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Comment faire un miracle ?

La Grotte de Lourdes. Wikipédia / José Luiz Bernardes Ribeiro , CC BY-SA

Produire un miracle n’est pas chose facile. On peut même dire que ça devient de plus en plus dur. Si l’on prend l’exemple de Lourdes, on constate qu’il y a près de quatre fois moins de guérisons miraculeuses reconnues par an à partir des années 1960. La raison en revient à une rigueur accrue de la commission scientifique de Lourdes. Tout individu postulant au statut de miraculé doit désormais en passer par une série de contrôles exigeants.

Un protocole exigeant

Il faut d’abord s’entretenir avec le docteur Theillier, président de l’Association médicale internationale de Lourdes. C’est lui qui opère un premier tri parmi les quelque 50 personnes qui postulent en moyenne chaque année au titre de miraculé : pas même 1 % de ces dossiers aboutiront à une reconnaissance officielle de l’Église. Ensuite, le dossier est examiné par une commission de médecins qui, si elle le juge suffisamment intéressant, avertit l’évêque de son diocèse. Dès lors, le dossier est entre les mains du Comité médical international de Lourdes. Un spécialiste de la pathologie considérée se penche sur le dossier en profondeur avant de soumettre à la commission la poursuite de son étude. Il s’agit prioritairement de voir si cette guérison, supposée miraculeuse, ne peut pas s’expliquer par les voies normales de la science, ce qui nécessite de se familiariser avec les recherches les plus pointues dans le domaine.

Les critères que retient cette commission de médecins pour donner un avis favorable aux guérisons inexpliquées sont drastiques : la maladie doit être avérée et très grave (avec un pronostic fatal), elle doit être organique ou lésionnelle (ce qui exclut les psychopathologies, même les plus graves), et un traitement ne doit pas avoir été à l’origine de la guérison (ce qui exclut les guérisons de cancer, car la plupart font l’objet d’un traitement, même si celui-ci paraît inefficace), laquelle doit être soudaine et durable. Malgré ce tamis serré, quelques dossiers parviennent à émerger et, sauf à supposer la malhonnêteté de ceux qui composent ces commissions, ces cas ne peuvent être expliqués en l’état actuel de la connaissance médicale.

Guérisons inexplicables

Le problème est que Lourdes n’a pas le monopole des guérisons inexplicables. Sans faire appel à la bonne volonté de Dieu ou de la Sainte Vierge, les milieux hospitaliers connaissent, eux aussi, le bonheur de voir certains de leurs patients, manifestement condamnés, guérir sans que leur médecin puisse l’expliquer.

Les cas de rémissions spontanées dans les milieux hospitaliers donnent lieu à une vingtaine de publications annuelles dans le monde. Brendan O’Regan et Caryle Hirshberg ont analysé de façon exhaustive les publications portant sur ce genre de guérisons de 1864 à 1992. Ils ont recensé 1 574 cas. On notera d’abord que 70 % de ces guérisons concernent un cancer, lequel peut toucher n’importe quel organe (bouche, gorge, pharynx, voies respiratoires et intrathoraciques, systèmes nerveux, etc.). Ceci ne nous intéresse pas vraiment dans notre comparaison avec les miracles de Lourdes, puisque la Commission médicale internationale de Lourdes ne considère pas les cas de rémissions de cancers.

Sur ces 1 574, seuls 30 % donnent lieu à des guérisons qui pourraient être considérées comme miraculeuses par la commission de Lourdes. Parmi ces 30 %, on observe des guérisons de maladies très diverses : elles peuvent toucher la vascularisation, les cellules du sang ou la moelle osseuse, les maladies infectieuses, le système digestif ou respiratoire, le système nerveux, les organes sensoriels, la peau, les muscles, etc.

Le point qui nous intéressera le plus est que O’Regan et Hirshberg constatent que ces cas de guérisons surviennent à une fréquence estimée de 1 cas pour 100 000. Si l’on exclut de ces résultats les guérisons de cancer, on obtient 1 cas pour 333 333. Il existe quelques hypothèses pour rendre compte de ces guérisons inexplicables en milieu hospitalier, mais l’on peut admettre globalement que la médecine n’est pas compétente, pour le moment, pour éclairer les cas de guérisons miraculeuses, qu’elles aient lieu à Lourdes ou en milieu hospitalier. La question est donc de savoir si Lourdes, de ce point de vue, est une terre d’élection du miracle.

PUF

Avec à peu près 0,2 guérison par an à partir des années 1960 et en moyenne 6 millions de pèlerins visiteurs, on peut estimer qu’il y a une guérison pour 30 millions de personnes. Il suffit donc qu’une personne sur 100 parmi les visiteurs de Lourdes soit atteinte d’une maladie éligible au miracle pour qu’on en déduise que si Dieu pointe son doigt pour guérir, il ne le fait pas plus à Lourdes que dans les hôpitaux.

Étant donné la motivation moyenne des pèlerins, on peut supposer que cette évaluation est raisonnable. La conclusion un peu cynique de tout cela est que pour faire des miracles, il suffit de réunir un grand nombre de personnes. Très grand, reconnaissons-le. Mais dans ces conditions, personne ne s’étonnera que les papes réunissent facilement les conditions de leur canonisation (l’une étant la production de miracles). En effet, ce serait bien le diable, si l’on me permet l’expression, que parmi les centaines de millions de rencontres auxquelles contraint la vie de pape, il ne se trouve pas quelques malades sauvés par la providence du hasard.


Gérald Bronner est l’auteur de « Cabinet de curiosités sociales », dont ce texte est un extrait. Le livre est paru aux éditions PUF/Humensis en septembre 2018.

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