À l’heure où la déforestation et la dégradation des forêts tropicales menacent la biodiversité et le climat mondial, les préserver et les conserver est devenu une priorité. On oppose généralement deux options : la sanctuarisation des forêts ou leur exploitation raisonnée au bénéfice des populations humaines. Mais encore faut-il prendre en compte la réalité du terrain, où l’exploitation illégale compromet la capacité des forêts à se régénérer…
Dans l’ouvrage « Exploiter durablement les forêts tropicales », Plinio Sist, directeur de l’unité de recherche Forêts et sociétés du Cirad, propose une analyse approfondie des impacts environnementaux de l’exploitation forestière et explore les voies pour rendre cette pratique plus durable. Nous en reproduisons ici l’introduction.
Les forêts tropicales représentent la moitié des forêts de la planète, abritent plus de la moitié du carbone forestier et plus de 80 % de la biodiversité terrestre. Elles jouent également un rôle fondamental dans la régulation du climat tant à l’échelle régionale que mondiale, sans oublier qu’elles préservent les sols de l’érosion, régulent les réseaux hydriques, font baisser la température et offrent d’innombrables produits aux populations : viandes, fruits, matériel, plantes médicinales. Malheureusement, les forêts tropicales continuent à disparaître à un rythme alarmant.
Lors des trente dernières années, la planète a perdu un peu plus de quatre cents millions d’hectares (400 Mha) de forêts tropicales, soit 13 Mha en moyenne par an. Cette perte totale du couvert forestier est essentiellement due à la conversion des forêts tropicales en terres agricoles, en pâturages ou en plantations industrielles (palmier à huile, canne à sucre, arbres à croissance rapide). À cette déforestation s’ajoute la dégradation forestière qui, dans certaines régions du monde comme l’Amazonie, affecte autant de surfaces que le déboisement.
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Il n’existe pas de définition unique et universelle de la dégradation forestière. De façon générale, c’est une réduction de la capacité de la forêt à fournir des biens et des services, liée à des perturbations anthropiques ou naturelles. Cette définition ne prend toutefois pas en compte les aspects temporels et quantitatifs de la dégradation, qui restent des éléments clés.
En effet, selon le type, l’intensité et la fréquence des perturbations subies, la dégradation sera plus ou moins importante et de longue durée. Plus ces perturbations sont intenses et fréquentes et plus l’écosystème forestier mettra du temps à retrouver ses fonctions. Dans les cas extrêmes, les perturbations sont telles que l’écosystème ne se régénère plus et bascule vers un nouvel état stable différent de son état originel ; c’est par exemple le cas de la garrigue.
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Les deux principales causes de la dégradation forestière sont l’exploitation de bois d’œuvre ou de bois de cuisson non contrôlée, le plus souvent illégale, et la fragmentation, liée une fois encore à la déforestation et exacerbée par les effets du changement climatique. La dégradation provoque des perturbations plus ou moins importantes selon les causes et les pratiques. La capacité d’une forêt à se reconstituer, c’est-à-dire à revenir à un état comparable à son état initial, dépendra essentiellement de l’intensité et de la fréquence de ces perturbations.
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Dès 1992, la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement alerte sur la nécessité de préserver et de conserver les forêts tropicales pour le bien et la survie de l’humanité ; cet enjeu est aujourd’hui devenu une priorité absolue. Pour ce faire, deux approches complémentaires, mais que l’on aime à opposer, consistent soit à les sanctuariser en créant des aires de protection qui limitent le plus possible l’exploitation de leurs ressources par les humains, soit, au contraire, à mettre en place une exploitation raisonnée au bénéfice des populations locales et de la société en général. La seconde méthode est celle choisie par les forestiers, sur la base du principe qu’une forêt valorisée générant des biens et des services aux populations, à l’État et à la société, sera une forêt protégée et conservée.
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Malheureusement, la réalité du terrain continue de contredire ce principe. L’exploitation illégale, encore très répandue dans de nombreux pays tropicaux, engendre d’importants dégâts au peuplement forestier, et compromet sa capacité à se régénérer et à résister aux effets du changement climatique. Les pays tropicaux et la communauté internationale tardent encore à considérer le problème de la dégradation forestière tropicale comme une urgence absolue, au même titre que la déforestation.
Cet essai a donc pour objectif de faire un bilan synthétique et accessible aux non-spécialistes sur l’impact de l’exploitation de bois d’œuvre des forêts tropicales. Il propose également des voies pour que cette dernière devienne durable, et contribue ainsi à la conservation des écosystèmes forestiers tropicaux et à l’amélioration des conditions de vie des millions de personnes qui en dépendent.
Après plus de trente ans de carrière au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), durant lesquels j’ai parcouru les principaux massifs forestiers tropicaux pour étudier l’impact de l’exploitation sur la capacité des forêts tropicales à se reconstituer, cet essai vise à partager avec le plus grand nombre cette expérience de recherche et de convaincre les lecteurs et lectrices que l’exploitation sélective des forêts tropicales peut être un moyen efficace à la conservation de grandes surfaces de forêts pour le bénéfice des populations et des pays du Sud en général.