Menu Close
Des blocs représentent une balance pesant des émissions de CO₂ et des compensations carbone
La compensation carbone permet à un émetteur d’émissions de GES de payer un tiers pour éliminer des sources d’émissions ou de capter du CO₂ déjà présent dans l’atmosphère. (Shutterstock)

Comment éviter l’écoblanchiment dans la compensation carbone ?

La réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) reste la priorité pour stabiliser le climat planétaire.

La compensation des émissions par le biais de crédits ou compensations carbone est aussi un outil incontournable si nous voulons atteindre les objectifs climatiques fixés par l’Accord de Paris. Le principe de la compensation carbone permet à un émetteur d’émissions de GES de payer un tiers pour éliminer des sources d’émissions ou de capter du CO2 déjà présent dans l’atmosphère, ce qui au final vise à réduire un bilan d’émissions.

Par contre, le marché du carbone est imparfait. Il est fragmenté entre de nombreux acteurs qui délivrent sur les marchés volontaires ou règlementaires des crédits de qualité et de prix très variables. Des acheteurs sont aussi plus ou moins informés. Ils se préoccupent parfois davantage du prix que de la qualité des crédits. Ces situations peuvent mener à de l’écoblanchiment.


Read more: Les crédits carbone sont utiles pour stabiliser le climat… mais sont-ils utilisés efficacement ?


Il est donc nécessaire que le marché se réforme, notamment en améliorant les mécanismes de régulation et de surveillance. Par exemple, la mise en œuvre d’un marché mondial dans le cadre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (émergence possible avant 2030) pourrait contribuer à standardiser les marchés.

Quant aux compensateurs, ils doivent mieux connaître et comprendre les critères leur permettant de faire des choix éclairés. Une étude récente démontre que les citoyens, consommateurs et investisseurs ont de faibles « compétences carbone », menant à de mauvaises priorisations et mauvais choix d’actions climatiques. Cela inclut de l’écoblanchiment, qu’il soit volontaire ou induit, via la sélection de compensations de mauvaise qualité.

Nous sommes professeurs, chercheurs et chercheuses au Département des sciences fondamentales de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), et travaillons sur la question des changements climatiques et notamment sur la manière dont la forêt boréale pourrait contribuer à les atténuer. Nous tenons aussi à souligner l’apport du professeur Claude Villeneuve, qui a contribué à la rédaction de ce texte avant son décès, arrivé subitement en mai 2024.

Comment évaluer la qualité des crédits et compensations carbone ?

La qualité des crédits et des compensations carbone peut être évaluée à partir de critères reconnus mondialement comme indicateurs de qualité. Ceux-ci devraient être connus des compensateurs, des citoyens, des industriels et des gouvernements, et ce, avant de faire le choix du programme de compensation ou de crédits carbone qu’ils utiliseront.

Figure 1. Critères permettant de reconnaitre des crédits ou compensations carbone valables. ODD : Objectifs de développement durable du Programme 2030 des Nations unies.

Le projet, quel qu’il soit, doit démontrer, selon une méthodologie standardisée reconnue, que la réduction des émissions ou la séquestration des GES n’auraient pas eu lieu en temps normal, que cela aille au-delà d’exigences réglementaires ou du cours normal des affaires (scénario de référence), selon le principe d’additionnalité.

Le scénario de référence choisi doit être crédible, parce que c’est à partir de celui-ci que l’on évalue la quantité de tonnes d’équivalent CO2 évitée ou captée. C’est d’ailleurs souvent à cette étape que le bât blesse : un scénario inapproprié entraîne une surévaluation du volume de crédits menant à de l’écoblanchiment volontaire ou induit.

Mettre en place des mesures standardisées

Il faut aussi démontrer que la réduction des émissions est irréversible ou que des mesures compensatoires sont mises en place pour l’assurer, selon le principe de permanence. Ceci nécessite au préalable la mise en place de méthodes standardisées de quantification des flux de GES et de vérification de l’impact climatique réel du projet par un organisme tiers, indépendant et compétent.

Enfin, l’organisme qui vend les crédits doit tenir un registre et le rendre public afin d’assurer la transparence du processus et d’assumer la responsabilité de l’attribution des crédits, selon le principe d’imputabilité. Il doit aussi prouver que les crédits ne sont pas mis en vente plusieurs fois sur différents marchés, selon le principe d’unicité.

Les projets peuvent fournir d’autres bénéfices, en lien avec les droits de la personne, la biodiversité, le partage équitable des revenus et la cohérence avec les objectifs du développement durable. Ces bénéfices n’influencent pas la stricte comptabilité d’émissions/suppressions de GES, mais donnent une valeur ajoutée qui peut faire la différence pour l’acheteur au-delà du simple signal de prix.

Réduction ou séquestration des GES par les crédits carbone ?

Il existe deux types de projets donnant lieu à des crédits et compensations, soit via la réduction ou l’évitement d’émissions de GES ou par la capture et la séquestration de CO₂.

Figure 2. Représentation schématique de types de projets de réduction, évitement d’émissions de gaz à effet de serre ou captage de CO₂ avec exemples de projets basés sur la nature ou les technologies.

En revanche, seuls les crédits de retrait des émissions ou « émissions négatives » sont, à terme, compatibles avec les objectifs de neutralité carbone, soit la condition dans laquelle on ne peut émettre dans l’atmosphère plus de carbone qu’on ne peut en retirer. Ces crédits devront représenter 100 % de l’offre à partir de 2050 pour annuler les émissions incompressibles.

Ceux-ci représenteraient présentement seulement 20 % des crédits disponibles. Ils sont produits par exemple par le stockage biologique du carbone via l’afforestation (ou boisement), ou la restauration des écosystèmes. Dans une moindre mesure, ils peuvent être produits par des technologies comme la capture du CO2 de l’air et sa séquestration dans des réservoirs géologiques.

Ces technologies sont encore très chères et les subventions nécessaires à leur développement ne sont pas toujours acceptées socialement. Mais elles sont appelées à jouer un rôle primordial dans le futur, selon les prévisions de l’Agence Internationale de l’Énergie.

Transparence, vigilance et rigueur pour éviter l’écoblanchiment

Il y a ainsi place à la compensation dans toute solution climatique. Les crédits à émissions négatives seront incontournables dans les stratégies efficaces de lutte aux changements climatiques.

On estime que la demande de crédits carbone pourrait augmenter d’un facteur 100 d’ici à 2050. Il est néanmoins important de ne pas trop faire reposer nos stratégies sur la compensation, car leur disponibilité pourrait être nettement moindre.

L’approche des marchés du carbone permet de faciliter l’échange d’avantages comparatifs de réductions ou d’absorptions entre les acteurs. Cependant, son efficacité dépend du contrôle de la qualité des compensations offertes sur le marché, via un processus de vérification valable.

Récemment, l’Université d’Oxford a publié un guide qui décline les grands principes qui devraient régir les mécanismes de la compensation afin qu’elle soit un outil efficace pour atteindre la neutralité carbone. Ces principes sont essentiels à une saine gestion des GES pour utiliser la compensation lorsque nécessaire et dans un cadre standardisé.

Dans l’état actuel des choses, c’est à l’acheteur d’être vigilant s’il veut éviter de participer à de l’écoblanchiment ou de s’en voir coller l’étiquette, et ce, malgré ses bonnes intentions.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 190,000 academics and researchers from 5,046 institutions.

Register now