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Industrilles – The Conversation
2019-01-01T23:29:50Z
tag:theconversation.com,2011:article/109232
2019-01-01T23:29:50Z
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La qualité du travail, clé de la santé et de la performance des travailleurs
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/252169/original/file-20181230-47298-1f5f98k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C0%2C3190%2C2117&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le travail bien fait.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/photo/152892/">Photo on Foter.com</a></span></figcaption></figure><p>« Comme c’est l’usage à cette période, nous vous souhaitons une bonne santé pour l’année qui vient, que favorisera un travail de qualité permettant d’être performant. Car rien n’est plus pathogène que la « performance empêchée » ou une organisation qui n’est pas à l’écoute de ses collaborateurs ».</p>
<p>Du 13 au 20 septembre 2018 a eu lieu à <a href="http://www.ccic-cerisy.asso.fr/travail18.html">Cerisy</a> un colloque consacré au <a href="https://www.la-fabrique.fr/fr/projet/colloque-le-travail-en-mouvement/">Travail en mouvement</a>. Une <a href="https://www.la-fabrique.fr/fr/blog/colloque-cerisy-autonomie-responsabilisation-participation/">table ronde</a> a réuni Yves Clot, professeur émérite de psychologie du travail au CNAM, Jean‑Yves Bonnefond, chercheur dans son équipe, et Bertrand Ballarin, ancien responsable des relations sociales de Michelin et initiateur de la démarche « responsabilisation » du groupe, pour parler d’autonomie et de participation des salariés au sein de nouvelles formes d’organisation du travail.</p>
<p>Les enquêtes de la DARES sont formelles : 35 % des salariés de l’industrie et 36 % de ceux de la fonction publique déclarent ne pas ressentir de fierté dans leur travail et ne se reconnaissent pas dans le travail qu’ils effectuent. La notion de travail « bien fait » et son contraire, l’<a href="https://journals.openedition.org/lectures/1064">impossibilité d’y parvenir</a>, représentent, selon Yves Clot, l’une des questions centrales du travail aujourd’hui. Elles impactent significativement la santé des travailleurs et la perception de leurs conditions de travail. Les salariés réclament de plus en plus d’être parties prenantes des décisions qui concernent leur travail. Lorsque ce « pouvoir d’agir » est empêché, les pathologies apparaissent.</p>
<h2>Qu’est-ce qu’un travail « bien fait » ?</h2>
<p>Or, il n’existe pas dans les entreprises de cadre institutionnalisé pour discuter de ce qu’est un travail « bien fait » ; cela reste le privilège de l’employeur qui détient un pouvoir discrétionnaire sur l’activité de travail dans le cadre du contrat de subordination qu’est le salariat. C’est pourquoi Yves Clot milite depuis longtemps pour la création d’instances de délibération où l’on puisse discuter de la qualité du travail – un concept radicalement différent et autrement plus fondamental que la « qualité de vie au travail » (baby-foot, masseurs, crèches et <em>chief happiness officer</em>) dont il est tant question.</p>
<p>Ces espaces de « dispute professionnelle », comme il aime à les appeler, présupposent une acceptation des « conflits de critères » sur ce qu’est un travail bien fait. La discussion sur la qualité du travail devient alors le chaînon manquant entre santé psycho-physique des travailleurs et performance au sein d’une entreprise « délibérée » bien plus que « libérée ». Car comme le rappelle Yves Clot, « l’autonomie, ce n’est pas la liberté de faire ce que l’on veut, mais celle de co-construire la prescription ».</p>
<h2>Renault Flins institutionnalise la « coopération conflictuelle »</h2>
<p>Comment construire de telles instances de « coopération conflictuelle » dans l’entreprise ? Une expérimentation a été menée à l’usine Renault de Flins par l’équipe de psychologie du travail du CNAM. En deux ans, le dispositif « DQT » – pour Dialogue sur la Qualité du Travail – a été généralisé au sein de cette usine. À la demande de Patrick Pélata, alors directeur général de Renault, l’aventure commence en 2012 à l’unité d’habillage des portes de Flins, raconte Jean‑Yves Bonnefond qui fut au cœur de cette expérimentation. Des situations de travail sur chaîne sont filmées, puis discutées entre les opérateurs, discussions qui sont à leur tour filmées.</p>
<p>Ce matériau filmé est alors présenté et discuté au sein d’un comité de suivi, composé de la direction de l’usine, direction générale et représentants des salariés. Une prise de conscience s’opère : le comité de suivi constate que le renoncement à parler des opérateurs est source de performance gâchée, d’atteinte à la santé, d’absentéisme et de sentiment de défiance. Mandat est alors donné par la direction générale de poursuivre l’expérimentation par un dialogue entre opérateurs et encadrement. Aujourd’hui, 120 opérateurs référents ont été élus par leurs pairs dans toute l’usine. Ils peuvent sortir de la ligne pour remonter aux chefs d’ateliers les problèmes rencontrés dans le travail quotidien et proposer les solutions qu’ils ont imaginées pour y faire face.</p>
<h2>Michelin : « pas de bien-être sans bien-faire »</h2>
<p>Autre exemple : Michelin. À partir de 2004, Michelin déploie son nouveau système <em>lean</em>, le Michelin Manufacturing Way (MMW). C’est une grande réussite avec une standardisation complète des routines, tableaux visuels, chantiers de progrès entre toutes les usines du monde, et 30 % de gains de productivité à la clé. Mais cinq ans plus tard, un constat s’impose : l’état psychologique de la population ouvrière et des agents de maîtrise s’est dégradé, et ces derniers le font bruyamment savoir. « L’âme Michelin s’en est trouvée désagréablement chatouillée » explique Bertrand Ballarin qui fut à l’origine de la démarche de changement. Sans renoncer au MMW, décision est prise de tester immédiatement un nouveau système de responsabilisation des opérateurs et un changement du mode de management sur 38 îlots de fabrication dans plusieurs usines – un îlot, dirigé par un agent de maîtrise, comprend environ 45 personnes divisées en plusieurs équipes de 8 à 12 opérateurs qui se relaient dans l’usine.</p>
<p>Pour Michelin, il s’agit de « travailler » sur la qualité du travail pour redonner aux opérateurs la maîtrise de ce qu’ils font et in fine de fusionner performance et autonomie. Entre les termes autonomie, responsabilité et liberté, l’entreprise a cependant choisi « responsabilisation », ce qui indique que la montée en responsabilité est un processus « accompagné ». Comme l’indique Bertrand Ballarin, la responsabilité, c’est la combinaison de l’<em>empowerment</em> (pouvoir d’agir) et de l’<em>accountability</em> (le fait de rendre des comptes). Si la responsabilité est par nature individuelle car elle ne se dilue pas, le collectif est mobilisé de façon à ne pas laisser l’individu isolé face à sa responsabilité. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles Michelin n’a pas renoncé au management intermédiaire dont le rôle a cependant évolué. L’opérateur se réapproprie de la liberté dans la mise en œuvre des règles et dans la résolution des problèmes via un transfert de compétences, par exemple en maintenance, réglage, sécurité ou qualité. Aux compétences nécessaires pour tenir le poste vient s’ajouter un nouveau domaine d’expertise dont l’opérateur devient référent, ce qui permet aussi de lutter contre la déqualification des métiers.</p>
<p>En définitive, conclut Bertrand Ballarin avec beaucoup d’honnêteté, il ne s’agit pas de renoncer à l’organisation scientifique du travail, ni au principe d’autorité, mais de tempérer et « détartrer » les règles et processus. Une fois la démarche généralisée, le taux d’engagement des cols bleus est passé chez Michelin de 67 à 82 % entre 2013 et 2016, dépassant celui des cols blancs, ce qui est inédit dans une entreprise manufacturière.</p>
<h2>Il ne suffit pas d’écouter, il faut instituer le conflit</h2>
<p>Il ne faudrait cependant pas croire que ces nouvelles formes d’organisation du travail se limitent à « libérer la parole des salariés » ou « à développer les capacités d’écoute des managers ». Conditions sans doute nécessaires, mais certainement insuffisantes. « Il ne suffit pas d’écouter, insiste Yves Clot, il faut instituer le conflit ; il faut former les managers à promouvoir la qualité du travail plutôt qu’à écouter. Les managers sous-estiment souvent les objectifs de performance souhaités par les salariés. Il y a un problème d’efficacité plus que d’écoute ou alors d’écoute pour l’efficacité. C’est parce que les managers ne permettent pas le meilleur fonctionnement de l’organisation que les opérateurs ont du mal-être au travail ».</p>
<hr>
<p><em>L’original de cet article, préparé avec <a href="https://www.cahierandco.com/">Marie-Laure Cahier</a>, a été publié dans le numéro d’octobre de la revue <a href="https://www.andrh.fr/revue-personnel/1/la-revue-personnel-de-landrh"><em>Personnel</em></a> de l’<a href="https://www.andrh.fr/presentation/1/presentation">ANDRH</a>, qui nous a aimablement autorisé à le reproduire ici.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109232/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Thierry Weil reçoit des financements de la Fondation Mines Paristech, reconnue d'utilité publique, qui soutient la recherche et l'enseignement de l'Ecole des mines de Paris, membre de l'Université Paris Sciences et Lettres. Thierry Weil conseille La Fabrique de l'industrie, laboratoire d'idée laboratoire d'idées destiné à susciter et à enrichir le débat sur l'industrie.</span></em></p>
Nous vous souhaitons une bonne santé pour 2019. Une bonne dispute sur que ce qu'est “un travail bien” fait pourra y contribuer !
Thierry Weil, Chaire Futurs de l'industrie et du travail (CERNA, I3, CNRS), Membre de l’Académie des technologies, Mines Paris
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/106956
2018-11-18T21:06:29Z
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Les territoires peuvent-ils se développer s’ils ne sont pas des métropoles ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/246072/original/file-20181118-194488-1svz2w3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C127%2C2330%2C1566&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vitré en Bretagne, un exemple de développement économique hors métropole.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/g-alain/4868496243/in/photolist-8qdjjp-93iSgu-duCFZT-rkfgrS-24XN1Yi-fpTSBp-24XN1Zv-4exfT3-8FDSFk-fD6CEs-X1v6KR-fD6H41-4yTR5L-hzFa2E-2afagmW-dUVY7a-9Dq6gt-4qnWwj-T6PKFj-289oiS1-dgT1LK-UjFCDq-9Gr8ck-HBqDR3-23etbaw-YP3QzJ-fP2EoM-MhnsV-6N8b8T-drfLmY-drfDQz-geYZWg-fCPytM-qcaYEp-bnxYZ2-fTyfN7-8hrjtm-9jDaUc-dCNN2p-4J7Xp1-5LLZhV-4moCLn-U9ug6o-qBGezC-6cKpWf-6cFgJT-fPjcb7-8wh5NX-4cbEUa-65zuqA">@lain G / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le niveau de chômage est l’un des principaux défis adressés aux pouvoirs publics et reste un facteur majeur d’inégalité entre les territoires. Quelles politiques publiques adopter pour créer de l’activité sur les territoires et réduire l’exclusion qui fait le lit des populismes ? C’est un des nombreux sujets abordés lors d’un <a href="http://www.ccic-cerisy.asso.fr/travail18.html">récent colloque</a> de <a href="http://www.ccic-cerisy.asso.fr/">Cerisy</a> sur <a href="https://theconversation.com/profiles/thierry-weil-195113/dashboard#"><em>le travail en mouvement</em></a>. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Olivier_Bouba-Olga">Olivier Bouba-Olga</a> pourfend les modèles uniformisateurs du développement économique territorial et fait l’éloge de la diversité. Un exemple pour illustrer sa thèse : la formidable réussite du pays de Vitré, dirigé depuis 40 ans par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_M%C3%A9haignerie">Pierre Méhaignerie</a>.</p>
<p>Dès qu’il est question de développement économique territorial, « il existe en France une obsession du “modèle” », affirme d’emblée Olivier Bouba-Olga. Il y eut une époque où l’on ne jurait que par le « small is beautiful » : dans les années 1990, le modèle de référence était celui des « districts » italiens, adaptés chez nous à travers la brève expérience des systèmes productifs locaux (SPL). Dans les années 2000, il y eut un engouement pour le modèle porté par la Silicon Valley avec la notion de grappes d’entreprises réunies autour de la technologie, et ce fut alors la naissance des pôles de compétitivité. Aujourd’hui, sous l’influence des travaux de la sociologue <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Saskia_Sassen">Saskia Sassen</a> ou du géographe <a href="http://www.creativeclass.com/richard_florida">Richard Florida</a>, nous sommes entrés dans l’ère de la « métropolisation mondialisée ».</p>
<h2>Se désintoxiquer de la CAME</h2>
<p>Dans une étude réalisée avec Michel Grossetti, Olivier Bouba-Olga dénonce ce qu’il appelle la <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01724699">mythologie CAME</a> pour Compétitivité, Attractivité, Métropoles et Excellence. De quoi s’agit-il ? D’un socle de croyances partagées et peu remises en cause que l’on peut résumer ainsi : « L’approfondissement de la mondialisation soumet l’ensemble des territoires à un impératif de compétitivité. Comme seules quelques métropoles peuvent rivaliser pour attirer les talents et les leaders de demain, il faut les soutenir en concentrant les efforts sur l’excellence ». Malheureusement, aussi séduisante qu’elle paraisse, la CAME ne résiste pas bien à l’épreuve des faits : des grandes villes performent et d’autres sous-performent. Par exemple, Bordeaux, Montpellier, Nantes, Rennes ou Toulouse sont dynamiques en matière d’emploi. Mais d’autres métropoles, comme Nice, Rouen et Strasbourg, ont des résultats en deçà de la moyenne nationale. Sans compter que des territoires non métropolitains, comme Vitré, Vire ou Figeac, sont plus dynamiques que certaines métropoles. Il faut donc, selon Olivier Bouba-Olga, renoncer au mythe de la taille et s’intéresser à la diversité des dynamiques économiques. La spécialisation d’un territoire peut lui donner un réel potentiel de développement, indépendamment de toute métropole.</p>
<p>En plus d’être démentie par les faits, la CAME peut s’avérer dangereuse. Elle conduit à se désintéresser de ce qu’on appelait traditionnellement l’aménagement du territoire – de tout le territoire – pour concentrer les ressources publiques limitées vers quelques lieux (les métropoles) et quelques acteurs (par ex. les start-up, les universités d’excellence, etc.) avec le risque de renforcer les inégalités socio-spatiales. « C’est le risque de ce type de discours performatif, souligne Olivier Bouba-Olga. Il peut finir par convaincre une petite ville ou un territoire rural que “de toute façon, on n’est pas une métropole, donc on n’a aucune chance”. » Mieux vaudrait donc, selon lui, examiner de près les conditions spécifiques à chaque territoire et les aider à <strong>inventer des solutions locales</strong>. Il existe d’ailleurs quelques régularités concernant le développement économique territorial sur lesquelles il est possible d’agir : équiper équitablement les territoires en infrastructures ; tenir compte du fait que le développement économique résulte souvent de politiques ne relevant pas directement du champ économique, comme la formation ou le logement ; décloisonner les institutions (réunir, par exemple, les services de l’emploi et du développement économique) et favoriser la réflexion interterritoriale (identifier les collaborations entre territoires contigus) ; enfin, expérimenter localement, sans vouloir forcément généraliser au niveau national.</p>
<h2>En 1976, le pays de Vitré était en passe d’être rayé de la carte</h2>
<p>Ce n’est pas Pierre Méhaignerie qui démentira cette thèse, lui qui préside depuis 1977 à la destinée du territoire de Vitré en Ille-et-Vilaine (Bretagne), une communauté d’agglomération d’environ 100 000 habitants.</p>
<p>En 1976, Vitré était ainsi décrit dans un rapport de la CFDT : « le pays de Vitré est sous-développé économiquement, socialement et culturellement, il est en <a href="https://livre.fnac.com/a11199690/Gerard-Francois-Dumont-Les-territoires-francais-diagnostic-et-gouvernance-2e-ed-Concepts-methodes-applications?oref=00000000-0000-0000-0000-000000000000&Origin=SEA_GOOGLE_PLA_BOOKS">passe d’être rayé de la carte</a> ». Quarante ans plus tard, Vitré est constamment cité en exemple de réussite économique et sociale : 76 % des actifs entre 15 et 64 ans ont un emploi, soit 10 points de plus que la moyenne nationale ; le taux de chômage est stabilisé autour de 5,1 % ; 42 % des actifs travaillent dans l’industrie ; le civisme fiscal et le bénévolat y sont particulièrement développés. « Nous avons simplement corrigé nos faiblesses dans la mesure de nos moyens » explique, en souriant, Pierre Méhaignerie. Oui, mais encore ? En 1989, lors de la mise en service du TGV, le député-maire obtient un arrêt quotidien pour sa ville – avoir été ministre de l’Équipement, du Logement et de l’Aménagement du territoire a sans doute donné un coup de pouce à ce dossier. Capitalisant sur ce signal fort, l’équipe municipale travaille dans quatre directions : le développement et le soutien à la compétitivité des entreprises, la facilitation de la vie des entreprises et des travailleurs, la revalorisation de la formation professionnelle et du travail manuel, et la réduction de la dépense publique. </p>
<p>Sans entrer dans le détail de toutes les mesures prises, on notera la volonté d’aborder les questions de façon systémique : construction de 30 bâtiments industriels et tertiaires, achat par la mairie des locaux d’entreprises viables, mais fragilisées par une trésorerie insuffisante, regroupement des 10 structures administratives en charge de l’emploi dans une Maison de l’emploi unique, dialogue permanent avec les administrations pour surmonter difficultés et blocages, lutte contre le décrochage scolaire, attention portée à l’aménagement du territoire et à la mobilité régionale, gratuité des transports publics, mise en place d’un système d’aide à domicile pour faciliter l’accès au travail des familles monoparentales, et projet de développement d’une université des métiers.</p>
<p>Pierre Méhaignerie conclut avec optimisme :</p>
<blockquote>
<p>« La politique n’est pas seulement une boîte à outils, elle est guidée par des valeurs. Pour ma part, je me réfère toujours au principe de subsidiarité de Tocqueville, au devoir de vérité de Raymond Aron, à l’interaction entre individu et communauté d’Emmanuel Mounier, aux inégalités efficaces ou inefficaces de John Rawls et à la destruction créatrice de Schumpeter. Les clés de l’avenir sont en nous-mêmes. »</p>
</blockquote>
<hr>
<p><em>Une version proche de cet article, préparé avec Marie-Laure Cahier, est également disponible sur le site de <a href="http://www.metiseurope.eu/peut-on-se-developper-si-l-on-n-est-pas-une-metropole-thinsp_fr_70_art_30761.html"><em>Metis Europe</em></a>.</em></p>
<p><em>Pour en savoir plus : Le colloque « Le travail en mouvement », dirigé par Émilie Bourdu, Michel Lallement, Pierre Veltz et Thierry Weil, a eu lieu du 13 au 20 septembre 2018 au Centre culturel international de Cerisy-la-Salle. Il a été organisé par la <a href="https://www.la-fabrique.fr/fr/projet/chaire-futurs-de-lindustrie-travail-formation-innovation-territoires-fit%C2%B2/">Chaire FIT2</a> de Mines ParisTech, avec le soutien du Bureau international du travail, La Fabrique de l’industrie, la Fondation Gabriel Péri, la Fondation de l’Académie des technologies, la Fondation Veolia et en partenariat avec l’ANDRH. Les actes paraîtront en avril 2019 aux <a href="https://www.pressesdesmines.com/">Presses des Mines</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/106956/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Thierry Weil reçoit des financements de la Fondation Mines Paristech, reconnue d'utilité publique, qui soutient la recherche et l'enseignement de l'Ecole des mines de Paris, membre de l'Université Paris Sciences et Lettres. Thierry Weil conseille La Fabrique de l'industrie, laboratoire d'idée laboratoire d'idées destiné à susciter et à enrichir le débat sur l'industrie.</span></em></p>
Le niveau de chômage est l’un des principaux défis adressés aux pouvoirs publics et reste un facteur majeur d’inégalité entre les territoires.
Thierry Weil, Chaire Futurs de l'industrie et du travail (CERNA, I3, CNRS), Membre de l’Académie des technologies, Mines Paris - PSL
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2018-10-23T21:58:02Z
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2038 : le robot remplace l’homme, mais pas la femme
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/241687/original/file-20181022-105782-1yymvr5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=33%2C33%2C3118%2C1944&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Heavy industry robot.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/photo/145093/">Visualhunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><em>Chaque année, le club d’entreprises <a href="https://www.clubopenprospective.org/">Openprospective</a> et le magazine <a href="https://www.wedemain.fr/">We Demain</a> invitent quelques orateurs à raconter ce qui se passe dans leur domaine dans 20 ans.</em></p>
<p><em>À Saclay, <strong>le 18 octobre 2038</strong>, pour ce troisième <a href="https://www.clubopenprospective.org/prospectivetalk2038">#ProspectiveTalk</a>, quelques témoins sont venus discuter des compétences nécessaires à l’exercice des métiers de l’enseignement, du droit, de l’industrie et de la médecine. Parmi eux, un ingénieur de l’industrie témoigne.</em></p>
<hr>
<h2>La tyrannie des régulations absurdes</h2>
<p>C’est une décision difficile. J’étais heureux dans notre entreprise. J’espérais y rester jusqu’à 70 ans, l’âge auquel je pourrai partir avec une retraite à taux plein. Pourtant, à soixante ans à peine, je jette l’éponge et je vais présenter ma démission. Je n’ai aucune envie d’appliquer cette nouvelle règle stupide qui impose au moins un tiers d’hommes parmi les cadres dirigeants.</p>
<h2>L’industrie : ringarde</h2>
<p>J’ai pourtant eu jusqu’ici une carrière passionnante. Il faut dire que j’avais fait un choix inhabituel. Quand j’avais 22 ans, au début des années 2000, les élèves de mon école d’ingénieurs rêvaient tous de travailler dans la finance. Rien n’était alors plus ringard que l’industrie ! Quand des chefs d’entreprise fermaient ou vendaient leurs usines françaises, leur cours de bourse s’envolait : ils expliquaient qu’ils se spécialisaient en France sur les tâches de conception, d’innovation de marketing et sous-traiteraient toute la fabrication en Chine. Les économistes les félicitaient : la France devait se spécialiser dans <em>l’économie de la connaissance</em>. Ces économistes – ceux-là même qui expliquaient en 2007 que les instruments de couverture diluaient les risques et nous mettaient désormais <a href="https://www.lesechos.fr/27/07/2007/LesEchos/19970-048-ECH_le-megakrach-n-aura-pas-lieu.htm">à l’abri des crises financières</a> ! – écrivaient quelques années plus tard qu’encourager l’industrie était une des <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/champs-actuel/10-idees-qui-coulent-la-france">dix idées qui coulaient la France</a>, ou traitaient de <a href="https://theconversation.com/poussee-de-fievre-scientiste-chez-quelques-economistes-orthodoxes-65367">négationnistes</a> ceux qui défendaient l’industrie.</p>
<p>Heureusement, je m’intéressais peu à ce qu’on enseignait encore dans les années 2010 sur le plateau de Saclay. Car nous, chez Mécauto, on ne se passionnait pas pour ce genre de débats. On le savait bien que si des usines comme la nôtre fermaient, notre petite ville serait sinistrée et que ce n’est pas dans notre région que les entreprises de la nouvelle économie se précipiteraient. Et puis, on voyait bien ce qui se passait dans les pays qui avaient laissé leur industrie partir à vau-l’eau : les régions sinistrées, la montée des partis populistes, Trump, le Brexit… On ne voulait pas de ça chez nous !</p>
<h2>Échapper à l’usine</h2>
<p>Bien sûr, il fallait se bagarrer pour résister à la concurrence des pays à bas salaires. Mais notre plus grande difficulté, dans les années 20, a été pour recruter. À force de dénigrer les perspectives de l’industrie et le travail qu’on y faisait, on en avait dégoûté les jeunes. Tous voulaient échapper à l’usine et personne ne s’engageait dans les études dévalorisées qui permettaient de devenir un bon ajusteur, un soudeur compétent, un chaudronnier qualifié, un technicien de maintenance, voire même un ingénieur de production. Pourtant, ceux qui venaient tout de même travailler chez Mecauto aimaient voir les feuilles et les barres de métal qui nous étaient livrées ressortir de l’usine sous la forme de composants automobiles sophistiqués. Ils étaient fiers de contribuer quotidiennement à la fabrication de 6000 voitures.</p>
<p>Pour résister à la concurrence, nous avons misé sur la qualité de nos produits, sur notre réactivité et notre flexibilité et surtout sur la cohésion de nos équipes et sur l’intelligence collective. Il fallait être à l’aise avec les nouvelles manières de travailler et les nouvelles techniques à mettre en œuvre. Il y a eu notamment trois grandes transformations.</p>
<h2>De nouvelles manières de travailler</h2>
<p>D’abord, la maîtrise des flux. Ne pas faire d’opérations inutiles, produire juste ce qu’on va vendre, ou si l’on est assez agile, ce qu’on a déjà vendu, commander juste les fournitures dont on a besoin. Apprendre à fabriquer efficacement en petite quantité, voire à l’unité. Faire du sur-mesure au prix de la confection. Ensuite, on automatise ce qui peut l’être afin de supprimer au maximum les tâches pénibles ou répétitives, en assurant une qualité régulière. Enfin, grâce à des machines connectées, bourrées de capteurs, on sait où on est de la fabrication de chaque produit ou du niveau de stock des fournitures. Les systèmes de gestion intégrée passent automatiquement des commandes aux fournisseurs dès que l’entreprise reçoit une demande d’un client.</p>
<h2>La grand’peur du numérique</h2>
<p>Dans les années 2010, beaucoup craignaient de ne pas pouvoir maîtriser les nouveaux outils de travail numériques, mais ils se sont vite rendu compte que ce n’était pas si compliqué et qu’ils y arrivaient très bien après quelques heures ou quelques journées de formation. Les vraies difficultés ne sont pas venues du numérique, assez vite maîtrisé grâce à la qualité des interfaces homme-machine, mais de nos trop faibles aptitudes à coopérer, à prendre soin des autres et à mobiliser l’intelligence collective, ainsi qu’à traiter efficacement de multiples imprévus.</p>
<h2>Savoir discuter du travail</h2>
<p>Ce qui a permis de mettre nos capacités de production au meilleur niveau chez Mécauto, c’est la manière dont nous avons su impliquer tout le monde, en donnant un maximum de <a href="https://journals.openedition.org/osp/2959">pouvoir d’agir</a> à chaque salarié et en organisant des réunions régulières pour discuter de leur travail et de ce qui constitue un travail de qualité. Tous les aspects y sont traités, à la fois ceux qui concernent le client, ceux qui contribuent au confort du salarié, au bon fonctionnement de l’équipe, au bon entretien des machines et du cadre de travail, à la qualité des relations avec les autres services et les fournisseurs, à l’impact sur l’environnement…</p>
<p>Pour que ces discussions soient fécondes, il faut veiller à ce que tous les points de vue puissent s’exprimer et soient écoutés, que les suggestions soient analysées, que ceux qui pigent vite et parlent bien n’écrasent pas ceux qui sont moins à l’aise pour communiquer, mais qui ont pourtant beaucoup de choses à dire parce qu’ils ont leur propre expérience du fonctionnement de l’usine.</p>
<h2>Gagner en équipe, prendre soin de chacun</h2>
<p>D’une manière générale, il fallait privilégier la performance collective sur l’exploit individuel, en sachant solliciter et reconnaître la contribution de chacun, en favorisant la cohésion au sein de l’organisation. Pour faire de l’usine un univers bienveillant où l’écoute réciproque et l’empathie permettent de désamorcer les crises, il faut savoir prendre soin de chacun être attentif à ses difficultés, professionnelles ou non. On s’est vite rendu compte que les femmes y réussissaient généralement mieux que les hommes, souvent trop marqués par une éducation privilégiant la compétition.</p>
<h2>Faire face aux imprévus</h2>
<p>Par ailleurs, les tâches de fabrication pénibles et répétitives ont progressivement été prises en charge par des automatismes, des robots. Divers assistants numériques aident à diagnostiquer les problèmes et proposent des procédures pour les régler. La plupart des transactions routinières, comme la mesure et l’archivage de tous les paramètres de production, le <em>reporting</em>, la traduction des commandes en ordre de fabrication et d’approvisionnement ou la préparation des expéditions sont faites automatiquement par les systèmes d’information de l’entreprise.</p>
<p>L’opérateur a maintenant un rôle de surveillance, de gestion des imprévus, de réflexion sur la manière d’améliorer les processus, de relation avec les autres services de l’entreprise.</p>
<p>Un seul salarié surveille un groupe important de machines et doit faire face à des imprévus très divers, dont chacun se produit rarement. Il faut à chaque incident apprécier rapidement ce qui réclame une action prioritaire et ce qui peut attendre, ne pas oublier les tâches moins urgentes dès que celles qui sont prioritaires sont accomplies, profiter des périodes calmes pour réfléchir aux manières d’éviter que les incidents traités ne se reproduisent. On s’est vite aperçu que les femmes, en particulier celles qui se sont occupées d’enfants, géraient souvent mieux de telles situations.</p>
<h2>L’irrésistible ascension des femmes</h2>
<p>Peut-être vous souvenez-vous du conte pour enfants « le fermier et sa femme » ? Le fermier se plaint de partir aux champs dans la bise et le gel tandis que son épouse reste bien au chaud dans la maison. Un jour, celle-ci lui propose d’échanger leurs rôles. La journée est une succession de catastrophes pour le malheureux fermier qui fait tout de travers, incapable de s’occuper à la fois du bébé turbulent, du linge, du ménage et de la cuisine…</p>
<p>Plus capables à la fois de gérer des relations coopératives et d’exercer l’empathie nécessaire au travail collectif efficace, plus aguerries pour faire face à des incidents de toute nature avec un bon sens des priorités, les femmes sont devenues de plus en plus nombreuses dans l’usine, notamment dans les fonctions d’animation et de gestion. Dès le début des années 2030, elles étaient largement majoritaires et bénéficiaient des promotions que leurs performances reconnues justifiaient. Aujourd’hui, je suis donc le seul homme dans notre comité de direction.</p>
<p>Personnellement, cela ne me dérange pas. Mais certains l’ont moins bien vécu. Des masculinistes activistes, arguant des effets bénéfiques de la diversité, se sont donc battu pour promouvoir cette nouvelle règle imposant d’avoir d’ici 2045 un quota minimal d’hommes dans les instances dirigeantes de chaque entreprise.</p>
<h2>La femme est l’avenir de l’homme</h2>
<p>Moi, je pense que leur démarche est inutile. Elle suppose que les hommes seraient incapables de développer les capacités de gestion des priorités et d’attention aux autres qu’aujourd’hui les femmes sont plus nombreuses à maîtriser. Mais cet avantage n’est pas inné, il leur vient de leur éducation et du fait d’avoir beaucoup plus assumé les tâches de parent. Maintenant que les progressions de carrière ne sont plus l’apanage des belliqueux et que les hommes s’occupent beaucoup plus du foyer et des enfants qu’il y a vingt ans, ne serait-ce parce que leur activité est moins importante pour l’aisance du ménage, ils vont eux aussi développer ces capacités. Il n’y a pas de raison qu’ils n’y arrivent pas. L’homme est une femme comme les autres !</p>
<p>Mais il faudra un peu de temps, comme toujours lorsqu’il s’agit de modifier les comportements. Soyons donc un peu patients.</p>
<p>En attendant, vouloir dès maintenant imposer un tiers d’hommes dans l’encadrement supérieur, c’est irréaliste ! Nous allons être obligés de pénaliser injustement la carrière de collaboratrices talentueuses et de promouvoir des abrutis. C’est injuste et inefficace. C’est contraire aux valeurs d’équité et de respect que défend notre entreprise. Je ne veux pas appliquer cette règle administrative stupide. Si l’on m’y contraint, je démissionne !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105346/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Thierry Weil reçoit des financements de la Fondation Mines Paristech, reconnue d'utilité publique, qui soutient la recherche et l'enseignement de l'Ecole des mines de Paris, membre de l'Université Paris Sciences et Lettres. Thierry Weil conseille La Fabrique de l'industrie, laboratoire d'idée laboratoire d'idées destiné à susciter et à enrichir le débat sur l'industrie.
</span></em></p>
À Saclay, en 2038, on discute des compétences nécessaires à l'exercice des métiers de l'enseignement, du droit, de l'industrie et de la médecine (#ProspectiveTalks)
Thierry Weil, Chaire Futurs de l'industrie et du travail (CERNA, I3, CNRS), Membre de l’Académie des technologies, Mines Paris
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2018-10-11T20:00:18Z
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Pour ou contre le revenu de base universel ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/240204/original/file-20181011-154580-fauux7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C79%2C2029%2C1348&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Lors de l'université d'été du revenu de base en août 2014.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/revenudebase/14993476352/in/photolist-d8vfpA-LU4Uip-J3GtnF-XzP6qd-HPrSbz-JMse7e-HXXznC-R7faqZ-QJr23A-RffSfm-N5Lce3-Q6GwLb-QimxNz-Q7GvKN-Mf8huZ-PB5SsS-i3EbX3-oytnR1-iix5sF-RzU4GX-25na7ce-oNUqjb-oyrAMY-Vh4Gyb-pYwTkq-qg5MbB-pcsmhC-oFAJeu-oFAVK4-oXPrVi-oFAhR7-oFAEy2-oW3PYh-oFzKHV-oFzEtX-oyGEgS-oysWPP-oQVu9Y-oQUnN3-oQEpkD-oNUqeG-oyroCB-oQEp5t-oysceF-oQWbTr-oQUmWo-dnMZmw">Revenu de base / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Un débat a été organisé sur le revenu universel de base dans le cadre d’un colloque de <a href="http://www.ccic-cerisy.asso.fr/">Cerisy</a> sur <a href="https://www.la-fabrique.fr/fr/blog/colloque-2018-journal-de-bord/">« Le travail en mouvement »</a>. Animé par <a href="https://www.ihedate.org/?+-Kaisergruber-+">Danielle Kaisergruber</a> (<a href="http://www.metiseurope.eu/">Metis-Europe</a>), il a opposé <a href="https://uclouvain.be/fr/chercher/hoover/yannick-vanderborght.html">Yannick Vanderborght</a>, professeur de sciences politiques aux universités de Saint-Louis (Bruxelles) et Louvain, et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean%E2%80%91Baptiste_de_Foucauld">Jean‑Baptiste de Foucauld</a>, inspecteur général des finances honoraire, ancien commissaire au Plan et acteur engagé depuis des décennies dans tous les dispositifs de solidarité et d’actions contre le chômage. Au-delà des arguments invoqués, deux visions anthropologiques s’affrontent autour de la question du travail.</p>
<h2>De quoi parle-t-on ?</h2>
<p>Revenu de base, revenu universel, revenu d’existence… Ces termes avaient déjà fait couler beaucoup d’encre lors de la dernière campagne présidentielle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/revenu-universel-evitons-les-discours-simplistes-73813">Revenu universel : évitons les discours simplistes</a>
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<p>Le soufflé était quelque peu retombé, mais voici qu’Emmanuel Macron relance le débat en annonçant dans son plan Pauvreté un « revenu universel d’activité », contribuant ainsi à une certaine cacophonie des concepts. Rappelons les principes qui définissent le revenu de base : un revenu universel (pour tous), inconditionnel (ne nécessitant pas de remplir des conditions préalables), individuel (destiné à la personne et non au foyer), automatique (qu’on n’a pas besoin de demander) et sans devoirs ni contre-parties (« duty free »).</p>
<p>Or le « revenu universel d’activité » proposé par Emmanuel Macron vise surtout la simplification des nombreuses allocations existantes : il ne serait ni inconditionnel (il serait attribué au-dessous d’un certain plafond de ressources), ni a fortiori universel, et serait soumis à des devoirs (suivre un parcours d’insertion). Tout au plus serait-il automatique dès lors que les conditions de revenus en seraient réunies, d’où son appellation d’origine « versement social unique et automatique ».</p>
<p>Pour Jean‑Baptiste de Foucauld, ce brouillage terminologique est l’indice que le débat sur le revenu de base « va désormais polluer la vie politique pendant des décennies » au détriment d’une véritable réflexion sur la lutte contre le chômage et le droit au travail. Pour Yannick Vanderborght, le revenu universel constitue au contraire une « utopie mobilisatrice », qui permet de réfléchir concrètement à la déconnexion du revenu et du travail.</p>
<p>Pour ne prendre que le cas de la France, 2 millions de personnes en activité réduite perçoivent une allocation chômage, 1 million travaillent tout en percevant le RSA, 2,36 millions de foyers touchent la prime d’activité parce que leurs revenus sont insuffisants et 700 000 retraités sont aussi auto-entrepreneurs : la déconnexion revenu/travail est donc déjà une réalité. Réduire les difficultés d’accès aux minima sociaux représente un pas vers le revenu de base ; pourquoi dès lors ne pas aller encore plus loin et reconstruire radicalement tout le système ?</p>
<h2>Positions des principales forces politiques et sociales à l’égard du revenu de base</h2>
<p>Yannick Vanderborght a d’abord beaucoup étudié le revenu de base, avant d’en devenir un défenseur nuancé. Avec <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Van_Parijs">Philippe Van Parijs</a>, il est l’auteur de <a href="http://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674052284"><em>Basic Income. A Radical Proposal for a Free Society and a Sane Economy</em></a> (traduction française en 2019 à <a href="http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-L_allocation_universelle-9782707145260.html">La Découverte</a>), qui passe en revue l’histoire du concept et les positions des principales forces politiques et sociales engagées pour ou contre le revenu universel dans le monde.</p>
<p>Dans le camp des opposants, on trouve généralement la gauche travailliste, la gauche chrétienne et les syndicats, pour lesquels l’intégration par le travail reste l’horizon indépassable. Trois objections dominent : la crainte d’une individualisation des rapports sociaux au détriment des collectifs ; le risque d’une pression à la baisse des salaires ; et un sous-jacent plus stratégique : les syndicats sont par nature organisés autour du travail et le revenu universel s’adresse politiquement et prioritairement aux outsiders du marché du travail.</p>
<p>Parmi les forces « pour », on trouve essentiellement les écologistes en Europe, aux USA et au Canada et la gauche libertaire, qui mettent en avant trois types d’arguments : la remise en cause de la croissance (en tant que telle ou ne permettant de toute manière plus de fournir du travail à tous) ; l’existence de « communs » comme les ressources naturelles ou le capital accumulé, dont le revenu universel serait le dividende ; un rapport différent à l’activité plutôt qu’au seul « travail » dont la définition devient de plus en plus malaisée.</p>
<p>Si les féministes demeurent divisées à propos du revenu universel, à l’occasion d'expérimentations menées Seattle et Denver entre 1970 et 1980, certains analystes ont estimé que le taux de divorce avait soudainement augmenté; l’interprétation donnée à cette hausse étant que la répartition plus équilibrée du pouvoir économique a permis à des femmes dépendantes de sortir de situations de couple toxiques.</p>
<p>Même dans des pays où l’éthique du travail est très forte, le débat sur le revenu universel existe : en Suisse, l’initiative populaire en faveur d’un revenu universel (à hauteur de 2 260 euros par adulte !) a recueilli 23 % de « oui », ce qui est considérable, et au Japon, la fin de la tradition de l’emploi à vie, et ses corollaires précarisation/polarisation, ont fait modestement émerger la question.</p>
<h2>« Donner le minimum vieillesse aux nourrissons ! »</h2>
<p>Pour Jean‑Baptiste de Foucault, auteur de <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/sciences-politiques/abondance-frugale_9782738124470.php"><em>L’Abondance frugale, pour une nouvelle solidarité</em></a> et l’un des coordinateurs du <a href="http://www.pacte-civique.org/?Accueil">Pacte civique</a>, le point capital de sa critique contre le revenu universel réside dans l’absence de contre-don (« duty free »). Toutes les sociétés se sont construites sur le triptyque « donner, recevoir, rendre ».</p>
<p>La question de la réciprocité est donc essentielle : il y a don parce qu’il y a contre-don. S’affranchir méthodologiquement du contre-don (l’obligation de travailler, chercher du travail ou se former) représenterait un saut anthropologique de type transhumaniste, conduisant à un individualisme terrifiant. Le RU ferait courir à nos sociétés des risques tragiques, en créant des habitudes et des attentes – « sans doute pas à la première génération, car nous sommes habitués au travail, mais dès la suivante » – dont on découvrirait ensuite qu’elles ne peuvent pas être durablement financées, ce qui causerait d’amères déceptions. « Il y a de quoi provoquer une guerre civile ! »</p>
<p>Selon lui, la promesse est financièrement insoutenable dans le contexte des finances publiques qui est le nôtre, ce que confirment d’ailleurs la grande majorité des économistes : « On parle quand même de donner le minimum vieillesse aux nourrissons ! ». Or cela interviendrait en outre dans un contexte où le coût de la réparation écologique va nécessiter la mobilisation de ressources considérables et une demande de travail accrue.</p>
<p>Enfin, le revenu universel représenterait une rupture complète avec la société du travail. Travailler, c’est se rendre utile à autrui et recevoir en échange une rémunération. À l’inverse, le revenu universel incite à se désintéresser de l’utilité sociale, de l’insertion et du chômage, « puisqu’on règle le problème en le supprimant ». N’oublions pas que « pour que les uns consomment sans travailler, il faut que d’autres travaillent sans consommer » : ce qui est normal pour aider devient insupportable si cela se transforme en rente et inverse la dépendance.</p>
<h2>Poursuivre « la vie bonne » selon ses propres critères</h2>
<p>Tout au contraire, répond Yannick Vanderborght, les expérimentations ne donnent aujourd’hui aucune certitude quant à l’impact du RU sur l’activité : elle peut augmenter ou décroître. Croire à la propension des individus à travailler ou à se vautrer devant la télévision relève de la « foi » anthropologique. C’est une question du même ordre que savoir si l’homme est bon ou mauvais. Notre propension à travailler a certes un intérêt dans la mesure où elle détermine notre capacité à financer le revenu de base. Elle a donc une valeur instrumentale, mais pas forcément une valeur intrinsèque.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/revenu-universel-evitons-les-discours-simplistes-73813">Revenu universel : évitons les discours simplistes</a>
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<p>En disséminant le pouvoir économique, le RU donne à chacun une certaine liberté pour poursuivre la « vie bonne » selon ses propres critères. Et cette vie bonne sera souvent une « vie laborieuse », ne serait-ce que parce qu’avec 500 euros par mois on continue à être incité à rechercher un revenu complémentaire. Mais ce peut être aussi suivre une formation, créer, rêver, ne rien faire ou choisir de participer à des activités socialement utiles – car le travail au sens de l’emploi n’est pas toujours utile (<em>bullshit jobs</em>), et les activités socialement utiles ne sont pas toujours des emplois.</p>
<h2>« Est-on libre avec 500 euros par mois ? »</h2>
<p>À cette question posée par un participant, Jean‑Baptiste de Foucauld répond catégoriquement par la négative.</p>
<blockquote>
<p>« Beaucoup d’individus doivent vivre avec 500 euros par mois. Ils ne sont évidemment pas heureux, car cela ne résout pas leur problème d’emploi. Le fait de ne pas travailler remet en cause l’identité et ne procure aucun bonheur. 500 euros ne permettent de gérer ni le problème de l’inclusion, ni la question de la reconnaissance de sa propre utilité. C’est pourquoi, je ne vois aucune raison de renoncer à lutter contre le chômage et pour le droit au travail. »</p>
</blockquote>
<p>De son côté, Yannick Vanderborght insiste sur le fait que c’est justement l’universalité qui représente l’indéniable avantage du revenu de base, parce qu’elle permet d’éviter la stigmatisation et le sentiment d’exclusion des allocataires de minima sociaux.</p>
<blockquote>
<p>« Dans le revenu de base, universalité et absence d’obligations sont deux inconditionnalités indissolublement liées : la première est ce qui permet d’accepter des activités faiblement rémunérées parce que l’on a un revenu par ailleurs ; la seconde est ce qui permet de refuser des activités dégradantes, peu attractives ou mal rémunérées, et donc de ne pas ouvrir la voie à l’exploitation. »</p>
</blockquote>
<p>Le débat entre ceux qui veulent continuer à chercher des solutions au chômage et ceux qui veulent couper le lien entre travail et revenu ne fait que commencer.</p>
<hr>
<p><em>Article extrait du compte-rendu du débat par <a href="https://www.cahierandco.com/">Marie-Laure Cahier</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/103739/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Thierry Weil reçoit des financements de la Fondation Mines Paristech, reconnue d'utilité publique, qui soutient sa chaire "Futurs de l'industrie et du travail" et plus généralement la recherche et l'enseignement de l'Ecole des mines de Paris, membre de l'Université Paris Sciences et Lettres. Thierry Weil conseille La Fabrique de l'industrie, laboratoire d'idée laboratoire d'idées destiné à susciter et à enrichir le débat sur l'industrie.</span></em></p>
Faut-il accorder un revenu de base à tous et sans conditions ?
Thierry Weil, Chaire Futurs de l'industrie et du travail (CERNA, I3, CNRS), Membre de l’Académie des technologies, Mines Paris
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tag:theconversation.com,2011:article/104079
2018-09-28T14:20:36Z
2018-09-28T14:20:36Z
Don Quichotte, Khoutouzov, James March : comprendre les organisations humaines et le leadership
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/238443/original/file-20180928-48659-1lvca0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jim devant Don Quichotte et Sancho Panza (making off du film "leçons de Don Quichotte pour le leadership") © James March et Steve Schecter</span> </figcaption></figure><p><em><strong>James G. March, fondateur de la théorie des organisations, un des universitaires les plus importants et les plus méconnus du XXème siècle est décédé le 27 septembre 2018. Postface à sa biographie.</strong></em></p>
<blockquote>
<p>« Une entreprise multinationale du secteur du divertissement et de la culture cherche à recruter un nouveau président. Tous les personnages de <a href="https://www.gsb.stanford.edu/insights/heroes-history-lessons-leadership-tolstoys-war-peace">Guerre et Paix</a> ont été retenus comme potentiels candidats. Lequel choisissez-vous ? ». </p>
</blockquote>
<p>C’était, avec un peu plus d’explications sur le contexte stratégique de l’entreprise, le genre d’exercice que <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/James_G._March">James Gardner March</a> donnait aux étudiants de Stanford qui suivaient son cours sur le <a href="https://www.pressesdesmines.com/produit/le-leadership-dans-les-organisations/">leadership</a>. Toutes les réponses étaient possibles et l’étudiant était jugé sur la pertinence de ses arguments. </p>
<p>Bien que Jim n’indiquât pas sa préférence, j’ai quelques raisons d’imaginer qu’il penchait pour Natacha Rostova. Est-il raisonnable de confier d’écrasantes responsabilités à cette belle frivole, narcissique et inconséquente ? Oui, car si Natacha est parfois sotte, elle est souvent touchée par la grâce et il est difficile de résister à la grâce, surtout pour James March.</p>
<h2>C’est bien plus amusant ainsi</h2>
<p>Ceux qui connaissent le rôle joué par James March dans l’analyse du comportement des organisations et des individus au sein des organisations (théorie des organisations), s’étonnent souvent que le « prix Nobel d’économie » (plus exactement le prix attribué par la banque de Suède en l’honneur d’Alfred Nobel) ait été décerné en 1978 au seul <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Herbert_Simon">Herbert A. Simon</a> pour leurs travaux communs sur la « <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rationalit%C3%A9_limit%C3%A9e">rationalité limitée</a> ». </p>
<p>Se démarquant des économistes qui imaginent que chaque individu fait des choix en fonction des avantages qu’il tire de chaque alternative possible, March et Simon notent qu’explorer toutes ces alternatives et évaluer leurs conséquences demande beaucoup d’énergie et de capacités et représente un coût significatif. La plupart des individus se contentent donc d’une « rationalité limitée », s’arrêtant à la première décision qui conduit à un résultat satisfaisant, voire révisent leurs attentes et leurs critères de satisfaction quand, après bien des efforts, ils n’ont pas trouvé une solution qui réponde à leurs attentes initiales.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/238447/original/file-20180928-48662-1q0gi6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/238447/original/file-20180928-48662-1q0gi6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=755&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/238447/original/file-20180928-48662-1q0gi6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=755&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/238447/original/file-20180928-48662-1q0gi6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=755&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/238447/original/file-20180928-48662-1q0gi6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=949&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/238447/original/file-20180928-48662-1q0gi6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=949&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/238447/original/file-20180928-48662-1q0gi6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=949&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Jim G.March, doyen du département de sciences sociales d'Irvine.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est que, si Simon et March considèrent que « l’économie ne peut pas ignorer indéfiniment les faits du monde réel ni les méthodes de recherche empirique qui permettent d’établir ces faits » et construisent ensemble une description beaucoup plus réaliste de la décision individuelle ou collective, ils en tirent des conclusions bien différentes. Herb Simon est un apôtre du rationalisme, et considère les restrictions fondamentales qu’il apporte au modèle rationaliste de l’agent économique classique comme des adaptations et des perfectionnements nécessaires. </p>
<p>La foi de March dans le discours rationnel est moins solide, et d’autres approches lui semblent nécessaires à l’intelligence du monde et à l’épanouissement de l’individu (“aimer ce qui est aimable n’est pas de l’amour, croire qui est digne de foi n’est pas de la confiance, c’est de l’économie”). Ainsi, Simon s’afflige que le monde ne soit pas parfaitement rationnel et propose de le réparer autant que faire se peut, tandis que March considère que c’est beaucoup plus amusant et intéressant ainsi. Peut-on donner le Nobel à un tel galopin ?</p>
<h2>Technologie de la folie et ingénierie de la décision</h2>
<p>March ira jusqu’à promouvoir une « technologie de la folie » : « Supposons que nous considérions nos actions comme un moyen de créer des buts intéressants en même temps que nous considérons nos buts comme une justification de nos actions. Alors il nous faut compléter la technologie de la raison avec une technologie de la folie ». On redécouvre avec la mode des techniques de créativité une partie de ces considérations.</p>
<p>Considérant que les préférences d’un individu intéressant sont rarement stables ou prédéterminées et qu’elles émergent souvent dans le cours de l’action, March ira jusqu’à réfléchir à une ingénierie des préférences : comment « manipuler » l’individu pour l’encourager à explorer plus de possibilités, découvrir ou plutôt construire ses préférences et son identité (sa vocation ou sa « raison d’être » dans le vocabulaire managérial d’aujourd’hui)? Son personnage fétiche : <a href="https://www.gsb.stanford.edu/insights/don-quixotes-lessons-leadership">Don Quichotte</a>.</p>
<h2>Le gourou des gourous</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/238448/original/file-20180928-48665-13b3n3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/238448/original/file-20180928-48665-13b3n3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=605&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/238448/original/file-20180928-48665-13b3n3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=605&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/238448/original/file-20180928-48665-13b3n3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=605&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/238448/original/file-20180928-48665-13b3n3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=760&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/238448/original/file-20180928-48665-13b3n3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=760&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/238448/original/file-20180928-48665-13b3n3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=760&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Jim March, Stanford, département des sciences de l'éducation.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si March est peu connu du grand public, il a en revanche inspiré beaucoup de grands « <a href="https://www.economist.com/news/2009/07/24/james-march">influenceurs</a> ». Une étude auprès des 50 personnes les plus souvent citées par les PDG des plus grandes entreprises mondiales comme leurs sources d’inspiration indiquent que ces « gourous », eux-mêmes interrogés sur les théoriciens (alors vivants) qui les avaient le plus inspirés, citaient en premier Peter Drucker et… James March. </p>
<p>Plus « scientifiquement » <a href="https://hbr.org/2006/10/ideas-as-art">John Padgett</a> a répertorié l’influence majeure de March dans au moins huit champs académiques : l’administration des affaires (business studies), la sociologie, les sciences politiques, la psychologie, l’économie, le droit, les politiques publiques et les sciences de l’éducation. Il aurait pu y ajouter l’anthropologie à laquelle March avait consacré son travail de doctorat et la modélisation mathématique qu’il a pratiquée (avec certains des futurs pionniers de l’intelligence artificielle) et enseignée, ainsi que la philosophie politique – un sujet qu’il évitait depuis la disgracieuse élection de Donald Trump.</p>
<h2>Par delà la fidélité : Jayne</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/238449/original/file-20180928-48634-15grxa9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/238449/original/file-20180928-48634-15grxa9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/238449/original/file-20180928-48634-15grxa9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/238449/original/file-20180928-48634-15grxa9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/238449/original/file-20180928-48634-15grxa9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/238449/original/file-20180928-48634-15grxa9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/238449/original/file-20180928-48634-15grxa9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jim & Jayne March, Esalen, 2003.</span>
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<p>March appliquait ses théories dans sa vie personnelle. S'il eut une vie sentimentale très riche et épanouie, c’est à Jayne, la mère de ses quatre enfants avec laquelle il s’était marié à vingt ans, qu’il dédia ses neuf recueils de poèmes. Lorsqu'il y a plusieurs années son épouse perdit son autonomie, il brava le refus des médecins pour aller vivre avec elle dans un pavillon réservé aux malades d’Alzheimer « parce que même si elle ne me reconnaît pas toujours, ma présence la réconforte ». Tous ses proches s’en désolèrent et tentèrent de lui faire entendre raison, mais peut-on demander à Don Quichotte d’être raisonnable ? Jayne est décédée le 28 août dernier. Jim ne lui aura pas survécu un mois.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/bztgYMoTEjM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><em>Cet article est dédié à Kathryn, Gary, Jim (fils) et Rod, les enfants de James, à leur belle famille et à tous les très nombreux amis et collaborateurs de James March, à qui j’adresse toute mon affection.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104079/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Thierry Weil reçoit des financements de la Fondation Mines Paristech, reconnue d'utilité publique, qui soutient sa chaire "Futurs de l'industrie et du travail" et plus généralement la recherche et l'enseignement de l'Ecole des mines de Paris, membre de l'Université Paris Sciences et Lettres. Thierry Weil conseille La Fabrique de l'industrie, laboratoire d'idée laboratoire d'idées destiné à susciter et à enrichir le débat sur l'industrie. </span></em></p>
James G. March, fondateur de la théorie des organisations, un des universitaires les plus importants et les plus méconnus du XXème siècle est décédé le 27 septembre 2018. Postface à sa biographie.
Thierry Weil, Membre de l’Académie des technologies, Centre d'économie industrielle, Institut interdisciplinaire de l'innovation (I3) du CNRS, Mines Paris - PSL
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/102392
2018-08-31T00:21:09Z
2018-08-31T00:21:09Z
Le travail en questions : quelles organisations, frontières, reconnaissances ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/234249/original/file-20180830-195325-12okiig.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C23%2C3171%2C2083&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Quel travail ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/photo/188059/">visualhunt</a></span></figcaption></figure><p>Le travail devient une notion de plus en plus difficile à appréhender. Est-ce une corvée ou une chance ? Qu’est-ce qui le distingue de nos autres activités ? Comment contribue-t-il à notre identité, à notre développement, à notre épanouissement ? Quels sont ses lieux et ses temps ? A quelles communautés nous relie-t-il ? Qu’est-ce qu’un bon travail ? Qu’est-ce que du bon travail ? Quelle forme de reconnaissance induit-il ? Quels sont les dangers des nouvelles formes de travail et quelles protections ? Quelles sont les régulations nécessaires ?</p>
<h2>Malédiction ou sanctification ?</h2>
<p>Gagner son pain à la sueur de son front (et enfanter dans la douleur) est la punition infligée par le Dieu de la Genèse à nos aïeux curieux et indisciplinés et à leur descendance. Pourtant, Luther traduira le mot grec ponos (la peine, le travail pénible) de la Bible par Beruf, la vocation, et y verra le moyen de la rédemption et de l’accomplissement de l’homme. Le travail est-il, selon les mots de <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782130489993-le-travail-communion-et-excommunication-nicolas-grimaldi/">Nicolas Grimaldi</a>, communion ou excommunication ?</p>
<p>L’un ou l’autre, disent Simone Weil ou Hannah Arendt, qui distinguent le labeur et l’œuvre. Le travail peut souvent, selon la façon dont on l'appréhende, être labeur ou œuvre.</p>
<p>Comme le rappelle <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/liberer-le-travail-thomas-coutrot/9782021390377">Thomas Coutrot</a>, chef du département « Conditions de travail et santé » à la direction de la recherche du ministère du travail, si le travail représente une valeur essentielle pour la plupart des Français, seuls un tiers d’entre eux sont pleinement satisfaits du travail qu’ils exercent, c’est à dire (1) ont le sentiment de pouvoir développer leurs compétences professionnelles, (2) estiment recevoir le respect qu’ils méritent, (3) prennent plaisir à ce qu’ils font, (4) sont toujours ou souvent fiers du travail accompli, (5) ont le sentiment d’être utiles aux autres. </p>
<h2>Activité ou travail ?</h2>
<p>Qu’est-ce qui distingue le travail des autres activités ? Le fait d’en tirer des revenus ? Mais on parle de travail domestique. Le soin, l’éducation, peuvent être donnés dans un contexte familial et communautaire ou constituer une prestation de service rémunérée. Le fait d’être utile aux autres ? Mais peindre, jouer de la musique ou écrire sont-ils des passe-temps privés ou des activités altruistes ? Créer des richesses ? Mais la personne qui s’instruit, sans être pour cela rémunérée ou immédiatement utile, accroît ses compétences et la valeur du capital humain mobilisable au service de son environnement.</p>
<p>Ces réflexions nourrissent l’idée d’un revenu d’activité distribué à chacun en fonction des services qu’il rend à la communauté (qu’on l’encourage à définir et à développer), par exemple dans le cadre de <a href="http://www.leparisien.fr/villetaneuse-93430/plaine-commune-veut-tester-le-revenu-contributif-11-01-2017-6554634.php">l’expérience de revenu contributif de Plaine Commune</a> ou de l’initiative « <a href="https://www.tzcld.fr/">territoires zéro chômeur de longue durée</a> ».</p>
<h2>Travail, identité, développement, épanouissement</h2>
<p>Le travail est une composante de notre identité, un lien aux autres, une source de développement personnel, un facteur d’épanouissement. A condition toutefois qu’il ait certaines caractéristiques déjà évoquées, qu’il soit porteur de sens et suscite une forme de reconnaissance. Certaines organisations le permettent. D’autres « <a href="http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Le_travail_a_coeur-9782707164834.html">empêchent</a> » que le travail soit satisfaisant, quand le travailleur ne comprend pas le sens de ce qu’il fait ou est en conflit avec ses valeurs, que son action ou sa personne ne sont pas reconnues ou respectées, qu’il a trop peu d’autonomie, de perspectives de progrès ou de capacité à discuter du but collectif.</p>
<h2>Le lieu du travail</h2>
<p>Le travail, même pour les salariés, n’est plus assigné à un lieu comme l’usine ou le bureau. De plus en plus, grâce aux outils numériques , ils travaillent chez le client, à la plage ou dans un tiers-lieu qui n’est ni un espace privé, ni l’espace de leur entreprise.</p>
<h2>Le temps de travail</h2>
<p>Toujours connecté, le travailleur n’a plus de frontières définies entre son travail et sa vie personnelle. Si le travailleur a plus de latitude pour s’organiser comme il l’entend, le boulot envahit insidieusement le métro et le dodo.</p>
<h2>Le statut de travail</h2>
<p>Un chauffeur Uber ou un bricoleur ayant trouvé un microjob sur Le bon coin, un participant d’un réseau d’échange de savoirs travaillent-ils pour une plate-forme, pour le bénéficiaire direct de leur action, pour eux-mêmes ? Les risques auquel ils sont exposés sont-ils couverts comme le sont ceux d’un salarié classique ?</p>
<p>A quelle communauté, à quel collectif le relie son travail ? Quelle vie sociale lui procure-t-il ?</p>
<h2>La reconnaissance du travail</h2>
<p>Un travail induit diverses formes de reconnaissance. Il est rémunéré ou bénévole. Il est remarqué, valorisé ou non. La reconnaissance peut être liée au service rendu (vous m’avez aidé), à la qualité du travail appréciée par les autres ou par l’individu ayant intériorisé ou construit des critères du bon travail. </p>
<p>Pouvoir discuter avec des collègues ou des pairs de ce qu’est un bon travail est un facteur essentiel de satisfaction et de progrès individuel et collectif. </p>
<h2>La régulation du travail</h2>
<p>Comme le rappelle le préambule de la <a href="https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:62:0::NO::P62_LIST_ENTRIE_ID:2453907">Constitution de l’Organisation internationale du travail</a> (OIT), « la non-adoption par une nation quelconque d'un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d'améliorer le sort des travailleurs dans leurs propres pays ». </p>
<p>La libre circulation des capitaux et des marchandises peut conduire à un moins disant social et un nivellement par le bas des statuts du travail et de la protection sociale si une régulation internationale efficace n’est pas mise en place. On en est loin, puisque plus de la moitié des travailleurs dans le monde n’ont aucune protection contre le risque de maladie et que moins d’un quart bénéficient de ressources garanties lorsque l’âge ne leur permet plus de travailler.</p>
<h2>La fin du travail ?</h2>
<p>Questions passéistes, diront ceux qui comme Jeremy Rifkin considèrent la fin du travail inéluctable et proche. L’histoire a pourtant montré que d’énormes gains de productivité avaient souvent conduit à des modifications profondes de la structure du travail et de la consommation, mais aussi à une augmentation de la quantité de travail. L’agriculture, l’industrie peuvent satisfaire les besoins durables de consommation en demandant moins de travail humain. </p>
<p>Le temps consacré au travail et au loisir peut varier considérablement. L’étendue de l’économie marchande peut se réduire ou croître, tandis que l’empreinte environnementale de notre activité doit se réduire, sous peine de suicide collectif par effondrement. L’activité jadis exercée dans le cadre des loisirs ou bénévolement (spectacle, sport, éducation, soin) peut devenir un travail ou une prestation. La fin du travail ou sa réduction drastique reste une conjecture fragile, tout comme l’est celle d’un retour « naturel » au plein emploi.</p>
<h2>Que faire ?</h2>
<p>Il nous appartient en revanche de faire disparaître le travail ingrat et de faire que les nouvelles formes d’activité soient source de gratifications individuelles et de prospérité collective durable.</p>
<p>Pour évoquer toutes ces questions, <a href="http://www.ccic-cerisy.asso.fr/travail18.html">un colloque réunira à Cerisy</a> du 13 au 20 septembre 2018 des participants aux approches diverses et complémentaires. Il est ouvert à tous, dans la limite des places disponibles. Les discussions auxquelles il donnera lieu nourriront cette chronique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102392/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Thierry Weil a reçu des financements de la Fondation Mines Paristech, reconnue d'utilité publique, qui soutient la recherche et l'enseignement de l'Ecole des mines de Paris, membre de l'Université Paris Sciences et Lettres.
Thierry Weil conseille La Fabrique de l'industrie, laboratoire d'idée laboratoire d'idées destiné à susciter et à enrichir le débat sur l'industrie.</span></em></p>
Le travail devient une notion de plus en plus difficile à appréhender. Est-ce une corvée ou une chance ? Comment contribue-t-il à notre identité, à notre développement, à notre épanouissement ?
Thierry Weil, Membre de l’Académie des technologies, Professeur à Mines Paristech, centre d'économie industrielle, Institut interdisciplinaire de l'innovation (I3) du CNRS, Mines Paris - PSL
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tag:theconversation.com,2011:article/88546
2017-12-11T05:17:37Z
2017-12-11T05:17:37Z
Comment la Suède a doublé son efficacité énergétique
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/198024/original/file-20171206-31539-1y2xuts.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">À Stockholm. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/colorful-houses-reflected-by-frozen-water-725612896">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>2018 marquera l’aboutissement des efforts de la Suède pour mettre en place une taxation du carbone encourageant efficacement la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.</p>
<p>À partir du mois de janvier, les particuliers comme les entreprises (à l’exception de celles qui participent au système d’échange de droits d’émission européen) paieront sur leur consommation énergétique une taxe équivalente à 120 euros par tonne de CO<sub>2</sub> émise.</p>
<h2>Des choix volontaristes, pragmatiques et négociés</h2>
<p>La politique suédoise se caractérise par la <a href="http://www.la-fabrique.fr/fr/publication/les-transformations-du-modele-economique-suedois/">recherche active de consensus</a> entre les parties prenantes, la constance dans le respect des décisions prises (indépendamment des fréquentes alternances politiques) et le pragmatisme qui permet de revisiter les choix lorsque l’évolution du contexte le justifie.</p>
<p>Dès 1991, la Suède a mis en place une taxe sur les émissions de CO<sub>2</sub>, en allégeant en contrepartie (et même pour un montant supérieur) les charges pesant sur le travail et sur les entreprises. Cette taxe a cru progressivement : introduite à 27 €/t en 1991 pour les particuliers et 7 €/t pour les entreprises industrielles et agricoles, elle atteint, en 2018, 120 €/t pour les particuliers comme pour les entreprises qui ne sont pas soumises au système européen d’échange de droit d’émission.</p>
<p>Pour permettre aux entreprises industrielles et agricoles de s’adapter sans perdre leur compétitivité, celles-ci ont d’abord été taxées à un niveau inférieur aux particuliers (26 % lorsque le système a été mis en place en 1991), mais ce niveau a progressivement convergé, notamment depuis 2015 (année de la COP21) et les taux seront désormais alignés à partir de 2018.</p>
<p>Les entreprises très grosses consommatrices d’énergie, et donc soumises au marché européen des droits d’émission, étaient exemptées depuis l’entrée de la Suède dans ce marché en 2011, pour ne pas être défavorisées par rapport à leurs concurrentes européennes. À partir de 2018 elles paieront cependant une taxe sur les consommations d’énergie fossile liées à la production de chaleur.</p>
<p>La taxation est simple à mettre en œuvre, puisqu’elle ne porte que sur les 300 entreprises important ou produisant des <a href="https://fr.Wikim%C3%A9dia.org/wiki/Vecteur_%C3%A9nerg%C3%A9tique">vecteurs énergétiques</a>.</p>
<h2>Des résultats remarquables</h2>
<p>Les objectifs de cette politique sont ambitieux et leur révision se fait plutôt à la hausse : l’échéance de 2050 pour l’absence d’émission nette de gaz à effet de serre décidée en 2009 a été avancée à 2045 dans un nouvel accord politique en juin 2016. Cet accord prévoit aussi une sortie du nucléaire un peu plus lente, la priorité étant clairement donnée à la lutte contre le changement climatique.</p>
<p>Grâce à ces mesures incitatives et à des aides à l’équipement, la Suède a su faire évoluer rapidement son mix énergétique : en 2014 les biocarburants représentent 36 % de la consommation de l’industrie et l’électricité 32 %, tandis que les réseaux de chaleur représentent 80 % de la consommation de chauffage des entreprises et des services.</p>
<p>Aussi, la Suède, malgré son climat rude, n’émet en 2014 que 5,8 tonnes d’équivalents CO<sub>2</sub> par habitant et par an (contre 8,8 pour l’Union européenne et 7,5 pour la France). Et, surtout, elle a plus que doublé son efficacité énergétique, progressant plus que deux fois plus rapidement que le reste de l’Union européenne.</p>
<p>On trouvera plus de précisions sur la politique environnementale suédoise dans un <a href="https://theconversation.com/transition-ecologique-et-competitivite-industrielle-lexemple-suedois-63122">précédent article</a> ainsi que dans l’excellente <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/transition-energetique-suede">étude de Michel Cruciani</a> sur la transition énergétique en Suède publiée en juin 2016.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"743713673630257152"}"></div></p>
<h2>Trois limites du système</h2>
<p>Le dispositif suédois présente toutefois plusieurs faiblesses, qui reflètent les difficultés d’un pays à être plus ambitieux et plus vertueux que ses voisins sans mettre son industrie en difficulté ou se heurter aux contraintes des politiques européennes ou aux règles du commerce mondial.</p>
<p>Les entreprises qui consomment le plus d’énergie sont soumises au système européen d’échange des droits d’émission, donc moins incitées à progresser que les autres. Sauf à créer d’importantes distorsions de concurrence, le pays ne pourra avancer beaucoup plus vite que le reste de l’Europe sur ce domaine majeur.</p>
<p>Les Suédois exonèrent les biocarburants de la taxation puisque l’usage de ceux-ci n’entraîne pas d’émission nette (les gaz à effet de serre émis sont compensés par ceux qui ont été absorbés lors de la culture des végétaux utilisés comme carburant) ; mais il faut faire quelques subtiles acrobaties administratives pour que ceci ne soit pas considéré comme une aide d’État par l’Europe. Une adaptation des règles européennes serait bienvenue.</p>
<p>Enfin, comme dans tous les pays développés, une part substantielle de l’empreinte écologique de la Suède vient des émissions dues à la fabrication des produits importés ou aux voyages des Suédois à l’étranger. Réduire cette empreinte supposerait un système de <a href="https://theconversation.com/taxer-le-carbone-sans-nuire-a-notre-competitivite-50372">taxe carbone aux frontières</a> (et plutôt de l’Europe que de la Suède) sur les produits manufacturés, voire sur certains services, plus difficile à mettre en œuvre.</p>
<p>Malgré ces réserves, l’exemple suédois montre que l’on peut s’engager très résolument dans la transition énergétique sans pénaliser ni la croissance ni l’emploi : en 25 ans, le PIB a augmenté de 75 % tandis que ses émissions directes de gaz à effet de serre diminuaient de 25 %.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur remercie Petra Hansson de l’Ambassade de Suède et Susanne Akerfeldt du ministère suédois des Finances pour les données à jour sur la taxation du CO<sub>2</sub> en Suède.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/88546/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Thierry Weil conseille La Fabrique de l’industrie, laboratoire d’idées destiné à susciter et à enrichir le débat sur l’industrie. La Fabrique de l’industrie a également travaillé sur la Suède, notamment sur la qualité de son dialogue social. </span></em></p>
La Suède a réussi à augmenter son efficacité énergétique de 133 % en 25 ans : son PIB a augmenté de 75 % tandis que ses émissions directes de gaz à effet de serre diminuaient de 25 %.
Thierry Weil, Membre de l’Académie des technologies, professeur au Centre d’économie industrielle, Mines Paris - PSL
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tag:theconversation.com,2011:article/86294
2017-11-09T21:05:31Z
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Quelle politique industrielle européenne ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/191794/original/file-20171025-25565-2e4ofa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Usine Airbus (A380) à Toulouse.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jeromebg/26644609366/in/album-72157667060243610/">j_bg / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/227138/original/file-20180711-27030-14gt88i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/227138/original/file-20180711-27030-14gt88i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/227138/original/file-20180711-27030-14gt88i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/227138/original/file-20180711-27030-14gt88i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/227138/original/file-20180711-27030-14gt88i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/227138/original/file-20180711-27030-14gt88i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/227138/original/file-20180711-27030-14gt88i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">DR.</span>
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</figure>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre de l’initiative « Quelle est votre Europe ? » dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez toutes les informations, débats et les événements de votre région sur le site <a href="https://bit.ly/2qJ1aUH">quelleestvotreeurope.fr</a></em></p>
<hr>
<p>Les politiques industrielles des pays européens sont très diverses et une convergence sur certains sujets serait très souhaitable.</p>
<p>De fait, certains pays s’interrogent sur la pertinence de leurs politiques. Ainsi, dès avant le Brexit et plus encore depuis, le <a href="http://www.la-fabrique.fr/fr/projet/limpact-investissements-directs-etrangers-lindustrie-britannique-lecons-france/">Royaume-Uni</a>, traditionnellement peu interventionniste, affichait vouloir soutenir son industrie. L’Allemagne a été ébranlée par le rachat de l’entreprise de robots Kuka par le groupe chinois Midea sans que sa législation lui permette de s’y opposer. La France a été traumatisée par le démantèlement du groupe Alstom.</p>
<h2>Les dogmes des analystes montrent leurs limites</h2>
<p>Les dogmes apparus au début des années 2000 sous l’influence des financiers anglo-saxons, vantant la supériorité des « pure-players » (actifs dans un seul secteur économique et plus faciles à comparer à leurs concurrents) et des « fabless » (qui conçoivent des produits mais sous-traitent leur fabrication) se sont avérés parfois toxiques.</p>
<p>Un groupe français comme l’ancienne Compagnie générale d’électricité, jadis aussi puissante que Siemens, General Electric ou ABB a été scindé en pure-players qui se sont tous trouvés fragilisés. Sa division Télecom, Alcatel, dut se marier avec Lucent (elle-même issue de la scission du géant américain AT&T) puis fut achetée par Nokia, sa division énergie l’était par General Electric et sa division transport par Siemens.</p>
<p>Les <em>pure-players</em> de taille sous-critique furent ainsi les proies de ceux qui étaient restés des consortia, capables d’investir lors des bas de cycles lorsque les investisseurs financiers prennent peur.</p>
<p>Une mode de management encore plus pernicieuse fut celle des <em>fabless</em>. Pour ses promoteurs, les opérations de fabrication, à faibles marges, étaient condamnées à partir dans les pays à bas salaires, tandis que les entreprises des pays développés se spécialiseraient dans les tâches à haute valeur ajoutée. C’était méconnaître qu’on ne conçoit pas longtemps sans le retour d’expérience de ceux qui fabriquent.</p>
<p>Cette mode accéléra les fermetures d’usine, au détriment de certains territoires dont les populations fragilisées montrèrent leur désarroi, au Royaume-Uni avec le vote pour le Brexit, aux États-Unis avec l’élection de Donald Trump, mais aussi en France, en Autriche et en Allemagne avec la poussée des partis populistes prônant le protectionnisme.</p>
<h2>Une Europe industrielle encore à construire</h2>
<p>De fait, l’Europe se prive du bénéfice d’un marché plus large que ceux des États-Unis et de la Chine à cause de l’hétérogénéité de ses réglementations et de ses politiques. Une politique commune ou une convergence des règles est nécessaire dans les domaines de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, de la transition énergétique, des charges pesant sur les salaires, de la fiscalité des entreprises et notamment des transactions numériques, à l’instar de ce qui a été fait avec succès pour la plupart des réglementations des produits.</p>
<p>Dans le domaine prioritaire de la lutte contre le changement climatique, il est urgent de mettre en place une taxation du carbone incitant à réduire les émissions. À défaut d’un <a href="https://theconversation.com/transition-ecologique-et-competitivite-industrielle-lexemple-suedois-63122">bon instrument</a>, les pays mettent en place des politiques parfois très coûteuses mais surtout peu efficientes.</p>
<p>Le Danemark et l’Allemagne, tout en faisant des efforts louables pour promouvoir les énergies renouvelables, utilisent des centrales à charbon très polluantes pour faire face aux intermittences. Bien sûr, une taxe élevée ne doit pas mettre en péril l’industrie européenne par rapport à des concurrents moins exigeants.</p>
<p>Il faut donc <a href="https://theconversation.com/taxer-le-carbone-sans-nuire-a-notre-competitivite-50372">prélever la taxe carbone sur les produits importés</a>, en fonction des émissions causées par leur fabrication. Une telle taxe, si elle est un peu compliquée à mettre en œuvre (mais pas plus que la TVA dans la France des années 1950), est compatible avec les règles de l’OMC puisqu’elle s’applique de la même manière aux produits fabriqués localement et à ceux qui sont importés.</p>
<p>Dans le domaine de l’énergie, les écarts de prix entre les pays du Golfe, les États-Unis, l’Europe et l’Asie ont un fort impact sur la chimie de base et l’aluminium. Dans d’autres secteurs, même intensifs en énergie, <a href="http://www.cerna.mines-paristech.fr/Donnees/data02/284-I3WP_13-ME-07.pdf">leurs effets restent dominés par d’autres déterminants de la compétitivité</a> ou ne compensent pas les coûts du transport intercontinental.</p>
<p>En revanche des écarts trop importants entre pays voisins peuvent distordre la concurrence dans certains secteurs. Une politique énergétique européenne doit éviter ces écueils et permettre une production d’énergie minimisant les émissions de gaz à effet de serre.</p>
<p>Un domaine où la convergence est très souhaitable est celui de la fiscalité et notamment de la <a href="http://www.la-fabrique.fr/fr/publication/allegements-du-cout-du-travail-pour-une-voie-favorable-a-la-competitivite-francaise/">taxation du travail</a>. Certains pays comme la France font reposer le financement de leur protection sociale sur les salaires, d’autres sur l’ensemble de la fiscalité, donc sur les capacités contributives ou la consommation de chacun, sans lien avec l’origine de ses ressources. Ceci crée des écarts importants du coût du travail entre les pays.</p>
<p>La situation est particulièrement flagrante dans le cas des travailleurs détachés, où des personnes font le même travail dans le même pays en étant assujetties à des systèmes de prélèvement très différents.</p>
<p>La fiscalité des entreprises opérant dans de multiples pays appelle une réponse coordonnée des Européens. La Commission européenne en est consciente. Elle a condamné certaines pratiques fiscales de l’Irlande ou du Luxembourg et engagé une réflexion sur la taxation des plateformes de transactions numériques.</p>
<p>Enfin, la politique de la concurrence a bloqué des rapprochements comme celui d’Airbus et de British Aerospace pour ne pas créer un acteur dominant en Europe. Mais dans un domaine où les consommateurs européens peuvent acheter des produits fabriqués dans le monde entier, cette politique empêche l’émergence d’acteurs européens puissants, sans grand bénéfice pour le consommateur, et avec des dommages importants pour le tissu industriel du continent. La prospérité européenne et le pouvoir d’achat des Européens reposent aussi sur une vision industrielle ambitieuse.</p>
<p>Le gouvernement français semble en être convaincu, espérons que la nouvelle coalition allemande partagera cette aspiration.</p>
<hr>
<p><em>Une version en anglais de cet article sera publiée dans l’ouvrage <a href="http://www.nomisma.it/index.php/en/">« The World in 2018 »</a> publié par l’institut Nomisma.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86294/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Thierry Weil est délégué de La Fabrique de l'industrie, laboratoire d'idées destiné à susciter et à enrichir le débat sur l'industrie.</span></em></p>
Une politique commune ou une convergence de certaines règles est nécessaire au déploiement d’une industrie européenne puissante.
Thierry Weil, Membre de l’Académie des technologies, professeur au Centre d’économie industrielle, Mines Paris
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/86387
2017-10-26T19:44:03Z
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Liberté, sécurité, dignité : au-delà du salariat et du précariat
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/192006/original/file-20171026-13315-pvd90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Deliveroo.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/30828137843/6ec0196b82/">Taylor Herring/Visual Hunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Alors que les débats sont vifs sur les évolutions du droit du travail protégeant les salariés en CDI, une part significative des actifs n’est plus concernée. C’est depuis longtemps le cas des chômeurs, c’est de plus en plus celui des travailleurs formellement indépendants mais économiquement dépendants quand l’essentiel de leur activité dépend d’un donneur d’ordre ou d’une plateforme comme Uber ou Deliveroo.</p>
<p>Comme dans la fable « Le loup et le chien », on nous suggère souvent que les actifs devraient faire un choix entre la liberté risquée du loup indépendant et la sécurité soumise du chien salarié. Le professeur <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_Supiot">Alain Supiot</a> a montré l’intérêt d’<a href="http://bit.ly/2z7Fqrs">enrichir cette vision</a> en ajoutant aux dimensions de liberté et de sécurité celle de la responsabilité. Adaptant son idée, deux jeunes fonctionnaires du Corps des mines viennent de publier un ouvrage (<a href="http://www.la-fabrique.fr/fr/publication/salariat-modele-depasse/"><em>Le salariat, un modèle dépassé</em></a>) où ils analysent les relations de travail en fonction des trois dimensions que sont la liberté, la sécurité et la dignité, elles-mêmes caractérisées selon plusieurs critères.</p>
<h2>De quoi parle-t-on ?</h2>
<p>Les auteurs de l’ouvrage, <a href="https://www.pressesdesmines.com/author-book/chevallier/">Alexandre Chevallier</a> et <a href="https://www.pressesdesmines.com/author-book/milza/">Antonin Milza</a> rappellent d’abord que le salariat n’est pas en voie de disparition. Il n’a au contraire jamais rassemblé plus d’actifs. 90 % de ceux-ci sont aujourd’hui salariés et cette proportion est à peu près stable depuis 25 ans, alors qu’ils n’étaient que 65 % en 1950 et 85 % en 1980.</p>
<p>Cependant la nature même du salariat évolue. Moins d’un actif de 15-25 ans sur deux (45 %) est employé en CDI alors que c’était le cas des trois quarts (77 %) dans les années 1980. Les contrats courts ou à temps partiel se multiplient, des formes de CDI plus précaires (CDI intermittent ou CDI de chantier) et la pluriactivité se développent. Les entreprises externalisent une part croissante de leurs tâches à des sous-traitants offrant des conditions de travail moins attrayantes et des situations plus précaires.</p>
<p>Le statut alternatif de travailleur indépendant ou de micro-entrepreneur recouvre lui-même des réalités très diverses, de la profession libérale très lucrative pour ceux qui détiennent une compétence recherchée, à la seule alternative au chômage pour des personnes défavorisées et précaires, en passant par des compléments de ressources pour salariés souhaitant améliorer leur situation financière.</p>
<h2>La grille d’analyse proposée</h2>
<p>Les auteurs proposent 11 critères d’analyse des situations de travail.</p>
<p>La <strong>liberté</strong> est caractérisée par l’absence de subordination (à un chef qui donne des ordres), l’indépendance économique (par rapport à un seul employeur ou client) et l’autonomie opératoire (liberté de la manière de réaliser la prestation demandée).</p>
<p>On voit donc que malgré leur indépendance formelle, un chauffeur de VTC ou un livreur cycliste sont assez peu libres, sauf – un peu – du choix de leurs horaires de travail.</p>
<p>La <strong>sécurité</strong> peut s’apprécier au niveau de la garantie d’un revenu stable, de l’assurance contre le chômage, de la couverture du risque de maladie (frais médicaux et revenu de substitution), de la garantie d’une retraite et de l’accès au logement.</p>
<p>Enfin, la <strong>dignité</strong> consiste en la capacité de développer son potentiel et de se former, la participation à un collectif créateur de lien social et le fait d’être au service d’une mission porteuse de sens.</p>
<p>Les actifs sont plus ou moins sensibles à ces divers critères, les employeurs plus ou moins capables et désireux de proposer une situation de travail attractive à l’aune de ces onze critères.</p>
<p>La multiplication des types de contrat de travail ou de relations contractuelles, en France et dans le reste de l’Europe, rompt avec le système bipolaire qui opposait naguère la sécurité et la dépendance hiérarchique du salariat à la liberté sans sécurité du travailleur indépendant.</p>
<h2>Comment construire des rapports de travail équilibrés ?</h2>
<p>Pour les auteurs, on peut construire des rapports de travail équilibrés soit par des approches horizontales, en améliorant les statuts existants sur certains critères, soit par des approches verticales, en rendant la satisfaction d’un critère indépendante du statut du travailleur.</p>
<p>Un exemple d’approche horizontale améliorant la situation des indépendants est l’option des <a href="https://www.economie.gouv.fr/ess/cooperative-dactivites-et-demplois-cest-quoi">coopératives d’activité et d’emploi</a> comme <a href="http://www.coopaname.coop/">Coopaname</a>, qui apportent un cadre plus sécurisé à l’exercice d’une activité indépendante (assurance contre le chômage, la maladie et la vieillesse), facilitent certaines tâches, apportent conseils et appuis, permettent de participer à une aventure collective, au prix de de la mutualisation d’une part des revenus.</p>
<p>Des approches horizontales améliorant la situation des salariés sur certains critères peuvent consister à les faire participer à la gouvernance des entreprises ou à leur donner plus d’autonomie sur la manière de réaliser leur contribution, ou encore à donner à l’entreprise un objet social qui prime sur ses objectifs économiques.</p>
<p>Les approches verticales consistent à créer des droits universels. C’est ce qui s’est passé avec la couverture maladie universelle (indépendante du statut d’emploi). C’est ce que cherche à mettre en place le gouvernement avec une protection universelle contre le chômage. C’est ce qui sous-tend l’idée d’un revenu contributif. C’est ce qu’un système d’assurance des bailleurs contre les loyers impayés pourrait réaliser en matière d’accès au logement.</p>
<h2>Enrichir les représentations pour faciliter un dialogue fécond</h2>
<p>Dans le domaine de la <a href="https://www.pressesdesmines.com/produit/strategie-d-entreprise/">stratégie d’entreprise</a>, de nombreux consultants se sont couverts de gloire en proposant à leurs clients diverses matrices d’analyse. L’intérêt de celles-ci était d’enrichir la discussion en permettant de considérer plusieurs dimensions d’une question. Par exemple, le secteur dans lequel j’envisage d’investir ou le marché que je vise est-il prometteur (marché en développement, activité à forte marge…) et ai-je des atouts spécifiques pour mieux y réussir que mes concurrents (maîtrise des savoir-faire et des ressources nécessaires) ?</p>
<p>Combiner ces dimensions permet d’enrichir la discussion (c’est tentant mais nous n’avons pas les moyens, nous pouvons y aller mais cela n’est pas très intéressant, etc.) et de prendre de meilleures décisions.</p>
<p>De la même manière, considérer de multiples critères d’analyse d’une relation de travail permet d’aller au-delà de compromis frustrants entre sécurité et autonomie et de réfléchir à des formes de relation plus satisfaisantes à la fois pour les employeurs et donneurs d’ordres et pour les travailleurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86387/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Thierry Weil est délégué de La Fabrique de l'industrie, qui a publié l'ouvrage commenté dans cette chronique. La Fabrique de l'industrie est laboratoire d'idées destiné à susciter et à enrichir le débat sur l'industrie.</span></em></p>
Définir le cadre de son activité professionnelle ne se limite pas à choisir entre être un salarié soumis aux ordres de la hiérarchie ou un travailleur indépendant dépourvu de toute protection.
Thierry Weil, Membre de l'Académie des technologies, Professeur au centre d’économie industrielle, Mines Paris - PSL
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tag:theconversation.com,2011:article/74012
2017-05-01T20:28:58Z
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Un capitalisme d’intérêt général
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/167366/original/file-20170501-17307-97xf8s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Patagonia est un bon exemple d'entreprise à impact sociétal positif.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f/photo/2672910273/cdb1a5faef/">Nicolas Boullosa/Visual Hunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Dans cette période électorale régressive, certains veulent nous faire croire que nous aurions le choix entre un capitalisme dérégulé sans égard pour les laissés pour compte de la mondialisation et un repli isolationniste dont nous n’avons pas les moyens, car pour pouvoir s’isoler, il faudrait être autonome.</p>
<h2>Refuser le choix entre injustice et pauvreté</h2>
<p>Même si leurs propositions sont irréalistes, les grands simplificateurs d’une droite et d’une gauche qui refusent le qualificatif d’extrême ont beau jeu de constater le désordre de notre société, le dysfonctionnement des dispositifs censés garantir l’égalité des chances, le délitement des solidarités. Les riches ont le sentiment que leurs impôts servent à alimenter le tonneau percé d’un État incapable d’exercer efficacement ses missions de service public et sont tentés par la <a href="https://theconversation.com/un-second-tour-le-pen-melenchon-les-dangers-du-degagisme-76157">sécession</a>. Ceux qui « rament », excédés, veulent leur faire rendre gorge ou s’en prennent à divers « envahisseurs ».</p>
<p>Pourtant, encore récemment, certains annonçaient la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Fin_de_l%27histoire_et_le_Dernier_Homme">fin de l’histoire</a>, la prospérité et la libération des individus grâce à l’implosion des pays communistes et des dictatures. Notre meilleur des mondes politiques et économiques n’a cependant pas su convaincre ceux qui ailleurs ont voté pour le <a href="https://theconversation.com/industrie-et-cohesion-sociale-et-territoriale-lautre-lecon-du-brexit-61959">Brexit</a> ou pour Trump, ni ceux qui chez nous sont tentés par un soutien à Le Pen ou Mélenchon.</p>
<p>Nous pouvons cependant refuser le choix binaire, voire l’absence de choix dont on nous menace. Comme le montre <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-No%C3%ABl_Giraud">Pierre-Noël Giraud</a>, il existe de <a href="http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Principes_d___conomie-9782707182944.html">multiples formes de capitalisme</a> et celui-ci n’est pas incompatible avec des dispositifs de régulation plus ou moins ambitieux. Lorsque les marchés sont efficients, la recherche par chacun de son intérêt individuel optimise l’allocation et l’usage des ressources dans l’intérêt général. Lorsqu’ils ne le sont pas, l’intérêt général ne peut être garanti que par une régulation qui passe par la coercition ou l’incitation. Par exemple, si notre collectivité choisit de respecter des normes exigeantes en matière d’impact sur l’environnement ou de droits humains, il est <a href="https://theconversation.com/taxer-le-carbone-sans-nuire-a-notre-competitivite-50372">légitime qu’elle protège ses entreprises</a>, auxquelles elle impose ces contraintes, contre la concurrence de sociétés qui polluent ou exploitent leur main d’œuvre.</p>
<h2>Entreprendre en privilégiant l’intérêt général</h2>
<p>Heureusement, beaucoup d’entrepreneurs n’ont pas besoin de régulations coercitives pour poursuivre un projet d’intérêt général économiquement viable. Nombreux sont ceux qui veulent que leur travail ait un sens et contribue à un monde meilleur. Certes, rien ne les empêche aujourd’hui de créer une entreprise qui privilégie ces objectifs altruistes sur la recherche du profit, mais la pérennité de leur projet peut être menacée.</p>
<p>C’est notamment le cas lorsqu’ils doivent s’associer pour accéder à des compétences complémentaires aux leurs ou à des financements. Leurs associés peuvent avoir ou développer à terme une vision du monde différente et promouvoir d’autres arbitrages entre les ambitions du fondateur et les profits.</p>
<p>C’est particulièrement vrai si l’entreprise est une société par actions, notamment aux États-Unis où un actionnaire peut attaquer en justice un dirigeant qui prend une décision ayant pour conséquence de limiter la rentabilité de son investissement. Ces <em>fiduciary duties</em> sont cohérentes avec la position de l’économiste Milton Friedman écrivant en 1970 que « la responsabilité sociale des entreprises est d’augmenter leurs profits ».</p>
<p>Pour surmonter ces difficultés, de nouveaux statuts de sociétés sont apparus, parfois de longue date (mutuelles, SCOP…) parfois plus récemment, afin d’inscrire dans la constitution de l’entreprise la mission d’intérêt général choisie par ses fondateurs et de protéger cette mission lorsqu’elle entre en conflit avec d’autres objectifs.</p>
<h2>Les entreprises à mission</h2>
<p>Dans un <a href="http://editions.prophil.eu/produit/entreprises-mission/">ouvrage clair et documenté</a>, illustré de nombreux cas concrets, <a href="http://prophil.eu/fr/">Prophil</a> (société de conseil en stratégie philanthropique) dresse un panorama international de ces statuts juridiques permettant d’organiser une entreprise au service du bien commun sans négliger la viabilité économique indispensable à la poursuite de sa mission. On y découvre les subtiles différences entre le statut de <em>Benefit Corporation</em>, qui certes protège les dirigeants des poursuites mais reste imprécis et peu contraignant, se contentant d’exiger un rapport sur l’impact environnemental et social et la gouvernance, et les <em>special purpose corporations</em> dont les objectifs d’intérêt généraux peuvent être mieux spécifiés et sont opposables aux actionnaires.</p>
<p>En France, la loi de juin 2014 sur l’Économie sociale et solidaire (« loi Hamon ») ouvre la voie aux entreprises commerciales d’utilité sociale. Certains veulent aller encore plus loin et expérimentent la <a href="http://www.pressesdesmines.com/economie-et-gestion/la-societe-a-objet-social-etendu.html">« société à objet social étendu »</a> proposée par des chercheurs de Mines-ParisTech.</p>
<p>L’ouvrage <em>Les entreprises à mission</em> présente de nombreux exemples, à l’étranger et en France, allant de l’américain Patagonia, qui vend des vêtements et équipements sportifs en s’attachant à leur impact écologique et aux conditions de leur production et en affectant 1 % de son chiffre d’affaires au soutien de diverses causes ; au français Nutriset, qui fabrique des suppléments alimentaires pour lutter contre la malnutrition dans les pays du Sud ; en passant par Enea Consulting, qui intègre le mécénat de compétences au profit des populations précaires dans sa stratégie de conseil dans le domaine de la transition énergétique ; ou par Plum Organics, qui propose une nourriture pour enfant saine et diversifiée et lutte contre la précarité alimentaire en fournissant de nombreux repas gratuits et qui grâce à son statut de <em>public benefit corporation</em> (une forme de SPC) peut conserver des modalités de gouvernance spécifiques et différentes des autres filiales du groupe alimentaire Campbell, qui détient désormais son capital. Bien d’autres exemples italiens, britanniques, américains ou français illustrent la variété des engagements.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/j6x6dKd5XMU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Construire un capitalisme d’intérêt général par la régulation et l’incitation</h2>
<p>La fracture sociale d’une société dont l’enrichissement ne profite qu’à quelques-uns n’est pas une fatalité. Un capitalisme d’intérêt général peut se construire en combinant deux approches. D’une part, il faut une régulation pour lutter contre certains comportements prédateurs, en interdisant des actions nuisibles à certaines parties prenantes ou en créant divers systèmes d’incitation. Ces incitations ont pour but d’« internaliser les externalités », c’est-à-dire de faire payer à un agent économique les conséquences fâcheuses pour d’autres de son activité (par exemple par la mise en place d’une taxe carbone qui l’incite à émettre moins de gaz à effet de serre) ou à le faire bénéficier des services qu’il rend à la collectivité (par exemple en subventionnant un agriculteur dont l’action contribue à l’entretien du patrimoine naturel). D’autre part, il faut faciliter la vie des entrepreneurs sociaux, qui contribuent à l’intérêt général sans renoncer pour autant à vivre de leur activité.</p>
<p>Des statuts des entreprises à mission assortis de mécanismes transparents d’évaluation des impacts extrafinanciers sur les objectifs qu’elles se donnent facilitent le développement de ces nouveaux acteurs dont la priorité n’est pas la maximisation du profit, mais qui entendent vivre de leur activité plutôt que de subventions publiques.</p>
<p>Même si elles restent très minoritaires, ces entreprises pionnières contribuent à tirer vers le haut l’ensemble des acteurs économiques. En effet, puisque ces nouveaux entrepreneurs à impact sociétal attirent de plus en plus de jeunes diplômés qui cherchent un travail porteur de sens, les entreprises moins engagées se trouvent contraintes de dépasser le <em>greenwashing</em> ou les déclarations purement formelles sur leur attachement à leur responsabilité sociale et à faire la preuve d’un véritable respect des droits humains et de l’environnement si elles veulent continuer à attirer des collaborateurs motivés et compétents.</p>
<p>La moralisation du capitalisme ne peut se passer de régulation, mais elle repose aussi sur des collaborateurs et des consommateurs de plus en plus sensibles à la manière dont les biens et les services sont produits. Ils votent avec leurs pieds et leur porte-monnaie, d’autant plus efficacement qu’ils sont de mieux en mieux informés.</p>
<p>L’actualité nous le prouve, il y a urgence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/74012/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Les sociétés à objet social étendu sont un des thèmes de recherche de l'Institut interdisciplinaire pour l'innovation (I3, unité CNRS), de Mines ParisTech (mais l'auteur ne participe pas à cette recherche).
Thierry Weil est par ailleurs délégué de La Fabrique de l'industrie, laboratoire d'idées destiné à susciter et à enrichir le débat sur l'industrie. </span></em></p>
Un panorama des « entreprises à mission » montre qu’on peut dépasser le choix entre un capitalisme prédateur et une économie administrée.
Thierry Weil, Membre de l'Académie des technologies, Professeur au centre d’économie industrielle, Mines Paris - PSL
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.