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Climat et santé mentale : ce que les réseaux sociaux nous disent de l’éco-anxiété

Lors d’une manifestation de la jeunesse pour le climat, en 2019 en Argentine. RONALDO SCHEMIDT / AFP

En août 2021, le GIEC publiait son nouveau rapport sur les effets désastreux du changement climatique. Qualifié d’« effrayant », il nous rappelait que nombre de ces changements étaient irréversibles.

Au-delà de leur impact bien identifié sur la santé physique des personnes, ces projections pessimistes affectent aussi le bien-être psychologique d’un nombre croissant de personnes.

Montée de l’éco-anxiété

Plusieurs termes décrivent aujourd’hui ces effets sur la santé mentale : on parle de deuil écologique, de solastalgie, d’anxiété climatique ou encore d’éco-anxiété.

L’American Psychological Association définit cette dernière notion comme « une peur chronique de la catastrophe environnementale ». Certains psychiatres l’assimilent à un traumatisme anticipé ou à un trouble de stress prétraumatique.

Une enquête récente, auprès d’un large échantillon de jeunes dans dix pays, révèle que 84 % d’entre eux sont « au moins modérément inquiets en raison du changement climatique » ; et que plus de la moitié ressentent des émotions négatives telles que la tristesse, la colère, l’impuissance ou la culpabilité. Enfin, plus de 45 % ont déclaré que ces sentiments négatifs à l’égard du changement climatique affectent leur vie quotidienne.

Pour certains, l’éco-anxiété est associée à des symptômes graves tels que l’insomnie et la dépression, ce qui fait de ce phénomène un problème de santé publique sérieux, notamment parmi les jeunes générations.

Scruter les « mèmes » pour prendre le pouls de l’opinion publique

L’un des outils permettant d’évaluer les attitudes et les réponses aux questions environnementales consiste à étudier les réactions spontanées, par le biais de l’analyse de sentiment sur les médias sociaux notamment.

Ici, les interactions entre individus offrent une excellente occasion d’observer comment les attitudes sont façonnées et influencées : les mèmes, en particulier, suscitent un intérêt croissant parmi les chercheurs.

Le terme de « mème » a été introduit pour la première fois par Richard Dawkins dans son livre The Selfish Gene. Il fait référence à toute notion, comportement ou mode de vie transmis d’une personne à une autre au sein d’une culture spécifique ; avec l’idée sous-jacente que la transmission culturelle est comparable à la transmission génétique.

Aujourd’hui, le mème est surtout associé à la propagation de contenus numériques (on parle de « mèmes Internet »). Ils prennent généralement la forme d’images, de dessins ou de vidéos ; ils peuvent inclure différents types de références – événements politiques, références à la culture pop, émissions de télévision, etc.

Dans une étude publiée en septembre 2021 dans la revue spécialisée Ecological Economics, nous avons étudié les représentations d’individus sur le changement climatique et les questions environnementales en examinant 856 mèmes Internet.

Nos résultats soulignent les implications humaines et sociales de la dégradation de l’environnement. Bien que le ton soit humoristique, de nombreux mèmes suggèrent que les utilisateurs qui les ont créés et/ou partagés souffrent d’un malaise psychologique et d’une relation dégradée avec les autres.

Impuissance et le manque de foi en l’avenir

Nos résultats mettent en évidence différentes manifestations de l’éco-anxiété, avec de nombreux mèmes illustrant l’impuissance et le manque de foi en l’avenir.

Pour les psychologues, le bien-être mental comporte de multiples facettes – autonomie, maîtrise de l’environnement, progression personnelle, relations positives avec les autres, sens de la vie et acceptation de soi. Notre analyse révèle que trois dimensions du bien-être sont particulièrement mises à mal par les problèmes écologiques : la maîtrise de l’environnement, le sens de la vie et les relations avec les autres.

Fourni par l'auteur

De nombreux mèmes mettent ainsi en évidence un faible niveau de perception de maîtrise de l’environnement : les individus n’ont pas de contrôle sur le monde extérieur ni sur les autres acteurs impliqués dans la crise climatique.

Le manque de foi en l’avenir se traduit, lui, par une perte de sens. Certains mèmes véhiculent l’idée que les individus n’ont pas d’objectifs à long terme, en raison des doutes et des incertitudes qu’ils ont sur l’avenir. La notion de mort est très présente dans le corpus étudié.

Enfin, les mèmes faisant référence aux interactions sociales révèlent une forme de frustration dans les relations interpersonnelles des individus.

L’écologie au cœur de l’identité sociale

Notre recherche met en évidence les conséquences sociales des problèmes environnementaux en termes d’opposition entre groupes d’appartenance et de rejet. Les préoccupations environnementales apparaissent comme un élément important pour catégoriser les individus et définir l’identité sociale.

Fourni par l'auteur

De nombreux mèmes illustrent ainsi la relation de l’individu avec certains groupes d’appartenance ou de référence. Plusieurs mèmes représentent un antagonisme entre l’état d’esprit de l’individu et les perspectives des autres (amis, collègues, membres de la famille, connaissances). Ces mèmes contiennent souvent un soupçon d’autodérision, car l’individu est généralement dépeint comme hystérique et obsédé par les questions environnementales, alors que tout le monde l’ignore ou le perçoit comme décalé.

Dans le même temps, la création et le partage de ce type de contenu suggèrent que ces personnes sont désireuses de revendiquer leur différence et peuvent même se sentir fières d’avoir une plus forte conscience environnementale que les autres. Cette obsession pour la question écologique semble faire partie de leur identité sociale.

D’autres mèmes illustrent une distinction en termes de classe sociale pointant la responsabilité des « riches capitalistes » et des « milliardaires du pétrole » ou en termes de fossé générationnel opposant typiquement la génération Z aux « boomers ».

Mieux vaut en rire !

Bien que les mèmes traitent d’un sujet sérieux et reflètent souvent les pires craintes de leurs créateurs, ils ont pour la plupart un ton humoristique ou ironique. Cette observation renvoie aux recherches en psychologie qui suggèrent l’humour comme mécanisme d’adaptation.

Fourni par l'auteur

On constate également une tendance récurrente à utiliser des représentations anthropomorphiques de la Terre dans de nombreux mèmes. Projeter des caractéristiques humaines sur la nature constitue un phénomène bien connu : on parle de « mère Nature », on utilise des verbes ou des émotions (comme la colère) pour décrire des événements naturels… on donne des noms humains (Katrina, Sandy) aux tempêtes tropicales !

Des recherches en psychologie suggèrent que l’anthropomorphisme peut être motivé par le besoin de comprendre, de se connecter, de contrôler, voire de prédire le comportement des objets non humains. Nos résultats suggèrent que l’anthropomorphisme contribue à réduire la complexité perçue des questions environnementales, atténuant ainsi l’inconfort que nous éprouvons face à des situations abstraites et incertaines.

Le fait de s’engager dans la création de contenu en ligne peut être interprété comme un moyen de reprendre le contrôle et de diminuer l’inconfort psychologique que les individus ressentent face à la crise écologique.

L’éco-anxiété, est-ce une maladie ?

La littérature scientifique traitant des interventions potentielles pour lutter contre les conséquences mentales du changement climatique en est encore à ses balbutiements. Un débat semble émerger parmi les psychothérapeutes et les psychologues concernant la nature de l’éco-anxiété : s’agit-il d’une maladie (au sens clinique du terme) ? Doit-on la traiter ? Si oui, comment ?

Dans les faits, l’éco-anxiété pouvant être considérée comme réponse rationnelle, mais potentiellement handicapante, il n’y a pas de seuil clair à partir duquel on peut la considérer comme pathologique.


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Qu’il soit considéré comme un trouble mental ou non, cet état affecte le bien-être d’un nombre croissant d’individus. Les professionnels de la santé mentale manquent souvent d’expérience et ne se sentent pas suffisamment équipés pour gérer ce type particulier de détresse.

Les politiques d’intervention devraient ainsi se concentrer sur le développement de traitements et fournir aux psychothérapeutes les connaissances nécessaires pour faire face au nombre croissant de personnes nécessitant un accompagnement psychologique.

Des messages trop anxiogènes

Un autre niveau d’intervention concerne les déclencheurs directs de l’éco-anxiété, en particulier l’exposition à des informations environnementales menaçantes. L’information environnementale, quelle que soit sa source, est souvent présentée de manière négative, ce qui peut provoquer ou alimenter l’éco-anxiété.

Les campagnes de sensibilisation, en particulier, cherchent souvent à activer des émotions négatives telles que la culpabilité ou à la peur pour accroître leur impact, négligeant ainsi les problèmes éthiques potentiels associés à ces stratégies de communication.

Les médias, les décideurs publics, les ONG/militants et les entreprises devraient ainsi réfléchir plus attentivement à la manière dont ils orientent leur communication. Si aucune solution n’est proposée, il semble éthiquement discutable de submerger les individus d’informations alarmistes sur la situation environnementale : cela ne fait qu’accroître leur sentiment d’impuissance et leur anxiété.

Les conclusions de notre étude nous invitent enfin à penser que le fait de s’engager dans la création de contenu en ligne peut générer des bénéfices potentiels comme exprimer son ressenti personnel, renforcer son sentiment d’appartenance à une communauté, accroître son propre contrôle perçu sur la situation, etc.

Il y a sans aucun doute un intérêt réel à encourager les individus à exprimer leur opinion sur les questions environnementales.

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