tag:theconversation.com,2011:/columns/francois-leveque-196391La concurrence, ni dieu, ni diable – The Conversation2019-11-11T20:49:38Ztag:theconversation.com,2011:article/1266162019-11-11T20:49:38Z2019-11-11T20:49:38Z700 millions de pneus chinois, Obama, Michelin et moi<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/300618/original/file-20191107-10910-sskd8h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=23%2C62%2C937%2C526&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Près d’un pneu sur trois dans le monde est fabriqué en Chine.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Zhao jiankang / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les pneus chinois ont envahi les États-Unis et l’Europe. Une concurrence déloyale qui a abouti à des sanctions commerciales de Washington et de Bruxelles. Le président Barack Obama a tiré le premier. <a href="https://www.lequotidien.lu/economie/face-aux-pneus-chinois-michelin-se-degonfle-en-europe/">Michelin est touché</a>. Et moi, je ne sais plus quoi acheter pour changer mes gommes usées. Des boudins du Vietnam premier prix ou des pneumatiques longue durée « Made in EU » ? Roulons ensemble pour comprendre le dumping chinois et l’effet des surtaxes à l’importation. Bon à savoir en ces temps de guerre commerciale ; la chaussée est glissante.</p>
<h2>Des pneus chinois par centaines de millions</h2>
<p>La Chine est le premier producteur mondial de pneus. Près d’un sur trois sort de ses usines. Aucune entreprise pourtant parmi les cinq plus grands manufacturiers du pneumatique. Le premier est d’origine japonaise, ce que ne laisse pas deviner son nom, Bridgestone ; le second, un français de Clermont-Ferrand qui éditait aussi un guide des meilleurs restaurants, Michelin bien sûr ; le troisième, un américain qui porte le nom de l’inventeur de la vulcanisation (ce qui rend le caoutchouc moins plastique, mais plus élastique), Goodyear ; le quatrième vient d’Hanovre et a conçu le premier pneu pour bicyclette, Continental ; le cinquième, un autre japonais qui porte un prénom comme tel, Sumitomo. En 2017, il fallait arriver à la sixième place pour trouver un fabricant chinois : Pirelli. Eh oui ! La firme milanaise plus que centenaire a été <a href="https://fr.reuters.com/article/businessNews/idFRKBN0MJ0G220150323">rachetée en 2015 par ChemChina</a>, un conglomérat d’État alors à la tête du principal producteur domestique de pneus radiaux et tout-terrain.</p>
<p>La place de la Chine dans le pneumatique est bien sûr liée à la montée en puissance spectaculaire de son industrie automobile. Pas de vente de voiture neuve avec des roues sans pneus ! Ce marché de la première monte est crucial. Les clients ont en effet tendance à reprendre les mêmes pneumatiques lorsqu’ils devront être changés. Dans les pays vieux routiers de l’automobile la première monte représente entre un quart et un tiers des ventes ; le remplacement le reste.</p>
<p>Mais comme la flotte chinoise de véhicules est récente (5 ans d’âge en moyenne contre près du double en France), le marché du remplacement garde ses plus belles promesses pour demain.</p>
<h2>Petits et grands pneumaticiens chinois</h2>
<p>Si vous passez par Dawang, au sud de Pékin, vous y trouverez des <a href="https://www.globaltimes.cn/content/1119026.shtml">centaines de manufacturiers du pneu</a>. Ils ont fait la prospérité de la ville. Ils y contribuent moins aujourd’hui car le pneumatique chinois est en crise. De nombreux petits faiseurs ont fait faillite et fermé leur porte. Pour la première fois depuis 20 ans la production automobile chinoise a décru en 2018, une année seulement après la <a href="https://www.lesechos.fr/2017/03/flambee-des-prix-sur-le-marche-des-pneumatiques-151708">flambée du prix du caoutchouc</a> naturel. À ces deux années noires s’est ajoutée une plus grande vigilance des autorités de contrôle de l’environnement ; elles ont fait le ménage parmi les entreprises ne respectant pas les normes. Le tout, suite à une longue série de restrictions commerciales contre l’importation de pneus chinois (voir plus bas).</p>
<p>Face à ces adversités, les petits et moyens manufacturiers ont les reins moins solides que les quelques grandes entreprises du secteur : pas de diversification sur des produits moins exposés, pas d’implantation à l’étranger, pas de capacité d’investissement pour se moderniser, pas d’influence sur le gouvernement central. À l’instar de leurs consœurs américaines <a href="https://www.jstor.org/stable/2138664">qui n’ont pas survécu aux années 1920</a>, la plupart vont disparaître face à la surcapacité de production. La consolidation du pneu chinois est donc en <a href="https://www.tirereview.com/china-rise-tire-companies-making-waves-around-globe/">route</a>. Dans une poignée d’années, quelques firmes seulement domineront le marché domestique. Mais, contrairement aux grandes entreprises américaines qui, à l’exception de Goodyear, <a href="https://www.nber.org/chapters/c8649">ont perdu pied sur le marché mondial</a>, il est peu probable qu’elles sortent du jeu planétaire.</p>
<h2>Barack Obama a tiré le premier</h2>
<p>Ce n’est pas Donald Trump mais son prédécesseur à la Maison Blanche qui a commencé à surtaxer les pneus venus de Chine. Une <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/protectionnisme-trump-ne-fait-pas-dans-la-nouveaute-131221">taxe <em>ad valorem</em> de plus de 35 %</a> a été introduite aux frontières pour trois ans. Prise en 2009, cette décision s’appuie sur une clause spéciale liée à l’<a href="https://www.cambridge.org/core/journals/world-trade-review/article/ustyres-upholding-a-wto-accession-contract-imposing-pain-for-little-gain/EE43CFD76D1FB29C084581D447E8DE43">entrée de la République populaire dans l’Organisation mondiale du commerce</a> (OMC). Elle vise à sauvegarder les entreprises dès lors que leur marché domestique est bouleversé par les importations du nouveau membre. Or celles des pneumatiques chinois a triplé entre 2004 et 2008, passant de 6,7 % à 29 % de la production étatsunienne. Sur la même période, le secteur a perdu plusieurs milliers d’emplois.</p>
<p>Oui, mais est-ce bien à cause des pneus chinois ? Rien, n’est moins clair. Il suffit de lire <em>International Debates</em> qui a <a href="https://congressionaldigest.com/issue/chinese-tire-tariffs/american-coalition-for-free-trade-in-tires/">ouvert ses colonnes</a> aux partisans et adversaires de cette protection des frontières. Pour le syndicat américain des métallos (qui coiffe aussi les ouvriers du caoutchouc) il est temps d’agir face aux pneus à prix bradés venus de Chine. D’autres usines vont sinon fermer. Point de vue partagé par les élus démocrates et républicains des États où elles sont menacées.</p>
<p>En revanche, il s’agit d’une mesure infondée pour l’Association des industriels chinois du pneu ainsi que pour les entreprises américaines qui les importent et les distribuent. À leurs yeux, les usines ont fermé parce que les entreprises ont décidé de leur propre chef d’abandonner la production de pneus bas de gamme du fait de leur manque de rentabilité sur le sol américain. Les Michelin, Goodyear et autres Bridgestone qui dominent la fabrication aux États-Unis ont des usines en Chine et bien ailleurs dans le monde. L’invasion pneumatique chinoise serait la conséquence de leur décision stratégique. Les opposants de la décision d’Obama observent d’ailleurs que ces pneumaticiens n’ont ni demandé, ni appuyé la mesure de taxation aux frontières.</p>
<p>Conclusion : faute d’études indépendantes, il est difficile de trancher cette controverse sur l’origine des emplois perdus.</p>
<h2>Quels sont les effets de la surtaxe ?</h2>
<p>En revanche, avec un peu d’années de recul, des données et des travaux académiques, les conséquences de surtaxe sont plus nettes. Sans surprise, les importations de pneus chinois ont drastiquement diminué en quantité (moins 67 % sur les 12 mois qui ont suivi son introduction). Quant aux emplois trois ans après la mesure, ils n’ont augmenté que d’un millier seulement, une croissance qui est <a href="https://www.piie.com/system/files/documents/pb12-9.pdf">loin de permettre</a> de revenir au niveau d’emploi des années antérieures à la mesure. De plus, ces nouveaux emplois auraient peut-être été créés sans elle, poussés par exemple par la reprise économique de l’après-crise financière. Ou, inversement, sans la décision de Barack Obama, le nombre d’emplois aurait décliné et ces pertes évitées sont alors à porter à son crédit.</p>
<p>Il convient donc de comparer les effets de la mesure à ce qui se serait passé si… elle n’avait pas eu lieu. C’est le fameux scénario contrefactuel cher aux économistes : comparer ce qui s’est passé dans le pneu à partir de 2009 à quelque chose qui n’est pas observable puisque non advenu. Vous voyez la difficulté. Pour la contourner, on peut penser par exemple à chercher des différences avec des industries qui n’ont pas connu de restrictions aux importations ou avec d’autres secteurs de transformation du caoutchouc. Pas sûr cependant que ces industries aient été soumises aux mêmes tendances que celle du pneumatique. Quand le choix du groupe de contrôle comparable n’est pas évident, il est possible de recourir à des méthodes économétriques sophistiquées. C’est ce que fait un <a href="https://ideas.repec.org/a/eee/eecrev/v85y2016icp22-38.html">trio de chercheurs</a>. Le résultat qu’ils avancent est sans appel :</p>
<blockquote>
<p>« L’emploi total et le salaire moyen des entreprises du pneu aux États-Unis n’ont pas été affectés par la mesure de sauvegarde. »</p>
</blockquote>
<p>L’hypothèse explicative est simple : les importations en moins des États-Unis venant de Chine auraient été compensées par des importations en plus d’autres pays. Avec la mesure, la Chine exporte moins de pneus, mais la Thaïlande, l’Indonésie ou encore la Corée du sud voient les leurs gonfler. Le vide chinois est comblé par une réallocation des capacités et une modification des circuits. Par exemple, les pneus d’une usine chinoise qui devaient aller aux États-Unis sont exportés dans les pays qui recevaient des pneus d’une usine indonésienne et ces derniers sont alors exportés aux États-Unis.</p>
<p>Conclusion : pas évident d’obtenir des effets significatifs lorsque les restrictions d’importations concernent un seul pays et que le bien considéré est produit par des multinationales implantées un peu partout.</p>
<h2>Dumping et subventions</h2>
<p>L’administration américaine a imposé de <a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/FR-2015-08-10/pdf/2015-19615.pdf">nouveaux droits de douane</a> aux pneus chinois en 2015. Il ne s’agit plus cette fois d’une mesure de sauvegarde, mais d’une action en bonne et due forme pour concurrence déloyale selon les règles de l’OMC. Il ne suffit plus de montrer que l’industrie a été bouleversée par une augmentation foudroyante des importations ; il faut apporter la preuve que le prix du bien importé est anormalement bas (mesure antidumping) ou que l’entreprise a bénéficié d’aides publiques (mesure antisubventions). Dans les deux cas, il est en plus nécessaire de démontrer que la concurrence déloyale qui s’est exercée a été dommageable à l’industrie domestique. Bref, le standard de preuve est élevé et les chiffres âprement discutés pour établir le prix normal, le niveau des subventions reçues et l’ampleur du préjudice.</p>
<p>L’administration américaine a estimé que la marge de dumping des fabricants de pneus en Chine s’élevait entre 15 et 30 % selon les sociétés et que les subventions représentaient l’équivalent de 21 à 100 % du prix facturé. Elle a donc taxé aux frontières les pneus chinois de chaque entreprise à hauteur de ces montants. Après s’être redressées quand la mesure de sauvegarde triennale de 2009 a expiré, les importations de pneumatiques chinois aux États-Unis <a href="https://www.tirebusiness.com/wholesale/impact-import-duties-chinese-truck-tires-flux">ont de nouveau dégringolé</a>.</p>
<p>Heureusement pour Donald Trump, les mesures qui viennent d’être décrites ont seulement porté sur les pneus équipant les véhicules de tourisme et les utilitaires légers. Restaient les pneumatiques chinois pour camions et autobus à chasser pour cause de dumping et subventions. Ils le seront à <a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/FR-2017-01-27/pdf/2017-01862.pdf">mi-mandat</a>. Ceci dit, les gros pneus chinois surtaxés représentent un marché affecté minuscule en comparaison des centaines de milliards de dollars d’importations de la République populaire taxées par le président américain dans sa bataille commerciale contre <a href="https://abcnews.go.com/Politics/10-times-trump-attacked-china-trade-relations-us/story?id=46572567">« le plus grand voleur dans l’histoire du monde »</a>. Mais il s’agit là d’une vision très personnelle de la concurrence déloyale. Elle ne s’embarrasse ni des règles et obligations de démonstration qu’impose l’OMC, ni des principes internationaux en matière de défense commerciale licite.</p>
<p>Conclusion : ne pas confondre défense commerciale et protectionnisme.</p>
<h2>Et l’Europe ?</h2>
<p>De son côté, l’Union européenne est à la traîne. Pas de mesures contre les pneus pour véhicules légers, seulement <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32018R0683">contre les pneus pour poids lourds et autobus</a> ; de plus, elle a diligenté son enquête postérieurement à celle de l’Administration américaine. Les droits de douane tenant compte du dumping et des subventions chinoises sont entrés en vigueur il y a tout juste un an. Il faut dire que l’Union européenne n’est pas très encline à se défendre. Fin 2018, un peu plus d’une centaine de mesures antidumping et antisubventions étaient en vigueur contre <a href="https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/IGF%20internet/2.RapportsPublics/2019/2018-M-105-03-UE.pdf">près d’un demi-millier pour les États-Unis</a>.</p>
<p>Selon leur tissu industriel, les États membres sont plus ou moins affectés par les importations chinoises. La crainte de représailles est également différemment ressentie selon l’importance de leurs exportations. L’Allemagne et la France n’ont pas, par exemple, les mêmes intérêts en cas de mesure commerciale contre la Chine. Les États membres sont donc plus ou moins allants pour se défendre en cas de concurrence déloyale. Le consensus est difficile.</p>
<p>L’Union européenne n’a pas non plus été très soucieuse de défense commerciale en autorisant en 2015 la vente de Pirelli à Chemchina. À travers cette entreprise d’État, la Chine acquiert des technologies et des savoir-faire dans la conception et fabrication de pneumatiques haut de gamme ainsi qu’une marque reconnue (pour les non-initiés aux sports mécaniques, Pirelli équipe les pneus des bolides de Formule 1). L’achat de l’entreprise milanaise a d’ailleurs été largement aidé par l’État de la République populaire, notamment par un prêt préférentiel et une <a href="https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/IGF%20internet/2.RapportsPublics/2019/2018-M-105-03-UE.pdf">prise de participation du Fonds de la Route de la soie</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=437&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=437&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=437&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour la Chine, le rachat de Pirelli signifie l’acquisition d’un savoir-faire dans la conception et fabrication de pneumatiques haut de gamme.</span>
<span class="attribution"><span class="source">S_Z/Shutterstock</span></span>
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<p>N’éreintons pas cependant l’Europe. L’Union, contrairement aux États-Unis, a été avisée d’inclure les pneus rechapés dans son investigation et sa décision. Le changement de la bande de roulement des pneus de camion est en effet un moyen de leur donner une nouvelle vie pour 300 000 km supplémentaires d’autoroute. Des kilomètres qui permettent d’économiser du caoutchouc et d’autres matières premières. Cette possibilité ne vaut toutefois que pour des pneus neufs plus chers à l’achat car de carcasse plus durable. Ce n’est pas le cas des pneus chinois bas de gamme, mais dont le prix subventionné les rendait encore moins cher que le simple coût du rechapage ; une opération par ailleurs réalisée par des <a href="https://www.challenges.fr/automobile/actu-auto/les-pneus-chinois-menacent-la-filiere-francaise-du-caoutchouc_416002">milliers d’employés en Europe</a> !</p>
<p>Conclusion : l’action antidumping de l’Europe est économiquement et écologiquement vertueuse.</p>
<h2>Des mesures moyennement efficaces</h2>
<p>Il convient toutefois de ne pas s’emballer à propos de l’efficacité de cette mesure de l’Union ; idem pour celles prises par les États-Unis en 2015 et 2019. Au cours des cinq dernières années passées, plusieurs grands pneumaticiens chinois ont construit des usines à l’étranger, en particulier en Thaïlande et au Vietnam. De plus, à l’instar de Pirelli, le numéro deux du pneu coréen – à la tête d’usines chez lui, mais aussi aux États-Unis et au Vietnam – est passé sous contrôle chinois. Par ces investissements étrangers, les entreprises chinoises disposent dorénavant de marges de manœuvre face aux restrictions à l’importation.</p>
<p>À l’inverse, il ne faudrait pas penser non plus que ces mesures n’ont aucune efficacité. Ce serait le cas si les pneus fabriqués en Chine étaient remplacés un pour un par des pneus produits ailleurs et exportés au même prix. Or les possibilités de réallocation des capacités et de modification des circuits des multinationales du pneu, y compris chinoises, ne sont ni instantanées ni complètement faisables à moyen terme. De plus, à long terme les grands fabricants chinois n’ont pas intérêt à perdre de l’argent en bradant leurs produits à l’export.</p>
<p>De façon générale, le bilan économique des mesures de défense commerciale relève du cas par cas. Des possibilités de manœuvre des multinationales, mais également des effets sur les importateurs et distributeurs qui perdent du chiffre d’affaires, des consommateurs lésés par une augmentation des prix, sans compter les effets de mesures de rétorsion et leur propre cortège d’effets. À la suite de la première mesure américaine contre les pneus chinois, l’industrie avicole américaine a perdu un <a href="https://www.piie.com/publications/pb/pb12-9.pdf">milliard de dollars de recettes d’exportation</a>, la Chine ayant décidé de surtaxer les morceaux découpés de poulet « made in USA ».</p>
<p>Conclusion : difficile de globaliser les effets</p>
<h2>Michelin touché</h2>
<p>Le cas Michelin est un bon exemple de l’effet en demi-teinte des mesures de défense commerciale. Malgré la mesure antidumping européenne, la firme globale auvergnate a décidé de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/10/10/l-usine-michelin-de-la-roche-sur-yon-fermera-d-ici-a-la-fin-de-2020-plus-de-600-salaries-concernes_6014943_3234.html">fermer fin 2020 son site de production</a> de pneus pour poids lourds de La Roche-sur-Yon. Il souffre d’une taille insuffisante. Elle ne lui assure plus d’être compétitif face à une concurrence même à la loyale, c’est-à-dire basée sur la productivité du capital, du travail ou des intrants. Un esprit caustique remarquera aussi que Michelin est elle-même sanctionnée par la mesure européenne car elle surtaxe aussi ses pneumatiques pour poids lourds et autobus fabriqués en Chine. Ces exportations de Michelin vers l’Europe sont toutefois très marginales.</p>
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<figcaption><span class="caption">Michelin : l’annonce de la fermeture du site de La Roche-sur-Yon (France 3 Pays de la Loire, 10 octobre 2019)</span></figcaption>
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<p>Par ailleurs, une mesure européenne antidumping sur les pneus bas de gamme pour véhicules légers n’aurait pas non plus empêché la fermeture de son usine allemande à Bamberg, un site vieux de près d’un demi-siècle spécialisé dans la production de pneus de moyenne gamme. Il souffre avant tout d’une demande décroissante : il produit des 16 pouces et non les larges pneus chaussant les véhicules de grand gabarit, SUV et autres Crossovers qui plaisent tant aujourd’hui même s’ils polluent plus, rendent la vie si difficile aux cyclistes et sont beaucoup plus dangereux pour les piétons.</p>
<h2>Et moi et moi et moi…</h2>
<p>Propriétaire d’une Peugeot 3008, attentif à mon empreinte carbone et roulant à vélo par des rues et routes étroites, je suis une preuve vivante de cette contradiction. De tels comportements qui frisent l’irrationalité ne cessent d’intriguer les économistes, en particulier les spécialistes de l’environnement. Pourquoi n’investissons-nous pas dans des équipements rentables grâce à la réduction de la facture d’énergie qu’ils nous apportent ?</p>
<p>Sur le papier, il n’y a en effet pas photo : le consommateur gagne à acheter des pneus chers plutôt que bon marché, c’est-à-dire des pneus haut de gamme plutôt que bas de gamme, ou encore des pneus des grandes marques historiques plutôt que des pneus anonymes venus d’Asie.</p>
<p>D’abord, ils permettent de parcourir un plus grand nombre de kilomètres sans les changer. Cette économie dans la durée est à souligner car un contre-exemple de la si courante obsolescence programmée. Les grands pneumaticiens cherchent à offrir des pneus qui durent le plus longtemps possible.</p>
<p>Ensuite, il suffit de rouler une quinzaine de milliers de kilomètres par an pour que le supplément de prix soit plus que compensé par la moindre consommation de carburant. Peut-être ne le savez-vous pas, mais environ un plein sur quatre de votre voiture sert uniquement à faire rouler les pneumatiques. La faute à la résistance au roulement. Le pneu s’écrase sous le poids du véhicule et cette déformation d’environ une largeur de main s’oppose à la traction. Diminuer la résistance au roulement permet donc de réduire la consommation de carburant, mais il faut y parvenir sans que le pneu perde de son adhérence – c’est mieux pour démarrer et conserver sa vitesse et éviter d’aller dans le décor sur chaussée mouillée… Bref, sans avoir à mentionner d’autres critères de performance des pneus, comme le confort de la conduite ou le bruit, le pneumatique est un produit hypertechnique. Ce qui explique pourquoi Michelin, inventeur hier du pneu radial et concepteur aujourd’hui de <a href="https://www.lamontagne.fr/clermont-ferrand-63000/actualites/michelin-presente-vision-son-pneu-du-futur-a-montreal_12441736/">nombreux prototypes</a> (pneus sans air, biodégradable, connecté…) fait partie des 50 premiers déposants de brevets au monde. Cherté et qualité des pneumatiques sont donc étroitement corrélées.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le pneu increvable de Michelin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://newatlas.com/michelin-gm-uptis-airless-tire/60004/">Michelin</a></span>
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<p>Malgré ce double gain, les pneus bas de gamme qui finalement reviennent plus cher se vendent bien. Les raisons avancées par les économistes qui s’intéressent à l’efficacité énergétique sont <a href="https://www.nber.org/papers/w15031.pdf">multiples</a>. Citons-en quelques-unes. Le consommateur peut être atteint d’une sorte de myopie qui écrase les gains futurs. Par exemple exprimer une nette préférence pour le présent et une aversion au risque et à l’incertitude (le prix des carburants fluctue et il n’est pas connu à l’avance sur la durée de l’amortissement de l’équipement). Un tien vaut mieux que deux tu l’auras. Le consommateur peut aussi reconnaître qu’il en sait moins que le vendeur et que le vendeur le sachant va lui faire miroiter des performances auxquelles il ne croira pas. Méfiance, méfiance…</p>
<p>Enfin, le consommateur peut prendre des décisions selon des mécanismes bien éloignés de la rationalité et des calculs qu’elles exigent. Il privilégiera alors des solutions simples et routinières comme acheter la même chose qu’avant. Comme le dit le refrain de la chanson de Jacques Dutronc qui a inspiré le titre de cette chronique « J’y pense et puis j’oublie, c’est la vie, c’est la vie ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Jacques Dutronc, « Et moi, et moi, et moi » (Archive INA, 1966).</span></figcaption>
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<p><em>François Lévêque vient de publier <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/management-entreprise/habits-neufs-de-la-concurrence_9782738139177.php">« Les habits neufs de la concurrence. Ces entreprises qui innovent et raflent tout »</a> aux éditions Odile Jacob.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126616/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Quelles sont les conséquences des sanctions commerciales visant à limiter la conquête chinoise du marché mondial du pneumatique ?François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1164782019-05-07T04:27:28Z2019-05-07T04:27:28ZPourquoi le prix du m² à Paris monte au ciel (et pourrait bientôt en redescendre)<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/272282/original/file-20190502-103049-m2y0qh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=20%2C10%2C977%2C655&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les prix de l'immobilier résidentiel parisien ont quadruplé en 20 ans. </span> <span class="attribution"><span class="source">Sergii Rudiuk / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Près de 10 000 euros pour un petit carré d’un mètre de côté. C’est le prix de l’immobilier résidentiel dans la capitale. Le quadruple d’il y a 20 ans. C’est cher. Pas encore comme à Londres, mais presque. Très cher pour les familles qui voudraient s’installer ou s’agrandir. Trop cher pour les jeunes actifs qui travaillent dans Paris. Mais pourquoi donc ? Le manque de nouvelles constructions ? Les acquisitions de richissimes citoyens d’Amérique et du Golfe arabique ? Et, tout compte fait, est-ce un prix bien raisonnable et durable ?</p>
<h2>Le choix difficile d’un logement</h2>
<p>Si vous souhaitez acquérir un appartement à Paris, il vous faut lister vos préférences (quartier, surface, étage, ascenseur, proximité du métro, niveau des établissements scolaires, etc.) et surtout être prêt à en rabattre. Eh oui, votre budget n’est pas extensible. Il est contraint par votre apport personnel et la mensualité de remboursement du prêt supportable par vous et acceptable par votre banquier. Il faudra donc arbitrer, en particulier entre surface et lieu. L’écart de prix moyen du m<sup>2</sup> dans l’ancien est près de un à deux <a href="https://basebien.com/PNSPublic/_medias/pdf/chiffre/pns_conjoncture.pdf">entre le VIᵉ et le XIXᵉ arrondissement</a>. De nouveau un écart de un à deux entre Paris <em>intra muros</em> et les communes de la petite couronne.</p>
<p>Que les habitants de métropoles d’autres régions n’arrêtent pas ici leur lecture. Ce qui est dit par la suite de Paris vaut dans les grandes lignes pour Lyon, Nantes ou Strasbourg. Par exemple, la diminution du prix de l’immobilier résidentiel avec la distance au centre-ville est un cas général en France, comme ailleurs aussi en Europe. Les centres-villes sont plus denses et le foncier plus rare. De plus, ils concentrent le patrimoine historique, les musées, les salles de concert, et autres aménités recherchées par les ménages à haut revenu. </p>
<p>Le choix d’un logement ne se réduit pas à ses caractéristiques intrinsèques, il porte aussi sur le voisinage. Bref, plein de paramètres. En plus, les appartements et maisons ne sont pas valorisés de la même façon par chacun. Les coups de cœur vantés par les agents immobiliers ne sont pas les mêmes pour tous. L’immobilier est donc un bien économique très hétérogène, ce qui implique que le prix de transaction <a href="https://www.mitpressjournals.org/doi/10.1162/003465303762687794">dépend des différences</a> entre les valeurs personnelles qu’accordent l’acheteur et le vendeur pour le bien considéré ainsi que de leur pouvoir respectif de négociation.</p>
<h2>Les étrangers achètent plus cher et revendent moins cher</h2>
<p>Prenons le cas de l’immobilier de luxe, un marché tiré par les étrangers non résidents. Leur achat à Paris est un peu moins guidé par des motivations d’investissement ou de future immigration qu’à New York ou Londres, où le marché est plus liquide. Et un peu plus guidé par l’afféterie, le souci de renommée, ou l’attrait sentimental pour la ville étrangère préférée de Woody Allen. Conjuguée à une grande aisance financière, ces valeurs personnelles les conduisent à surpayer leurs vastes appartements. Et ce d’autant qu’ils sont aussi moins bien informés sur les prix que les résidents, ce qui réduit leur pouvoir de négociation. Dans un <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3248902">travail de recherche récent</a>, deux économistes ont montré que le surpris de ces acheteurs bien particuliers atteignait à Paris 2 à 3 % et qu’ils revendaient aussi moins cher. Toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire pour des appartements de même qualité (surface, localisation, confort, etc.).</p>
<p>Les acheteurs étrangers contribuent à un phénomène apparu avec la globalisation : une <a href="https://www.elibrary.imf.org/abstract/IMF082/24893-9781484338292/24893-9781484338292/binaries/9781484338292_Chapter_3-House_Price_Synchronization-What_Role_for_Financial_Factors.pdf?redirect=true">synchronisation croissante</a> du prix de l’immobilier entre les <a href="https://www.imf.org/en/Publications/WP/Issues/2018/09/28/House-Price-Synchronization-and-Financial-Openness-A-Dynamic-Factor-Model-Approach-46220">métropoles internationales</a>. Actif financier, le bien immobilier fait l’objet d’arbitrages et de stratégies de portefeuille qui tendent à propager les variations de prix d’un point à l’autre de la planète, fussent-ils très éloignés.</p>
<h2>Baisse des taux, hausse de la durée des prêts</h2>
<p>Mais plus que par ce mécanisme de diffusion, la synchronisation globale croissante est avant tout le résultat de mouvements simultanés, c’est-à-dire l’effet de facteurs identiques ; les mêmes causes produisant les mêmes effets. Or, qu’est-ce qui affecte la demande pour un appartement à Paris, Munich, Vancouver ou Boston, ou encore à Nancy ou Bordeaux, qu’il soit de luxe ou non ? La facilité du crédit. Les taux d’intérêt ont connu une longue période de baisse et restent exceptionnellement bas en Europe. Pour la France, l’inflation repartant depuis quelques années rend l’endettement encore plus attractif. Par ailleurs, les banques acceptent de prêter aux particuliers sur de très longues périodes et ne font pas toujours preuve d’excès de prudence dans leurs autorisations de crédit, malgré la crise financière de 2009. La facilité de crédit augmentant la demande est un puissant moteur du renchérissement des prix immobiliers.</p>
<p>La capacité de financement des ménages s’est également accrue grâce à l’élévation des revenus, en particulier des hauts salaires. En 2018, combinée à la baisse des taux d’intérêt (nets de l’inflation) et à la hausse de la durée des prêts, elle permettait à un ménage d’acquérir un appartement à Paris de la même surface qu’en 1996 pour une mensualité quasi identique. Mais évidemment, ni le même nombre ni la même somme totale des mensualités ! La graphique ci-dessous indique qu’il en a été rarement ainsi. Pour les acquisitions des années passées, c’était plutôt moins de m<sup>2</sup> pour la même mensualité.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/272298/original/file-20190502-103075-1oge3sl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/272298/original/file-20190502-103075-1oge3sl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/272298/original/file-20190502-103075-1oge3sl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/272298/original/file-20190502-103075-1oge3sl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/272298/original/file-20190502-103075-1oge3sl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/272298/original/file-20190502-103075-1oge3sl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/272298/original/file-20190502-103075-1oge3sl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/272298/original/file-20190502-103075-1oge3sl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Prix du m² à Paris et capacités de financement (1996 base 100).</span>
<span class="attribution"><span class="source">D’après Gérard Lacoste (2018).</span></span>
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<p>Observez donc que l’avantage des trois facteurs cités pour les ménages désirant accéder à la propriété a été entièrement mangé par l’élévation du prix du m<sup>2</sup>. Dit autrement, ce sont les propriétaires-vendeurs qui ont bénéficié des évolutions macroéconomiques tirant la capacité financière des ménages. Bref, baisse des taux nets de l’inflation, hausse de la durée de prêt et des revenus ont largement contribué à l’envolée du prix du m<sup>2</sup> parisien et ce sont les vendeurs qui en ont profité.</p>
<h2>Les seniors d’abord</h2>
<p>Parmi les autres facteurs fondamentaux du prix du m<sup>2</sup>, il convient également de mentionner les déterminants démographiques. Lorsque la population s’accroît la demande, donc le prix croît, et inversement. Ce facteur a peu joué pour Paris <em>intra muros</em> car sa population est à peu près stable depuis 40 ans (entre 2,1 et 2,2 millions de Parisiens). En revanche, elle vieillit. Le <em>baby boom</em> de l’après-guerre s’est aujourd’hui transformé en <em>papy boom</em>. Quel lien avec le prix de l’immobilier me direz-vous ? Eh bien tout simplement que les acheteurs sont des jeunes actifs tandis que les vendeurs sont des seniors, comme on dit aujourd’hui. Plus la population vieillit, plus il y a de vendeurs et moins il y a d’acheteurs ; l’âge croissant de la population a ainsi un effet dépressif sur le prix des logements.</p>
<p>Inversement, une plus grande proportion de jeunes dans la population a pour effet d’augmenter les prix. Deux économistes de l’Université Paris-Dauphine ont bien montré le <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01138074/document">poids de cette variable</a> sur l’augmentation du prix du m<sup>2</sup> en France entre 1996 et 2006, année charnière car celle de l’entrée dans la soixantaine des premiers <em>baby boomers</em>. Notez au passage que l’augmentation du prix de l’immobilier entraîne un transfert de richesse massif entre générations. L’envolée des prix parisiens profite aux vieux (appelons un chat un chat) et pénalisent les jeunes. Vous êtes peut-être pris d’un doute en songeant qu’une partie des ventes se réalisent au décès et donc que les héritiers en profitent. Vous avez raison mais les héritiers ne sont pas tout jeunes non plus, l’âge de l’héritage recule. Seulement un quart des héritiers ont moins de 50 ans.</p>
<h2>Et l’insuffisance de l’offre de neuf ?</h2>
<p>Vous êtes peut-être aussi surpris que la construction de logements ne soit pas mentionnée dans ce panorama des fondamentaux de l’envolée des prix du m<sup>2</sup> parisien. L’antienne est connue : pour Paris, comme ailleurs, les prix augmentent parce qu’on ne construit pas suffisamment. En réalité, la croissance du parc n’exerce qu’un effet modeste sur le prix. Pour la France urbaine entière, tablez sur une <a href="http://www.cohesion-territoires.gouv.fr/IMG/pdf/ed120.pdf">diminution du prix de l’ordre de 2 %</a> pour une augmentation de 1 % du parc. </p>
<p>Pour Paris <em>intra muros</em>, on ne dispose pas d’estimation de cette élasticité. En la supposant identique et en calculant à la louche, une baisse de 2 % du prix sur un an impliquerait la livraison de 13 000 logements neufs (1 % du parc), soit une croissance d’un tiers du nombre annuel de transactions (de l’ordre de 40 000, soit encore un <a href="http://immotrend.fr/Nombre-Ventes-Immobilieres?id=Paris">triplement du rythme actuel</a> de construction (environ <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3544903?sommaire=3548956">4 400 logements neufs</a> par an). Un bond spectaculaire alors que la capitale se caractérise par une <a href="https://www.apur.org/fr/file/47076/download?token=QTXRhia8">densité de population très élevée</a>. Surtout rappelons qu’en 2018 le prix du m<sup>2</sup> parisien a augmenté de 5 %. Ce n’est pas parce qu’on ne bâtit pas assez de logements neufs que le prix du m<sup>2</sup> s’envole à Paris.</p>
<h2>La faute aux riches étrangers ?</h2>
<p>Est-ce alors la faute des richissimes citoyens d’Amérique ou du Golfe persique ? Sachez d’abord que les principaux acheteurs étrangers qui achètent à Paris sont… <a href="https://pdfs.semanticscholar.org/7b66/a26f35d3d96f38ea4824400340ef3a6b862a.pdf">italiens</a>. Les acheteurs américains et moyen-orientaux représentent <a href="http://piketty.pse.ens.fr/fichiers/enseig/memothes/M%C3%A9moire2011Sotura.pdf">moins d’un quart des achats</a> réalisés par les étrangers. Le gros bataillon des acheteurs parisiens étrangers est formé par des Européens qui résident en France. Formulons donc la question différemment : les acheteurs étrangers non résidents contribuent-ils à l’augmentation du prix du m<sup>2</sup> à Paris ? Question légitime puisqu’ils achètent plus cher et que leur nombre et leur proportion parmi les acheteurs parisiens n’ont pas en effet cessé d’augmenter.</p>
<p>La réponse est oui, mais très modestement selon deux travaux académiques (un <a href="http://piketty.pse.ens.fr/fichiers/enseig/memothes/M%C3%A9moire2011Sotura.pdf">mémoire de master</a> de l’École d’économie de Paris et un <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3248902">article</a> paru dans la Collection des papiers de recherches d’HEC). Les deux analyses économétriques trouvent que le prix du m<sup>2</sup> n’est que faiblement affecté par les acquisitions des étrangers non résidents. Attention cependant : cette influence n’est estimée dans ces analyses qu’aux alentours du lieu de la transaction. Elle ne tient pas compte de l’effet de propagation d’une hausse de prix au-delà du voisinage considéré, c’est-à-dire du bloc d’immeubles ou du quartier, vers le reste de l’arrondissement, puis vers les autres arrondissements, puis encore vers les communes au-delà du boulevard périphérique, un peu comme les vaguelettes d’un caillou tombant dans une eau dormante. Or, cette propagation peut être puissante (voir appendice).</p>
<h2>Est-ce bien raisonnable ?</h2>
<p>Quelle que soit l’ampleur de cet effet, l’envolée des prix parisiens est-elle bien raisonnable ? L’idée reçue économique est que l’augmentation du prix de l’immobilier serait favorable à la croissance car elle augmenterait la consommation. C’est le fameux effet richesse : les propriétaires se voyant plus argentés dépensent plus, ce qui entraîne plus d’investissements et d’emplois. Il reste <a href="https://www.nber.org/papers/w15075.pdf">très controversé</a>, en particulier parce que l’augmentation du prix du m<sup>2</sup> présente aussi un effet opposé : la part des dépenses consacrées à l’achat immobilier réduit la part des dépenses pour les autres biens. Il faut donc que le premier effet soit suffisamment puissant pour l’emporter sur le second. Par ailleurs, le sens de la causalité n’est pas clairement établi. Pour certains économistes interrogés sur l’effet des prix à Londres, comme <a href="https://voxeu.org/article/house-prices-and-uk-economy">Jan Eeckhout</a> de l’université barcelonaise de Pompeu Fabra, c’est plus la croissance du PIB qui entraîne le prix de l’immobilier que l’inverse.</p>
<p>Pour ce qui est de l’envolée des prix à Paris, je n’ai pas connaissance de travaux sur la question. Mon sentiment est qu’elle est plutôt néfaste. Côté plus, l’effet richesse devrait être faible car les propriétaires étant pour beaucoup retraités, y sont peu sensibles. Côté moins, l’envolée du prix distord l’investissement. La valeur du stock immobilier parisien privé s’élève à <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-financiere-2018-4-page-233.htm">600 milliards d’euros</a>, soit le <a href="https://www.boursedeparis.fr/centre-d-apprentissage/les-bases-de-l-investissement-en-bourse/les-bourses-euronext">quart de la capitalisation</a> boursière des entreprises sur Euronext. Côté moins encore, des prix élevés sont pénalisants pour les ménages actifs et les éloignent, à cause des temps de transport, d’emplois correspondant mieux à leurs qualifications. Ce sont là des gains de productivité perdus et donc une croissance moindre.</p>
<p>Y voir plus clair sur les effets économiques d’ensemble de l’envolée des prix parisiens est d’autant plus important que l’on serait ainsi mieux en mesure d’anticiper ceux d’un retournement du marché. Vous en connaissez maintenant les ressorts : augmentation du taux d’intérêt (net d’inflation), durcissement des possibilités de crédit (avec la fin du rallongement de la durée des prêts) et moindre croissance des revenus. Difficile de prédire quand ces tendances pointeront en France. La seule évolution certaine est l’augmentation du nombre de personnes âgées et de décès à cause de l’arrivée des <em>papy boomers</em>. Elle conduit mécaniquement à une augmentation du nombre de ventes à Paris et donc une <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01138074/document">baisse du prix</a> du m<sup>2</sup>, toutes choses égales par ailleurs. </p>
<p>Observons aussi la <a href="https://www.ubs.com/global/en/wealth-management/chief-investment-office/our-research/life-goals/2018/global-real-estate-bubble-index-2018.html">baisse des prix déjà entamée</a> dans plusieurs villes internationales dont Londres, New York et Genève. Selon l’indice global de bulle immobilière (<em>Global Real Estate Bubble Index</em>) d’une grande banque suisse, Paris se rapproche dangereusement de la zone de risque élevé. Le retournement du marché parisien n’attendra pas jusqu’à la Saint-Glinglin.</p>
<hr>
<h2>Appendice : La ville concentrique</h2>
<p>« L’unité urbaine est plus ou moins parfaite » soulignait le géographe Vidal de La Blache en décelant dans Paris la trace d’anneaux concentriques dans lesquels il voyait le reflet de <a href="https://books.openedition.org/enseditions/328?lang=fr">« sa formation harmonieuse »</a>. Les économistes l’ont rejoint un demi-siècle plus tard lorsqu’ils ont modélisé la ville. Ils ont en effet opté pour un centre réunissant production et consommation et des habitations concentriques dont le prix est d’autant plus bas qu’elles lui sont plus éloignées. Cet avantage est contrebalancé par un coût de transport plus élevé pour se rendre et repartir du centre. Cette ville est parfaite, car par la magie de quelques hypothèses et de quelques équations le prix d’équilibre du logement en fonction de la distance se fixe tout seul, aucun ménage ne souhaite s’établir ailleurs qu’à son domicile actuel et tous obtiennent le même niveau de satisfaction.</p>
<p>Ce modèle simplissime a été bien sûr été complexifié par la suite, notamment en introduisant des ménages dont les revenus diffèrent, des préférences individuelles hétérogènes pour les aménités (proximité de musées et cinémas contre celle des champs et des bois) et ainsi que pour le voisinage (inclination pour l’entre-soi ou attrait pour la mixité sociale). En introduisant aussi la localisation et la consommation d’espace des entreprises manufacturières et commerciales qui ne sont plus alors concentrées en un point virtuel. Tout cela pour mieux interpréter l’occupation de l’espace et ses gradients comme dans les figures ci-dessous empruntées d’un article de synthèse sur le modèle de la ville monocentrique et ses prolongements.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/272288/original/file-20190502-103071-12rrz7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/272288/original/file-20190502-103071-12rrz7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/272288/original/file-20190502-103071-12rrz7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=491&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/272288/original/file-20190502-103071-12rrz7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=491&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/272288/original/file-20190502-103071-12rrz7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=491&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/272288/original/file-20190502-103071-12rrz7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=616&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/272288/original/file-20190502-103071-12rrz7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=616&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/272288/original/file-20190502-103071-12rrz7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=616&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 1 : Occupation spatiale à Paris et dans un rayon de 30 km autour de Notre-Dame.</span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/272293/original/file-20190502-103053-1gefaap.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/272293/original/file-20190502-103053-1gefaap.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/272293/original/file-20190502-103053-1gefaap.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=529&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/272293/original/file-20190502-103053-1gefaap.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=529&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/272293/original/file-20190502-103053-1gefaap.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=529&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/272293/original/file-20190502-103053-1gefaap.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=665&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/272293/original/file-20190502-103053-1gefaap.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=665&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/272293/original/file-20190502-103053-1gefaap.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=665&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 2 : Occupation spatiale à Paris et autour rapportée en deux dimensions le long d’un axe Nord-Sud de part et d’autre de Notre-Dame.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>La figure géométrique du cercle se retrouve également dans les travaux qui analysent la diffusion de chocs économiques dans l’espace urbain. Plouf ! Une pierre tombe au milieu du lac, comment les vaguelettes se propagent-elles concentriquement à partir du point d’impact ? Par exemple, comment va se diffuser une hausse de prix observée à tel endroit, mettons dans le quartier de La Bastille à cause de la nouvelle maison d’opéra, ou dans le quartier Saint-Germain à cause d’une <a href="https://journals.openedition.org/cybergeo/22644">recrudescence d’achats</a> de riches étrangers non résidents ?</p>
<p>Un <a href="http://www.revues.armand-colin.com/eco-sc-politique/revue-deconomie-regionale-urbaine/revue-deconomie-regionale-urbaine-ndeg-42017/linfluence-arrondissements-formation-prix-immobiliers">article d’économétrie</a> récent paru dans la <em>Revue d’économie régionale et urbaine</em> montre ainsi que certains arrondissements diffusent plus les prix que d’autres.</p>
<p>Les auteurs mettent en évidence que V<sup>e</sup> arrondissement est celui dont le prix exerce le rôle directeur le plus grand tandis que le XIX<sup>e</sup> arrondissement exerce le rôle directeur le plus faible. Autrement dit, une augmentation (ou une baisse) de prix dans l’arrondissement du Quartier latin et de la Sorbonne influence autrement plus l’évolution du prix du m<sup>2</sup> parisien que celle dans l’arrondissement de Belleville et de La Villette. De même, mais ailleurs et à une autre échelle, le prix immobilier à Londres se propage dans sa <a href="http://ftp.iza.org/dp4694.pdf">périphérie et bien au-delà</a>.</p>
<hr>
<p><em>François Lévêque a publié <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/management-entreprise/habits-neufs-de-la-concurrence_9782738139177.php">« Les habits neufs de la concurrence. Ces entreprises qui innovent et raflent tout »</a> aux éditions Odile Jacob.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/116478/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Le laboratoire de François Lévêque reçoit des aides à la recherche de nombreuses entreprises, notamment au cours des 5 années passées d’EDF. Par ailleurs, François Lévêque est Conseiller de référence chez Deloitte France.
</span></em></p>Plusieurs éléments montrent que la capitale suit les tendances observées à Londres, New York et Genève, où les prix repartent à la baisse.François Lévêque, Professeur d’économie, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1127082019-03-12T09:16:12Z2019-03-12T09:16:12ZLa grandeur des métropoles : Londres contre Paris ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/261863/original/file-20190304-110143-6nml2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=19%2C9%2C3176%2C2232&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Londres dans la course…</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/photo/60157/long-exposure-of-city-street-and-phone-booth-at-night/">Photo on Visualhunt</a></span></figcaption></figure><p>Paris a perdu les Jeux olympiques de 2012 contre Londres. Paris devrait prochainement gagner quelques milliers de banquiers londoniens en mal de relocalisation post-Brexit. Du reste Francfort aussi. Nul doute qu’en cas de bataille pour accueillir un nouveau siège social d’Amazon en Europe les deux capitales seraient sur les rangs. D’autres aussi, d’ailleurs. Le virus de la concurrence semble avoir définitivement atteint les métropoles mondiales.</p>
<h2>Les classements de villes se multiplient</h2>
<p>La manie des classements est parvenue jusqu’aux villes. Il y en a de toutes sortes. Ordinairement, la hiérarchie porte sur la compétitivité à travers la richesse produite par habitant, l’emploi, la qualification de la main-d’œuvre, la productivité, etc. Couramment aujourd’hui, elle s’ordonne aussi selon la qualité de la vie et l’environnement durable. Et même, occasionnellement, <a href="https://www.mckinsey.com/industries/public-sector/our-insights/smart-city-solutions-what-drives-citizen-adoption-around-the-globe">selon l’intelligence</a>. Désormais, les métropoles se doivent en effet d’être <em>smart</em>.</p>
<p>On peut ainsi apprendre que, parmi les plus grandes métropoles européennes et étatsuniennes, Paris est première en taux de chômage (on s’en passerait), seconde en produit intérieur brut par habitant, troisième en qualité des infrastructures, quatrième par l’investissement étranger, cinquième en taux de croissance des activités commerciales. Je m’arrête là car Paris, quels que soient les classements généraux, se situe dans les cinq premières. Aux côtés de Londres bien sûr, mais souvent occupant une marche inférieure. C’est le cas pour le Global Power City Index, le World Cities Survey, ou encore le Master Card Index.</p>
<p>Il y a tellement de <a href="https://www.atkearney.com/2018-global-cities-report">cabinets de conseil</a>, de <a href="https://www.brookings.edu/research/global-metro-monitor-2018/">laboratoire d’idées</a>, ou de sociétés <a href="https://www.pwc.com/us/en/library/cities-of-opportunity.html">d’audit</a>, qui classent les métropoles que le niveau de détail de l’information est proprement ahurissant. Sachez que <a href="https://www.mckinsey.com/industries/public-sector/our-insights/smart-city-solutions-what-drives-citizen-adoption-around-the-globe">Londres est devant</a> Paris pour le nombre de thermostats intelligents et la proportion d’utilisateurs de sites de rencontre <a href="https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/11/gci_paris-nov42016-64p-lr.pdf">mais derrière</a> pour la vitesse d’accès à Internet ou le nombre de brevets déposés par employé.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/261866/original/file-20190304-110119-qwa8ya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/261866/original/file-20190304-110119-qwa8ya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/261866/original/file-20190304-110119-qwa8ya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/261866/original/file-20190304-110119-qwa8ya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/261866/original/file-20190304-110119-qwa8ya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/261866/original/file-20190304-110119-qwa8ya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/261866/original/file-20190304-110119-qwa8ya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/261866/original/file-20190304-110119-qwa8ya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Paris se maintient.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/photo/182706/">VisualHunt</a></span>
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<h2>Des hiérarchies urbaines plutôt stables</h2>
<p>Naturellement, l’économiste que je suis regarde ces travaux de compilation et de comparaison avec un léger doute… Ne négligent-ils pas les corrélations et les liens de causalité entre les variables documentées ? Ce qui fragilise leur agrégation dans un score global. Ce qui réduit également leur portée pour l’action des élus voulant renforcer la compétitivité de leur métropole. Quels leviers utiliser si on ne connaît ni les causes ni les mécanismes ? Difficile de lire aussi dans l’évolution d’un classement ce qui relève de l’effet d’une politique publique locale.</p>
<p>Les hiérarchies urbaines sont très stables dans le temps. Les avantages de taille (voir appendice) et de localisation sont le résultat de l’accumulation d’investissements passés sur des décennies et souvent des siècles en particulier dans les infrastructures. Lyon est depuis longtemps la seconde ville française. Elle est environ sept fois plus petite que la capitale et cette proportion a à peine varié depuis <a href="https://www.city-journal.org/html/five-principles-urban-economics-13531.html">200 ans</a>. Le seul changement significatif depuis un demi-siècle est l’irruption des grandes métropoles asiatiques dans les classements mondiaux.</p>
<p>Mais ne soyons pas (trop) hautains. Le parangonnage (<em>benchmarking</em> en anglais) est utile. Se situer et se comparer aux autres ne conduit-il pas à s’interroger et à progresser ?</p>
<p>De plus, il invite à réfléchir sur les formes de la concurrence entre métropoles. Notons tout d’abord que la flopée de classements urbains crée au moins autant qu’elle n’en témoigne de la rivalité entre les villes. Toutes ne peuvent être la première ou dans le peloton de tête sur tel ou tel critère ou indicateur. Perdre une place impose une action publique locale ne serait-ce que symbolique et en gagner exige de le faire savoir. Les classements urbains sont les outils privilégiés du <em>city branding</em> et du <em>city marketing</em>. Gare à la perte d’attractivité si un maire de métropole ne s’y lance pas tandis que les autres s’y livrent. Bref, les classements ont créé une nouvelle épreuve dans le tournoi de la concurrence urbaine.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/261868/original/file-20190304-110134-152sl7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/261868/original/file-20190304-110134-152sl7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/261868/original/file-20190304-110134-152sl7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/261868/original/file-20190304-110134-152sl7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/261868/original/file-20190304-110134-152sl7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/261868/original/file-20190304-110134-152sl7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/261868/original/file-20190304-110134-152sl7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">City marketing à Lyon.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/5847931505/59402ff902/">║Dd║/VisualHunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>Surtout, les classements permettent de souligner que les villes sont mises en concurrence plutôt qu’elles ne se concurrencent. Cette subtilité vous échappe ? Soyons donc concrets. L’exemple évident est celui des touristes qui choisissent une destination métropolitaine. Iront-ils passer un week-end prolongé à Paris, Londres ou Berlin ? Puis vient l’exemple des hommes d’affaires, banquiers, artistes, chercheurs, et autres nomades de la globalisation. Certes les maires peuvent agir sur leurs choix et non seulement les subir mais ils sont à la tête d’un engin qui, lui, ne se déplace pas ! La marge des élus est étroite. Il ne suffit pas de construire un lycée international pour les enfants des nomades. Il faut des liaisons aériennes nombreuses et fréquentes, des parcs et bois à proximité pour jogger ou golfer, des théâtres et des salles de concert, etc. Également bien sûr un niveau de pollution et d’encombrement acceptable. La ville est un tout qui ne bouge par petites touches. De plus, elle est ancrée dans un territoire national. À l’exception de villes États comme Singapour, une métropole ne conduit pas de politique de commerce extérieur, de politique monétaire ou encore d’emploi. Ses leviers de développement économique sont peu puissants.</p>
<h2>La course pour attirer les entreprises</h2>
<p>Les entreprises mettent également les villes en concurrence. La compétition organisée par Amazon pour son second siège social en témoigne de façon spectaculaire. Plus de 200 villes se sont portées candidates, 20 finalistes ont été sélectionnées et 2 ont été retenues, Amazon ayant finalement opté à la surprise générale pour deux demi-nouveaux sièges. À la clef 50 000 emplois et <a href="https://www.economist.com/finance-and-economics/2018/11/17/superstar-cities-have-a-big-advantage-in-attracting-high-paying-jobs">5 milliards de dollars d’investissement</a>. Cet attirant trophée a évidemment déclenché un concours de subventions, exemptions fiscales et autres cadeaux. New York, une des deux gagnantes, a offert plusieurs milliards.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/261871/original/file-20190304-110107-ecik5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/261871/original/file-20190304-110107-ecik5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/261871/original/file-20190304-110107-ecik5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/261871/original/file-20190304-110107-ecik5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/261871/original/file-20190304-110107-ecik5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/261871/original/file-20190304-110107-ecik5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/261871/original/file-20190304-110107-ecik5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/261871/original/file-20190304-110107-ecik5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le siège social d’Amazon en a fait rêver plus d’un.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/5252226771/037c546e8e/">cheukiecfu/VisualHunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>Stonecrest, une ville obscure de Georgie, s’est proposée de se rebaptiser Amazon City en cas de victoire et de nommer Jeff Bezos à sa tête pour la vie. Pour désigner cette compétition féroce autour d’un unique fromage, les Américains utilisent l’expression de <em>rat race</em> (course de rats). Quoique désobligeant pour les compétiteurs, c’est assez bien imagé. D’autant que le vainqueur est souvent choisi d’avance. La course est alors organisée pour qu’il rabaisse ses prétentions. Amazon visait vraisemblablement un emplacement près de la capitale fédérale. Arlington, sur l’autre rive du Potomac, est l’autre gagnante. Deux autres, près de la capitale, étaient parmi les finalistes.</p>
<p>Jeff Bezos est propriétaire d’une résidence à Washington (2 700 m<sup>2</sup> !) et du <em>Post</em>, quotidien tellement célèbre qu’il est devenu inutile de préciser son rattachement géographique. Cette proximité avec les élus n’était naturellement pas un critère explicite de l’appel à candidature. Toujours est-il que les 20 finalistes se caractérisent par un <a href="https://www.citylab.com/equity/2018/05/the-hypocrisy-of-amazons-hq2-process/560072/">nombre élevé de sénateurs de haut rang</a>. Une coïncidence ?</p>
<p>Vous avez sans doute noté que cette concurrence intense s’est jouée entre des villes d’un même pays. C’est un point important car la compétition urbaine a toutes les chances d’être plus forte dans ce cas. Pourquoi ? Simplement parce que les individus et les entreprises sont plus mobiles à l’intérieur des frontières. Il est plus facile pour une famille parisienne de déménager à Nantes qu’à Liverpool ou pour une PME d’implanter une seconde usine dans son propre pays.</p>
<h2>Compétition urbaine et mobilité</h2>
<p>Si la mobilité était parfaite, c’est-à-dire sans coût, un équilibre économiquement optimal se produirait. Un économiste géographe américain, Charles Tiebout, l’a démontré. Le modèle qui porte son nom n’a plus qu’un intérêt historique tellement ses hypothèses sont simplificatrices. L’idée mérite cependant d’être résumée ici.</p>
<p>Imaginez d’un côté des villes qui offrent des services publics locaux financés par une taxe forfaitaire et d’un autre côté des personnes aux préférences hétérogènes (en matière de services publics et de capacités différentes à payer les taxes) qui choisissent leur lieu de résidence. Les individus initialement répartis au hasard vont se déplacer de là où ils sont vers la ville qui maximise leur utilité, c’est-à-dire qui les satisfont le plus.</p>
<p>En réalité, d’une métropole à une ville étrangère, seul un petit nombre d’individus peuvent exercer ce <a href="https://mises.org/library/voting-our-feet-local-government-services-and-supposed-tiebout-effect">vote « par les pieds »</a>, selon l’expression de Tiebout. Les plus talentueux des footballeurs, des chefs d’orchestre, des artistes, des chefs de cuisine, des consultants, des financiers, des avocats et hommes d’affaires, des scientifiques, des startuppers, et j’en oublie forcément (pas les femmes car le pluriel utilisé plus haut désigne indifféremment sous ma plume les deux sexes). Ils forment un bataillon choyé et recherché par les élus de métropoles. Pourquoi ? Parce qu’ils créent de la richesse pour la ville à travers les services qu’ils consomment, à travers les entreprises qu’ils fondent, à travers les autres individus ou entreprises qu’ils attirent à leur tour et à travers les impôts qu’ils versent (sauf quand les métropoles les en exemptent totalement).</p>
<p>Ils ne sont cependant pas toujours les bienvenus car leur concentration est une des causes de l’augmentation du prix des logements urbains et de la gentrification des quartiers. Devant l’opposition farouche des habitants du Queens à New York, Amazon a finalement jeté l’éponge en renonçant à son second demi-siège new-yorkais.</p>
<h2>Londres vs Paris</h2>
<p>Par sa population de <em>Frenchies</em>, Londres est souvent présentée comme la sixième ville française ou un vingt et unième arrondissement de Paris <em>intra-muros</em>. À tort au vue de ce qui précède puisqu’une frontière nationale change la donne. À tort aussi car contrairement à une grande ville française, Londres est une ville qui tire principalement sa richesse de ressources extérieures tandis que Paris s’appuie surtout sur des ressources propres. Londres est très loin devant Paris pour accueillir les investissements internationaux. Dans un autre ordre d’idée, 70 % des étudiants de la London School of Economics sont étrangers (et rapportent 100 millions de recettes). Les chiffres sont très différents pour les établissements d’enseignement parisiens, y compris Sciences Po pourtant très ouvert. C’est le phénomène Wimbledon : peu importe d’avoir des champions locaux puisque les meilleurs joueurs du monde viennent participer au tournoi. Autre différence marquante entre les deux capitales : l’économie de Londres est très spécialisée dans la finance alors que celle de Paris est plus diversifiée.</p>
<p>Oups ! Je viens de m’apercevoir que je n’ai pas précisé jusque-là les contours de Paris et Londres. Pour la capitale britannique, c’est facile. Il s’agit du <strong>Grand Londres avec ses 9 millions d’habitants</strong>. Pour la métropole française, c’est flou car le millefeuille administratif est épais comme un bottin. Il y a bien la <strong>Métropole du Grand Paris avec ses 7 millions d’habitants</strong>. De création récente, elle réunit la ville lumière et ses trois départements limitrophes. (Plus quelques dizaines de communes extérieures à ce périmètre : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?) Mais il y a aussi la <strong>région Ile-de-France plus étendue qui ajoute 5 millions</strong> d’habitants et comprend en tout 1 272 communes. Entre les deux, l’Unité urbaine de Paris est une catégorie purement statistique fondée sur la continuité de l’habitat et du bâti. Dès la première ligne de cette chronique « Paris » désigne la région et « Paris <em>intra-muros</em> » l’intérieur du périphérique, un peu comme pour la vieille ville de Saint-Malo derrière ses remparts. <a href="https://www.decitre.fr/livres/la-france-des-territoires-defis-et-promesses-9782815932448.html">Comme le suggère</a> malicieusement Pierre Veltz, un ingénieur-géographe, la cité corsaire, aux yeux de cadres chinois en visite à Paris, ferait d’ailleurs partie de la capitale, au même titre que le Mont-Saint-Michel éloigné de quelques dizaines de kilomètres.</p>
<h2>Poids démographique… et pesanteurs administratives</h2>
<p>La fragmentation de la gouvernance de Paris est naturellement un désavantage économique par rapport à Londres. L’émiettement des pouvoirs rend plus longues et coûteuses les décisions collectives au-delà de l’échelle communale, voire les bloque, notamment en <a href="https://www.telos-eu.com/fr/societe/quelle-gouvernance-pour-le-grand-paris-1-letat-des.html">matière d’urbanisme et d’investissement en services publics</a>.</p>
<p>Une étude économétrique de l’<a href="https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/5jz432cf2d8p-en.pdf?expires=1550831356&id=id&accname=guest&checksum=78A6E7BB090623018AFE15863F2B8098">OCDE</a> permet d’estimer les conséquences de cette fragmentation. Réalisée à partir des données de plus de 100 métropoles d’Amérique du Nord et d’Europe, elle montre que le doublement de la taille de la ville est associé à une augmentation entre 2 et 5 % de la productivité du travail. C’est un résultat sans surprise pour les spécialistes : les effets d’agglomération rendent les villes plus efficaces (voir appendice). De façon plus originale, l’étude avance qu’un doublement du nombre de municipalités est associé à une baisse de 6 % de la productivité, toutes choses égales par ailleurs, en particulier bien sûr le nombre d’habitants.</p>
<p>En d’autres termes, le gain économique apporté par le doublement de la taille est effacé par le doublement de l’épaisseur du millefeuille. Mais, lueur d’espoir pour l’avenir de Paris, la baisse de 6 % est réduite à la moitié quand la ville est dotée d’une autorité métropolitaine à l’instar de celle du Grand Londres. Sachez que la gouvernance à la bonne échelle permet aussi de mieux respirer puisque la pollution de l’air est statistiquement significativement plus faible qu’en cas de <a href="https://voxeu.org/article/why-metropolitan-governance-matters">fragmentation des pouvoirs</a>.</p>
<p>Des JO de 2012 au débauchage des banquiers post-Brexit en passant par la conquête des touristes et les batailles dans les classements, la concurrence économique entre Paris et Londres est très visible. Comme le tunnel qui les relie, la complémentarité des deux capitales est plus souterraine. La richesse de la ville dépend aussi de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/toc/14355957/95/1">sa mise en réseau avec d’autres métropoles</a>.</p>
<p>Pensez aux cités <a href="https://www.universalis.fr/dictionnaire/hanseatique/">hanséatiques</a> ou toscanes de la Renaissance. L’étude de l’OCDE déjà citée montre que la présence d’une autre métropole à moins de 300 kilomètres se traduit par une plus forte productivité. La distance qui relie Londres et Paris est plus grande et une frontière les sépare. Mais les va-et-vient des entrepreneurs et des professionnels entre les deux capitales les fertilisent. Malgré sa rivalité légendaire avec Londres, le Brexit n’est pas forcément une bonne nouvelle pour Paris !</p>
<hr>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/261878/original/file-20190304-110130-qzb2gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/261878/original/file-20190304-110130-qzb2gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/261878/original/file-20190304-110130-qzb2gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/261878/original/file-20190304-110130-qzb2gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/261878/original/file-20190304-110130-qzb2gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/261878/original/file-20190304-110130-qzb2gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=604&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/261878/original/file-20190304-110130-qzb2gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=604&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/261878/original/file-20190304-110130-qzb2gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=604&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Vue aérienne de Londres.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/138830677/46ed5c74ed/">Bobcatnorth/VisualHunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<h2>Appendice : Grandeur des villes et effets d’agglomération</h2>
<p>La taille des villes est déterminée par les bénéfices de l’agglomération, appelés aussi économies d’agglomération, et les coûts d’agglomération, c’est-à-dire les coûts de la congestion. (Attention pas de méprise, agglomération ne désigne pas ici une « agglo » mais le phénomène de concentration des individus et des organisations.) S’il n’y avait que des économies d’agglomération, tout le monde se regrouperait dans une ville unique ; s’il n’y avait que des coûts de congestion, il n’y aurait pas de ville.</p>
<p>Encore un bel exemple de la facilité des économistes à enfiler des perles, diriez-vous. Pas vraiment en réalité car si les coûts d’agglomération sont évidents (bruit, pollution de l’air, saleté, encombrement, etc.) les bénéfices sont moins palpables. Chercher à les comprendre et à les mesurer est l’occupation principale des économistes urbains.</p>
<p>Alfred Marshall, l’auteur des <em>Principles of Economics</em> (1890) avait repéré trois types d’économies d’agglomération, catégories toujours pertinentes aujourd’hui. Le premier, le plus intuitif, est la réduction du coût de déplacement des biens : les fournisseurs et les producteurs sont plus proches ; <em>idem</em> pour les producteurs et leurs clients. Pensez aussi aux villes installées près des fleuves et des océans ou de ressources minières. Le second type d’économies d’agglomération est apporté par l’élargissement du marché du travail et la mobilité de la main-d’œuvre entre les entreprises. Il est plus facile pour les individus de trouver un emploi et d’en changer et pour les entreprises de recruter les personnes dont elles ont besoin aussi bien en nombre qu’en qualification. Cette mobilité contribue d’ailleurs au troisième type d’économies d’agglomération : la présence et la circulation des idées. Comme le soulignait Marshall, c’est comme si ces dernières flottaient dans l’air des métropoles et qu’il n’y avait plus qu’à s’en saisir. Pour contribuer au progrès technique et aux avancées commerciales elles doivent cependant être habillement combinées et portées par des talents différents. Aux États-Unis, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/pirs.12216nticscholar.org/c958/47992553f0f77fbdccb2a57fd171e339efa5.pdf">96 % des innovations proviennent des métropoles</a>.</p>
<p>L’existence des économies d’agglomération est démontrée par la relation forte et partout observée entre densité et productivité. Le doublement de la densité urbaine augmente de quelques pour cent la productivité. De 2 à 3,5 % par exemple pour la <a href="https://www.newyorkfed.org/medialibrary/media/research/staff_reports/sr440.pdf">densité en emploi et la productivité du travail</a>. Le poids joué par chaque type d’économies d’agglomération est en revanche moins bien mesuré. En particulier pour les retombées des idées. Leur cheminement est en effet difficile à repérer. Une des rares façons trouvées pour le tracer consiste à comparer l’origine géographique des brevets d’importance et des brevets successifs qui les améliorent. Il s’agit très souvent de la <a href="https://www.nber.org/papers/w3993">même métropole</a>.</p>
<p>Il y a de bonnes raisons de penser que la mobilité des idées est devenue plus importante que celle des biens. Les coûts de transports ont considérablement diminué et les industries de service (finances, conseil, conception, etc.) ont pris le pas dans les métropoles sur les activités manufacturières. Les tours de bureaux ont remplacé les usines.</p>
<p>Quant à l’importance relative des économies d’agglomération et des externalités de réseaux urbains, c’est-à-dire des économies apportées par la connexion d’une métropole avec d’autres villes, on n’en sait encore trop rien. Jusqu’à maintenant l’économie urbaine s’est plus intéressée aux premières qu’aux secondes. Elle a surtout en effet modélisé la métropole comme un monopole géographiquement isolé, composé le plus souvent de cercles concentriques où se localisent résidences et entreprises, ou en situation de concurrence parfaite à la Tiebout. Dans les deux, cas il n’y a aucune place possible pour la complémentarité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/112708/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Le laboratoire de François Lévêque reçoit des aides à la recherche de nombreuses entreprises, notamment au cours des 5 années passées d’EDF, Microsoft et Philips. Par ailleurs, François Lévêque est Conseiller de référence chez Deloitte France.</span></em></p>La multiplication des classements de villes invite à réfléchir sur les formes de la concurrence entre métropoles.François Lévêque, Professeur d'économie, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1104482019-01-28T20:34:54Z2019-01-28T20:34:54ZChine-Japon : le face à face du marché de la fermeture éclair<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/255351/original/file-20190124-135151-p98vo3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un zipper YKK sur des jeans.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/photo/8679/">Visualhunt</a></span></figcaption></figure><p>Une tirette, un curseur et des dents qui s’engrènent, et voilà un blouson ou un sac qui s’ouvrent et se referment prestement. Ce truc bien pratique de la vie de tous les jours, américain de naissance, n’a plus d’attache territoriale aujourd’hui. Il est fabriqué un peu partout, cousu ou collé presque partout, et utilisé absolument partout. Cosmopolite la fermeture éclair détient pourtant encore un passeport japonais avec un tampon chinois. Mais le monde peut changer et le chinois demain peut éliminer le nippon. Zippons quelques pièces de la théorie du commerce international avec ce concurrent du bouton.</p>
<h2>YKK, avantage Japon</h2>
<p>Commençons par un petit tour dans votre garde-robe. Examinez la fermeture éclair de quelques un de vos vêtements ; disons cinq. Soulevez et observez attentivement la tirette et, au moins une fois, vous verrez apparaître le sigle YKK. C’est celui d’une société japonaise, championne de la fermeture à glissière. Elle en vend chaque année pour environ 10 milliards de dollars et accapare ainsi <a href="https://www.economist.com/christmas-specials/2018/12/18/the-invention-slow-adoption-and-near-perfection-of-the-zip">40 % du marché mondial</a>. Bluffant non ? (Je parle de son hégémonie et non que vous portiez cette marque à votre insu.)</p>
<p>D’où vient une telle domination ? S’agit-il d’avantages comparatifs du Japon dont David Ricardo a expliqué en 1817 qu’ils étaient à l’origine des flux d’échange entre nations ? Pas vraiment. L’empire du Soleil levant ne s’est jamais spécialisé dans la fermeture à glissière ou plus largement dans l’industrie manufacturière légère. Et surtout la fermeture éclair japonaise ne doit pas son succès à l’exportation mais à l’investissement à l’étranger d’une seule firme pour y installer des usines. YKK est implantée dans 73 pays à travers une centaine de sociétés locales dont elle est l’<a href="https://ykknorthamerica.com/contact-us/">unique actionnaire</a>.</p>
<h2>Une invention américaine au pays du jean</h2>
<p>Et si avantage comparatif d’un territoire pour la fermeture éclair il y eut, il eût été celui des États-Unis. C’est là en effet qu’elle a été inventée et a fini tant bien que mal par être adoptée. La saga américaine de la fermeture à glissière est contée <a href="https://www.amazon.com/Zipper-Exploration-Robert-D-Friedel/dp/0393313654">dans un ouvrage</a> à la fois sérieux et amusant d’un historien des technologies, Robert D. Friedel, professeur à l’Université du Maryland. Elle est à ses yeux l’exemple même d’une invention dont personne n’a besoin mais qui finit laborieusement par s’imposer. De son brevet déposé en 1893 à sa première utilisation pour des couvre-chaussures en caoutchouc, les <em>zipper galoshes</em>, il s’est écoulé 25 ans. L’histoire de la fermeture éclair est du type invention-cherche-désespérément-débouché. Les boutons, crochets, fermoirs et autres attaches ont longtemps fait l’affaire des industriels du vêtement, des couturières et de nos aïeuls. Ils sont moins chers, peuvent se changer facilement, et offrent une grande palette d’usage et d’esthétique. Mais les nécessités de la vitesse et de la mode se sont finalement conjuguées pour que la fermeture éclair devienne un accessoire obligé.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/255753/original/file-20190128-108370-wp7aem.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/255753/original/file-20190128-108370-wp7aem.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/255753/original/file-20190128-108370-wp7aem.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/255753/original/file-20190128-108370-wp7aem.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/255753/original/file-20190128-108370-wp7aem.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/255753/original/file-20190128-108370-wp7aem.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/255753/original/file-20190128-108370-wp7aem.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/255753/original/file-20190128-108370-wp7aem.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Jean zipper.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/photo/164526/">VisualHunt</a></span>
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<p>Le jean en est un parfait exemple. Le premier modèle de Levi’s à fermeture à glissière date de 1947. L’idée de l’entreprise de San Francisco était alors d’attirer des clientes de la côte Est, supposées freinées dans leur achat par une <a href="https://www.levistrauss.com/unzipped-blog/2014/10/03/the-great-denim-debate-button-versus-zipper/">boutonnière trop voyante</a>. Bouton contre <em>zipper</em> (le terme américain, <em>zip</em> est l’anglais), la bataille a fait rage pour garnir les pantalons. On sait aujourd’hui qui l’a gagnée. Hormis quelques nostalgiques du Far West et les angoissés pathologiques à l’idée d’être blessés par un engin à dents métalliques, le jean à fermeture à glissière a été adopté par tous les sexes. Témoin de ce basculement, mais de l’autre côté de l’Atlantique, l’<a href="http://bachybouzouk.free.fr/souvenirs/marques/eclair_01.html">étiquette</a> des pantalons siglés Johnny Hallyday lancés au début des années 1960. Elle précise qu’« ils sont équipés de fermeture Éclair ». Notez au passage que si les Anglo-saxons ont opté pour l’onomatopée « Zip », les Français ont préféré désigner la fermeture à glissière par antonomase. Comme le frigidaire, la fermeture éclair a perdu sa référence de marque, celle du fabricant Prestil qui voulait souligner sa rapidité foudroyante, ainsi que sa majuscule car elle est entrée langage courant.</p>
<h2>La glissade de Talon et la montée de YKK</h2>
<p>Mais revenons aux États-Unis et au commerce international. À la fin des années 1960, Talon, le fabricant historique de fermeture éclair, domine très largement le marché nord-américain. Son nom apparaît sur <a href="https://www.nytimes.com/1981/12/07/business/change-of-strategy-for-talon-zippers.html">sept tirettes sur dix</a>. En dix ans sa part de marché est descendue de moitié ; elle n’atteint plus que quelques pour cent aujourd’hui. Glissade classique d’un monopole qui s’est reposé sur ses lauriers. Insuffisance d’effort de productivité, d’où des prix élevés ; absence d’innovation, d’où l’ignorance de nouveaux débouchés (sacs, bagages, matériel de camping, etc.) ; prise de risque réduite, d’où l’absence à l’exportation alors que la production de textile se déplace à l’étranger.</p>
<p>L’exact contraire de l’entreprise japonaise YKK. Cette dernière, très tôt lancée dans la fabrication de ses propres machines pour produire mieux et plus vite, s’est ouverte à l’international en s’implantant rapidement en Malaisie, Thaïlande et Costa Rica. Entrée en 1960 sur le marché des États-Unis avec des fermetures moins chères et de qualité comparable, sinon meilleure, elle y a installé sa première usine 12 ans plus tard. Humiliation pour Talon, les combinaisons des deux premiers astronautes à marcher sur la lune porteront des zips YKK. On pourrait même imaginer que la montre magnétique de James Bond (celle qui lui permet de faire glisser subrepticement la fermeture éclair au dos de la robe moulante d’une de ses <em>girls</em> dans <em>Vivre et laisser mourir</em>, voir la scène ci-dessous ne sort pas du cerveau de Q, l’inventeur des gadgets de 007, mais du centre de R&D de la firme japonaise.</p>
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<h2>Marché domestique, exportations, investissements directs</h2>
<p>Donnons quelques leçons de commerce international à partir de cette petite histoire.</p>
<p>Pour comprendre les échanges, l’avantage comparatif, recherché hier entre les nations, est aujourd’hui recherché du côté des entreprises. Pourquoi certaines servent seulement leur marché domestique, tandis que d’autres exportent et que d’autres encore s’implantent à l’étranger ?</p>
<ul>
<li><p>Une première réponse a été apportée par le professeur John Dunning de l’Université de Reading lors d’un symposium à Stockholm au milieu des années 1970. Entrelaçant différents éléments de <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-1-349-03196-2_38">théorie économique</a>, il propose un cadre d’analyse éclectique des investissements directs à l’étranger réalisés par les multinationales, à l’instar d’YKK. Il privilégie plusieurs dimensions dont l’avantage lié à la possession de certains actifs spécifiques. L’un d’eux dans le cas du champion de la fermeture à glissière est son savoir-faire dans les machines-outils. Contrairement à ses concurrents, l’entreprise japonaise s’est en effet développée en mettant au point ses propres matériaux et équipements. Dès le départ, elle a conçu ses machines et les a alimentées de ses intrants. Ses seuls achats sont des granulés de plastique et un <a href="https://www.forbes.com/global/2003/1124/089.html#37cab2ef4101">mélange d’alliages de sa composition</a>. YKK est une sorte de Michelin de la fermeture éclair qui conserve secrets ses procédés de fabrication et les améliorations continues qu’elle y apporte. Une situation opposée à celle où les mêmes fournisseurs servent les mêmes clients. Du coup les clients disposent tous des mêmes consommations intermédiaires et machines, et ces éléments ne permettent pas de marquer de différences, et donc d’obtenir un avantage comparatif.</p></li>
<li><p>Une deuxième réponse présente l’intérêt d’être formalisée. Elle a été apportée par Mark J. Melitz, Professeur à l’Université de Harvard. Il a construit un modèle d’entrée-sortie d’entreprises qui appartiennent à la même industrie mais diffèrent par leur niveau de productivité. C’est cette différence qui les trie en trois catégories : les plus efficaces servent le marché domestique et exportent, celles qui sont un peu moins efficaces sont seulement présentes sur le marché domestique et les moins efficaces d’entre toutes sont éliminées. Ce classement n’est cependant pas fixe. Il bouge selon les freins au commerce international que sont les coûts de transport et d’information ainsi que les taxes à l’importation. Quand ils diminuent sous l’effet du progrès technique et de l’ouverture des frontières de nouvelles entreprises exportent tandis qu’une nouvelle fournée d’entreprises parmi les moins performantes sort de l’industrie. Leurs ventes sur le marché domestique sont captées par les entreprises restantes, plus performantes. Ce modèle est détaillé dans l’appendice et y est étendu au cas des entreprises qui, à l’instar d’YKK, s’implantent à l’étranger au lieu de simplement exporter.</p></li>
</ul>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/255755/original/file-20190128-108364-mfp374.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/255755/original/file-20190128-108364-mfp374.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/255755/original/file-20190128-108364-mfp374.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/255755/original/file-20190128-108364-mfp374.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/255755/original/file-20190128-108364-mfp374.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/255755/original/file-20190128-108364-mfp374.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/255755/original/file-20190128-108364-mfp374.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/255755/original/file-20190128-108364-mfp374.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/40358029541/c5e7335152/">Serbosca/VisualHunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>L’apport des travaux du Professeur de Harvard est d’avoir mis en évidence un nouveau gain de la libéralisation des échanges : la réallocation, au sein d’une même industrie, de la production des entreprises les moins performantes vers les entreprises les plus performantes. En d’autres termes, la globalisation qui élargit le marché a ici pour effet d’augmenter la productivité moyenne intra-industrie. Par exemple, la part de marché perdue par Talon au profit d’YKK permet d’utiliser moins de travail et moins de capital pour fabriquer un mètre de fermeture éclair.</p>
<p>À concurrence inchangée, le consommateur en profitera car le prix sera plus faible. C’est justement le cas dans le modèle de Mark J. Melitz. Le même régime de concurrence prévaut quel que soit le degré d’ouverture aux échanges internationaux. A l’équilibre toutes les entreprises couvrent leur coût unitaire moyen et aucune n’adopte de comportement stratégique. Les firmes restent des atomes comme dans la concurrence parfaite. Pourtant le commerce international favorise généralement l’émergence et la consolidation d’entreprises puissantes disposant de part de marché élevées, en d’autres termes la constitution et le renforcement d’oligopoles. Il modifie l’intensité mais aussi le type de concurrence.</p>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/468248152/7cc390e94f/">joeszilvagyi/VisualHunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<h2>Vers un duopole mondial</h2>
<p>Ainsi dans la fermeture éclair on est successivement passé de champions nationaux d’abord retranchés chacun derrière leurs frontières, puis devant faire face aux importations étrangères des plus hardis d’entre eux, à un marché où coexistent une multinationale en position dominante, YKK, et une frange concurrentielle de plusieurs centaines d’entreprises, chinoises pour la plupart. Depuis quelques années la situation concurrentielle a encore évolué avec la consolidation de l’industrie de la fermeture éclair de la République populaire. Elle compte une dizaine d’entreprises toutes siglées par trois lettres et ne cachant pas pour certaines comme YCC ou YQQ leur volonté d’imitation du grand rival japonais.</p>
<p>L’une cotée à la bourse de Shenzen, SBS, se détache nettement du lot par sa taille ainsi que par son ambition. Elle est en tête en termes de brevets locaux déposés, de production réalisée et de part exportée (<a href="https://www.sbs-zipper.com/export_overview_partner.html">environ 25 %</a>). Dépasser YKK est <a href="https://www.lesechos.fr/09/01/2017/lesechos.fr/0211673681156_la-guerre-des-fermetures-eclair.htm">son but déclaré</a>.</p>
<p>Un duopole mondial est donc en train de s’installer. Notez que la concurrence reste cependant vive. Chacune des deux entreprises cherche en effet à contester la position de l’autre sur ses segments de marché. SBS sort de la fermeture à bas prix pour monter en gamme avec des fermetures éclair en métal ou encore en plastique mais alors de qualité. Elle sert déjà des clients comme Adidas ou Décathlon qui ne peuvent tolérer qu’une fermeture coince au bout seulement d’un millier d’usages. Mais les avantages comparatifs d’YKK tant en matière de proximité avec ses clients grâce à ses différentes implantations dans le monde que d’ordre technologique grâce à la complémentarité entre ses centres de R&D, son département Machine & Ingénierie et ses usines de fabrication seront longs à rattraper pour SBS. Inversement, la firme japonaise qui détient 40 % du marché mondial en valeur mais 20 % en volume a <a href="https://asia.nikkei.com/Business/Japan-s-YKK-to-take-on-Chinese-rivals-in-low-end-zipper-segment">décidé</a> de sortir de sa zone de confort du moyen et haut de gamme pour contester la suprématie de son rival sur le bas du marché.</p>
<p>L’issue de ce match nippo-chinois n’est pas connue. Celle du maintien du duopole est la plus vraisemblable, ne serait-ce que parce que les grandes entreprises utilisatrices de fermeture à glissière ne souhaitent pas faire face à un seul fournisseur.</p>
<p>Mais en ces temps de conflits commerciaux ouverts et de nationalisme économique exacerbé rien ne semble plus inenvisageable. Pas même une taxe dissuasive annoncée par un tweet sur l’importation aux États-Unis des glissières chinoises pour raison hautement stratégique ou bien l’expulsion d’YKK du marché mandarin pour cause de sécurité intérieure, d’espionnage industriel, ou encore d’infraction aux brevets de SBS. Surtout si un jour la fermeture éclair devient un objet connecté permettant de recueillir des données sur les déplacements de ceux qui les portent. Pour échapper à cette guerre de la fermeture éclair, il nous faudra alors revenir aux bons vieux boutons.</p>
<hr>
<p><em>François Lévêque vient de publier <a href="https://bit.ly/2IHsGfO">« Les habits neufs de la concurrence – Ces entreprises qui innovent et raflent tout »</a> aux éditions Odile Jacob.</em></p>
<p><em>Cet article est également disponible <a href="http://theconversation.com/hot-competition-for-the-humble-zipper-113800">en anglais</a></em>.</p>
<p> <br></p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/255756/original/file-20190128-108358-135laca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/255756/original/file-20190128-108358-135laca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/255756/original/file-20190128-108358-135laca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=248&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/255756/original/file-20190128-108358-135laca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=248&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/255756/original/file-20190128-108358-135laca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=248&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/255756/original/file-20190128-108358-135laca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/255756/original/file-20190128-108358-135laca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/255756/original/file-20190128-108358-135laca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/11734893965/5ea105fb05/">Rosmarie Voegtli/VisualHunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>Appendice : Exporter ou investir à l’étranger ? L’arbitrage entre proximité et concentration</h2>
<p>Une nouvelle nouvelle théorie du commerce international est apparue au début des années 2000. Elle prend la suite de la « new theory of trade » fondée sur deux principales idées : celle de firmes qui se livrent une concurrence monopolistique, c’est-à-dire qui produisent des variétés différentes d’un même produit (des Mercedes Benz, des Ford ou des Renault dans le cas de l’automobile, par exemple) et la prise en compte de rendements d’échelle en production qui favorisent les entreprises faisant du volume car elles peuvent plus facilement amortir leurs coûts fixes.</p>
<p>La nouvelle nouvelle théorie du commerce international dont Mark J. Melitz est un des pionniers reprend ces idées mais ajoute un élément clef, l’hétérogénéité des entreprises. Les entreprises exportatrices sont en effet très différentes des autres. Elles se caractérisent notamment par une taille plus grande et un niveau de productivité plus élevé.</p>
<p><a href="https://web.stanford.edu/%7Eklenow/Melitz.pdf">L’article séminal</a> de Mark J. Melitz met en avant cette distinction à travers un modèle simple en plusieurs étapes : les entreprises dépensent d’abord un coût fixe sans connaître leur niveau de productivité, puis l’apprennent en tirant dans une loi de distribution, et décident ensuite de produire ou non. Les moins bien loties sortent de l’industrie car leur coût marginal est supérieur au prix de marché, les mieux loties exportent car leur coût marginal est si faible qu’elles peuvent y ajouter un coût variable pour le transport à l’étranger, et entre les deux les entreprises servent seulement le marché domestique.</p>
<p>Dans un <a href="https://scholar.harvard.edu/files/melitz/files/exportsvsfdi_aer.pdf">second article</a> signé avec un collègue de son université et un autre de celle de Pennsylvanie Mark J. Melitz distingue également parmi les entreprises ouvertes à l’international celles qui exportent de celles qui s’implantent à l’étranger. Les premières bénéficient de plus grandes économies d’échelle puisque la production est concentrée dans un seul pays mais elles doivent faire face à des dépenses variables plus élevées puisqu’il faut ajouter un coût de fret ou une taxe unitaire à son coût marginal de production pour servir le marché étranger. Inversement, l’entreprise qui s’implante à l’étranger n’a pas de dépenses de transport international, donc son coût variable sera plus faible, mais elle fera face à un coût fixe plus élevé à cause de la construction nécessaire d’une nouvelle usine.</p>
<p>La répartition des entreprises s’opère alors de la façon suivante : les entreprises les plus productives produisent pour le marché domestique et à l’étranger, celles un peu moins productives produisent et exportent, celles qui sont encore un peu moins productives se cantonnent au marché domestique et les moins productives ne produisent rien car leur profit serait négatif.</p>
<p>Dans le même article les auteurs testent leur modèle théorique à partir de données américaines. Ils montrent en particulier que les entreprises multinationales ont une productivité de 15 % supérieure à celles des entreprises exportatrices.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/110448/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Le laboratoire de François Lévêque reçoit des aides à la recherche de nombreuses entreprises, notamment au cours des 5 années passées d’EDF, Microsoft et Philips. Par ailleurs, François Lévêque est Conseiller de référence chez Deloitte France.</span></em></p>Quelques leçons de commerce international à partir de la petite histoire du marché de la fermeture éclair.François Lévêque, Professeur d’économie, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1088822018-12-19T23:34:03Z2018-12-19T23:34:03ZMon beau saumon, roi des poissons<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/251343/original/file-20181218-27752-6fidqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C0%2C2261%2C1686&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Saumon au fumoir.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/my_camera_eye/4922389372/">the new world / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/251338/original/file-20181218-27746-oy4lnu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251338/original/file-20181218-27746-oy4lnu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251338/original/file-20181218-27746-oy4lnu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251338/original/file-20181218-27746-oy4lnu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251338/original/file-20181218-27746-oy4lnu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251338/original/file-20181218-27746-oy4lnu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251338/original/file-20181218-27746-oy4lnu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251338/original/file-20181218-27746-oy4lnu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Saumon rouge.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/saumon-rouge-saumon-kenai-poissons-492258/">Pixabay</a></span>
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<p>Noël, c’est sapin et saumon fumé. Mais les tranches fines rose pâle ou orangées sur canapés ou plats de fêtes sont une coutume récente. Elle s’est imposée avec la domestication du saumon de l’Atlantique (<em>Salmo Solar</em>), il y a à peine un demi-siècle. Élevé en cage en Norvège ou en Écosse, il ne remonte plus les rivières. Par contre, il franchit des milliers de kilomètres en camion avant d’être salé et fumé ou frais consommé. Suivons son nouveau périple économique de l’aval à l’amont. Il nous révélera les courants du commerce international et du développement industriel.</p>
<h2>Un marché mondial, des prix de 1 à 10</h2>
<p>Du saumon fumé, il y a en a aujourd’hui pour tous les goûts et toutes les bourses. Nature, mariné à l’aneth ou même à la betterave (<a href="https://www.petrossian.fr/fr/node/418">original</a>). Salé à sec ou par injection de saumure (qui ramollit la chaire). Blanc, rose, ou carotte (coloré par un pigment). Tranché à la machine, ou au couteau (mieux). D’Irlande, d’Alaska ou des îles Féroé (rare). Sauvage (top), bio ou d’élevage (peut être très bon aussi). Faites votre choix. Quant au prix, il s’échelonne cet hiver entre <a href="http://www.e-leclerc.com/catalogue/marques-distributeurs/eco-plus/alimentaire/frais/traiteur-la-mer/saumon-fume-atlantique,112921">16,55 €/kg chez Leclerc</a> et <a href="https://www.petrossian.fr/fr//saumon-fume-tranche-main">179 €/kg chez Petrossian</a>, une maison de caviar.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/251339/original/file-20181218-27761-zekgi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251339/original/file-20181218-27761-zekgi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251339/original/file-20181218-27761-zekgi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251339/original/file-20181218-27761-zekgi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251339/original/file-20181218-27761-zekgi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251339/original/file-20181218-27761-zekgi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251339/original/file-20181218-27761-zekgi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251339/original/file-20181218-27761-zekgi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Saumon fumé (artisanal) en Alaska.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/alaska-fumer-du-saumon-six-mile-lake-2664163/">Pixabay</a></span>
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<p>Le saumon est fumé depuis des temps immémoriaux. Il se conserve mieux ainsi. Il était autrefois si abondant qu’en Bretagne, sous l’ancien régime, les domestiques demandaient à ne pas avoir de saumon <a href="https://www.persee.fr/doc/abpo_0399-0826_1980_num_87_4_3028">plus de deux ou trois fois par semaine</a>. Sa disparition de nos rivières à la saison de reproduction l’a retiré des tables des moins fortunés et, fumé, il est devenu un plat de luxe. Mais son élevage aquacole à grande échelle comme un vulgaire poulet de batterie l’a rendu meilleur marché. En plaque sur un carton doré, ses tranches fumées ont conquis les supermarchés.</p>
<h2>Les Français gros producteurs et gros consommateurs</h2>
<p>Ces derniers réalisent d’ailleurs les deux tiers des ventes dont la moitié <a href="https://www.eumofa.eu/documents/20178/97023/Price+structure_Smoked+salmon+in+FR.pdf">sous leur marque de distributeur</a>. Le saumon fumé sauvage ou d’élevage bio représente moins de 10 % des volumes vendus. Deux ménages sur trois achètent du saumon fumé dans l’année et ce quatre fois en moyenne. Les fêtes de Noël sont la principale <a href="https://www.statista.com/statistics/940843/occasions-consumption-smoked-salmon-france/">occasion d’en manger</a> avec un triplement des ventes en <a href="https://www.eumofa.eu/documents/20178/97023/Price+structure_Smoked+salmon+in+FR.pdf">décembre</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/251342/original/file-20181218-27752-17y0mga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251342/original/file-20181218-27752-17y0mga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251342/original/file-20181218-27752-17y0mga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251342/original/file-20181218-27752-17y0mga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251342/original/file-20181218-27752-17y0mga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251342/original/file-20181218-27752-17y0mga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251342/original/file-20181218-27752-17y0mga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251342/original/file-20181218-27752-17y0mga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Salade au saumon fumé.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/ayk/6960839/in/photolist-aTm1k6-aTUM36-9jmh7J-7e7sEu-9PNyFc-bQZrPi-BFdt-7V19VA">ayako/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>La France est le champion d’Europe du saumon fumé (y compris devant les pays scandinaves qui le consomment frais). Avec parfois des initiatives improbables comme la recette de <a href="https://www.750g.com/sushis-au-saumon-fume-r50738.htm">sushi au saumon fumé</a>, sans parler de l’importation de <a href="https://www.zooplus.fr/shop/chiens/croquettes_chien/croquettes_chien_taste_of_the_wild/croquettes_taste_of_the_wild_chien/174926">croquettes pour chien</a> au… saumon fumé !</p>
<p>Nos voisins d’outre-Rhin sont également de gros consommateurs mais l’Allemagne importe son saumon fumé. Contrairement à la France qui bénéficie d’une industrie de transformation. Nous n’avons pas de saumon mais nous avons des fumoirs. Il y en a même un à Montreuil dans la proche banlieue parisienne (<a href="http://www.safa.fr">c’est là</a> que j’achète mon saumon de Noël). Il y a aussi des sociétés de fumaison beaucoup plus grandes et connues comme Labeyrie. Artisanales ou industrielles, elles font venir par camion le saumon frais qu’elles transforment, et plus rarement par avion.</p>
<h2>Trois courants et quatre mots</h2>
<p>Ce secteur traditionnel a épousé le courant de l’économie contemporaine du commerce et de l’industrie dans trois de ses directions. Primo, hyperdifférenciation des produits et hypersegmentation des marchés, nous venons de le voir.</p>
<p>Deuxio, compétition des pays à bas salaires. Elle ne vient pas ici de la Chine, mais de la Pologne avec une main d’œuvre moins chère et des usines neuves. Une paire d’entreprises y domine la production et l’exportation.</p>
<p>Tertio, internationalisation et consolidation industrielles. Un Monopoly du saumon fumé s’est joué en France au début des années 2010. Marine Harvest, <a href="http://marineharvest-france.com/">premier producteur de saumon fumé au monde</a>, a acquis maisons et hôtels de saumonerie en Bourgogne et en Bretagne. Thaï Union Frozen, le plus grand producteur mondial de thon en boîte, a racheté MerAlliance. Delpeyrat, une société française de foie gras (La Comtesse Dubarry, c’est elle) s’est lancée dans le saumon fumé par acquisitions en Normandie et en Haute-Loire, etc.</p>
<p>Quittons maintenant l’océan de consommation pour nous intéresser à la production du roi des poissons. Un dernier mot tout de même pour rappeler son cycle de vie si particulier. Il naît en eau douce, descend vers la mer, y vit quelques dizaines de mois, retourne à l’embouchure du fleuve qu’il a quittée, remonte la rivière de son enfance, s’y reproduit et… meurt.</p>
<p>Les spécialistes des poissons migrateurs disent que le saumon est <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Saumon">anadrome, amphibiotique, potamotoque et thalassotrophe</a>. Voilà quatre mots pour vos parties de Scrabble ou vos mots croisés de vacances de Noël dont je vous laisse découvrir la signification précise.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/251345/original/file-20181218-27752-3l99lr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251345/original/file-20181218-27752-3l99lr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251345/original/file-20181218-27752-3l99lr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251345/original/file-20181218-27752-3l99lr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251345/original/file-20181218-27752-3l99lr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251345/original/file-20181218-27752-3l99lr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251345/original/file-20181218-27752-3l99lr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251345/original/file-20181218-27752-3l99lr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Aquaculture au Canada (Shelburne, Nouvelle-Écosse).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/ingoism/6481130893/in/album-72157628343402753/">ingosim/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<h2>Une production multipliée par 200 depuis 1980</h2>
<p>L’histoire de l’aquaculture du saumon est en accéléré celle de l’agriculture depuis les chasseurs-cueilleurs jusqu’à aujourd’hui. Vraiment en accéléré car il a fallu 30 ans contre 10 000 ans. En 1980 la production s’élève à 12 000 tonnes. Trois décennies plus tard, elle atteint 2,4 millions de tonnes. Au cours de cette période la taille des cages qui retiennent les saumons a été <a href="https://www.researchgate.net/publication/263524978_Salmon_aquaculture_larger_companies_and_increased_production">multipliée par dix</a>, et celle des fermes aquacoles par cinquante. Que s’est-il passé ?</p>
<p>En une phrase, les techniques de l’élevage des poulets et des cochons ont été appliquées à l’aquaculture. Génétique, antibiotique, vaccin, alimentation industrielle, mécanisation, logistique, etc. Tous les piliers d’agriculture intensive ont été transposés.</p>
<p>En termes économiques, cela donne : <strong>économies d’échelle</strong>, c’est-à-dire diminution du coût du kilo de saumon avec la dimension des cages et des fermes ; gains de productivité, c’est-à-dire diminution de la quantité de travail et de capital pour produire un kilo de saumon – ces gains sont tellement ahurissants qu’ils ont fait l’objet de multiples <a href="https://hal.inria.fr/hal-01524244/document">articles académiques</a>. D’où une diminution spectaculaire du coût unitaire et, en parallèle, du prix par le jeu de la concurrence. Ils ont été divisés <a href="http://www6.uis.no/ansatt/misund/publications/Asche_Misund_Oglend_2017_salmon_market_volatility_spillovers_wp.pdf">par cinq entre 1985 et 2005</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/251348/original/file-20181218-27749-hnmctl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251348/original/file-20181218-27749-hnmctl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251348/original/file-20181218-27749-hnmctl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=239&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251348/original/file-20181218-27749-hnmctl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=239&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251348/original/file-20181218-27749-hnmctl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=239&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251348/original/file-20181218-27749-hnmctl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=300&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251348/original/file-20181218-27749-hnmctl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=300&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251348/original/file-20181218-27749-hnmctl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=300&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ferme à saumon aux Iles Sheltand entre Écosse et Norvège.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/30701623@N02/5064870993/in/photolist-8HyMFX-8aMjNT-a5mA7R-6sa4n5-oehEzq-8aMkbx-72TTNh-6EA4KD-8H9BSU-8aQBW3-bjYxFj-4MTPVv-72T97y-nYQ6K7-5XUXys-936BDp-72U1Ys-nYPRib-6Ckj74-nyvzw1-daGTGa-75rKSg-6EEdpU-j49fPK-8AnoMs-75rHk6-og35ht-nYPGTW-75wm21-7tuzBA-9xcxZn-a6y6bC-j8bZV8-JDZnhf-E2EuY-5zJVta-72PfTB-6EA4Xi-5XQGWk-nYPPFy-4f6YBH-72Qink-bkt4Hn-byaZhs-ogjrYX-bZte7W-8AjtPD-ZyR7e3-K5sWM-72UcYh">genevieveromier/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<h2>Hausse des coûts, hausse des prix</h2>
<p>Mais depuis cette date, le coût remonte. La technologie devenue mature, la productivité stagne. Le prix des aliments pour nourrir les saumons en cage devient le facteur clef de l’évolution du coût du kilo de saumon. Or le prix de la farine de poisson, du soja, du tournesol et autres sources de protéines et graisses <a href="http://www6.uis.no/ansatt/misund/publications/Asche_Misund_Oglend_2017_salmon_market_volatility_spillovers_wp.pdf">a grimpé</a> depuis le milieu des années 2000.</p>
<p>Le durcissement des réglementations environnementales est également de la partie. Il était d’ailleurs sans doute temps et dans l’air du temps. La pollution aquacole est <a href="http://www.dfo-mpo.gc.ca/aquaculture/sci-res/species-especes/salmon-saumon-fra.htm">conséquente</a> et la production de saumon doit aussi rimer avec développement durable.</p>
<p>Si le coût remonte, le prix remonte. Logique. Cependant, depuis plusieurs années il grimpe beaucoup plus haut que le coût. Sur la bourse de Bergen, il a atteint 6,3 €/kg en 2018 contre <a href="http://fishpool.eu/price-information/spot-prices/history/">3,6 €/kg en 2012</a>. Évidemment si le prix augmente plus que le coût c’est que le profit augmente. Et pourquoi augmente-t-il ? Deux raisons se conjuguent : rareté et pouvoir de marché. La production a pratiquement <a href="http://marineharvest.com/about/news-and-media/news_new2/marine-harvest-osemhg-2018-salmon-industry-handbook-/">cessé de croître</a>, en particulier en Norvège. Pour des raisons de protection de l’environnement, les autorités publiques y ont quasiment plafonné les autorisations d’élevage du saumon. Ailleurs aussi très peu de nouvelles capacités se sont ajoutées aux existantes et celles-ci tournent à plein régime. Or la demande de saumon est faiblement sensible au prix. Elle est restée soutenue.</p>
<h2>Un petit nombre de sociétés dominent le marché</h2>
<p>De plus, la concurrence s’essouffle. Les entreprises aquacoles en place sont dorénavant protégées par de solides barrières à l’entrée qu’elles soient d’origine technologique, financière ou réglementaire. La concentration s’est accrue partout. Un petit nombre de sociétés dominent le marché et influencent les prix.</p>
<p>Elles contrôlent la plus grande partie de la production tant au Canada ou en Norvège qu’en Écosse <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13657305.2013.812156?journalCode=uaqm20">ou au Chili</a>. Elles sont d’ailleurs souvent implantées dans plusieurs de ces pays.</p>
<p>Parmi elles, une se détache, <a href="http://marineharvest.com/">Marine Harvest</a>, déjà citée pour sa première place mondiale dans la fabrication de saumon fumé. Elle occupe également ce rang dans la production de saumon de l’Atlantique avec des fermes salmonicoles en Europe et aux Amériques et le quatrième dans la fabrication d’aliments pour l’aquaculture. Elle dispose d’une trentaine d’usines de transformation dans le monde et commercialise ses produits <a href="http://hugin.info/209/R/2200061/853178.pdf">dans 70 pays</a>.</p>
<p>On retrouve là une autre direction du courant du développement industriel contemporain : la place croissante d’entreprises superstars dans les marchés. Dans tous les secteurs ou presque, quelques entreprises se détachent des autres que ce soit en termes de pouvoir et de part de marché, de gain de productivité, de présence dans le commerce international et même de salaire moyen. Marine Harvest en fait partie. Comme quoi le saumon mène à tout.</p>
<p>Ce périple dans le monde économique de <em>Salmo Solar</em> aura peut-être entaché votre vision romantique et imaginaire du saumon fumé. Mais ne le dédaignez pas pour autant. Ne faites pas comme le <a href="http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/heron.htm">Héron de la fable de La Fontaine</a> qui, après avoir méprisé tant de beaux poissons, finit par manger un limaçon.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/251349/original/file-20181218-27770-1gjb55h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251349/original/file-20181218-27770-1gjb55h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251349/original/file-20181218-27770-1gjb55h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251349/original/file-20181218-27770-1gjb55h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251349/original/file-20181218-27770-1gjb55h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251349/original/file-20181218-27770-1gjb55h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251349/original/file-20181218-27770-1gjb55h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251349/original/file-20181218-27770-1gjb55h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Saumon sur canapé…</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/ap%C3%A9ritif-saumon-canape-fromage-2802/">Pixabay</a></span>
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<hr>
<p><em>François Lévêque a récemment publié <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/management-entreprise/habits-neufs-de-la-concurrence_9782738139177.php">« Les habits neufs de la concurrence »</a> aux éditions Odile Jacob.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108882/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Le laboratoire de François Lévêque reçoit des aides à la recherches de nombreuses entreprises, notamment au cours des 5 années passées d’EDF, Microsoft et Philips. Par ailleurs, François Lévêque est Conseiller de référence chez Deloitte France.</span></em></p>La production de saumon fumé a été multipliée par 200 depuis 1980. Mais désormais la concurrence s’essouffle et les prix remontent. Analyse économique sur canapé…François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1057212018-11-05T20:00:24Z2018-11-05T20:00:24ZPoubelles sans frontières<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/243266/original/file-20181031-122150-1wnxw97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=54%2C23%2C5121%2C3406&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Météorite de déchets, reconstituée en 2013 dans la ville de Genêve (installation par Fresh agency).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mickaelfonjallaz/9100399258/in/album-72157634247553538/">Mickaël Fonjallaz/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>La Chine n’accepte plus de recevoir nos déchets. Depuis un an les bateaux remplis de papiers-cartons et de plastiques à recycler n’abordent plus Hong Kong et les ports du Guandong. La Chine va perdre son rang de débouché mondial numéro 1 pour les poubelles et la ferraille, une sérieuse perturbation dans le marché international des ordures.</p>
<h2>Les déchets, un marché mondial</h2>
<p>Ne croyez pas en effet que les déchets ne voyagent pas en raison de leur poids et de la loi. Les bouteilles plastiques vides écrabouillées que vous déposez consciencieusement dans la poubelle jaune ont quelques chances de se retrouver en Asie après un long trajet en bateau. Elles y seront recyclées. Enfin… normalement, car si le plastique est un tant soit peu contaminé par d’autres matières, il ira se décomposer – compter 400 ans – dans une décharge locale de là-bas. Idem si les capacités de recyclage sont saturées ou si le <a href="https://fr.made-in-china.com/tag_search_product/Abs-Plastic-Granules_yiyreyn_1.html">prix du granulé de plastique</a> est déprimé.</p>
<p>Les téléviseurs, ordinateurs et téléphones hors d’usage parcourent aussi de longues distances en conteneur avant être désossés, certaines pièces revendues, les métaux de valeur récupérés, et le reste mis en décharge. Ils se retrouveront encore une fois en Chine ou en Inde mais aussi au Nigeria ou au Ghana. Si vous résidez dans l’Union européenne, il est toutefois très peu probable que vos déchets électriques et électroniques se retrouvent dans ces contrées lointaines. Ils y seraient alors parvenus illégalement. Leur route pour l’Afrique dans le coffre et sur les sièges de véhicules d’occasion exportés est l’une de <a href="https://www.actu-environnement.com/ae/news/dechets-electroniques-deee-transfert-illegal-europe-afrique-31079.php4">ces voies détournées</a>.</p>
<p>Les expéditions d’appareils électroniques usagés vers les pays en développement sont interdites en Europe au même titre que d’autres déchets dangereux. L’Union a en effet édicté ses propres règles en la matière et a signé la <a href="http://www.basel.int/portals/4/basel%20convention/docs/text/baselconventiontext-f.pdf">Convention de Bâle</a>, un traité international qui condamne le commerce de déchets toxiques pour la santé et l’environnement avec les pays du Sud.</p>
<h2>Un marché (plus ou moins) encadré</h2>
<p>Les États-Unis, qui n’ont pas ratifié ce traité, sont plus libres de leurs mouvements. La preuve par l’image : pour suivre leur périple, des scientifiques du MIT ont posé des mouchards sur des ordinateurs et des téléviseurs mis au rebut <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0956053X17308139">aux États-Unis</a>.</p>
<p>Un résultat parmi d’autres de <a href="http://senseable.mit.edu/monitour-app/">la carte animée ci-dessous</a> : un appareil à tube cathodique prend son départ à Chicago, il flâne deux mois avant d’arriver à New York, traverse l’Atlantique, poursuit sa croisière en Méditerranée, descend par le canal de Suez, navigue dans les eaux de la mer Rouge et du golfe d’Aden, fait escale dans un port d’Arabie saoudite avant d’être débarqué à Karachi et de terminer son voyage en camion jusqu’à Faisalabad, près du Cachemire. 186 jours, 18 015 km pas mal, non ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/243233/original/file-20181031-76405-g7t072.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/243233/original/file-20181031-76405-g7t072.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/243233/original/file-20181031-76405-g7t072.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/243233/original/file-20181031-76405-g7t072.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/243233/original/file-20181031-76405-g7t072.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/243233/original/file-20181031-76405-g7t072.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/243233/original/file-20181031-76405-g7t072.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour voir les voyages des déchets à partir de ce site, il fait attendre le chargement puis cliquer sur « Explore ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://senseable.mit.edu/monitour-app/">http://senseable.mit.edu/monitour-app/</a></span>
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</figure>
<p>Je vous accorde que poser des puces sur les ordures est une expérience moins sentimentale que de fixer une balise Argos sur les oiseaux migrateurs ou les tortues luth. Mais c’est autant instructif : un tiers des déchets ainsi tracés ont été attirés par le lointain, deux tiers ont préféré rester aux États-Unis.</p>
<p>À propos, pourquoi interdire ou autoriser le commerce Nord-Sud de déchets ?</p>
<h2>Déchets non-dangereux et déchets toxiques</h2>
<p>S’il s’agit de déchets non dangereux pour recyclage, le commerce Nord-Sud est avantageux pour tous. Prenons l’exemple du granulé de plastique issu de vieilles bouteilles d’eau. Utilisé comme matière première pour de nouveaux emballages, il diminue la production de plastique vierge. C’est la double vertu du recyclage : moins de volume en décharge ou en incinérateur et moins de pétrole ou de minerais et leurs lots d’effets négatifs sur l’environnement. C’est en principe mieux pour la Chine de faire appel également à des gisements secondaires pour étancher sa soif de matières premières et c’est en principe mieux aussi pour les pays exportateurs d’augmenter la récupération.</p>
<p>Le taux de recyclage des déchets plastiques de la planète n’atteint que 9 %. Il serait encore moindre sans les débouchés asiatiques. D’un point de vue économique rien à signaler de particulier a priori : une demande croissante dans cette partie du monde pour les déchets recyclables en fait croître le prix de vente, ce qui augmente les flux à l’export et intensifie la concurrence internationale entre recycleurs.</p>
<p>Du point de vue de l’environnement même chose. Le transport des déchets sur longue distance est certes responsable d’émissions polluantes mais les bateaux repartiraient de toute façon en Chine et vides ou pleins de bouteilles plastiques ou de papiers-cartons cela ne fait pas beaucoup de différence sur le fioul lourd consommé et les émissions de carbone et particules fines associées. Le transport de déchets représente la moitié du trafic transpacifique de conteneurs entre l’Amérique du Nord et l’Asie. Le trait est cependant volontairement forcé. Nous verrons plus bas, en particulier pour la Chine, que ce n’est pas si rose.</p>
<p>Pour les déchets dangereux, il y a une très mauvaise raison à laisser sans entrave les exportations vers le Sud. Elle a été formulée par Larry Summers, un ancien économiste en chef de la Banque mondiale. Figurez-vous qu’il la croyait bonne ! (Lawrence Summers, memo interne, Banque mondiale, <a href="https://www.jstor.org/stable/4226822?seq=1#page_scan_tab_contents">cité dans <em>The Economist</em>, 8 février 1992</a>) :</p>
<blockquote>
<p>« Je pense que la logique économique derrière la mise en décharge de déchets toxiques dans les pays à bas salaires est impeccable et qu’on doit l’accepter… J’ai toujours pensé que les pays sous-peuplés d’Afrique sont <a href="https://bit.ly/2CRleLI">considérablement sous-pollués</a>. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/243268/original/file-20181031-122159-18eemx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/243268/original/file-20181031-122159-18eemx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/243268/original/file-20181031-122159-18eemx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=230&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/243268/original/file-20181031-122159-18eemx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=230&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/243268/original/file-20181031-122159-18eemx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=230&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/243268/original/file-20181031-122159-18eemx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=288&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/243268/original/file-20181031-122159-18eemx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=288&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/243268/original/file-20181031-122159-18eemx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=288&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Chantier de destruction et.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/adamcohn/4152675722/">Adam Cohn/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Coût marginal et réglementations environnementales</h2>
<p>Pourquoi un tel propos est-il consternant et atterre-t-il aujourd’hui plus d’un économiste ? Il est choquant, bien sûr, mais surtout, il est tout simplement faux. L’efficacité économique veut en effet que la dépollution se réalise au moindre coût, là où le coût marginal est le plus bas. Mais il s’agit du coût social, c’est-à-dire par exemple ici du coût privé de l’opérateur qui assure la mise en décharge (par simplicité, je suppose que le coût de transport des déchets est nul) auquel il faut ajouter le coût des effets externes, soit le coût des dommages sanitaires et environnementaux. Comme ce dernier coût n’est pas pris en compte spontanément par le marché, la théorie économique prévoit dans ses modèles d’équilibre qu’une autorité publique l’internalise, par exemple via l’imposition d’une taxe de mise en décharge. Le flux efficace de déchets se dirige vers les zones de faible coût marginal <em>social</em>.</p>
<p>Mais patatras ! Figurez-vous que certains pays n’ont pas de réglementations environnementales ou en ont mais ne les appliquent pas. L’efficacité économique de l’échange n’est plus alors au rendez-vous. À coût privé de gestion des déchets identique entre deux pays, celui où les atteintes à la population et à l’environnement ne sont pas comptabilisées emporte indûment le marché. Interdire l’exportation de déchets dangereux vers certains pays est donc justifié d’un strict point de vue économique.</p>
<p>Notez au passage que la théorie économique n’impose pas que les réglementations environnementales soient les mêmes partout. Si les habitants autour de la décharge sont moins nombreux, ou si la population locale est moins sensible à la qualité de son environnement, ou encore si ce dernier est moins menacé, les coûts externes sont plus faibles et la réglementation doit être moins exigeante ; inversement, si la population est plus nombreuse ou soucieuse de l’environnement ou ce dernier plus fragile elle doit être plus exigeante. Ce qui choque l’économiste n’est pas de voir des enfants s’empoisonner à petit feu sur un tas de déchets toxiques (même si leur cœur aussi se serre) mais que des autorités publiques nationales ou locales n’en tiennent aucun compte.</p>
<h2>Un accord international inefficace</h2>
<p>Malheureusement, la Convention de Bâle n’a quasiment pas d’effets. Une <a href="http://faculty.georgetown.edu/aml6/pdfs&zips/WasteOfEffort.pdf">analyse économétrique approfondie</a> a montré qu’elle n’est à l’origine que d’une très faible réduction des flux de déchets dangereux du Nord vers le Sud. Ce n’est pas une surprise car, comme pour tout accord volontaire, les contraintes pour ceux qui s’engagent reviennent à faire à peine mieux que ce qu’ils font déjà ou prévoyaient de faire tout seuls. Les autres pays ne signent pas.</p>
<p>En tout état de cause, le commerce des déchets dangereux correspond majoritairement à un échange entre pays du Nord à l’instar des autres déchets, et d’ailleurs aussi <a href="https://ourworldindata.org/international-trade">des marchandises en général</a>. Ainsi les dix premiers importateurs mondiaux de déchets sont tous des pays développés à l’exception de la Chine et de la Turquie ; et la moitié parmi ces plus grands importateurs fait également partie des <a href="https://econpapers.repec.org/article/eeejeeman/v_3a64_3ay_3a2012_3ai_3a1_3ap_3a68-87.htm">dix premiers exportateurs</a>.</p>
<p>Un modèle simple dit de gravité permet d’expliquer cette situation : comme pour l’attraction des planètes, les pays s’échangent d’autant plus entre eux que leur masse économique est élevée et que la distance qui les sépare est petite (voir appendice). Or les pays du Nord sont plutôt riches et plutôt proches les uns des autres.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/243269/original/file-20181031-122174-ym075.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/243269/original/file-20181031-122174-ym075.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/243269/original/file-20181031-122174-ym075.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/243269/original/file-20181031-122174-ym075.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/243269/original/file-20181031-122174-ym075.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/243269/original/file-20181031-122174-ym075.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/243269/original/file-20181031-122174-ym075.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/243269/original/file-20181031-122174-ym075.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Plastiques (au Tibet…).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/carsten_tb/8411786387/">Carsten ten Brink/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<h2>Flux mondiaux et problèmes planétaires</h2>
<p>Mais, comme pour n’importe quel bien échangé, la distance et la richesse économique ne sont évidemment pas les seuls déterminants des flux de déchets. Une langue commune, une frontière partagée, ou un lien colonial passé expliquent aussi en partie le commerce entre les pays. Dans le cas des déchets une variable originale pourrait jouer un rôle : la sévérité de la politique environnementale. Dans quelle mesure un différentiel entre deux pays en la matière agit-il sur les flux ? L’effet est-il significatif ? Son poids est-il grand par rapport aux déterminants classiques des échanges internationaux ?</p>
<p>Ces questions sont d’autant plus importantes que l’exportation de déchets revient à un déplacement de pollution locale. L’émission de CO<sub>2</sub> d’une entreprise chinoise dont nous achetons le produit alors qu’il était auparavant fabriqué en France ne change rien car l’effet de serre est un problème global. Peu importe d’où est émise une tonne carbone, que ce soit en France, au Canada ou en Malaisie. En revanche, si les déchets sont mis en décharge dans un autre pays les habitants du pays exportateur sont débarrassés des effets de leur pollution. En d’autres termes, il serait bon de savoir si la sévérisation des normes environnementales, par exemple pour les décharges ou les incinérateurs en France, a surtout pour conséquence de rendre les installations moins polluantes ou surtout de se débarrasser de leur pollution en l’envoyant ailleurs.</p>
<h2>Sévérité des législations et commerce mondial</h2>
<p>On dispose d’éléments de réponse mais pas de résultats tranchés. La difficulté réside dans l’absence de données objectives pour mesurer la sévérité des réglementations environnementales. En première approximation, elle peut être estimée par la richesse par habitant. L’idée sous-jacente est que plus cette dernière est élevée, plus les citoyens demandent une qualité élevée de leur environnement et plus sévères sont les réglementations. Une <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1395442">étude économétrique</a> a ainsi mis en évidence que plus la richesse par habitant est grande moins le pays importe de déchets dangereux. Mais cette variable indicatrice de la sévérité joue un rôle beaucoup moins important que la distance entre pays.</p>
<p>Une autre approche consiste à apprécier la sévérité environnementale plus directement à partir de données d’enquêtes. Un chercheur de l’Université du Montana a par exemple forgé un indice de sévérité croissante de 0 à 100 à partir de réponses obtenues auprès de 10 000 dirigeants d’entreprises d’une centaine de pays. Son <a href="https://econpapers.repec.org/article/eeejeeman/v_3a64_3ay_3a2012_3ai_3a1_3ap_3a68-87.htm">étude économétrique</a> établit qu’une diminution de 10 % de la distance augmente de 15 % le commerce de déchets tandis qu’une chute de l’indice de sévérité de 10 % l’augmente de 3 %. Notez que dans les deux études il s’agit d’estimations de coefficients de corrélation et non de la démonstration de liens de causalité. Or corrélation n’est pas causalité car il peut y avoir des variables cachées communes derrière les corrélations (les quantités vendues de crème solaire et de crème glacée sont fortement corrélées mais sans lien de cause à effet) ou encore parce que les variables sont accidentellement liées (le taux de divorce dans le Maine est quasi-parfaitement corrélé <a href="http://tylervigen.com/spurious-correlations">avec la consommation de margarine aux États-Unis</a>). Ne suivez pas Coluche qui recommandait, faussement naïf, que « Quand on est malade il ne faut surtout pas aller à l’hôpital : la probabilité de mourir dans un lit d’hôpital est dix fois plus grande que dans son lit à la maison. »</p>
<h2>La Chine-poubelle, c’est fini, le reste de l’Asie en « profite »</h2>
<p>Mais revenons à la décision chinoise d’interdire l’entrée de déchets étrangers sur son sol. Elle marque la fin d’une époque, celle d’une Chine atelier du monde assoiffé de matières premières et sans égard pour les pollutions locales et les populations qui les subissent. À travers sa politique industrielle en faveur des hautes technologies, la Chine ambitionne désormais de devenir le laboratoire du monde. Rester la poubelle de la planète en absorbant plus de la moitié des importations mondiales de déchets et ferrailles fait tache.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/243261/original/file-20181031-122159-1wj5v66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/243261/original/file-20181031-122159-1wj5v66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/243261/original/file-20181031-122159-1wj5v66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/243261/original/file-20181031-122159-1wj5v66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/243261/original/file-20181031-122159-1wj5v66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/243261/original/file-20181031-122159-1wj5v66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/243261/original/file-20181031-122159-1wj5v66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/243261/original/file-20181031-122159-1wj5v66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Traitement de déchets d’imprimantes à Guiyu, en Chine, en 2013.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/basel-action-network/9260717589/in/album-72157634590265221/">baselactionnetwork/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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</figure>
<p>De plus, la réduction des pollutions locales est devenue une priorité. Or le recyclage des déchets s’il est improprement mis en œuvre et n’est pas correctement contrôlé contribue significativement à la pollution. Environ 15 % du plastique importé en Chine <a href="https://econ.st/2DUXCYN">pour être recyclé ne l’est pas</a> et une partie des quantités recyclées le sont dans des conditions très préjudiciables pour la <a href="http://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/19316/TFGWM_Report_GRM_Plastic_China_LR_Velis_2014.pdf?sequence=1&isAllowed=y">main d’œuvre et l’environnement local</a>.</p>
<p>Enfin, la Chine a à faire avec ses propres déchets dont les quantités sont devenues considérables avec l’essor de la consommation. Pourquoi par exemple gonfler le volume de plastiques à traiter de 10 % <a href="http://advances.sciencemag.org/content/4/6/eaat0131.full">par l’importation</a> ? D’autant que le taux de recyclage de la production domestique reste faible, d’environ 10 % aussi, et que le même pourcentage se retrouve dans l’océan, la Chine arrivant très largement en tête des pollueurs de la mer par les plastiques.</p>
<p>La décision chinoise a créé un choc économique. Elle a entraîné une réorientation partielle des flux de déchets vers d’autres pays d’Asie, notamment en Thaïlande, Malaisie et Vietnam. Mais devant cet afflux et leur capacité de traitement limitée et sans commune mesure avec <a href="https://asia.nikkei.com/Spotlight/Asia-Insight/China-s-scrap-plastic-ban-saddles-neighbors-with-piles-of-problems">leur voisin chinois</a>, ces pays envisagent à leur tour d’imposer des restrictions à l’importation. Pendant ce temps, aux États-Unis, en Europe ou <a href="https://theconversation.com/chinas-recycling-ban-throws-australia-into-a-very-messy-waste-crisis-95522">encore en Australie</a> des monceaux de déchets plastiques et de papier-cartons s’accumulent. En outre, en réduisant la demande, la fin du débouché chinois provoque un effondrement du prix des plastiques et papiers-cartons à recycler, ce qui fait le bonheur des recycleurs dont certains reçoivent de l’argent pour transformer les déchets alors qu’ils devaient auparavant en donner.</p>
<p>À plus long terme, la décision chinoise n’est pas sans avantages à Beijing comme ailleurs. Elle devrait inciter les gouvernements à adopter des politiques nationales de recyclage plus ambitieuses, les industriels à investir en R&D et dans la technologie et les consommateurs à mieux maîtriser leur production de déchets.</p>
<p>En attendant, maintenant que vous savez que vos déchets peuvent partir au loin, qu’ils font de vous dans ce cas un exportateur de pollution locale, à vous de modifier votre comportement en consommant par exemple moins d’emballages plastiques. Ou à ne rien changer de vos habitudes ! Cette chronique vise à vous faire mieux comprendre l’économie non à dicter vos règles de conduite.</p>
<hr>
<p><strong>Appendice : La gravité du commerce international</strong></p>
<p>« Les astres s’attirent de façon proportionnelle au produit de leur masse et inversement proportionnelle au carré de la distance ». Cette loi de la gravitation inspirée par la chute d’une pomme à Newton lors d’une promenade nocturne dans un verger du Lincolnshire a elle-même inspiré un économiste hollandais, Jan Tinbergen, pour décrire les échanges internationaux. Ce n’est pas une coïncidence car Tinbergen qui fut le premier récipiendaire du prix de la Banque de Suède en sciences économiques est docteur en physique.</p>
<p>Appliquée au commerce entre les nations, la loi de gravitation devient « Le volume d’échanges entre deux pays est proportionnel à leur poids économique et inversement proportionnel à la distance »..</p>
<p>Soit l’équation :</p>
<p>VAB=G(PIBAxPIBB)/d</p>
<p>Où G est une constante, PIBAle produit intérieur brut du pays A, PIBBle produit intérieur brut du pays B et d la distance entre les deux pays.</p>
<p>En réalité, l’équation de gravité est un peu plus compliquée avec PIBA, PIBB et d élevés à des coefficients de puissance, mais les travaux économétriques fondés sur les échanges observés montrent que ces coefficients sont en général proches de 1. Autrement dit, en simplifiant, le volume des échanges augmente de 10 % lorsque la richesse du pays d’origine ou du pays de destination augmente de 10 % et diminue de 10 % lorsque la distance diminue de 10 %.</p>
<p>Les trois variables, richesse du pays A, richesse du pays B et distance permettent d’expliquer une grande partie des flux bilatéraux entre les pays. Il en donne une image juste à 80 %. Pour mieux coller encore à la réalité, il faut compliquer un peu les choses. Changer la mesure de la distance par exemple. Définie comme le nombre de kilomètres à vol d’oiseau séparant les capitales, elle sous-estime le poids des réseaux de transports et les obstacles naturels qu’ils doivent franchir.</p>
<p>Dans les modèles d’aujourd’hui, la distance est mesurée dans les modèles par le coût de transport ou mieux encore par l’ensemble des coûts de transaction, c’est-à-dire y compris ceux des formalités administratives et des barrières tarifaires ou non. L’ajout d’autres variables permet également d’augmenter la précision de l’image, en particulier l’existence d’un lien colonial entre les pays, le partage d’une même langue et la présence d’une frontière commune, trois paramètres qui augmente les flux d’échanges bilatéraux. Contrairement aux astres, l’attraction ou la répulsion entre pays dans leurs échanges dépend aussi de l’histoire et de la géographie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105721/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Le laboratoire de François Lévêque reçoit des aides à la recherches de nombreuses entreprises, notamment au cours des 5 années passées d’EDF, Microsoft et Philips. Par ailleurs, François Lévêque est Conseiller de référence chez Deloitte France.</span></em></p>Les principes de l’efficacité économique des échanges et le marché des déchets… dangereux ou non.François Lévêque, Professeur d'économie, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1031712018-09-17T23:08:22Z2018-09-17T23:08:22ZL’accès aux sommets de l’enseignement supérieur : rareté, clubs et classements<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/236520/original/file-20180916-177962-cz3fxw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C187%2C1995%2C1152&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Diplômés à la Harvard University.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/noeluap/2681822046/">Pauleon Tan/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les étudiants choisissent leurs universités et les universités choisissent leurs étudiants. Les classements et palmarès aident les premiers à formuler leurs préférences tandis que concours, dossiers de candidature ou tests d’aptitude président au choix des secondes.</p>
<p>Pour les meilleurs des deux comment se fait l’appariement et quel est son résultat ?</p>
<p>L’analyse économique de la formation élitaire est pour moi un exercice délicat. Le lecteur pourra légitimement se demander si l’auteur, professeur d’une grande école parisienne prestigieuse, ne porte pas un regard biaisé et partial, en particulier s’il parle de l’Université française. Que son établissement, l’École des Mines ParisTech, ait récemment rejoint une université nouvelle, celle de <a href="https://www.psl.eu/">Paris-Sciences-Lettres</a>, n’arrangera rien. Bien logiquement, sa visée d’occuper les premiers rangs n’est pas perçue avec bienveillance par ses consœurs.</p>
<h2>L’enseignement supérieur : un marché ?</h2>
<p>De plus, l’enseignement supérieur est une activité économique très éloignée de la place de marché et du monde de l’entreprise. Le prix ne règle en rien les admissions. Contrairement <a href="https://theconversation.com/leconomie-fantome-de-lopera-73819">aux maisons d’opéra</a>, il n’est pas le moyen utilisé pour attribuer les meilleures places. Ce serait les plus offrants et non les plus méritants et motivés qui rejoindraient alors les meilleurs rangs universitaires ! Même aux États-Unis où des entrées en premier cycle de grands établissements peuvent « s’acheter » via <a href="https://bit.ly/2pcZAcy">des dons de parents riches ou célèbres</a> (les deux c’est mieux), la chose n’est pas essentielle.</p>
<p>Même si cela leur est parfois reproché, les étudiants ne sont pas non plus des consommateurs. Ils doivent travailler, souvent d’arrache-pied, réussir examens et projets. Les universités ne sont pas non plus des entreprises. Il en existe bien de privées, à l’exemple des universités de Stanford aux États-Unis ou de Waseda au Japon, mais elles n’ont pas de but lucratif. De plus, les universités d’élite ne peuvent pas se développer en produisant toujours plus pour satisfaire la demande et grandir en taille à l’instar de n’importe quel constructeur automobile, fabricant d’ordinateurs ou chaîne de restauration rapide qui connaîtraient le succès.</p>
<p>Les écoles de commerce et d’administration des affaires sont celles qui se rapprochent le plus des modèles économiques du marché et de l’entreprise. Elles en restent encore cependant bien éloignées : il faut payer cher pour suivre leurs enseignements mais il ne suffit pas de payer pour y entrer ; les plus coûteuses ne sont pas forcément les plus cotées ; leurs administrateurs, souvent des anciens élèves, veillent à l’équilibre des comptes non au maintien d’une marge positive et ils sont attentifs à ce que la croissance n’entame pas le caractère très sélectif et prestigieux de leur établissement.</p>
<p>Mais n’oubliez pas que l’économie est une discipline qui s’intéresse à l’allocation des ressources rares et qui cherche à quantifier des effets et leurs déterminants, ce qui donne tout de même quelques clefs pour observer de près les sommets de l’enseignement supérieur.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/236521/original/file-20180916-177968-1u4dg7j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/236521/original/file-20180916-177968-1u4dg7j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/236521/original/file-20180916-177968-1u4dg7j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/236521/original/file-20180916-177968-1u4dg7j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/236521/original/file-20180916-177968-1u4dg7j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/236521/original/file-20180916-177968-1u4dg7j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/236521/original/file-20180916-177968-1u4dg7j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/236521/original/file-20180916-177968-1u4dg7j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Vie étudiante.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/sleatusf/13953873547/in/album-72157644169066227/">USF SLE/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<h2>Les meilleures formations, des biens et services rares ?</h2>
<p>Les biens et services rares ne sont pas uniquement alloués à travers le mécanisme des prix. Pensez à l’échange d’organes entre donneurs et receveurs, par exemple. Ils ne sont pas attribués à ceux qui sont prêts et capables de proposer le plus d’argent. Les consentements à payer et recevoir ne jouent aucun rôle dans la répartition. En revanche, ils peuvent être attribués en recourant à un système de règles qui tient compte des préférences et des caractéristiques des offreurs et demandeurs et qui impose des <a href="https://web.stanford.edu/%7Ealroth/papers/kidney.qje.pdf">contraintes et des critères de choix</a>.</p>
<p>Ces systèmes d’appariement ont justement fait l’objet de nombreux travaux théoriques et pratiques de la part des économistes, notamment des meilleurs d’entre eux tant le problème est ardu (voir appendice). Il ne s’agit pas moins de concilier des principes d’efficacité et d’équité.</p>
<p>Plus près de vous que l’échange de rein ou de foie, je l’espère, vous pouvez aussi penser à <a href="https://bit.ly/2OpcNdi">Parcoursup</a>. Vous-même ou votre fille ou votre fils y étiez peut-être inscrits cette année. Souhaitons alors que les affres de l’attente des résultats n’aient pas été trop aiguës et que le candidat ait été admis dans son établissement préféré, ou pas loin.</p>
<h2>Des « biens de club » ou des « biens de position »</h2>
<p>Plus précisément, la formation supérieure élitaire s’apparente aux concepts économiques de bien de club et de bien de position.</p>
<p><strong>Au bien de club</strong> car, à l’image <a href="https://theconversation.com/les-abonnes-absents-des-salles-de-sport-61192">des salles de sport</a>, la satisfaction retirée des membres dépend de leur nombre, nombre qui ne doit être ni trop petit ni trop grand.</p>
<p>S’il est trop petit, les effets positifs de réseau sont insuffisants : manque de pairs à qui se confronter et auprès de qui apprendre ; association d’anciens clairsemée qui ne facilite ni le placement à la sortie ni l’entretien de la renommée.</p>
<p>S’il est trop grand, le prestige associé à l’appartenance au club devient moindre car partagé entre un plus grand nombre et dégradé par un taux de sélection à l’entrée moins drastique. Ce taux sera inévitablement interprété comme une baisse de qualité, ce qui entraînera une diminution de la demande auprès de ceux, sûrs de leur capacité, de leur mérite ou encore de leur statut, qui auraient autrement candidatés et dont le choix se portera désormais ailleurs.</p>
<p><strong>La notion de bien de position</strong>, ou bien positionnel (<em>positionnal goods</em>) complète cette idée. La formule est laide mais elle est parlante : la valeur d’un tel bien dépend en effet de son rang dans un classement ou une échelle reconnus par les personnes auxquelles l’on prête attention, voire par l’ensemble de la société.</p>
<p>En d’autres termes, la satisfaction n’est pas retirée du bien lui-même mais de sa position relative. Si la formation de haut niveau était un pur bien de position, cela voudrait dire, par exemple, que les élèves de l’École polytechnique ne retireraient leur satisfaction d’en être diplômés pour aucune part de l’enseignement reçu mais seulement de sa place au-dessus des écoles des mines, des ponts, des télécoms et d’autres encore moins cotées.</p>
<h2>La concurrence entre les offres</h2>
<p>Les positions étant chacune uniques, la concurrence pour l’accès à ces biens se caractérise par un jeu à somme nulle comme dans les compétitions sportives : si l’un gagne, l’autre perd ; si je suis admis à l’Université Paris Dauphine, une autre ou un autre ne l’est pas ; si le MIT est le cinquième du <a href="https://bit.ly/2BxdCPt">classement de Shanghai</a>, la place est prise et Princeton sixième ne l’a pas.</p>
<p><a href="https://academic.oup.com/ser/article/16/3/657/5067568">La concurrence entre les fournisseurs</a> de ces biens prend dès lors souvent la forme d’une course à des investissements de prestige coûteux. Au cours de ma carrière, j’ai pu assister à une impressionnante escalade dans le luxe des cafétérias des <em>law schools</em> américaines. Si vous avez l’occasion de visiter Cambridge (Massachusetts) faites un tour à celle de Harvard. On se croirait dans le salon d’un grand hôtel. Vous ne pourrez pas cependant visiter la cafétéria de la <em>school of law</em> de Princeton.</p>
<p>Dans une enquête, les étudiants américains classent cette faculté de droit <a href="https://www.jstor.org/stable/29735003?seq=1#metadata_info_tab_contents">parmi les dix meilleures des États-Unis</a>. Sa cafétéria doit donc être chouette. Le problème c’est qu’il n’y a pas de <em>school of law</em> à Princeton !</p>
<p>Ces dépenses de prestige contribuent à signaler la qualité des établissements. Mais elles ne sont pas les seules, ni même les principales. Le recrutement de chercheurs de haut niveau est par exemple devenu clef à cause de l’importance des publications dans les classements nationaux et mondiaux des universités. Idem pour les efforts d’internationalisation des cursus. Bref, des dépenses multiples car ce qui fait la qualité d’une université ou d’une école d’élite repose sur de multiples critères.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/236518/original/file-20180916-177938-1q8mfd9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/236518/original/file-20180916-177938-1q8mfd9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/236518/original/file-20180916-177938-1q8mfd9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/236518/original/file-20180916-177938-1q8mfd9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/236518/original/file-20180916-177938-1q8mfd9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/236518/original/file-20180916-177938-1q8mfd9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/236518/original/file-20180916-177938-1q8mfd9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/236518/original/file-20180916-177938-1q8mfd9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Combien vaut un étudiant ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/5346593937/6a9c5a8472/">eltpics/VisualHunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<h2>La valeur des étudiants… et leur prix</h2>
<p>Un des plus intéressants à discuter est la qualité des étudiants eux-mêmes. Elle est l’input principal du processus de production, dirait l’ingénieur qui observerait aussi que c’est en se frottant à leurs pairs qu’elle s’améliore. Elle détermine la qualité du service produit tout en étant apporté par les clients eux-mêmes, ajouterait l’économiste. Et</p>
<p><a href="https://www.jstor.org/stable/2138699?seq=1#page_scan_tab_contents">certains d’entre eux</a> d’en déduire qu’il convient de rétribuer les meilleurs étudiants pour faire la course en tête.</p>
<p>Cette caractéristique très particulière de la technologie de la formation supérieure permet d’expliquer qu’il arrive que les grandes universités coûtent moins cher à leurs élèves que les autres. Citons le cas des universités américaines dans les années 1990. Les frais de scolarité étaient en moyenne par étudiant de 3 800 dollars pour un coût total de 12 000 dollars, la différence étant comblée par des subventions (donations, aides publiques, etc.). Ces frais et ce coût étaient respectivement de 5 700 et 28 500 dollars pour les universités les plus riches et cotées et de 6 100 et 7 900 dollars pour les <a href="http://unionstats.gsu.edu/4960/Winston_1999.pdf">universités en bas de tableau</a>.</p>
<p>Observons également qu’en France, certains des établissements parmi les plus prestigieux tels l’X et les Écoles normales payent leurs étudiants en leur octroyant une solde ou un salaire. Vous pourriez objecter que ces émoluments sont la contrepartie d’un engagement de l’étudiant une fois diplômé de servir l’État. Mais jusque vers les années 2000 ils ont été rarement remboursés en cas de passage dans le privé. Passage d’ailleurs souvent mal vu, d’où le terme péjoratif de pantoufle pour désigner cette somme à rembourser par opposition à la botte des premiers classés. De façon générale, le coût de la formation par étudiant, c’est-à-dire les dépenses totales de l’établissement divisées par la taille de ses promotions est un signal de qualité.</p>
<h2>Salaire futur et « biais de capacité »</h2>
<p>Le salaire moyen à la sortie naturellement aussi. Sans surprise, il augmente avec le caractère sélectif de la formation. Ce phénomène a bien été démontré pour le premier cycle aux États-Unis : plus le collège est sélectif, que ceci soit mesuré par le score moyen obtenu au test <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/SAT">d’admission standard</a> ou par un ensemble <a href="https://www.thebestcolleges.org/rankings/top-50/">d’autres critères</a>, plus les étudiants qui en sont issus percevront un salaire élevé au cours de leur carrière. Ce résultat intuitif tient compte du poids que jouent également d’autres variables observables et renseignées sur les salaires comme le genre, l’origine ethnique ou encore le niveau d’étude des parents.</p>
<p>Mais n’est-il pas biaisé par des variables cachées ? Si cela se trouve l’écart de salaires ne reflète pas tant les différences des collèges que le talent et l’ambition des étudiants qui y entrent. Et bien, c’est grosso modo le cas, le recrutement prévaut sur les années de formation.</p>
<p>Un mathématicien, Stacy Berg Dale, et un économiste, Alan B. Krueger, ont les premiers mis en évidence ce biais de capacité. Ils ont recouru à une <a href="http://www.nber.org/papers/w17159">bien jolie astuce</a> : les candidats postulent en général à plusieurs collèges et certains ne choisissent pas toujours l’établissement le mieux classé (c.-à-d., le plus sélectif) prêt à les accueillir. Or, toutes choses égales par ailleurs, ces originaux seront une vingtaine d’années plus tard autant payés que leurs camarades conformistes qui ont eux choisi le collège qu’ils n’ont pas retenu (ils, c’est-à-dire les originaux).</p>
<p>Dit de façon journalistique et moins alambiquée,<strong>si l’étudiant est bon il réussira (financièrement s’entend) même s’il ne sort pas du meilleur collège.</strong> Et d’ajouter que Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, a quitté Harvard en deuxième année ; Bill Gates de Microsoft aussi. Dans un autre registre, l’acteur Matt Damon n’y est resté que six mois.</p>
<p>En creux, l’étude de Dale et Krueger montre donc que les différences dans la qualité de l’enseignement entre établissements n’influent pas à long terme sur les niveaux de salaire et les carrières. Mais que les dirigeants d’universités et d’écoles d’élite et leur corps d’enseignants-chercheurs se rassurent. Les mêmes auteurs montrent également que le choix du collège importe pour les étudiants afro-américains et pour ceux dont les parents n’ont pas fait d’étude. Ces étudiants gagneront plus s’ils choisissent le plus sélectif de ceux auxquels ils sont admissibles et non un qui l’est moins. Par ailleurs, d’autres travaux fondés sur des données et des méthodes différentes présentent des résultats sur le biais de capacité moins tranchés. Caroline M. Hoxby, économiste renommée de l’éducation, avance que le collège pèse pour un quart dans la différence de salaire, les trois quarts s’expliquant <a href="https://www.brookings.edu/articles/who-needs-harvard/">par l’aptitude des élèves</a>.</p>
<p>Enfin, il s’agit de résultats qui portent sur le premier cycle. La formation en master et doctorat étant moins standardisée, se déroulant en plus petite classe et étant dispensée par des enseignants praticiens ou chercheurs plus chevronnés, le poids joué par l’établissement est sans doute plus important. En tout cas, c’est rassurant de le croire quand on enseigne à des étudiants gradués comme c’est mon cas…</p>
<p><em>François Lévêque vient de publier <a href="https://bit.ly/2fpHgf1">« Les habits neufs de la concurrence : ces entreprises qui innovent et raflent tout »</a> aux éditions Odile Jacob.</em></p>
<hr>
<h2>Appendice : Le mariage et Parcoursup</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/236519/original/file-20180916-177962-12fn8i9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/236519/original/file-20180916-177962-12fn8i9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/236519/original/file-20180916-177962-12fn8i9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/236519/original/file-20180916-177962-12fn8i9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/236519/original/file-20180916-177962-12fn8i9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/236519/original/file-20180916-177962-12fn8i9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/236519/original/file-20180916-177962-12fn8i9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/236519/original/file-20180916-177962-12fn8i9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une affaire de sélection ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/92307413/454537575a/">Canadian Veggie/VisualHunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Recherche de l’âme sœur, entrée dans un établissement d’éducation supérieure, ou même don de reins peu importent les différences. Dans les trois cas, il s’agit d’un problème économique d’affectation qui n’est pas dénoué par l’argent. Puisque le prix ne règle pas la question, comment allouer ces ressources indivisibles et hétérogènes entre les individus ?</p>
<p>Vous n’allez pas me croire mais la première réponse à la fois pour la formation des couples et l’admission à l’université a été apportée <a href="http://www.dtic.mil/dtic/tr/fulltext/u2/251958.pdf">dans un rapport</a> pour le service de logistique du bureau de recherche navale américain publié ultérieurement dans une revue de mathématique. Son titre : « College admissions and the stability of marriage ». Il est signé par un mathématicien, David Gale, et un économiste, Lloyd Shapley.</p>
<p>Leur réponse porte le nom barbare d’algorithme avec acceptation différée. Son principe est le suivant. Soient n hommes et n femmes, chaque individu ayant classé tous les autres membres du sexe opposé selon un ordre de préférence, quel est le mécanisme qui permet de marier les uns aux autres de sorte que l’affectation soit stable ? Stable, c’est-à-dire qu’il n’existe pas un homme et une femme qui auraient préféré tous deux se mettre en couple l’un avec l’autre plutôt que de rester <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Stable_marriage_problem">chacun avec son conjoint respectif</a>.</p>
<p>En d’autres termes, si Monsieur Martin préfère Madame Petit à Madame Martin et si Madame Petit préfère Monsieur Martin à Monsieur Petit l’allocation est instable. Pour ce faire, l’algorithme prévoit une succession de rounds. Au premier chaque homme fait sa demande à la femme qu’il préfère et chaque femme répond « peut-être » au prétendant qu’elle préfère et répond « non » aux autres. Dans le premier cas, elle est alors engagée provisoirement à son prétendant ; de même pour celui-ci. Aux tours suivants, chaque homme non engagé fait sa demande à la femme qu’il préfère et auprès de laquelle il ne s’est pas déjà déclaré et chaque femme répond « non » si le prétendant n’est pas son préféré et « peut-être » dans le cas contraire. Comme il y a déjà eu des rounds, des femmes sont déjà engagées mais si elles préfèrent le nouveau prétendant à l’ancien elles laissent alors tomber l’ancien. Le prétendant largué rejoint en conséquence le groupe des non-engagés. La partie se termine quand plus aucune proposition n’est faite. Tout le monde est engagé et cette affectation est stable.</p>
<p>Il existe même une affectation optimale stable, c.-à-d. celle quand chaque homme aime au moins autant son conjoint que dans toutes les autres allocations stables possibles. Aïe aïe aïe, l’économie aggrave son cas, non seulement seuls les mariages hétérosexuels sont considérés mais ce sont les hommes qui proposent et les femmes qui disposent. Signalons des circonstances atténuantes. L’article de Gale et Shapley reflète les conventions de son époque, le début des années 1960. D’autre part, les deux auteurs ont étudiés aussi le cas où la femme propose et l’homme dispose. Ils montrent qu’il existe également une affectation optimale, c.-à-d. celle quand chaque femme aime au moins autant son conjoint que dans toutes les autres allocations stables. Et ils montrent alors que l’allocation optimale homme et l’allocation optimale femme ne sont pas les mêmes. Bref, encore une preuve des méfaits de la suprématie masculine.</p>
<p>Remplacez mari et femme par étudiant et établissements de premier cycle universitaire et vous pouvez utiliser le même algorithme pour procéder aux affectations. Le même <a href="https://web.stanford.edu/%7Ealroth/papers/roth.jet.1985.pdf">pas tout à fait équivalent</a> car les établissements admettent plusieurs étudiants ce qui complique un peu les choses. Mais les propriétés sont les mêmes, en particulier l’affectation optimale est différente selon que l’étudiant est le prétendant et le collège le choisisseur, ou l’inverse.</p>
<p>L’article de Gale et Shapley est purement théorique mais il a donné lieu par la suite à de multiples applications notamment dans l’enseignement. Par exemple pour l’entrée dans les lycées de New York et Boston, ou plus près de nous pour l’entrée post baccalauréat. APB, le prédécesseur de Parcoursup, utilisait un algorithme avec acceptation différée.</p>
<p>Parcoursup s’éloigne significativement de ce modèle car les lycéens n’établissent pas une liste hiérarchisée de leurs préférences mais déclarent simplement sans les classer les établissements qui les intéressent. Leurs préférences ne se révèlent partiellement qu’au fur et à mesure des propositions d’acceptation ou de refus qu’ils reçoivent. De leur côté, les établissements décident de leurs propositions à la main et non plus via une machine nourrie par leurs critères de sélection ainsi que par leur nombre de places pour les formations non-sélectives. Bref, c’est forcément plus long.</p>
<p>En outre, et c’est plus gênant, Parcoursup ne respecte pas la propriété de stabilité. Pour reprendre l’exemple déjà cité, Monsieur Martin et Madame Petit peuvent rester bloqués avec leur conjoint. Et les économistes <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/05/23/il-faudra-prendre-avec-beaucoup-de-prudence-les-resultats-affiches-par-parcoursup-a-la-fin-de-l-ete_5303260_3232.html">spécialistes des problèmes d’affectation de regretter</a> que les travaux théorique et pratique de leur discipline depuis près de 60 ans aient été ignorés par le ministère de l’Éducation nationale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/103171/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Le laboratoire de François Lévêque reçoit des aides à la recherches de nombreuses entreprises, notamment au cours des 5 années passées d’EDF, Microsoft et Philips. Par ailleurs, François Lévêque est Conseiller de référence chez Deloitte France.</span></em></p>Analyse économique des « marchés » de l’enseignement supérieur, biens de clubs et « biens de position ».François Lévêque, Professeur d'économie, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/988982018-07-09T20:56:15Z2018-07-09T20:56:15ZAmazon contre Alibaba et les 40 dragons<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/226580/original/file-20180708-122280-1jww4nl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C3%2C2035%2C1287&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dragon Boat Festival à Taiwan.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/colortec/9029107797/">Chien Liang Kuo/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Juin est le mois des courses de bateaux-dragons à Shanghaï comme à Chicago. On y voit des équipes de vingt pagayeurs parfaitement synchronisés filer sur leur pirogue à la proue de démon. Bateau-Dragon est aussi le nom de code <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2016-02-09/amazon-is-building-global-delivery-business-to-take-on-alibaba-ikfhpyes">du plan d’Amazon</a> pour devenir un acteur global de la logistique. Comprenez un monstre d’efficacité et d’innovation dans le transport international de marchandises qui, un jour, dépassera tous les autres, y compris Alibaba et ses 40 dragons.</p>
<h2>Un géant de la logistique</h2>
<p>Quand Jeff Bezos s’est lancé en 1995 dans la vente de livres en ligne, il n’envisageait pas d’en assurer la manutention, le stockage et la livraison. Aujourd’hui, son entreprise dispose d’une capacité logistique d’exception pour livrer les colis – de ses entrepôts à ses clients. Amazon est aujourd’hui quasi imbattable dans l’expédition aux consommateurs finals. Elle prend pied désormais dans le fret international avec ses services de transitaire maritime, ses semi-remorques et ses avions cargo. À mesure que l’ogre de Seattle (<a href="https://bit.ly/2KTSLsP">voir précédente chronique</a>) grossit de la sorte, les temps et coûts de transport diminuent et sa clientèle s’élargit. Économie d’échelle, innovation de rupture, stratégie d’intégration verticale ouverte et sacrifice financier sont les piliers de son succès de logisticien.</p>
<p>Si vous êtes client, regardez à votre prochaine commande si elle porte la mention « Expédié par Amazon ». Elle signifie que l’entreprise s’est chargée du stockage, de la préparation, et de l’emballage de votre achat et qu’elle a organisé le transport du colis jusque chez vous – transport qui peut d’ailleurs être assuré soit par des prestataires – à l’instar la Poste, DHL, ou UPS –, soit par des camions et des employés d’Amazon. Notez que votre achat expédié par Amazon, admettons un grille-pain, ne vous a pas forcément été vendu par Amazon.</p>
<p>L’entreprise de Seattle propose ses services d’expéditeur aux vendeurs de sa place de marché. Elle ne les réserve pas à ses propres produits. Si, par exemple, votre choix s’est porté sur l’Aicok « fente large pour croque-monsieur et tranches à sept niveaux de dorage » le vendeur est Halokey, une entreprise de Shenzen. De Chine, elle aura approvisionné un des centres d’Amazon en Europe et lui aura versé par appareil environ de cinq euros de frais de traitement (y compris le transport) et 0,3 euro par mois de frais de stockage. Il peut même se faire que vous ayez acheté votre grille-pain sur un site concurrent, comme Darty.com, et non sur Amazon.fr mais qu’il soit pourtant expédié par Amazon.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/226581/original/file-20180708-122259-ti2nox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226581/original/file-20180708-122259-ti2nox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226581/original/file-20180708-122259-ti2nox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226581/original/file-20180708-122259-ti2nox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226581/original/file-20180708-122259-ti2nox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226581/original/file-20180708-122259-ti2nox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=543&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226581/original/file-20180708-122259-ti2nox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=543&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226581/original/file-20180708-122259-ti2nox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=543&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Entrepôt d’Amazon.com à Shakopee, Minnesota..</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/diversey/34043258624/">Tony Webster/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>Des services offerts à ses concurrents</h2>
<p>Le dragon Amazon ouvre ainsi les portes de son organisation et de ses installations logistiques à ses concurrents. C’est intrigant, non ? Pas tant que cela si on y réfléchit.</p>
<p>Primo, cette ouverture permet de bénéficier d’économies d’échelle. Expédier plus de volume rend possible d’investir dans de plus grandes installations ; et les plus grandes installations présentent un coût unitaire plus faible car leur coût fixe se répartit sur un plus grand nombre de colis. Les dépenses de R&D sont aussi un coût fixe ; donc mieux amorties avec du volume. Or, Amazon investit des sommes considérables dans l’innovation logistique. Songez à la livraison futuriste par drones à la porte de votre pavillon ou visualisez sur YouTube la robotisation à l’œuvre dans les entrepôts d’Amazon</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/UtBa9yVZBJM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les robots dans les entrepôts d’Amazon.</span></figcaption>
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<p>Secundo, expédier plus de volume procure un effet de levier pour mieux négocier avec ses fournisseurs, obtenir par exemple de meilleurs prix auprès des géants du fret à l’instar d’UPS ou de Fedex.</p>
<p>Tertio, ouvrir ses services à des tiers incite Amazon à mieux faire. Le danger de l’intégration exclusive est que les équipes de l’expédition aient tendance à se reposer sur leurs lauriers (Voir appendice).</p>
<p>Quatro, l’ouverture des services logistiques à l’extérieur abreuve Amazon de nouvelles données. Si vous achetez votre grille-pain sur un site tiers et qu’Amazon se charge de l’expédition, Amazon vous connaîtra. Or la data, comme on dit aujourd’hui, est le nerf des affaires. Elle permet par exemple de lancer l’expédition d’un colis alors même que l’objet n’a pas encore été commandé. Non seulement la synchronisation des pagayeurs du Bateau-Dragon d’Amazon est parfaite mais ils s’élancent avant le top départ ! Pour en savoir plus sur cette invention, prenez connaissance du <a href="https://patents.google.com/patent/US8615473">brevet n° US8615473B2</a> « Method and system for anticipatory package shipping ». Il appartient à Amazon Technologies Inc.</p>
<p>Cinquo, les clients abonnés d’Amazon profitent d’une offre encore plus étendue. Les produits expédiés par Amazon et vendus par des tiers peuvent bénéficier du label Prime. Les clients sont alors livrés sous deux jours et ne payent pas de frais de livraison pour le colis qu’ils reçoivent.</p>
<h2>Tirer profit des services</h2>
<p>Cette façon de faire d’Amazon n’est pas réservée à la logistique. Elle fait sa fortune dans les services informatiques en nuage (stockage, calcul, et analyse de données, outils de développement et de gestion, etc.). Ils lui rapportent aujourd’hui près de 20 milliards de recettes et se classent en part de marché très loin devant ceux de Microsoft, Google et IBM. Enfin et surtout, ils représentent l’essentiel des profits du groupe.</p>
<p>Par contraste, la logistique est, semble-t-il, un foyer de pertes. Une <a href="https://www.geekwire.com/2017/true-cost-convenience-amazons-annual-shipping-losses-top-7b-first-time/">estimation</a> qui date déjà de 2 ans l’évalue à 7 milliards de dollars, soit un peu plus de la moitié des recettes perçues venant à la fois des commissions payés par les tiers ayant opté pour le service d’expédition d’Amazon et de l’abonnement payé par les clients Prime. Ces derniers évidemment coûtent cher en logistique puisque pour 99 dollars par an ils bénéficient d’une livraison gratuite.</p>
<p>Petit calcul de coin de table. Ils sont 100 millions et représentent 4 milliards de livraisons (non comprises les expéditions de tiers prises en charge par Amazon mais rémunérées), soit 40 livraisons par an. En supposant que leur abonnement serve exclusivement à couvrir les coûts de logistique pour les servir, Amazon perdrait de l’argent au-delà d’un seuil de 2,5 euros par livraison.</p>
<p>Un seuil vraiment très bas. Si bas que la viabilité du modèle de croissance d’Amazon est <a href="https://www.economist.com/briefing/2017/03/25/are-investors-too-optimistic-about-amazon">périodiquement questionnée</a>. Les clients « Prime » dépensent deux fois plus que les autres et leur nombre devrait continuer de grossir à toute allure. Ils sont incités à acheter plus car ils payent un forfait annuel et ne payent plus ensuite les frais de livraison. En outre, ils ont droit à toute une série de <em>goodies</em> et autres <em>bounties</em> : séries originales et films cultes, espace de stockage des photos, prêt de livre pour les possesseurs de la liseuse Kindle, livraison en 2 heures dans certaines métropoles, etc.</p>
<p>Aux États-Unis, près d’un client sur deux d’Amazon est désormais abonné à Prime. Évidemment, si ces clients commandent séparément leur nouvelle brosse à dents puis un tube de dentifrice, le dernier CD paru et ensuite le livre à succès du moment, ou encore le flacon de crème à bronzer pour l’été et après la serviette de plage cela fait un très grand nombre de petits colis à préparer et à livrer à marge inexistante ou à perte.</p>
<p>Mais Amazon a les moyens de réagir : en facilitant le regroupement des achats grâce à des boutons électroniques spéciaux pour les emplettes récurrentes ; en augmentant le prix du forfait – en janvier dernier aux États-Unis l’abonnement mensuel est ainsi passé de 2 à 12,99 dollar – ; et bien sûr en pagayant de plus en plus vite pour réduire ses coûts de préparation et transport de paquets.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/226586/original/file-20180708-122265-r56kzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226586/original/file-20180708-122265-r56kzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226586/original/file-20180708-122265-r56kzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226586/original/file-20180708-122265-r56kzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226586/original/file-20180708-122265-r56kzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226586/original/file-20180708-122265-r56kzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226586/original/file-20180708-122265-r56kzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226586/original/file-20180708-122265-r56kzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Avion cargo.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jeroenstroesphotography/31391893160/">Jeroen Stroes/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<h2>Un géant du commerce international</h2>
<p>Le bateau-dragon d’Amazon s’essaye maintenant à la course au large. Il déploie ses ailes avec sa flotte d’avions cargo et son hub à Cincinnati, loue de l’espace sur les porte-conteneurs, et numérise les activités de transitaire. La majorité des vendeurs de sa place de marché sont des entreprises non américaines, en particulier chinoises à l’exemple du marchand de grille-pain déjà mentionné. En tout, on estime que le quart des ventes d’Amazon par des tiers est réalisé avec des produits qui ont <a href="http://www.businessinsider.fr/us/a-quarter-of-amazon-sellers-revenue-came-from-cross-border-sales-2018-3">traversé au moins une frontière</a>. Elles connaissent une croissance très rapide et pourraient atteindre 1 200 milliards de dollars en 2021 contre 400 aujourd’hui.</p>
<p>Or la logistique internationale a des poches de coûts qui pourraient être <a href="https://www.economist.com/briefing/2018/04/26/the-global-logistics-business-is-going-to-be-transformed-by-digitisation">drastiquement réduites</a>. Un paquet de 70 kg expédié par avion entre Shanghai et Londres met trois fois plus de temps et coûte quatre fois plus cher qu’un passager du même poids. Et lui a droit en plus à un bagage en soute et une boisson et une collation gratuites !</p>
<p>À ces raisons d’Amazon d’entrer dans la logistique globale s’ajoute la rivalité d’Alibaba.</p>
<h2>Le modèle concurrent d’Alibaba</h2>
<p>Contrairement à la firme américaine, le dragon chinois du commerce électronique est peu intégré. Il assure pareillement la moitié de ce commerce dans son fief national, mais sans actifs en dur comme des entrepôts ou des magasins de briques et mortier. C’est un ensemble de places de marché, à l’instar de Taobao qui met en relation des vendeurs et acheteurs, particuliers ou petites entreprises. Il n’achète pas pour revendre et ne gère ni stockage ni livraison. Il est en revanche au sommet d’une pyramide logistique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le système Cainiao pour Alibaba.</span></figcaption>
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<p>Alibaba a en effet fondé un consortium d’entreprises regroupant une quarantaine de grands expéditeurs et transporteurs chinois, Cainiao Smart Logistics Network, dont il détient la majorité. Cette troupe de dragons maîtrise plus des deux tiers du marché chinois des colis, soit le chiffre saisissant de <a href="http://www.alizila.com/cainiao-set-new-record-delivery-times-11-11/">30 millions de paquets par jour en moyenne</a>, ou, plus impressionnant encore, 812 millions pour la seule journée du 11 novembre 2017, fête des célibataires. « Maîtrise », et non « opère » car Cainiao est avant tout une entreprise de données qui collecte, traite et partage les informations de ses membres et de leurs sous-traitants, soit la plupart des centres de stockage et de distribution ainsi que des transporteurs de marchandise du pays. Cainiao réalise le gros de son activité en Chine mais est en train de s’étendre dans le monde entier. Son objectif est de permettre aux fournisseurs d’atteindre un client étranger dans un délai trois jours.</p>
<h2>Le choc Amazon–Alibaba</h2>
<p>Amazon et sa logistique globale intégrée et Alibaba et lDeses quarante dragons de Cainiao cherchent ainsi à faciliter les échanges entre acheteurs et vendeurs de différents pays. Vous connaissez Amazon.com et ses déclinaisons nationales.fr,.de ou.it, mais peut-être pas encore Aliexpress.com, la place de marché internationale d’Alibaba qui met en contact des vendeurs, surtout chinois, avec le reste du monde. Elle est aujourd’hui la première en Russie et connaît un certain succès en <a href="https://www.journaldunet.com/ebusiness/commerce/1180406-alibaba-strategie-crossborder-aliexpress/">Espagne et au Brésil</a>. Peu de chances aussi que vous connaissiez 1688.com. Ce n’est pas la copie chinoise d’une célèbre marque de bière alsacienne mais la place de marché d’Alibaba spécialisée dans les échanges entre entreprises, en particulier de PME. Là encore, l’internationalisation passe par une offre de services qui comprend dédouanement et logistique.</p>
<p>De son côté, Amazon n’est pas en reste. L’entreprise des Seattle est en particulier intéressée par le marché chinois où elle est très peu présente. Or les consommateurs de la classe moyenne et supérieure sont attirés par certains produits de l’étranger, des produits de marque bien sûr mais aussi des produits dont la qualité sanitaire est jugée sans risque, contrairement aux produits locaux à l’instar du lait en poudre. Là encore une logistique internationale innovante, efficace et fiable est un avantage clef.</p>
<p>Les deux bateaux-dragons sont désormais bien lancés dans la course à la logistique globale. Difficile de prévoir les places à l’arrivée car la compétition ne fait que commencer.</p>
<p><strong>François Lévêque vient de publier « Les habits neufs de la concurrence : ces entreprises qui innovent et raflent tout » aux éditions Odile Jacob.</strong></p>
<hr>
<p><strong>Appendice : Faire ou faire-faire ?</strong></p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/226593/original/file-20180708-122271-zq2la8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226593/original/file-20180708-122271-zq2la8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226593/original/file-20180708-122271-zq2la8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226593/original/file-20180708-122271-zq2la8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226593/original/file-20180708-122271-zq2la8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226593/original/file-20180708-122271-zq2la8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226593/original/file-20180708-122271-zq2la8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226593/original/file-20180708-122271-zq2la8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dans une usine automobile.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/photo/1107/">VisualHunt</a></span>
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<p>Faire soi-même ou faire faire par d’autres est une décision stratégique classique d’entreprise. Un constructeur automobile, par exemple, fait lui-même le moteur et la carrosserie dans ses ateliers mais « fait faire » les pneus et les phares par des fournisseurs d’équipement à qui il les achète. Pourquoi ? Cette question de l’intégration verticale a été étudiée en long et en large par l’analyse économique depuis maintenant près d’un siècle.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/226588/original/file-20180708-122280-w5a6o2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226588/original/file-20180708-122280-w5a6o2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226588/original/file-20180708-122280-w5a6o2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226588/original/file-20180708-122280-w5a6o2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226588/original/file-20180708-122280-w5a6o2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226588/original/file-20180708-122280-w5a6o2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226588/original/file-20180708-122280-w5a6o2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226588/original/file-20180708-122280-w5a6o2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Tout commence par un des articles les plus cités de la littérature économique : <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/The_Nature_of_the_Firm"><em>La nature de la firme</em></a> de Ronald Coase publié en 1937. Ce grand économiste britannique, qui a fait l’essentiel de sa carrière à l’Université de Chicago, conçoit pour la première fois l’entreprise comme un mécanisme alternatif du marché dans l’allocation des ressources. C’est en effet ses dirigeants qui décident que telle machine de la société sera attribuée à tels atelier ou usine, ou que telle pièce intermédiaire de fabrication sera reprise ensuite dans telle ligne de production.</p>
<p>D’où alors la question du choix entre faire appel au marché en passant un contrat avec un fournisseur extérieur ou bien s’arranger pour produire soi-même. Intuitivement, vous êtes tenté de répondre faire-faire si c’est moins cher que produire en interne, et produire en interne dans le cas inverse. Bref, comparer les coûts de production du fournisseur extérieur et de la fabrication en interne.</p>
<p>C’est juste mais insuffisant car, et c’est là le pas de géant de Coase, l’allocation des ressources par le marché ou dans l’entreprise n’est pas un mécanisme gratuit. En sus des coûts de production, il y a les coûts de transaction, les coûts pour passer un contrat avec un fournisseur et les coûts pour transmettre un ordre et le faire exécuter dans l’entreprise. Ces coûts vous paraissent sans doute négligeables mais c’est que vous ne percevez pas que passer un contrat réclame de collecter de l’information (le fournisseur est-il fiable ? Son prix correct ?), de rédiger un contrat en bonne et due forme, de s’assurer de sa bonne exécution et de traiter l’affaire en cas de litige.</p>
<p>De même, transmettre un ordre et le faire respecter réclament des informations, une organisation hiérarchique interne, un règlement intérieur, du reporting, de la négociation, etc. Les échanges dans l’entreprise ou par le marché ne se déroulent pas dans le vide. C’est comme en physique, il y a des frottements. Il faut donc comparer la somme coût de production plus coût de transaction, et non simplement mettre en regard le coût de production du fournisseur et de la chaîne de fabrication interne.</p>
<p>La réponse moderne à la question faire ou faire-faire est plus compliquée. Elle repose sur deux concepts aux termes barbares : contrat incomplet et droit de contrôle résiduel. Le premier signifie que faute d’information suffisante, en particulier sur le futur, un contrat, par exemple de fourniture, ne peut pas prévoir tous les cas de figure. Il présente fatalement des trous. Celui qui peut les boucher doit en avoir le droit, c’est l’idée de droit résiduel, droit dont dispose par construction le propriétaire car c’est lui qui contrôle les actifs (bâtiments, machines, stocks, brevets, etc.).</p>
<p>Ce contrôle a deux effets. D’un côté, il réduit l’opportunisme : il y a moins de risque de dépendre de ses propres équipements et troupes que de ceux d’un fournisseur. D’un autre, il est moins incitatif à faire des efforts par exemple de productivité ou d’innovation. Dans le cas du fournisseur, il a intérêt à faire de son mieux car il en récoltera tous les fruits. Dans le cas des dites troupes, si l’usine ou la filiale font mieux, le bénéfice ira à l’entreprise et ses actionnaires et seulement une partie, par exemple à travers des primes sur le salaire, à ceux qui ont déployé les efforts.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98898/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Le laboratoire de François Lévêque reçoit des aides à la recherches de nombreuses entreprises, notamment au cours des 5 années passées d’EDF, Microsoft et Philips. Par ailleurs, François Lévêque est Conseiller de référence chez Deloitte France.</span></em></p>Analyse stratégique des points forts – et faibles – d’Amazon face à ses concurrents, dont le système Alibaba.François Lévêque, Professeur d'économie, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/988962018-07-02T20:22:18Z2018-07-02T20:22:18ZL’ogre Amazon<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/225474/original/file-20180629-117377-zvylji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C0%2C3158%2C2100&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'antre de l'ogre.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/scobleizer/2265816229/in/photolist-4sdUe4-bLsxq-5SPWkz-2Ei1V-eFrCQ-9Jvfsr-bc3k84-6ZEKwm-74xMy-zsrwu-8UFvqD-74xMF-5QCxma-booXkU-2xp63p-4LEPmN-qRnGGR-76ycQm-2Rv7xG-WVmDm7-L84TVw-4P1Gij-Abg7M-KC5inf-28fZKn4-722JuS-716sik-VX2wAs-27rDQ6h-76rX2f-XiNtBV-W5A8LF-SngTRE-72eQv8-XiNubv-obW44M-6y4QU6-VV4cSb-WJVZHa-8SCG4S-UWqnBT-WjbvNc-W5AdTp-7DSq1s-7DNt9x-Xf9hts-obCy28-j9nKu4-W4gk9o-TCH8GY">Robert Scoble / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Amazon rétrécit le temps et mange la planète. Le 28 juin, il a annoncé l’achat du <a href="https://nyti.ms/2N8yUo4">distributeur de médicaments en ligne PillPack</a> et son intention de se lancer dans le secteur de la pharmacie. L’an dernier, l’ancienne petite librairie en ligne a avalé Whole Foods, la grande chaîne américaine de supermarchés bio. Soit près de 500 magasins en une bouchée.</p>
<p>À Paris, l’ogre est en passe d’aspirer la distribution des produits Monoprix. Inutile bientôt de faire la queue à la caisse Livraison ou de naviguer sur Monoprix.fr et d’attendre ensuite de longues heures chez soi sa boîte d’Houmous Extra et sa lessive liquide Le Chat. Aujourd’hui, tout le monde a entendu parler du site d’Amazon et sa livraison express. Son système digestif des concurrents et partenaires est moins connu. Le temps de lire cette chronique pour lever le voile et votre commande sera déjà empaquetée.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/225472/original/file-20180629-117374-3p6bz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225472/original/file-20180629-117374-3p6bz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225472/original/file-20180629-117374-3p6bz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225472/original/file-20180629-117374-3p6bz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225472/original/file-20180629-117374-3p6bz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225472/original/file-20180629-117374-3p6bz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225472/original/file-20180629-117374-3p6bz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225472/original/file-20180629-117374-3p6bz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Jeff Bezos, fondateur et patron d’Amazon.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/docsearls/4863741414/in/photolist-735peT-jym8t7-FZQAry-XEdTE1-h7xo85-4k3Cie-bbfmTD-fE3Q5q-8V2rb1-ain94F-5yXoVD-A8zQK-h2zWi4-fF2cP8-aiBjRQ-nqSkxL-5VAkH6-26B9g8s-aBky3-8pMWSA-8V2rf5-fDt6W8-fFfrNo-5p7sZD-22LnjLe-ci5BKj-fNpw6b-gVNKQj-27awsW1-72wMFA-52F2cN-5uHbZa-gmRwxZ-5WGaYg-73AWrR-72sFxM-7JX2Ha-VjQJkC-76HSVL-WoC7Rv-71s2eW-WwKESY-w6PZh-5VAjHc-WAkxtH-fJPs3v-hvCPPE-6oRQo3-71rZwE-8gWSBa">Doc Searls/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Commençons par un rappel des mensurations d’Amazon. Poids : près de 200 milliards de dollars de recettes annuelles. Masse : 760 milliards de dollars de capitalisation boursière, la plus élevée au monde derrière Apple mais devant Google. Surface : 140 km<sup>2</sup> d’entrepôts et centres logistiques, soit l’étendue de Paris et Lyon réunies. Débit respiratoire journalier : 1,6 million de paquets expédiés. Nombre de bras et cerveaux : plus de cinq cent mille employés – quatre fois moins quand même que son concurrent Walmart, la chaîne de supermarchés américaine.</p>
<h2>Les couches-culottes de la vengeance</h2>
<p>Poursuivons par une histoire de couches-culottes. Il était une fois une start-up nommée Quidsi à croissance hyper rapide dans le commerce électronique de produits pour bébé. Son site Diapers.com attire les jeunes ménages américains de la Côte Est qui y trouvent lingettes, couches et lait en poudre à se faire livrer sans frais à la maison. Approchée par Amazon, le petit poucet refuse de se faire avaler tout cru.</p>
<p>Peu de temps après, l’<a href="https://www.amazon.com/Everything-Store-Jeff-Bezos-Amazon-ebook/dp/B00BWQW73E">histoire veut</a> que l’ogre de Seattle se fâche tout rouge et se venge : ristourne de 30 % sur les couches-culotes pour les clients qui s’engagent à les lui commander chaque mois ; lancement d’Amazon Mom avec une année gratuite de livraison sous deux jours pour les produits pour bébé, etc. Selon Quidsi, ce n’est pas moins de 100 millions de dollars de perte trimestrielle sur les seules couches à laquelle <a href="https://www.amazon.com/Everything-Store-Jeff-Bezos-Amazon-ebook/dp/B00BWQW73E">Amazon alors consent</a>.</p>
<p>Le temps passe. La croissance de Diapers.com s’essouffle tandis que les ventes de son concurrent gonflent ; le soutien des investisseurs pour Quidsi faiblit ; Amazon revient à la charge et Quidsi accepte de se faire gober pour 545 millions de dollars. Quelques années plus tard Amazon fermera Diapers.com et les <a href="https://www.recode.net/2017/3/29/15112314/amazon-shutting-down-diapers-com-quidsi-soap-com">autres sites de Quidsi</a>.</p>
<p>Sachez qu’entre temps, Marc Lore, le co-fondateur de Quidsi, s’est lancé dans une autre aventure. Après une période passée chez Amazon, il fonde un distributeur généraliste sur Internet, qu’il revendra cette fois à Walmart. Il y dirige aujourd’hui la branche e-commerce, concurrente frontale d’Amazon. La fin de cette nouvelle histoire n’est pas encore connue.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/225475/original/file-20180629-117440-118zaxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225475/original/file-20180629-117440-118zaxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225475/original/file-20180629-117440-118zaxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225475/original/file-20180629-117440-118zaxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225475/original/file-20180629-117440-118zaxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225475/original/file-20180629-117440-118zaxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225475/original/file-20180629-117440-118zaxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225475/original/file-20180629-117440-118zaxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une affaire sérieuse.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/10173994805/ecd9e1aaff/">BoogaFrito/VisualHunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>Tenir tête à Amazon coûte cher…</h2>
<p>La morale de cette affaire de couches-culottes va de soi : il ne fait pas bon être concurrent d’Amazon du fait de sa taille. <a href="https://www.yalelawjournal.org/note/amazons-antitrust-paradox">Pour certains</a>, l’entreprise de Seattle s’est comportée en véritable prédateur, un comportement normalement sanctionné par le droit de la concurrence. Prix cassé, marge sacrifiée et même vente à perte, le tout aboutissant à l’élimination d’un concurrent, puis une remontée des prix et des conditions d’achat moins favorables aux consommateurs.</p>
<p>Pour d’autres, il ne faut rien voir d’autre qu’une stratégie d’intimidation un peu limite et une politique commerciale un tantinet agressive. De plus, pas de signes évidents d’avantages moindres aux consommateurs. Après examen approfondi l’Autorité de la concurrence américaine a d’ailleurs donné son aval au rachat de Quidsi par Amazon, considérant ainsi qu’il ne mettrait pas à mal la concurrence et ne porterait pas préjudice aux consommateurs. Faute de connaissance suffisamment détaillée du dossier, acceptons ici le verdict de la loi et poursuivons.</p>
<h2>… être référencé chez Amazon aussi !</h2>
<p>Il convient en effet d’ajouter qu’il ne fait pas non plus toujours bon être un vendeur partenaire d’Amazon, toujours et encore du fait de sa taille. Attention, si vous n’êtes pas un spécialiste de la distribution, une précision de vocabulaire s’impose. Restons dans les produits pour bébé pour l’apporter. Amazon vend des couches sous <a href="https://www.amazon.com/s/ref=nb_sb_ss_i_1_9?url=search-alias%3Dbaby-products&field-keywords=mama+bear+diapers&sprefix=mama+bear%2Cundefined%2C213&crid=2WRGBG80X4PEW">sa marque propre Mama Bear</a>, revend des Pampers et autres Lillydoo, et enfin sert de vitrine à des fabricants et commerçants spécialisés.</p>
<p>Vous avez là trois cas de figure que l’on rencontre communément dans la distribution, qu’elle soit physique ou numérique.</p>
<ul>
<li><p>Cas n°1 : l’intégration partielle à l’amont quand le distributeur définit les caractéristiques du produit et est propriétaire de la marque sous laquelle il est vendu. Pensez aux produits Carrefour ou Monoprix.</p></li>
<li><p>Cas n° 2, le plus courant : le distributeur agit en revendeur de produits achetés à des tiers, les couches Pampers de Procter & Gamble, par exemple.</p></li>
<li><p>Cas n°3 : le distributeur est une place de marché, pur intermédiaire entre les vendeurs et les acheteurs de son site ou de son magasin – les coins Apple de la Fnac ou les corners des marques de parfum au rez-de-chaussée des grands magasins.</p></li>
</ul>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/225471/original/file-20180629-117385-15z4lu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225471/original/file-20180629-117385-15z4lu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225471/original/file-20180629-117385-15z4lu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=350&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225471/original/file-20180629-117385-15z4lu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=350&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225471/original/file-20180629-117385-15z4lu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=350&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225471/original/file-20180629-117385-15z4lu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=440&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225471/original/file-20180629-117385-15z4lu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=440&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225471/original/file-20180629-117385-15z4lu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=440&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dans un entrepôt Amazon, en 2014.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/eager/16109372026/in/photolist-qxwK4y-5W6Eh8-7ACEC-qifejw-dKBMfV-VmKzzZ-Vj4zGA-4prcp-bJsTcF-6o1Vmn-jzqmgN-Vj4zvo-5JNnEK-dY5udY-6awutw-24tXtuQ-rt5tZ9-Vuc8MQ-4BbskJ-puJrz1-eaDJXK-7tayh5-bQtarn-64Tj5-aCRKxg-a8igNZ-o4Aoyb-9iA5gD-LsMGs3-7eMLf-ebgm97-r23NMJ-XgPpUF-XN48Pw-YgNKUK-fDUJfU-YrsRzN-9iA7vT-nm11JE-qw7KVs-28oqdzw-qijPh9-jzpnnL-iqj9qp-3bPAcx-369cnt-gGEkEQ-mBHXqF-39NWY9-WAkcRB">準建築人手札網站 Forgemind ArchiMedia/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<h2>Un revendeur et une place de marché</h2>
<p>Amazon connaît ces trois situations. En particulier, elle est à la fois un revendeur et une place de marché. Historiquement, elle n’était d’ailleurs qu’un revendeur de livres, puis de quelques autres produits. Aujourd’hui, le <a href="https://www.sellbrite.com/blog/how-does-amazon-make-money/">cinquième des recettes des ventes d’Amazon</a> est réalisé par des vendeurs tiers, ou partenaires, qui lui versent une commission. Ils représentent néanmoins la moitié du nombre de transactions, c’est-à-dire qu’un produit sur deux vendus sur le site d’Amazon <a href="https://www.statista.com/statistics/259782/third-party-seller-share-of-amazon-platform/">n’a pas été acheté par Amazon</a>.</p>
<p>Pourquoi tant insister sur ce distinguo ? Parce qu’il est fondamental sur le plan économique.</p>
<p>En premier lieu, <strong>la place de marché se caractérise par des économies de réseaux bien particulières</strong> : plus il y a de vendeurs-partenaires présents sur le site, plus c’est intéressant pour les consommateurs d’y aller faire ses emplettes et, réciproquement, plus il y a de visiteurs du site, plus il est intéressant d’y être présent comme vendeur. C’est le fameux mécanisme à l’œuvre dans l’économie des plates-formes et de leurs marchés raflés par un seul ou quelques uns (voir ma <a href="https://theconversation.com/apple-contre-google-comprendre-leconomie-des-applications-1-63902">chronique sur Android et iOS</a>). Le distributeur-revendeur, quant à lui, n’est pas une plate-forme ou encore dans le jargon des économistes, un marché biface.</p>
<p>En second lieu, <strong>les risques ne sont pas les mêmes</strong>. Le revendeur a acheté le produit. S’il ne le vend pas tant pis pour lui. Il peut néanmoins en baisser le prix, voire le brader pour le sortir de son stock, car c’est lui qui le fixe, contrairement au cas de la plate-forme qui agit seulement comme intermédiaire. Pour faire court, passer un contrat d’achat auprès d’un fournisseur pour revente ou un contrat de partenariat pour vente sur sa place de marché cela change tout. La théorie économique, dite justement <a href="https://www.nobelprize.org/nobel_prizes/economic-sciences/laureates/2016/advanced-economicsciences2016.pdf">des contrats</a>, montre comment ces deux options diffèrent en termes de risques, d’incitations et d’investissements.</p>
<h2>Une stratégie évolutive</h2>
<p>Du coup, la décision pour une entreprise de se positionner comme revendeur ou comme place de marché est stratégique. Selon les produits, Amazon décide d’occuper tantôt l’une tantôt l’autre pour des raisons assez bien modélisées (voir appendice). Son choix d’agir en distributeur-revendeur est en particulier privilégié si les produits sont populaires. Par exemple, les DVD à succès sont le plus souvent achetés puis revendus par Amazon tandis que ceux dont la demande est modeste sont plus fréquemment vendus par <a href="https://pubsonline.informs.org/doi/abs/10.1287/mnsc.2014.2042">des partenaires tiers</a>.</p>
<p>De façon plus intéressante encore, on observe que la position d’Amazon n’est pas figée dans le temps. L’entreprise de Seattle peut décider de se mettre à revendre tel ou tel produit qui était seulement auparavant vendu sur sa place de marché par des tiers.</p>
<p>Cette entrée d’Amazon sur les plates-bandes de ses partenaires a fait l’objet d’une étude économétrique captivante. Ses auteurs ont observé qu’en dix mois de temps 3 % des produits vendus par des tiers ont connu une telle évolution. Une sélection qui n’est nullement le fait du hasard. Les produits concernés par l’entrée d’Amazon se caractérisent par des prix plus élevés, une demande plus forte ainsi qu’une meilleure notation des consommateurs. En d’autres termes, Amazon s’intéresse aux marchés qui lui permettent d’espérer capter le plus de valeur.</p>
<p>Ce qui est confirmé par deux autres résultats.</p>
<p>Primo, l’entrée d’Amazon est plus probable pour les produits dont les coûts de livraison sont faibles. Logique, car en tant que revendeur Amazon propose des conditions de livraison très favorables à ses clients mais très coûteuse pour elle (voir plus bas). Une entrée sur un produit dont le ratio prix/coût de livraison est faible a peu de chances de lui être profitable.</p>
<p>Secundo, l’entrée d’Amazon est moins probable pour les produits dont elle s’occupe déjà du stockage, de l’empaquetage et de la livraison. Pour ces produits l’équilibre coûts/bénéfices d’Amazon est différent puisque son entrée entraîne la perte des recettes que son partenaire lui verse pour ces services en plus de la perte de sa commission de place de marché.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/225469/original/file-20180629-117440-d3b37o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225469/original/file-20180629-117440-d3b37o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225469/original/file-20180629-117440-d3b37o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225469/original/file-20180629-117440-d3b37o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225469/original/file-20180629-117440-d3b37o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225469/original/file-20180629-117440-d3b37o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225469/original/file-20180629-117440-d3b37o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225469/original/file-20180629-117440-d3b37o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’arrivée des colis…</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/publicresourceorg/4245550588/">Public.Resource.Org/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Privilégier la croissance sur le profit</h2>
<p>L’étude montre enfin que l’entrée d’Amazon sur les plates-bandes de ses partenaires les décourage plutôt de poursuivre. Ils sont en moyenne plus nombreux à cesser leur vente que les partenaires non concurrencés par Amazon et réduisent le nombre de produits qu’ils proposent sur sa place de marché. En revanche, l’entrée d’Amazon ne se traduit pas par une augmentation du prix pour les produits qu’elle offre désormais en tant que revendeur. Elle se traduit même par une croissance de la demande, car les clients bénéficient alors pour ces produits d’une livraison meilleure marché qu’auparavant. En d’autres termes, l’ogre Amazon ne semble pas chercher à profiter de la situation au détriment des consommateurs. Rien d’étonnant puisqu’il privilégie la croissance sur le profit (voir <a href="https://www.statista.com/chart/4298/amazons-long-term-growth/">figure</a> ci-dessous).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/224706/original/file-20180625-19382-4xy454.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/224706/original/file-20180625-19382-4xy454.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/224706/original/file-20180625-19382-4xy454.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/224706/original/file-20180625-19382-4xy454.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/224706/original/file-20180625-19382-4xy454.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/224706/original/file-20180625-19382-4xy454.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/224706/original/file-20180625-19382-4xy454.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Inutile de dire que le choix sélectif d’entrée d’Amazon s’appuie sur une masse de données et leur traitement intelligent. Amazon connaît tout ou presque sur les ventes de ses partenaires et de leurs produits : prix, volumes, destinations, conditions et coûts de livraison, notations des clients, etc. Comme le dit un ancien de ses directeurs :</p>
<blockquote>
<p>« Si vous ne connaissez rien du business, lancez-le sur la place de marché, attirer les vendeurs, observez ce qu’ils font et ce qu’ils vendent, comprenez-le et ensuite, <a href="https://www.amazon.com/Everything-Store-Jeff-Bezos-Amazon-">entrez ou non</a>. »</p>
</blockquote>
<p>Voilà pour le système digestif de l’ogre Amazon. Pour connaître son appareil circulatoire d’expédition de colis dans le monde entier, voir ma prochaine chronique « Amazon le dragon ».</p>
<hr>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/225476/original/file-20180629-117377-1ar3h1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225476/original/file-20180629-117377-1ar3h1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225476/original/file-20180629-117377-1ar3h1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225476/original/file-20180629-117377-1ar3h1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225476/original/file-20180629-117377-1ar3h1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225476/original/file-20180629-117377-1ar3h1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225476/original/file-20180629-117377-1ar3h1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225476/original/file-20180629-117377-1ar3h1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Amazon, au tableau !</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/kodomut/5145351675/in/photolist-8QFgMV-254Ku1v-6VJ5wM-8UKP3k-9jvmE7-bppT9x-9jvmxE-eDwCkh-bpohge-stZBDG-6xnjwR-bpoyEM-fKCAA5-arPh5j-6YTeVr-6YTLTt-bxjiEp-6YTxfR-fozJek-6YTxFc-6YXy1L-bpod2M-bpoj7T-8QFvM4-c1zkUY-bpqs8a-bpoJHR-4pQAv7-5WHVB-bpoWop-4pQ9YN-6YTe86-cHtnJb-FZhgr-bpoDDt-bporkK-bpoRLD-6YThh4-67x5BA-njNeXA-ppnSLi-4pQbh3-6YXhWb-PDkUv-5zGavU-bpqrEr-7jmEVc-bppRgH-5aEZWJ-6sgD6Q">Zhao !/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><strong>Appendice : Jouer au marchand : choisir d’être intermédiaire ou revendeur ?</strong></p>
<p>Le revendeur est le propriétaire des biens qu’il commercialise tandis que l’intermédiaire n’est pas propriétaire des biens commercialisés sur sa place de marché. Ainsi un contrat entre un intermédiaire et un vendeur qui passe par son entremise peut spécifier toute une série de conditions, par exemple la façon d’exposer le produit et de le promouvoir. Mais si le monde change de façon imprévue, c’est le vendeur qui aura le dernier mot dans la renégociation de l’accord, car il détient un droit de contrôle résiduel. À l’inverse, un contrat entre un fournisseur et un revendeur peut aussi spécifier toute une série de conditions mais si le monde change c’est le revendeur qui aura le dernier mot, car il détient ce droit de contrôle résiduel.</p>
<p>Cette différence a inspiré deux économistes américains dans un article fort justement intitulé <a href="https://pubsonline.informs.org/doi/abs/10.1287/mnsc.2014.2042">« Marketplace or reseller ? »</a>. Leur modèle décrit la situation suivante. Un commerçant qui peut opter pour le rôle de revendeur ou d’intermédiaire assure la commercialisation de différents biens de différents producteurs. Le contrat qui les lie possède un trou en matière d’activités marketing. Il ne précise pas par exemple à l’avance quel est l’espace d’exposition qui convient le mieux au produit ou encore si la promotion doit insister le plus sur la marque ou sur les performances du produit. Les parties ne disposent pas en effet de toutes les informations utiles avant de signer le contrat et leurs engagements en matière d’efforts de marketing seraient de toute façon difficiles à vérifier après sa signature.</p>
<p>Le modèle permet de prédire que la figure du revendeur s’impose sur celle de l’intermédiaire pour les produits dont le marketing affecte positivement ou négativement la demande d’autres produits, pour les produits pour lesquels le distributeur est mieux informé sur les efforts de marketing à réaliser, pour les produits dont le distributeur dispose d’un coût variable en marketing plus bas et enfin pour les produits populaires. Ces prédictions sont discutées pour comprendre les décisions d’Amazon d’acheter pour revendre ou d’offrir ses services à des tiers. La dernière d’entre elles a été testée dans le cas des DVD. Les auteurs ont observé que 36 % des titres sont revendus par Amazon et 64 % par des tiers. Mais pour les titres très peu vendus les pourcentages deviennent respectivement 12 % et 88 %. De même, le classement médian, est de 355 793 pour les DVD revendus par Amazon contre 812 332 vendus par les tiers.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98896/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Le laboratoire de François Lévêque reçoit des aides à la recherches de nombreuses entreprises, notamment au cours des 5 années passées d’EDF, Microsoft et Philips. Par ailleurs, François Lévêque est Conseiller de référence chez Deloitte France.</span></em></p>Plongée dans la stratégie de développement et le système digestif de l'ogre.François Lévêque, Professeur d’économie, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/960852018-05-14T20:14:53Z2018-05-14T20:14:53ZLe prix des noces : jamais assez cher et pourtant toujours trop cher<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/218793/original/file-20180514-178749-160ufeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=42%2C16%2C5557%2C3715&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour qui la plus grosse part du gâteau de mariage ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/photo/912/wedding-cake-with-raspberries-and-figurines/">VisualHunt</a></span></figcaption></figure><p>L’amour n’a pas de prix. Mais il y a un prix à payer à ne pas mettre de prix à l’amour. Les planificatrices de mariage et les directeurs de pompes funèbres le savent fort bien. Face à ces événements, joie et peine se confondent pour dépenser sans économie. Ce qui fait justement des cérémonies du mariage et de l’enterrement un sujet d’économie. Au début de la pleine saison des noces, contentons-nous du mariage dans la chronique d’aujourd’hui.</p>
<p>Dès lors qu’elle est étiquetée « de mariée », une robe se vend beaucoup plus chère. Quatre fois plus chère même <a href="https://www.washingtonpost.com/news/wonk/wp/2016/06/21/dont-buy-a-wedding-dress-for-your-wedding/?utm_term=.f9b18476cce6">selon une étude américaine</a>. Il en est de même pour les demoiselles d’honneur. Une robe comparable pour petite fille mais sans référence à une cérémonie nuptiale est deux fois moins chère.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/218796/original/file-20180514-178757-lvyyfe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/218796/original/file-20180514-178757-lvyyfe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/218796/original/file-20180514-178757-lvyyfe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/218796/original/file-20180514-178757-lvyyfe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/218796/original/file-20180514-178757-lvyyfe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/218796/original/file-20180514-178757-lvyyfe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/218796/original/file-20180514-178757-lvyyfe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/218796/original/file-20180514-178757-lvyyfe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La plus belle robe…</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/photo/189951/">VisualHunt</a></span>
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<p>Ces écarts de prix sont considérables. Ils sont en partie dus à des biais méthodologiques de l’étude elle-même (sélection des produits comparables, données de vente en ligne uniquement, etc.) mais ils reflètent bien une constante : à événement unique (en principe), prix exceptionnel. L’observation vaut en effet pour d’autres prestations. Un traiteur ne proposera pas le même prix s’il est sollicité pour une noce ou pour une cérémonie d’anniversaire ou même une première communion.</p>
<h2>À événement unique, prix exceptionnel</h2>
<p>La référence au mariage produit un gonflement du prix car elle annonce que les acheteurs sont prêts à payer cher. Et ils sont prêts à payer cher car il s’agit d’une cérémonie d’exception, chargée d’émotion et appelée à marquer les esprits, voire à signaler sa richesse et témoigner de son rang par des dépenses ostentatoires. En mesure de distinguer les futurs mariés des autres acheteurs, les vendeurs peuvent pratiquer des prix différents et s’assurer ainsi un plus grand profit.</p>
<p>Cette discrimination par les prix s’étend même au sein de la clientèle des mariés. Une publicité américaine des années 1980 de De Beers, le géant sud-africain du diamant, montre le visage d’une femme et sa main portant une bague de fiançailles assortie de la phrase « Deux mois de salaire ont montré à Mme Smith à quoi ressemblera le futur ». Une variante donnera le slogan « Comment faire durer deux mois de salaire pour toujours ».</p>
<p>C’est une façon maligne de faire choisir des bagues serties de diamant plus chères à ceux dont les revenus sont plus élevés. Chacun peut facilement calculer le montant qui lui correspond et se sentir pingre en deçà et généreux au-delà. De plus, l’équivalence au salaire n’est pas la même partout. Au Japon, la réclame affiche trois mois de paye. Pour des raisons que j’ignore mais qui doivent être fondées, De Beers a considéré que les fiancés japonais étaient prêts à dépenser plus que leurs homologues américains.</p>
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<span class="caption">Un diamant, bien sûr…</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/photo/191327/">VisualHunt</a></span>
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<p>La publicité auprès des demoiselles Smith entre bien sûr en écho avec un autre slogan de De Beers, plus ancien puisqu’il date de 1947, « A diamond is forever ».</p>
<p>On prête d’ailleurs souvent à ce dernier la tradition qui s’établit aux États-Unis à partir de la Seconde Guerre mondiale d’offrir un diamant à sa future épouse. Avant-guerre, 10 % des bagues de fiançailles sont serties de cette pierre précieuse. La proportion est passée à 60 % à la <a href="https://www.washingtonpost.com/news/wonk/wp/2016/06/21/dont-buy-a-wedding-dress-for-your-wedding/?utm_term=.f9b18476cce6">fin du siècle</a>. Ce succès est dû à un marketing particulièrement efficace mais aussi à la baisse du prix du diamant brut liée à une surcapacité minière, surcapacité que De Beers a cherché à contrecarrer par ce nouveau débouché.</p>
<p>Une étude économétrique de Margaret Brinig de l’Université de Notre Dame (Indiana) a montré qu’une modification légale aux États-Unis a également joué un rôle déterminant. À partir des années 1930 le droit accordé aux fiancées d’obtenir réparation en cas de rupture de l’engagement de leur promis s’éteint progressivement. Constatant que la demande pour les diamants augmente au fur et à mesure de cet abandon, l’économiste américaine suppose que la bague de valeur a alors servi de gage remplaçant la protection dont auparavant les fiancées bénéficiaient.</p>
<h2>Douze mois de préparatifs et 44 tâches</h2>
<p>Les coûts de recherche de l’information sont une autre cause du prix élevé des noces car ils limitent la possibilité de faire jouer la concurrence entre les fournisseurs (voir appendice). En effet, les tarifs des différentes prestations ne sont pas d’emblée affichés et sont difficilement comparables d’un fournisseur à l’autre. Pas facile par exemple de juger quel traiteur propose le prix le plus bas à qualité égale car les menus sont différents. Bisque de homard ou bouchée à la reine en entrée ?</p>
<p>Idem pour choisir l’animateur musical le moins cher car leur talent, leur sono et leurs horaires ne sont pas les mêmes. Les futurs mariés se lassent vite dans cette quête. D’autant qu’il ne s’agit pas seulement de trouver un lieu, un traiteur et un DJ pour la fête. Il faut aussi choisir les faire-part, les fleurs, le photographe, les habits de cérémonie, les petits cadeaux aux invités, etc.</p>
<p>En 1959, le magazine américain <em>Brides</em> conseillait aux couples de consacrer deux mois pour organiser leur mariage et suggérait une <em>check-list</em> comprenant 22 choses à faire. Trente années plus tard, la recommandation du même magazine est passée à 12 mois de préparatifs et <a href="https://www.ucpress.edu/book.php?isbn=9780520240087">44 tâches</a>. Il est vrai qu’il vaut mieux s’y prendre à l’avance car la saisonnalité du mariage est aujourd’hui <a href="https://www.cairn.info/revue-population-2016-4-page-719.html">plus marquée</a>.</p>
<p>En France, six mariages sur dix ont lieu entre juin et septembre. Même le mois de mai voit plus de mariages aujourd’hui qu’en automne et hiver alors qu’il était autrefois le mois le plus creux de l’année par dévotion à la Vierge Marie. C’est le calendrier solaire et scolaire qui dicte désormais la date des noces. Sauf en basse saison, il est devenu quasiment impossible de réserver un lieu pour recevoir ses invités en s’y prenant seulement quelques mois auparavant.</p>
<h2>Chercher le meilleur (fournisseur) a un coût</h2>
<p>Internet et Google ont pourtant fait baisser les coûts de recherche. Fini ou presque de devoir visiter un à un de nombreux lieux de réception avant de trouver le bon. Leur site avec photos sous tous les angles, vidéos des salles et vues du ciel, avis et classements des clients précédents font gagner un temps précieux pour opérer la sélection finale. Mais le mariage étant une activité de sur-mesure auprès d’un grand nombre de différents prestataires, il n’existe pas de plate-forme tout-en-un agrégeant les prix et indexant les qualités. Il faut donc cliquer et encore cliquer.</p>
<p>Un seul clic suffit pour entrer chez Amazon en tapant <a href="https://www.amazon.fr/s/ref=lp_2308890031_st?rh=n%3A340855031%2Cn%3A%21340856031%2Cn%3A436564031%2Cn%3A2308888031%2Cn%3A2308890031&qid=1524649615&_mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85Z%C3%95%C3%91&sort=price-desc-rank">« robe de mariage »</a> mais il ouvre sur 10 000 références avec photo du produit et lien du vendeur. Il faut aussi naviguer de longues heures à la recherche d’inspiration avant de découvrir la prestation originale dont tout le monde se souviendra. Trouver par exemple le site de <a href="https://hitchandpooch.co.uk">Hitch and Pooch</a> qui aide à dresser le chien des mariés pour porter les alliances.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/218803/original/file-20180514-133183-i4ubbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/218803/original/file-20180514-133183-i4ubbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=254&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/218803/original/file-20180514-133183-i4ubbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=254&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/218803/original/file-20180514-133183-i4ubbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=254&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/218803/original/file-20180514-133183-i4ubbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=320&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/218803/original/file-20180514-133183-i4ubbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=320&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/218803/original/file-20180514-133183-i4ubbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=320&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Choisir le chien qu'il faut…</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.johnhopephotography.com">John Hope</a></span>
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<p>Afin de gagner du temps, vous pouvez bien sûr faire appel à un organisateur de mariage. L’aide d’un <em>wedding planner</em> est devenu la règle aux États-Unis, mais reste encore <a href="https://creamariage.com/2016/09/30/le-mariage-en-chiffres-onvousdittout/">marginale en France</a>.</p>
<p>Il n’est cependant pas dit qu’une information encore plus claire et plus commodément accessible sur les prix les fasse beaucoup baisser. Les prestations de mariage se rangent dans la catégorie des biens économiques dits d’expérience, c’est-à-dire dont la qualité se révèle seulement après leur achat. Pour ces biens (voir ma <a href="https://theconversation.com/quatre-seances-de-degustation-economique-du-vin-60032">chronique sur le vin</a>) les consommateurs ont tendance à se tourner vers les produits les plus chers, le prix signalant la qualité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/218806/original/file-20180514-133183-kys1gl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/218806/original/file-20180514-133183-kys1gl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/218806/original/file-20180514-133183-kys1gl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/218806/original/file-20180514-133183-kys1gl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/218806/original/file-20180514-133183-kys1gl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/218806/original/file-20180514-133183-kys1gl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/218806/original/file-20180514-133183-kys1gl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un repas inoubliable.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/photo/257793/">VisualHunt</a></span>
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<h2>Un coût moyen de 12 000 euros</h2>
<p>Mises bout à bout les prestations pour un mariage s’élèvent en moyenne à 12 000 euros en France, le double au Japon et le triple aux États-Unis. Avec bien sûr à chaque fois une très grande dispersion dans la moitié haute de la fourchette. Par exemple de l’autre côté de l’Atlantique près d’une noce sur deux est à moins de 10 000 de dollars et une sur cent à plus de 100 000 de dollars.</p>
<p>Et vous qui vous marriez cet été ou le prochain quel est votre budget ? Je n’ai pas de conseils à vous donner même si une <a href="https://econpapers.repec.org/article/blaecinqu/v_3a53_3ay_3a2015_3ai_3a4_3ap_3a1919-1930.htm">étude publiée</a> dans <em>Economic Inquiry</em> conduirait à penser que le taux de divorce augmente avec les dépenses.</p>
<p>Soyons précis : pour un effectif de 3 000 personnes mariées ou divorcées résidant aux États-Unis et ayant accepté de répondre à un questionnaire sur Internet moyennant la rétribution de quelques dollars, l’article montre que les hommes qui ont dépensé entre 2 000 et 4 000 de dollars pour la bague de fiançailles ont 1,3 fois plus de chances de divorcer que ceux qui ont offert une bague entre 500 et 2 000 de dollars et les femmes qui ont célébré un mariage a plus de 20 000 de dollars ont 3,5 fois plus de chances de divorcer que celles dont le mariage a coûté entre 5 000 et 10 000 de dollars.</p>
<p>Attention, ne décidez pas de réduire votre budget pour réduire votre exposition au risque de divorce. En premier lieu, les résultats peu robustes de cette étude ne sont pas généralisables. En second lieu, rappelez-vous qu’un lien de corrélation n’est pas un lien de causalité. Il peut y avoir des variables cachées derrière certains montants du budget même si les auteurs de l’étude ont pris en compte de nombreux autres facteurs comme le revenu, l’âge, la région de résidence, l’écart de niveau d’éducation entre les conjoints, etc.</p>
<p>Enfin, même si les résultats étaient robustes et la causalité établie, vous réduiriez plus fortement votre risque d’exposition au divorce par d’autres décisions comme aller plus souvent à l’église, partir en lune de miel, ou patienter plus longtemps avant de demander la main de votre ami·e.</p>
<p>En tout état de cause, si, comme moi, vous êtes à la noce dans les mois qui viennent, je vous souhaite une fête réussie (pourvu qu’il fasse beau !).</p>
<hr>
<p><em>François Lévêque vient de publier <a href="https://bit.ly/2IHsGfO">« Les habits neufs de la concurrence : ces entreprises qui innovent et raflent tout »</a> aux éditions Odile Jacob.</em></p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/218807/original/file-20180514-178764-1jjgpv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/218807/original/file-20180514-178764-1jjgpv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/218807/original/file-20180514-178764-1jjgpv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/218807/original/file-20180514-178764-1jjgpv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/218807/original/file-20180514-178764-1jjgpv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/218807/original/file-20180514-178764-1jjgpv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/218807/original/file-20180514-178764-1jjgpv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/218807/original/file-20180514-178764-1jjgpv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Pourvu que le temps soit de la partie…</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/photo/99852/">VisualHunt</a></span>
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<h2>Appendice : <em>diamond paradox</em> et stratégies d’offuscation</h2>
<p>Attention à la méprise, le nom de ce paradoxe n’a aucun lien avec le diamant des bagues de fiançailles. Il s’agit du nom de son découvreur, Peter Arthur Diamond. La Banque de Suède lui a décerné son prix 2010 en sciences économiques pour ses travaux sur les coûts de recherche, ces coûts qui incombent aux consommateurs ou encore aux chercheurs d’emploi pour trouver chaussure à leur pied. <a href="http://cemi.ehess.fr/docannexe/file/2360/diamond.pdf">Son paradoxe</a> peut se résumer ainsi : en présence d’un coût de recherche même très faible et d’un nombre de producteurs même très grand le prix d’équilibre du marché est égal au prix de monopole.</p>
<p>En d’autres termes, il suffit d’un minuscule frottement dans le marché lié à la recherche d’information pour que le prix, au lieu d’être égal au coût marginal comme en concurrence parfaite, bondisse au niveau le plus défavorable qui soit aux consommateurs et le plus favorable qui soit aux producteurs. Dans le modèle élaboré par Diamond les consommateurs en réalité ne cherchent pas. Ils s’adressent au premier fournisseur venu et n’en cherchent pas d’autres car ils savent que l’équilibre du jeu correspond à un prix unique. Ils n’ont alors dans ces conditions aucun intérêt à aller voir ailleurs en faisant un effort qui leur coûte même si ce coût est proche de zéro.</p>
<p>Il n’est évidemment pas réaliste de penser qu’un grain de poussière puisse ainsi faire basculer le marché de la concurrence la plus intense à son absence totale. Intuitivement, on s’attendrait plutôt à une progression : plus la recherche du prix est difficile (i·e, coûteuse) pour les consommateurs, moins la concurrence est intense.</p>
<p>C’est justement <a href="https://www.jstor.org/stable/1827927?seq=1#page_scan_tab_contents">à quoi aboutit un jeu</a> dans lequel deux catégories de consommateurs sont introduites, ceux qui aiment le shopping à qui on attribue donc un coût de recherche négatif (i·e, un gain) et ceux que ça barbe à qui on attribue un coût de recherche positif. À l’équilibre, les fournisseurs offrent des prix différents et seuls les clients qui aiment magasiner en ville ou sur Internet enquêtent sur les prix, les autres passent commande auprès du premier venu.</p>
<p>Naturellement, les entreprises peuvent sciemment rendre plus coûteuse la recherche par les consommateurs, rendre leur prix plus opaque. Annoncer sur son site « Nous consulter pour le prix », le signaler en tout petit à la fin d’un prospectus, ou encore proposer une multitude d’offres d’abonnement différentes mais très proches. Ces stratégies d’offuscation ont été nommées ainsi et modélisés par <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.3982/ECTA5708">Sara et Glenn Ellison dans un article</a> de la prestigieuse revue <em>Econometrica</em>. Ils enseignent tous deux au MIT et sont mari et femme dans la vie. Ce qui est rare pour des coauteurs économistes. Ils sont d’ailleurs en ce moment à Paris, pas cependant en lune de miel, mais en visite à l’<a href="https://www.parisschoolofeconomics.eu">École d’économie</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/96085/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Le laboratoire de François Lévêque reçoit des aides à la recherches de nombreuses entreprises, notamment au cours des 5 années passées d’EDF, Microsoft et Philips. Par ailleurs, François Lévêque est Conseiller de référence chez Deloitte France.</span></em></p>La référence au mariage produit un gonflement du prix car elle annonce que les acheteurs sont prêts à payer cher.François Lévêque, Professeur d’économie, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.