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Circulation totale : ces phénomènes qui échappent au contrôle de l’homme

Circulation sans contrôle. Pixabay

L’activité humaine a profondément modifié les mouvements de circulation. À l’origine, ces mouvements dépendaient étroitement de l’environnement naturel : vents, courants marins et fluviaux, déplacement de matières, d’organismes vivants, etc.

Aujourd’hui, la situation est totalement différente. Les flux de circulation sont de plus en plus étroitement liés à l’action humaine : transports à grande échelle de marchandises et de personnes sur route, fer, mer, fleuve et dans les airs, production massive de nouveaux biens amenés à circuler (déchets), dématérialisation fulgurante des flux (données, argent).

L’illusion du contrôle

Plus encore que pour les circulations naturelles que l’homme a tenté de canaliser avec le succès relatif que l’on connaît, les circulations produites par l’activité humaine se nourrissent d’une illusion de contrôle.

Parce que l’homme est à leur origine, le sentiment est très largement partagé qu’il lui suffit de stopper son action pour que cette circulation cesse effectivement.

De très nombreux dispositifs ont été construits autour de cette idée de contrôle. La circulation des déchets, des données, des capitaux, tout doit pouvoir être étroitement contrôlé par l’homme.

Cette idée de contrôle est une illusion.

Les acteurs du monde (États, entreprises, individus notamment) sont plus en plus souvent dépassés par les mouvements de circulation qu’ils ont pourtant eux-mêmes provoqués.

Un exemple majeur : les gaz à effet de serre

Les gaz à effet de serre sont un exemple majeur de cette situation de perte de contrôle. L’activité humaine produit des émissions de gaz qui, une fois libérées dans l’atmosphère, échappent au contrôle de l’homme. Ces gaz s’accumulent et circulent tout autour de la planète, sans possibilité pour celui qui a libéré le gaz de le récupérer.

L’action des parties prenantes consiste, d’une part, à attendre que le temps (très long) fasse son office de dissipation des gaz existants et, d’autre part, à tenter de réduire les émissions passées et futures. Mais même sur ce dernier point, l’action des acteurs demeure très fortement contrainte. Il ne suffit pas, par exemple, qu’un pays, une entreprise ou un individu se montre exemplaire en termes de réduction d’émissions. L’ensemble des acteurs doivent se mobiliser en ce sens, si l’on veut que la réduction des émissions produise les effets globaux escomptés.

Une explication globale : la technosphère

Cette situation où les mouvements de circulation provoqués par l’homme s’exposent à un effet d’emballement et échappent ainsi de plus en plus fréquemment à l’ensemble des acteurs trouve son explication dans ce que des physiciens ont appelé « la technosphère ». Ce terme désigne l’ensemble des dispositifs produits par la technologie de l’homme depuis l’origine de l’humanité.

Il comprend les systèmes imbriqués de communication, de transport, d’exploitation des matières premières, de production énergétique, de transformation industrielle, d’agriculture moderne et d’administration. Cette technologie de l’homme laisserait sa trace à travers les âges et des chercheurs ont même proposé de la quantifier en plusieurs dizaines de milliers de milliards (billions) de tonnes sur la terre.

Pour les tenants de cette thèse, qui reste discutée chez les scientifiques, ces technologies forment un tout – une sphère – qui menace les équilibres de la biosphère qui a présidé à l’apparition de la vie sur terre.

Ces réflexions sur l’avènement d’une nouvelle sphère de technologies intéressent étroitement l’hypothèse d’une circulation produite par l’homme et qui échappe dorénavant à son contrôle. Si l’ensemble des matières et des constructions produites par la technologie de l’homme depuis l’origine de l’humanité forme un tout, alors il faut en déduire que l’homme est comme noyé dans ce nouvel environnement qui le dépasse totalement. Les technologies imaginées par l’homme s’imposent aujourd’hui à lui sans que puisse s’opérer un quelconque retour en arrière.

L’homme a perdu le contrôle de la technosphère. Dès lors que cette technosphère est faite, comme la biosphère, d’une multitude d’interactions, c’est-à-dire de mouvements de circulation, on peut dire, sans grand risque de se tromper, qu’elle s’accompagne d’une perte de contrôle des mouvements de circulation.

Une nécessité : repenser les modes actuels de gouvernance

La situation de perte de contrôle à laquelle l’homme se trouve de plus en plus souvent confronté soulève la question de la pérennité d’un certain nombre de modes actuels de gouvernance.

Sur toute une série de sujets d’une très grande actualité, le discours public, notamment le discours du droit, demeure essentiellement centré sur l’idée que les opérateurs contrôlent les mouvements de circulation.

Ces sujets concernent notamment la circulation des déchets, des données ou encore des capitaux.

Plutôt que de considérer, comme on feint de croire aujourd’hui, que ces circulations évoluent globalement sous contrôle de l’homme et que leur échappement n’a qu’un caractère accidentel, il faut explorer de nouvelles voies. Ces dernières supposent un changement complet de perspectives.

L’homme est confronté à un phénomène de circulation massive, rapide et qui fait intervenir une multitude d’acteurs (voir, dans cette série, les articles à paraître sur « la circulation totale des déchets au-delà du contrôle », « la circulation totale des données au-delà du contrôle », et « la circulation totale des capitaux au-delà du contrôle »).

Ce phénomène complexe doit s’analyser comme un risque qui fait naître parfois des situations de crise. La gouvernance individuelle ou collective de ce risque et de ces crises, leur gestion privée ou publique, à une échelle locale, nationale ou internationale, doivent susciter de nouvelles réflexions (voir, dans cette série, le dernier article à paraître : « Gouverner au-delà du contrôle »).

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