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Climat et OGM : hostilité de principe contre questionnement critique (3)

Manifestation pour le climat, 2011. Michel van Reysen/Flickr, CC BY-NC-ND

Dans un précédent article, nous mettions en relief les failles du raisonnement des climatosceptiques, d’une part, des adversaires des OGM d’autre part, et nous osions nous poser la question de les qualifier de la même manière d’opposants à la science. Si l’on regarde les choses en détail, cette impression va (heureusement) s’estomper. Le consensus d’experts sur le réchauffement climatique est, dit-on, robuste ; cela signifie qu’il y a plusieurs manières de le tester, à commencer par le simple examen d’un millier de résumés d’articles comme l’historienne des sciences Naomi Oreskes l’a fait dans la revue Science dès 2004. L’une d’elles est très instructive.

Dans une étude récente, Verheggen et ses collègues ont étudié la distribution des opinions sur le réchauffement climatique, en fonction, en gros, de la force de l’expertise des experts. Cette intensité se mesure par le nombre d’articles que l’on a soi-même publiés sur le changement climatique ; il s’agit donc de se demander dans quelle mesure, plus on publie sur ce thème, plus on soutient une certaine opinion. La conclusion ? La confiance dans l’idée que le climat se réchauffe en conséquence de l’activité humaine augmente proportionnellement au nombre d’articles publiés sur la question. En gros, plus on sait (le nombre de publications est un indicateur raisonnable de cela), plus on confirme la thèse du changement climatique (voir la figure ci-dessous).

Ce travail met en relief un second aspect très important de l’éthos de la recherche : l’expert n’est expert que sur une toute petite zone de la réalité ; pour le reste, il est comme à peu près tout le monde. Aussi dès lors qu’il y a consensus d’experts, on peut toujours tenter une mesure plus fine de ce consensus en regardant le détail de sa distribution.

Ceux, parmi les chercheurs, qui mettent le plus en garde contre les changements climatiques sont aussi ceux qui ont publié le plus sur le sujet. Verheggen, B. et al., Author provided

Ainsi le climatosceptique peut bien jouer certains experts contre le consensus du GIEC ; l’ennui, c’est que ce ne sont pas les meilleurs dans le domaine du climat. On retrouve là un aspect essentiel de l’antiscience, patent pour tout ce qui touche à l’évolution (ou aux théories du complot) : jouer « ses » experts contre les experts. C’est ainsi que la plupart des scientifiques soutenant le créationnisme ou l’intelligent design sont souvent des chimistes, rarement des biologistes, et jamais des biologistes de l’évolution (ce sont des généticiens ou des biologistes moléculaires, qui n’ont pas de raison d’être aussi des spécialistes de la sélection naturelle ou de la systématique).

La manoeuvre est souvent payante, car l’opinion, en général, se soucie peu de ces nuances : Claude Allègre, géologue, sera spontanément mis sur le même pied qu’un paléoclimatologue du GIEC, alors que seul le second est un expert du climat… De fait, géologues et météorologues fournissent le plus gros contingent de climatosceptiques parmi les scientifiques, alors que ces disciplines ne concernent pas directement le climat, son estimation, ses projections, ses causes (la météorologie se joue sur une échelle de temps beaucoup plus courte, et l’échelle est toujours un paramètre scientifique fondamental : comment pourrait-on extrapoler de la vie d’une fourmi à l’histoire de la vie sur Terre ?).

Risques pour la biodiversité

Qu’en est-il alors du militant anti-OGM ? Doit-il lui aussi jouer la carte de pseudo-experts pour contester un vrai consensus scientifique ? Il nous faut ici préciser la question, car les risques potentiels des OGM sont multiples et ne relèvent pas tous du même champ d’expertise. Il y a certes les risques à long terme sur la santé humaine, via l’ingestion d’aliments OGM, ou bien via l’usage d’OGM pour nourrir les animaux d’élevage. Mais il existe aussi des risques essentiels pour les écosystèmes.

Les plants génétiquement modifiés, de fait, peuvent constituer une menace pour la biodiversité : l’existence généralisée de flux de gènes entre les diverses cultures, les qualités de résistance des OGM, et une caractéristique économique des semences GM (elles sont brevetées, ce qui veut dire que leur présence, même involontaire, sur une culture quelconque implique de payer la semence et de l’utiliser massivement), impliquent, pris tous ensemble, la possibilité de voir la biodiversité se réduire. Un appauvrissement que l’agriculture traditionnelle savait éviter par diverses pratiques de croisement, alternance, jachère, etc.

Ce risque a été bien montré par les évolutionnistes et les écologues, et présenté en France avec force aux pouvoirs publics et à l’opinion publique par des biologistes comme Pierre Henri Gouyon, du Museum d’Histoire Naturelle. La compétence pour modéliser et analyser un tel risque ne relève en effet pas de la médecine, de la génétique ou bien de la biologie moléculaire, qui sont les disciplines concernées par l’évaluation du risque alimentaire. Comme l’historien des sciences Christophe Bonneuil l’a montré, il existe en France entre deux pans disciplinaires de la biologie une fracture quant à leur appréhension et leur opinion sur les OGM : là où l’écologie et la biologie de l’évolution freinent des quatre fers, à propos de ces considérations relatives à la biodiversité, les biologistes moléculaires ont tendance à encourager les OGM.

Cette fracture est d’ailleurs visible à l’échelle internationale : les 255 pages d’un des rapports majeurs sur l’évaluation des risques des OGM, parrainé par l’Institute of Medicine et le National Research Council of the National Academies des États-Unis en 2004 et intitulé Safety of Genetically Engineered Foods : Approaches to Assessing Unintended Health Effects ne contiennent aucune mention des mots « écologie », « biodiversité » – contre une cinquantaine d’occurrence du terme « moléculaire » !

Qu’est-ce à dire ? En fait, l’opposant aux OGM, dès qu’il insiste sur le problème écologique posé par ces organismes, ne s’inscrit pas dans une logique de déni de l’expertise scientifique en tant que telle : au contraire, il peut s’appuyer, précisément, sur une autre expertise scientifique que celle qui est présentée comme dominante sur ce sujet précis par la plupart des instances publiques (en particulier aux USA).

Cultures de soja génétiquement modifié aux États-Unis. Nyttend/Wikimedia

Par ailleurs, le problème écologique peut évidemment devenir un problème de santé publique, puisqu’une perte massive de biodiversité expose à des risques accrus de famine. Il est en effet plus probable de perdre toutes ses sources de nourriture si on cultive très peu de variétés que si on dispose de beaucoup d’entre elles. Ce simple fait autorise à juger très contestable l’absence totale de considérations écologiques dans le rapport que je viens de citer sur les risques pour la santé.

Par voie de conséquence, on mesure combien les défenseurs des OGM ont intérêt à porter le débat sur le thème des risques médicaux : ils pourront ainsi plus facilement faire passer leurs adversaires pour des adversaires de la raison scientifique, et les mettre dans le même sac que des conspirationnistes, des créationnistes ou des… climatosceptiques. Celui qui souhaite questionner l’usage des OGM doit donc plutôt mener la controverse sur le terrain écologique… Quitte à ensuite se lancer dans une analyse sociologique, en questionnant les corrélations possibles entre provenance des fonds de recherche et avis sur les OGM…

Pour conclure, la défiance envers les experts, si elle peut difficilement être justifiée, n’est en tout cas pas tout d’un bloc. Il y a une différence de nature entre, premièrement, contester par principe l’expert, parce qu’il représente des intérêts capitalistes (comme disent certains opposants à la vaccination), ou bien est le serviteur d’une frange d’intellectuels gauchistes coalisés (comme disent les républicains), ou encore représente la croyance aveugle en une rationalité occidentale au fondement suspect (comme diraient des partisans de la médecine dite védantique) ; et, deuxièmement, contester ce que dit un expert du champ A au sujet du champ X, inclus dans le champ A, en s’appuyant soi-même sur des experts du champ B, incluant lui aussi le champ X…

Il y a, entre ces attitudes – celle du climatosceptique et celle de l’écologiste opposant aux OGM – toute la distance entre une hostilité de principe envers la science et un questionnement critique sur les usages de la science et de la technologie.

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