Menu Close
Le traitement du diabète est particulièrement contraignant. Shutterstock

C’est « mon » programme de soin, ou comment l’appropriation améliore la prise en charge du diabète

En France, environ 3,7 millions de personnes souffrent de diabète, et chaque jour 400 nouveaux cas sont diagnostiqués selon la Fédération française des diabétiques. Comme le rappelle cette dernière, malgré une recherche médicale qui s’améliore le diabète reste une maladie qui ne se guérit pas.

Il est cependant possible d’améliorer la prise en charge des patients diabétiques afin de leur permettre de se surveiller, de garder de bonnes habitudes alimentaires, de pratiquer une activité physique et prendre régulièrement leur traitement. Objectif : que la personne diabétique soit « un malade en bonne santé ». Nos travaux montrent qu’un puissant levier pour y parvenir est de susciter l’appropriation psychologique des patients.

Une maladie compliquée à prendre en charge

Silencieux, le diabète est une maladie qui peut longtemps passer inaperçue. Bien que le facteur héréditaire joue un rôle dans la survenue de la maladie, les spécialistes s’entendent sur le fait que l’environnement serait à l’origine de son apparition : consommation excessive de graisses saturées et de sucres rapides, manque d’exercice physique, stress et sédentarité sont autant de facteurs déclencheurs ou aggravants.

Une fois la maladie diagnostiquée, sa prise en charge dépend en grande partie de la participation active du patient. Celui-ci doit être capable de pleinement intégrer, dans le temps, un programme de soin composé de diverses activités complexes : prendre des médicaments, s’injecter de l’insuline, pratiquer des activités physiques et adopter des pratiques alimentaires adaptées à sa pathologie…

On estime que dans le cas du diabète, 95 % des soins sont prodigués par le patient lui-même. Cette spécificité fait du diabète l’une des maladies chroniques les plus difficiles à gérer. En effet, les professionnels de santé ont peu de contrôle sur la façon dont les patients gèrent leur maladie, en dehors des consultations. Qui plus est, une majorité de patients estime avoir des difficultés à pleinement réaliser le programme de manière correcte dans le temps. Il leur est notamment difficile de radicalement changer leurs routines, leurs habitudes et leurs modes de vie pour intégrer ce programme.

Comment aider les patients à acquérir davantage de contrôle et d’autonomie sans appliquer de directives strictes ?

Donner du pouvoir au patient, mais pas n’importe comment

Afin de favoriser le contrôle et l’autonomie du patient, les approches développées aujourd’hui par les professionnels de santé et les chercheurs consistent principalement à renforcer l’« empowerment » du patient. Il s’agit de donner du pouvoir au patient en l’impliquant dans les décisions qui concernent sa santé, et ainsi accroître sa capacité à prendre des décisions et à être autonome. Cette approche a notamment permis de passer d’un modèle paternaliste de la relation médecin-patient à un modèle plus collaboratif où le patient peut exprimer son ressenti et faire part de ses choix. Cependant, cette démarche présente plusieurs limites.

Tout d’abord, l’empowerment repose sur l’idée que le patient est intrinsèquement motivé par les tâches qu’il va accomplir dans son programme. Or, les [recherches] montrent que la composante de motivation intrinsèque, qui va pousser un individu à l’action, doit d’inclure une composante de plaisir et de joie procurée par l’activité. Ce postulat est difficilement soutenable dans le cadre du diabète, car les activités liées aux soins de santé (comme prendre des médicaments ou adopter un régime alimentaire sain) ne sont évidemment pas désirées par les patients, mais subies. Elles et peuvent donc lui délivrer de plaisir.

De plus, les patients sont souvent dans un état de vulnérabilité, parfois déprimés, et peuvent éprouver de graves difficultés à suivre un programme contraignant dont ils ne voient pas les bénéfices à court terme.

Enfin, l’approche de l’empowerment s’articule essentiellement autour de l’interaction entre le patient et le médecin et néglige le lien psychologique, intime et personnel, pouvant exister entre le patient et son programme. Plus particulièrement, cette approche néglige la manière dont les patients intègrent leur programme dans leur quotidien et le sentiment d’appropriation qu’ils pourraient éprouver à l’égard de ce programme.

Or des recherches ont révélé que ce sentiment d’« appropriation psychologique » (expression désignant l’état d’un individu lorsqu’il considère un objet ou une pratique comme « sienne », comme faisant partie de lui-même) est un puissant moteur d’investissement, bien connu des experts en marketing. Comment le susciter dans le cadre du traitement du diabète ?

« C’est mon programme »

Afin d’étudier la question de l’appropriation d’un programme de soin par les patients, nous avons menée une vaste recherche auprès de 502 patients français diabétiques. Conduite en collaboration avec la FFD, notre étude propose de mieux comprendre le mécanisme psychologique qui peut conduire le patient à éprouver un sentiment d’appropriation envers le programme, c’est-à-dire l’état dans lequel le patient ressent le programme comme « à lui » (« C’est mon programme ») et les effets bénéfiques de cette appropriation.

Les résultats de notre étude soulignent la place centrale de l’appropriation du programme de soin. Le sentiment de possession du patient à l’égard du programme renforce ses comportements observants vis-à-vis de trois formes d’adhérence :

  • l’adhérence médicamenteuse, c’est-à-dire le respect de la prise des médicaments et de l’insuline ;

  • l’adhérence alimentaire, qui se traduit par l’adoption d’un régime adapté à la pathologie ;

  • l’adhérence aux activités physiques, qui conduit le patient à pratiquer régulièrement une activité physique.

En d’autres termes, un patient qui perçoit le programme comme étant le sien serait plus enclin à adopter des comportements positifs envers sa pathologie et se prendra ainsi mieux en charge.

Susciter le sentiment d’appropriation

Quels sont les éléments qui peuvent conduire le patient à éprouver ce sentiment d’appropriation à l’égard du programme ? Nos travaux ont permis de mettre en évidence trois facteurs d’appropriation : la participation, le contrôle et la connaissance.

Le premier est la participation, qui repose sur l’investissement du patient dans la production du soin, en collaboration avec le professionnel de santé. Le second facteur d’appropriation est le contrôle, c’est-à-dire la compétence du patient dans la réalisation du programme. Enfin, le troisième est la connaissance, qui traduit la familiarité générale du patient envers le programme.

Pour qu’un patient s’approprie psychologiquement son traitement, il faut non seulement qu’il s’y investisse, en collaboration avec le professionnel de santé, mais aussi qu’il éprouve un sentiment de contrôle sur le programme. Il doit se sentir compétent lorsqu’il s’agit de le mettre en œuvre. Enfin, la familiarité du patient avec le programme, basée sur la connaissance qu’il en a, renforce son impression d’appropriation. Ce qui se traduit en définitive par une amélioration des comportements d’observance.

La prise en compte de ces mécanismes d’appropriation psychologique ouvre de nouvelles perspectives en matière de gestion du diabète et plus généralement les maladies chroniques, en mettant en place des parcours de soin encore davantage centrés sur les patients.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,100 academics and researchers from 4,941 institutions.

Register now