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Climat : pourquoi Joe Biden aura beaucoup de mal à tenir ses promesses

Joe Biden assis à un bureau
Joe Biden le 17 juin 2022, lors d'un sommet virtuel réunissant les principales économies de la planète, qui tente de s'attaquer au changement climatique au moment où les retombées de l'invasion de l'Ukraine par la Russie soulignent la dépendance du monde à l'égard des combustibles fossiles. Mandel Ngan/AFP

Sur fond de canicule, incendies et inondations, ainsi que de la pire sécheresse dans l’Ouest des États-Unis depuis 1 200 ans, Joe Biden a présidé, le 17 juin dernier, et dans une indifférence quasi générale, la troisième réunion virtuelle du Forum des grandes économies sur le climat et l’énergie en présence des représentants de plus de 20 pays et groupes internationaux.

Le président états-unien a notamment renouvelé la promesse faite en 2021 de réduire de 50 à 52 % les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 par rapport aux niveaux de 2005, tout en exhortant la Chine et les autres grandes économies à renforcer leur ambition climatique.

Sommet sur le climat : Joe Biden vise 50 % de gaz à effet de serre en moins d’ici 2030 (France24, 22 avril 2021).

Quel crédit accorder aux promesses ambitieuses d’un président au plus bas dans les sondages, à quelques mois des élections de mi-mandat traditionnellement défavorables au pouvoir en place ?

Le levier du pouvoir législatif

Pour atteindre son objectif, Joe Biden s’est d’abord appuyé sur un Congrès où les Démocrates disposent de la majorité dans les deux Chambres, bien que celle-ci soit faible. Ayant retenu la leçon de l’échec de son prédécesseur Barack Obama, qui n’avait pas réussi à trouver une « super majorité » (60 % des voix) pour voter son projet de loi bipartisan sur le climat au Sénat en 2010, Biden a élaboré deux projets de lois ambitieux dans le cadre du vote sur le budget (ce qui lui permet d’utiliser le processus de “réconciliation budgétaire” et de faire passer les lois à la majorité simple).

Le premier, et le plus important, est un projet de loi colossal de quelque 2 000 milliards de dollars d’investissements et de mesures relatives au changement climatique appelé Build Back Better (« reconstruire en mieux »), un projet qui a été comparé au New Deal de Roosevelt.


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Mais ce projet de loi a été stoppé net au Sénat lorsque Joe Manchin, un sénateur démocrate conservateur de Virginie occidentale, a annoncé en décembre 2021 son refus de le voter. Dans un Sénat où les Démocrates ne détiennent que 50 % des sièges (la majorité basculant en leur faveur grâce à la voix de la vice-présidente Kamala Harris, qui préside es qualités la Chambre haute), il suffit d’un seul sénateur démocrate récalcitrant pour bloquer le passage d’un projet de loi voté par la Chambre… et devenir ainsi plus puissant que le président.

Alors que les élections de mi-mandat de novembre 2022 approchent, le sénateur Manchin, dont la fortune personnelle vient de l’industrie du charbon, est, depuis, revenu à la table des négociations avec le chef de son propre parti au Sénat, Chuck Schumer.

Selon un sondage récent, l’adoption d’une version de ce projet de loi apporterait un avantage électoral significatif à ses collègues démocrates en course aux élections. Et même le syndicat des Mineurs du charbon, qui représente, entre autres, les mineurs de Virginie occidentale, demande à Joe Manchin de reconsidérer sa position. Mais l’espoir d’aboutir reste faible car le délai s’amenuise alors que les Démocrates perdront très probablement une, voire les deux Chambres du Congrès aux élections de mi-mandat en novembre prochain. En cas d’échec, ce serait la troisième fois, en trente ans, que le Sénat aura empêché le vote d’une loi sur le climat.

Le second volet législatif, moins ambitieux pour le climat, est une loi d’investissement massif dans les infrastructures (Infrastructure Investment and Jobs Act) de 1 200 milliards de dollars qui, elle, a été adoptée par le Congrès dans un rare élan bipartisan à la Chambre et, surtout, au Sénat – et ce, malgré une tentative de sabotage de Donald Trump et signée par le présidant en novembre 2021.

Joe Biden prononce un discours dans un port
Joe Biden prononce un discours sur la loi sur l’investissement dans les infrastructures et les emplois de 1 200 milliards de dollars récemment adoptée le 10 novembre 2021 à Baltimore, dans le Maryland. Drew Angerer/AFP

Malheureusement, d’après la modélisation du laboratoire REPEAT de Princeton, cette loi permettra de réaliser moins de 10 % des réductions de pollution nécessaires pour atteindre les objectifs fixés par le président. Pis, selon la façon dont les fonds seront dépensés par les États, certaines dispositions de la loi pourraient en fait entraîner une augmentation nette de la pollution par le carbone, à en croire une étude du Centre pour le Climat de l’université de Georgetown. En effet, dans le système fédéral états-unien, les fonds fédéraux sont souvent administrés en coordination avec les États.

Enfin, il faut tenir compte d’une inflation galopante qui a réduit la valeur de ces investissements de plusieurs milliards, obligeant les États à annuler ou à retarder des projets dont les coûts augmentent.

Et le levier du pouvoir exécutif

Joe Biden dispose également des pouvoirs relativement importants de l’exécutif. Il a ainsi invoqué la loi sur la production de défense (Defense Production Act – DPA), qui lui permet d’intervenir temporairement dans l’économie nationale, dans le but d’assurer la production de certains biens au nom de la défense nationale, accélérant, par exemple, la fabrication d’équipements nécessaires pour réduire les émissions du réseau électrique du pays, comme les panneaux solaires, les piles à combustible, etc.

Cette approche correspond à la logique des déclarations du président, lequel a souligné le lien entre sécurité nationale et lutte contre le changement climatique, et le contexte de la crise énergétique alimentée par la guerre en Ukraine.

Biden Says Russia’s War Fueled Global Energy Crisis (Bloomberg Markets and Finance, 17 juin 2022).

Toutefois, l’impact du DPA reste limité, notamment en raison d’un budget restreint de seulement quelques millions de dollars qui dépend d’un Congrès essentiellement paralysé.

Le chef de l’exécutif dispose enfin d’un pouvoir majeur : celui de l’administration fédérale au travers des nombreuses agences qui réglementent les lois environnementales. L’Agence de protection de l’environnement (Environnemental Protection Agency ou EPA) est la plus connue. Après l’échec d’un projet de loi sur l’énergie propre, l’administration Obama avait, par exemple, utilisé l’EPA pour fixer les premières limites nationales à la pollution par le carbone dans le secteur de l’électricité, avant que cette réglementation ne soit annulée par l’administration Trump. Cependant, cette agence fédérale a été considérablement affaiblie par la politique de déréglementation de Donald Trump, qui a abouti à des suppressions de ses moyens et à une diminution drastique de ses effectifs, revenus au niveau de 1988 malgré une charge de travail nettement supérieure.

Une remise en cause du pouvoir central

Mais surtout la majorité conservatrice à la Cour suprême a donné le coup de grâce aux promesses ambitieuses de Joe Biden en amputant l’Agence de protection de l’environnement d’une grande partie de son pouvoir de réglementation des émissions de gaz à effet de serre.

Jusqu’ici, les agences fédérales, où travaillent scientifiques et experts, avaient le pouvoir de rédiger des règlements dans le cadre d’une loi générale votée par le Congrès, en l’occurrence la Clean Air Act de 1970.

Or, pour les juristes conservateurs, hostiles à un pouvoir réglementaire et à un État centralisateur forts, il convient de limiter l’action des agences fédérales sur les « questions majeures » de politique publique. C’est en se fondant sur cette doctrine des questions majeures que le président de la Cour, John Roberts a déclaré dans la décision West Virginia v. EPA que les conséquences d’une telle politique étaient trop importantes pour qu’elle soit adoptée sans une autorisation plus explicite du Congrès. Un Congrès malheureusement paralysé par l’obstruction et la polarisation.


Read more: Politisation de la Cour suprême : la démocratie américaine en péril ?


Bien que cette affaire n’ait pas reçu autant d’attention que d’autres avis, comme ceux sur le droit à l’avortement et la réglementation des armes à feu, elle s’inscrit dans un cadre général de déconstruction de l’État administratif fédéral états-unien par les conservateurs.

Les enjeux du changement climatique, tout comme ceux de la pandémie du Covid, mettent en exergue des problèmes de gouvernance spécifiquement liés au fédéralisme, à des juges politisés et à un pouvoir central affaibli, au Congrès comme à la Maison Blanche. Un problème exacerbé par une vision idéologique qui a contaminé tous les sujets, y compris le changement climatique, et la science en général.

Une perte de crédit de Washington sur la scène internationale

Dans l’immédiat, si la population est largement favorable à des mesures qui permettraient au pays d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, l’économie et l’inflation restent la priorité d’une majorité d’entre elle, particulièrement chez les Républicains.

La question climatique ne devrait pas être un enjeu majeur des élections de mi-mandat de novembre prochain, et l’inaction politique empêchera très certainement Joe Biden de tenir ses promesses. Rappelons que les États-Unis sont le plus gros émetteur de gaz à effet de serre par tête d’habitant et le deuxième après la Chine en termes globaux. Leur inaction politique sur cette question les rendront inaudibles lorsqu’ils chercheront à faire pression sur les autres grandes économies afin qu’elles réduisent de façon drastique leurs émissions de gaz à effet de serre.

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