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Comment la Russie peut attaquer l’Ukraine et comment Kiev peut résister

Des soldats ukrainiens patrouillent à proximité de la ligne de front avec la République autoproclamée de Donetsk. Le panneau annonce que le champ est miné. Anatolii Stepanov/AFP

Au vu de l'actualité de ces 24 dernières heures dans l'Est de l'Ukraine et des rumeurs insistantes faisant état d'une prochaine incursion des forces russes en territoire ukrainien, nous vous invitons à relire ce récent article qui explore les divers scénarios envisageables si la situation venait à se dégrader encore davantage.


Quel que soit le cadre, les pourparlers entre la Russie et les Occidentaux ont échoué. Moscou considère sa situation vis-à-vis de l’OTAN, qui serait pour la Russie une « question de vie et de mort », comme « intolérable ». L’acmé a été récemment atteint quand Vladimir Poutine en personne a allégué que la situation dans l’est de l’Ukraine « ressemble à un génocide », le Kremlin se disant prêt à réagir par des moyens « militaro-techniques ».

Le signal est on ne peut plus clair : après la Crimée et le Donbass, Moscou menace ouvertement de créer une troisième brèche dans la souveraineté territoriale de l’Ukraine. Et au-delà de l’Ukraine, la Russie vise l’Europe, l’OTAN et l’ordre international. La Russie bluffe-t-elle ou un conflit armé plus poussé est-il à craindre en Ukraine ? Quelles sont les chances de Kiev de résister à son puissant voisin ?

Actions non militaires

En Ukraine comme ailleurs, la désinformation a été déployée massivement par certains médias russophones afin de saper la stabilité, version modernisée de l’agitprop soviétique. Néanmoins, l’exposition du pays à la propagande russe a été passablement diminuée par huit ans de guerre. Et Kiev a pris des mesures avancées en interdisant plusieurs médias pro-russes sur son territoire.

Le Service de sécurité d’Ukraine a également révélé que plusieurs milliers de cyberattaques ont été conduites depuis la Crimée occupée depuis 2014. À la mi-janvier, une nouvelle opération d’envergure a provoqué une réaction inquiète de Kiev. Le message affiché sur les sites de nombreuses institutions ukrainiennes, qui appelait les Ukrainiens à « avoir peur et s’attendre au pire » prétendait venir de Pologne – un des plus vifs soutiens de l’Ukraine – mais Kiev a indiqué que la Russie était en réalité responsable l’attaque.

Dans le contexte des débats sur la sécurité énergétique européenne, Moscou joue également sur l’approvisionnement en gaz, en défendant le projet de gazoduc Nord Stream 2, qui est censé approvisionner l’Allemagne directement, en passant par la mer Baltique. Ce faisant, le Kremlin pourrait stopper son approvisionnement en énergie à l’Ukraine, déjà dépossédée de son charbon du Donbass, tout en la privant de l’équivalent de 4 % de son PIB de droits de transit.

Désinformation, cyberattaques et arme énergétique peuvent déstabiliser le gouvernement ukrainien en ciblant sa population. Mais le Kremlin ne peut guère revendiquer ces actions vis-à-vis de la société russe, surtout pour contrer un supposé génocide. Par son intransigeance diplomatique et ses menaces militaires répétées, le Kremlin s’est lui-même placé dans une position inextricable, où l’usage de la force apparaît comme le seul moyen de rester crédible.

Scénarios militaires

Moscou peut compter sur la mobilisation de capacités militaires conséquentes afin de pénétrer en profondeur le territoire ukrainien. Cependant, il est peu probable que la Russie puisse envahir l’ensemble de l’Ukraine et, a fortiori, qu’elle puisse le tenir, car elle ferait face à une farouche résistance armée. Une offensive militaire limitée pourrait cependant venir de plusieurs directions.

Est. La Russie pourrait aisément lancer une opération massive à partir de l’est, où elle soutient les milices du Donbass. La plupart de ses forces sont situées de ce côté-ci. Toutefois, les villes dont Moscou pourrait s’emparer, Kharkov et Dnipro, sont assez peuplées et peu enclines à se laisser occuper par une force étrangère. Il y a bien des espaces « vides » à l’est où la Russie pourrait avancer, mais ils recèlent un moindre intérêt stratégique.

Sud. Nommé Prichernomorie (territoires de la mer Noire), c’est sans nul doute l’espace le plus intéressant pour la Russie. Une intervention pourrait couper l’Ukraine de sa façade maritime et connecter les forces russes, du Donbass à la Transnistrie, une région de Moldavie de facto occupée par la Russie, à l’ouest de l’Ukraine. Moscou pourrait compter sur les troupes de l’Est et celles qui sont prépositionnées en Crimée. Les analystes indiquent en effet que la défense côtière à l’ouest de la péninsule est peu robuste. Toutefois, la Russie devrait impérativement occuper les villes méridionales de Marioupol, à l’est, et d’Odessa, à l’ouest. Ici aussi, la population résisterait probablement à une occupation russe.

Nord. Kiev, la capitale ukrainienne, n’est qu’à cent kilomètres de la frontière avec la Biélorussie. Dans une situation de facto de protectorat, Alexandre Loukachenko, l’autocrate qui s’accroche au pouvoir grâce au soutien de Moscou, a récemment déclaré que son pays « ne se tiendra pas à l’écart si la guerre éclate ». Cette semaine, la Russie a envoyé de nouvelles troupes en Biélorussie, à la frontière avec l’Ukraine.

Ouest. La direction peut-être la plus surprenante, d’où pourrait venir une nouvelle invasion de l’Ukraine. En effet, les États-Unis ont signalé que le Kremlin cherchait à monter une manipulation qui légitimerait une telle opération, et un théâtre de provocation serait la Transnistrie, cette région moldave où Moscou maintient des troupes depuis l’effondrement de l’empire soviétique.

L’Ukraine est-elle prête à résister ?

Depuis huit ans, Kiev a renforcé ses capacités. Si l’Ukraine est toujours clairement dans un rapport asymétrique avec la Russie, les efforts du gouvernement ont accru sa capacité à combattre. Des sources militaires estiment néanmoins à une semaine la possibilité pour l’armée régulière de défendre le territoire, qui serait incapable de tenir plus longtemps sans l’aide des Occidentaux. Ceux-ci se sont engagés à soutenir l’Ukraine en cas d’attaque, mais cela se traduirait très probablement par un soutien matériel et non par une intervention militaire directe.

Certains domaines souffrent d’une faiblesse certaine, comme la défense antiaérienne, mais les derniers développements ont incité l’Ukraine à accroître ses capacités de défense : elle a fait l’acquisition de drones turcs, ainsi que de missiles antichars récents fournis par les États-Unis et le Royaume-Uni, ou produits par l’Ukraine elle-même.

En soutien des troupes régulières, la Garde nationale, une sorte de gendarmerie, est un atout supplémentaire. En effet, renforcée par des investissements significatifs et des équipements avancés, elle pourrait sécuriser le territoire ukrainien à l’arrière, dans le cas d’infiltrations de parachutistes ou de forces spéciales.

Un autre type d’unités, les « bataillons de défense territoriale », établis par la Loi de résistance nationale entrée en vigueur au 1er janvier 2022, maillent l’ensemble du territoire. Dans ces unités de civils entraînées par l’armée, les citoyens apprennent comment conduire des tactiques de guérilla avec leurs propres armes contre des forces étrangères. Ces bataillons posent un sérieux défi à toute occupation.

Enfin, la population ukrainienne elle-même, profondément mobilisée en défense de la nation depuis la prise de la Crimée et la guerre dans le Donbass, a démontré une grande résilience. Un expert militaire à Kiev définit ce concept non comme de la passivité mais, au contraire, comme un comportement proactif. D’après un sondage de l’Institut international de sociologie de Kiev publié en décembre, 58 % des Ukrainiens et presque 13 % des Ukrainiennes se disent prêts à prendre les armes pour défendre le pays contre une invasion russe, et respectivement 17 % et 25 % de plus se déclarent prêts à résister d’autres manières. Du soutien matériel aux troupes à l’action directe, la société ukrainienne, traditionnellement autonome vis-à-vis de son propre gouvernement, est un sérieux atout pour mener une guerre de résistance.

This article was originally published in English

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