Lors du premier confinement, avez-vous déjà surpris votre ado en pleine séance d’exercice physique devant sa tablette ? Une petite victoire pour le professeur d’éducation physique et sportive (EPS) qui est derrière cela, car la promotion de l’activité physique en temps de confinement relève du défi. Quel éclairage la psychologie peut-elle apporter sur les déterminants qui expliquent l’engagement des professeurs d’EPS dans ce challenge ?
87 %, c’est le pourcentage d’adolescents considérés comme physiquement inactifs dans le monde en 2016. Et les jeunes Français ne font pas exception à la règle puisque que pour nombre d’entre eux, le cours d’EPS constitue l’unique moment d’exercice physique de la semaine.
Mais voilà qu’au printemps 2020, la fermeture des établissements scolaires liée à la pandémie de Covid-19 a compromis les rares moments d’activité physique qu’autorisait l’EPS. Alors que la France entre dans une période de confinement en cet automne 2020, revenir sur le défi qui s’est alors posé aux enseignants permet de cerner les ressorts en jeu pour promouvoir l’activité physique des élèves à distance.
30 minutes par jour
Instauré pour freiner la propagation du Covid-19, le confinement a pu être source de multiples perturbations chez les adolescents. Explosion du temps devant les écrans, troubles du sommeil, anxiété, isolement ou ennui, autant de risques potentiels pour leur bien-être.
Plus que jamais, l’un des objectifs principaux de l’EPS « Apprendre à entretenir sa santé par une activité physique régulière » s’est imposé parmi les priorités de la discipline, d’autant plus que des études réalisées pendant le confinement ont démontré que maintenir un niveau d’activité physique suffisant permettait d’améliorer la perception de sa santé physique et mentale.
Pour assurer la continuité pédagogique appelée de ses vœux par Jean‑Michel Blanquer, les corps d’inspection fixent alors un cap pour l’EPS : « donner aux élèves l’envie de pratiquer 30 minutes d’activité physique par jour minimum ! ». Mais comment atteindre cet objectif au moment où les établissements scolaires fermaient leurs portes et que les élèves échappaient à l’attention de leurs enseignants ?
Innover… pour exister ?
Rapidement, de nombreuses initiatives voient le jour et sont médiatisées par la presse. Une étude que nous avons menée auprès de 434 enseignants d’EPS révèle une volonté accrue des enseignants d’encourager les élèves à être plus actifs, de les aider à se fixer des objectifs à atteindre en termes d’activité physique quotidienne, ou encore à évaluer leur propre niveau d’activité physique – par exemple, en utilisant les podomètres intégrés dans leurs smartphones.
Cette intention s’est traduite par une importante diversification des supports pédagogiques mobilisés. Relativement peu exploités avant le confinement, les tutoriels vidéo ont représenté le support privilégié par les enseignants pour encourager les élèves à être actifs physiquement. Le recours à des vidéoconférences en direct devient également plus fréquent.
À l’instar de Joe Wicks, un professeur d’EPS britannique dont les programmes d’activité physique étaient suivis outre-Manche par des centaines de milliers d’élèves (et parents !), les enseignants invitent les adolescents à pratiquer des exercices physiques en même temps qu’eux : circuits de renforcement musculaire, étirements, ou encore relaxation sont au programme.
L’émulation pédagogique à l’œuvre contraste alors avec l’incompréhension de la corporation face à l’annonce soudaine de la mise en place, en mai 2020, du dispositif Sport-Santé-Culture-Civisme (2S2C). Ce dispositif visait à accompagner la sortie du confinement en proposant des activités sportives et culturelles aux élèves lors des temps scolaires, encadrées par des intervenants issus de la sphère associative. Perçue comme une mise en concurrence déstabilisant la place de l’EPS au sein du système scolaire, de nombreuses voix se sont élevées contre cette initiative.
Distance et motivation
En effet, la dynamique d’innovation pédagogique témoigne de l’investissement des enseignants d’EPS dans un contexte sans précédent. Mais quels sont les facteurs psychologiques qui expliquent cette mobilisation professionnelle inédite ?
L’étude que nous avons réalisée met tout d’abord en évidence que le sentiment d’efficacité personnelle constitue le principal ressort de l’engagement des enseignants dans la promotion de l’activité physique. Pour faire face au bouleversement des pratiques pédagogiques habituelles et aux doutes catalysés par ces perturbations, la croyance en sa capacité à réussir à faire bouger ses élèves apparaissait alors comme déterminant.
Nos résultats soulignent également l’importance de la motivation des enseignants. Plus ils associaient la promotion de l’activité physique à quelque chose de plaisant ou d’important à leurs yeux, plus ils se montraient engagés pour faire bouger leurs élèves. Percevoir des pressions internes (par exemple, se sentir coupable de ne pas aider ses élèves à être actifs) ou externes (par exemple, se sentir contraint d’obéir aux consignes émanant de la hiérarchie) a également favorisé leur investissement dans la promotion de l’activité physique.
Néanmoins, ce type de motivation, dite contrôlée, pose la question de la persistance de l’engagement des enseignants : continueront-ils à promouvoir l’activité physique une fois que les contraintes associées au confinement auront disparu ? À l’inverse, les enseignants les plus résignés, c’est-à-dire ceux qui avaient du mal à percevoir l’intérêt même de promouvoir l’activité physique, ou qui estimaient que faire ce travail en période de confinement ne relevait pas de leur mission, ont manifesté le plus grand désengagement à l’égard du challenge de faire bouger les élèves lors du confinement.
Ensuite, le rapport des enseignants aux outils numériques a influencé leur investissement dans la promotion de l’activité physique. Ainsi, plus ils estimaient que ces outils pouvaient être utiles pour que les élèves se dépensent plus, plus ils mettaient en œuvre des comportements visant à atteindre cet objectif.
Enfin, les résultats ont indiqué que les enseignants qui se montraient les plus satisfaits, impliqués et absorbés de manière globale dans leur travail manifestaient un plus grand engagement dans le défi de promouvoir l’activité physique.
Quelle EPS aujourd’hui ?
Les conclusions de notre étude soulignent les efforts investis par les enseignants d’EPS pour aider leurs élèves à faire de l’activité physique lors du confinement. Malgré cette mobilisation, une enquête réalisée par l’Observatoire national de l’Activité physique et de la Sédentarité signale que le niveau d’activité physique a diminué chez 59 % des adolescents français au cours de cette période, tandis qu’une augmentation est observée pour seulement 19 % d’entre eux. Quels enseignements peut-on en tirer ?
Cette période met à jour les difficultés éprouvées par les adolescents à prendre en charge leur propre activité physique. Donner aux jeunes l’envie de faire de l’exercice physique en dehors de l’école constitue un premier défi pour l’EPS, mais impose certaines conditions.
Apprendre à se fixer des objectifs en termes d’activité physique, mettre en œuvre des stratégies favorisant leur poursuite et, finalement, évaluer leur atteinte, constituent autant de compétences nécessaires à la gestion de la vie physique des adolescents. Aujourd’hui, replacer au centre des préoccupations la promotion de l’activité physique constitue un enjeu d’autant plus ambitieux que les protocoles sanitaires continuent de perturber la reprise de l’activité en EPS.
Comment transmettre, dans ces conditions, les outils nécessaires à l’adoption de modes de vie plus actifs ? C’est le nouveau défi qui se profile pour des enseignants d’EPS dont l’engagement sera déterminant, à condition d’être soutenu.