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Climat : des microalgues virtuelles pour mieux comprendre le rôle de l’océan

Vue aérienne d'un océan. La mer est parsermée de multiples filaments verdatres.
Efflorescence de diazotrophes (Trichodesmium) dans la mer de Corail, capturée le 1er septembre 2019 par le satellite Landsat 8. L’interaction entre la physique et la biologie de l’océan se manifeste dans ces filaments verts qui serpentent au grès des courants. Joshua Stevens/NASA, CC BY

L’océan absorbe un quart du CO₂ émis par les activités humaines, jouant un rôle majeur dans l’atténuation du changement climatique. Mieux connaître les processus impliqués est crucial pour comprendre le rôle de l’océan dans le système climatique global et mieux appréhender les bouleversements induits par le changement climatique.

Pour cela, les modèles numériques sont parmi les outils les plus utilisés. Ils représentent le climat sur une Terre virtuelle et sont essentiels pour explorer les climats passés, prédire les climats futurs ou comprendre comment fonctionne notre climat actuel.

Modéliser les océans, un exercice difficile

Ces modèles reposent sur une série d’équations qui gouvernent les principaux phénomènes physiques, chimiques et biologiques influençant le climat terrestre.

La difficulté de représenter ces phénomènes repose sur la complexité des processus physiques et biologiques à simuler et leurs interactions.

Du côté de la physique de l’océan, les équations sont assez bien connues et définies. L’amélioration des modèles se cantonne surtout à une plus grande résolution, pour l’instant limitée par la capacité de calcul et de stockage de données de nos ordinateurs.

Pour les aspects biologiques, cependant, de nombreuses questions persistent sur la façon de formaliser et simplifier au mieux des processus d’une grande complexité. Schématiquement, la captation du CO2 est notamment médiée par le phytoplancton. Ces algues microscopiques vivent à la surface de l’océan et absorbent le CO2 via la photosynthèse ; à leur mort, une partie d’entre elles coulent au fond des océans, stockant le carbone pour des centaines voire des milliers d’années.

Pour représenter le phytoplancton, l’une des approches les plus répandues est de le diviser en « types fonctionnels », c’est-à-dire différents groupes de phytoplancton qui ont des traits majeurs en commun comme la taille ou la stratégie trophique. Cette approche part du principe que chacun de ces types peut avoir un impact différent sur le cycle du carbone et un rôle différent dans l’écosystème.

Les diazotrophes, alliés du climat

Un type en particulier focalise actuellement l’attention : les diazotrophes. Comme leur nom l’indique, ces microalgues peuvent utiliser le diazote (N2) pour leur croissance – étymologiquement pour leur alimentation (« trophos » en grec). En transformant ce diazote, les diazotrophes fournissent des nutriments qui sont essentiels au reste du phytoplancton et lui permettent de fixer le CO2. Ils ont donc un rôle fondamental de fertiliseurs naturels des océans.

Des études récentes, sur le terrain et en laboratoire, ont révélé la grande diversité des diazotrophes et leur adaptation à des environnements différents. Par exemple, alors qu’on les pensait confinés aux eaux chaudes et transparentes des tropiques, certains types de diazotrophes unicellulaires ont été découverts dans les eaux arctiques ou dans l’obscurité des profondeurs.


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Par ailleurs, les chercheurs sont longtemps partis du principe que les diazotrophes contribuaient peu à la séquestration du carbone, car le Trichodesmium (le diazotrophe historiquement le plus étudié) a tendance à rester en surface et à être peu soumis à la prédation. Or, les preuves s’accumulent et prouvent que d’autres types de diazotrophes (tels que les assemblages symbiotiques de diatomées-diazotrophes) sont responsables d’importants flux de carbone vers les profondeurs.

Malgré leur importance, les diazotrophes sont souvent représentés de façon très sommaire dans les modèles numériques. C’est le résultat à la fois de notre compréhension encore limitée de leur physiologie et des contraintes en termes de capacité de calcul : quand on ajoute de la complexité dans les modèles, les simulations prennent plus de temps et/ou nécessitent des ordinateurs plus puissants.

De nombreux modèles globaux, comme ceux utilisés dans le cadre du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat), les représentent encore de manière implicite : de l’azote est ajouté artificiellement à la surface de l’océan lorsque certaines conditions environnementales, supposées favorables aux diazotrophes, sont présentes.

D’autres modèles les représentent de manière explicite, mais se contentent de reproduire un seul type de diazotrophe, reprenant les caractéristiques du Trichodesmium. Cette approche est pourtant très réductrice au vu des avancées, et limite d’autant nos capacités à capturer la distribution globale de ces microalgues, à évaluer leur impact sur le reste de l’écosystème et à prédire les conséquences du changement climatique sur l’ensemble du phytoplancton et la séquestration du carbone.

Mieux représenter les diazotrophes dans les modèles numériques

Pour répondre à ces lacunes, nous avons développé, dans le cadre du projet NOTION, une toute nouvelle représentation des diazotrophes, qui en inclut cette fois trois types différents.

Représentation schématique de l’océan pacifique, avec des bandes de couleurs différentes s’étendant entre l’Amérique centrale et l’Afrique centrale, avec une autre bande moins étendue à la hauteur de l’espagne
Exemple de taux de fixation d’azote simulé pour une journée en Novembre (conditions moyennes). Chaque couleur correspond à un type de diazotophe différent. Parfois, les couleurs se superposent, indiquant une communauté de diazotrophe mélangée. Simulation réalisée par Domitille Louchard à ETH Zurich. Domitille Louchard, Mar Benavides, Fourni par l'auteur

Si les équations qui décrivent leur croissance et leur mortalité sont les mêmes, chaque type se différencie des autres par des paramètres distincts. Ces paramètres représentent la façon dont chaque diazotrophe réagit à différentes conditions de température, luminosité ou concentration en nutriment.

Cette représentation novatrice des diazotrophes a été intégrée à un modèle numérique régional à haute résolution appliqué à l’Océan Atlantique, hotspot de la diazotrophie marine.

Cette prise en compte de la diversité des diazotrophes a débouché sur une expansion de la fixation du diazote dans les simulations et une meilleure concordance avec les observations. Les flux verticaux de carbone ont aussi été accrus, notamment dans des régions comme l’Atlantique tropical ouest, où les assemblages symbiotiques de diatomées-diazotrophes prospèrent.

Représentation schématique de l’océan pacifique identique à la figure 2 ; la présence d’azote fixé augmente fortement àpartir d’avril, puis rediminue à partir de novembre
Un an de fixation d’azote en surface dans le nouveau système numérique développé dans le cadre du projet NOTION. Simulation réalisée par Domitille Louchard à ETH Zurich. Domitille Louchard, Mar Benavides, Fourni par l'auteur

Ce nouveau modèle nous permet par ailleurs de défricher de nouvelles questions, comme la compétition entre les diazotrophes, mais aussi de mieux appréhender le rôle que ces microalgues joueront dans un contexte de changement global. Quelle sera leur importance comme source d’azote pour le reste des producteurs primaires ? Les diazotrophes peuvent-ils aider à atténuer les effets du changement climatique ? Vastes sont les possibilités de recherche offertes par cette représentation plus réaliste.


Le projet de recherche « Notion » dans lequel s’inscrit cette publication a bénéficié du soutien de la Fondation BNP Paribas dans le cadre du programme Climate and Biodiversity Initiative.

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