu de courage.

Voici presque cinquante ans, la vieille SFIO – dépouillée de ses illusions réformistes – explosait corps et biens sur le récif de la présidentielle de 1969. Étrange similitude avec la situation actuelle, où le Parti socialiste erre sans boussole, moteur coupé et tous feux éteints, s’échouant interminablement sur les sables mouvants d’institutions épuisées. Quand son corps aura disparu, ses fidèles pourront enfin lui édifier un cénotaphe.

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