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Communauté en aquarium. Shari Weinsheimer

Comment être heureux et avoir beaucoup d’enfants quand on est un poisson

Pourquoi les vieux couples se ressemblent-ils tant ? Cette question est vivement débattue en psychologie humaine. Le fait que les partenaires se ressemblent et adoptent des comportements similaires jouerait un rôle non négligeable dans la satisfaction maritale des conjoints et la cohésion de leur couple.

Le fait que les partenaires se ressemblent peut être le simple résultat d’un choix préalable à la mise en couple (“qui se ressemble s’assemble”). Mais il est aussi possible que cette ressemblance résulte d’une convergence comportementale entre les partenaires une fois le couple formé (“qui s’assemble finit par se ressembler”).

Pour notre espèce, il est très difficile de démêler le processus de choix initial des partenaires, de la convergence après le début de la relation. Pour arriver à faire la part des choses, il faudrait pouvoir contrôler la formation des couples indépendamment des préférences individuelles. Évidemment, c’est éthiquement et moralement inacceptable, la question reste donc en suspens chez l’humain.

Et chez les autres animaux monogames ?

Chez les autres espèces monogames, la question avait jusqu’à maintenant été négligée, les biologistes supposant plus ou moins implicitement que la similarité entre les partenaires résulterait d’un choix initial, et non d’une forme d’ajustement à la formation du couple.

Huskies. Les chiens ont des personnalités diverses. Violetta/Pixabay

Au sein d’une même espèce, les individus n’ont pas tous le même profil comportemental. Peut-être avez-vous remarqué que certains chiens sont plutôt téméraires, agressifs face à une menace et plus explorateurs dans l’environnement (on les appelle les individus proactifs) alors que d’autres sont timides, peu agressifs et peu enclin à la nouveauté (les individus réactifs).

Il ne s’agit pas d’anthropomorphisme, simple projection de sentiments humains sur nos animaux domestiques. Car il est relativement facile de quantifier objectivement, au moyen de tests standardisés, ces différences de profil comportemental. On les retrouve chez presque toutes les espèces animales chez qui elles ont été recherchées.

Il serait faux de croire qu’un profil serait systématiquement plus avantageux qu’un autre. Par exemple, dans un contexte de soins parentaux, les individus proactifs passent beaucoup de temps à défendre leur nid contre les prédateurs alors que les individus réactifs investissent surtout dans les soins directs aux œufs ou aux jeunes.

À l’échelle du couple, la combinaison des profils comportementaux des deux parents devraient affecter leur capacité à se reproduire efficacement. En effet, les parents doivent coordonner leurs actions quand ils se partagent les soins aux jeunes. Les couples dont les partenaires ont un profil comportemental similaire sont alors souvent avantagés.

Par exemple, chez les mésanges charbonnières ou les diamants mandarins, les partenaires qui se ressemblent arrivent à élever plus de jeunes que les couples dont les partenaires sont différents. Des parents similaires arrivent à se synchroniser leurs trajets auprès de la couvée ce qui réduit l’activité autour du nid et évite donc d’attirer l’attention des prédateurs sur celui-ci. Ainsi, plus que le profil comportemental de chacun des parents, c’est bien leur ressemblance qui aurait un rôle crucial sur leur succès de reproduction du couple.

Qui se ressemble se défend mieux

Attention aux ours quand on est en balade. Wikimedia

Risquons une analogie : supposons que lors d’une randonnée en famille avec vos jeunes enfants, vous croisiez un ours un peu agressif qui vous perçoit comme un danger et menace de vous attaquer. Soit vous et votre conjoint décidez d’unir vos forces pour lui faire peur et le mettre en fuir, soit vous adoptez un comportement plus prudent et battez en retraite en essayant de ne pas laisser de petits derrière. Dans les deux cas, il n’est pas certain que vous vous en sortiez sans mal, mais les chances de succès de ces deux tactiques sont en tout cas plus élevées que si l’un de vous fuit alors que l’autre attaque l’ours tout seul.

Choisir dès le départ un partenaire similaire à soi semblerait donc une bonne stratégie pour s’assurer un bon succès reproducteur. Mais, à moins d’être particulièrement chanceux, il faudra aux individus beaucoup de temps pour dénicher ce partenaire idéal, et peut-être n’y arriveront-ils pas ! Le risque est alors grand pour les individus de rester célibataire et de laisser passer une occasion de se reproduire… Il serait alors peut-être plus judicieux d’accepter un des premiers partenaires disponibles qui se présente, puis de tenter de tirer parti de la situation en s’ajustant à lui ou en attendant qu’il le fasse La question est alors de savoir si des partenaires mal assortis peuvent s’accorder l’un à l’autre après la formation du couple ?

Poissons en couples

Les oiseaux ont la réputation de former des couples stables et d’être fidèles à leur partenaire. La monogamie se retrouve aussi dans d’autres groupes tels que certains poissons dont le cichlidé zébré Amatitlania siquia, un petit poisson tropical d’eau douce. Chez cette espèce, le mâle et la femelle forment une paire stable, occupent un nid qu’ils creusent dans le sédiment et veillent ensemble sur leur progéniture.

Cichlidés zébrés. Wikipédia, CC BY-SA

Les soins prodigués aux jeunes sont variés et s’étalent sur plusieurs semaines depuis la ponte jusqu’à l’indépendance des alevins. La défense du nid contre les prédateurs est une des tâches essentielles car, dans les rivières d’Amérique centrale où ils vivent, les jeunes sont en permanence exposés à la prédation par des poissons plus gros. Il est donc crucial que les parents arrivent à se coordonner efficacement pour que leurs jeunes survivent.

Dans notre étude, nous avons formé des couples composés de partenaires aux profils comportementaux très contrastés ou, au contraire, très similaires. L’activité de défense du nid face à un intrus sur leur territoire était évaluée pour chaque individu avant et après la formation du couple.

Cette étude nous a tout d’abord permis d’observer que, tout comme chez les oiseaux, ce qui compte, c’est bien la ressemblance entre partenaires : les couples formés de deux partenaires proactifs ou deux partenaires réactifs avaient un succès reproducteur comparable, et, en moyenne, supérieur à celui des couples formés d’individus dissemblables (un proactif apparié avec un réactif).

En revanche, une observation plus fine des résultats a révélé quelques surprises : le comportement de certains couples initialement mal assortis avait convergé ! Les partenaires étaient parvenus à s’accorder l’un à l’autre. En outre, plus ils étaient devenus similaires, meilleur était leur succès reproducteur. Non seulement ils avaient plus de jeunes que les couples qui avaient peu convergé, mais ils avaient un nombre de jeunes équivalent à celui des couples initialement similaires. Par ailleurs, la convergence était principalement le résultat de l’ajustement du partenaire réactif vers son partenaire proactif.

Notre travail a mis en avant la possibilité d’un ajustement des partenaires après la mise en couple pour expliquer la similarité au sein des couples de cichlidés zébrés observée dans la nature. Gardons-nous bien à ce stade de généraliser ces conclusions à l’espèce humaine, mais reconnaissons que si les partenaires poissons sont capables de s’ajuster l’un à l’autre, il est envisageable que les conjoints humains le soient aussi.

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