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Comment la science économique explique la réticence vaccinale française

Fin 2020, les Français avaient les intentions de vaccination les plus faibles en Europe. Stefano Rellandini / AFP

La crise du Covid-19 a permis d’observer comment les individus font des choix dans un environnement risqué, voir incertain. C’est en particulier le cas de la vaccination pour lequel deux risques sont en concurrence : être infecté ou subir des effets secondaires de la vaccination. Comment expliquer et donc prévoir ces intentions de vaccination ?

Avant que la population n’ait accès à la vaccination, un grand nombre de personnes n’avaient pas l’intention de se vacciner. Fin novembre 2020, les Français qui étaient très fortement touchés par la pandémie avec 787 décès par million d’habitants, contre 873 au Royaume-Uni et 200 en Allemagne, avaient les intentions de vaccination les plus faibles avec seulement 47 % des sondés, contre 77 % pour les Britanniques et 65 % pour les Allemands. Ce chiffre est remonté depuis, tout en se maintenant sous le niveau enregistré dans les autres pays.

Compte tenu de la possibilité de mourir du Covid-19 et de la disponibilité de vaccins, les modèles de choix basés sur l’utilité espérée, outil standard de la théorie de la décision, prédisent toujours que la vaccination est préférée, malgré ses possibles effets secondaires.

En effet, comme le « coût » prévisible des effets secondaires reste inférieur aux coûts prévisibles de la maladie, tout le monde devrait choisir de se faire vacciner. Dès lors, comment expliquer la paradoxale faiblesse des intentions de vaccination ?

Surpondérations des faibles pertes et des faibles probabilités

La théorie des perspectives est capable de résoudre ce paradoxe. Basés sur des traits de caractère très bien référencés en psychologie, les mécanismes déterminant les choix sont intuitifs, surtout lorsqu’on analyse une décision affectant la santé.

Tout d’abord, les individus ont tendance à évaluer leurs actions en écart à un point de référence. Dans le cas de la vaccination, cette référence est la bonne santé, état qu’ils ont avant la vaccination et sans être infecté par le coronavirus. Ils sont aussi davantage sensibles aux pertes par rapport à cette référence qu’aux gains, ce qui amplifie la perception des coûts de toute maladie (infection ou effets secondaires). Mais surtout, les pertes induites par de très faibles détériorations de l’état de santé sont mieux perçues (surpondérées) que celles liées à de très fortes détériorations : les faibles pertes induites par les effets secondaires peuvent avoir un impact plus important sur les choix que la perspective de pertes élevées induites par la maladie, voire la mort.

Au-delà de l’évaluation des pertes et des gains, les individus ont aussi tendance à déformer les probabilités objectives (c’est-à-dire les risques mesurés par les expériences scientifiques), en surpondérant les faibles probabilités, donc en l’occurrence les effets secondaires. Ainsi, si les préférences des agents surpondèrent à la fois l’évaluation des petites pertes et leurs petites probabilités d’occurrence, alors la vaccination peut être rejetée par certains individus, même si les risques concernant effets secondaires restent très limités.

Les individus ont tendance à surpondérer les risques associés à la vaccination. Thomas Coex/AFP

Si la balance « bénéfice-risque » semble biaisée en faveur des risques associés à la vaccination, plus fortement pondérés dans la psychologie humaine, d’autres facteurs peuvent au contraire renforcer l’évaluation des bénéfices et alors expliquer l’acceptation de la vaccination.

C’est en particulier le cas d’une valorisation élevée du bien-être à long terme, ou encore d’une valorisation de la participation à l’immunité collective. Ces deux traits psychologiques peuvent faire pencher les individus qui les ont en faveur du vaccin.

Ainsi, un modèle intégrant le risque, le temps et le goût pour la coopération semble approprié pour prédire les intentions de vaccination.

Un article de recherche récent montrait que ce type de préférences permettait de très bien expliquer les observations d’une enquête originale réalisée par les auteurs sur un échantillon représentatif de Français, fin novembre 2020.

L’utilisation de cette enquête permet d’identifier l’hétérogénéité des préférences au sein de la population grâce aux réponses des sondés à différentes situations de choix financiers. Il est alors possible d’estimer, pour chaque individu, sa perception de la valeur des gains et des pertes, sa patience et son appétence à la coopération.

Question de confiance

Une fois estimé, ce modèle permet de prévoir 85 % de l’évolution des intentions de vaccination entre novembre 2020 et mars 2021, à la suite des évolutions des taux de mortalité, et donc des risques entre ces deux dates.

Au-delà de la France, et en supposant que les préférences des individus des grands pays de l’OCDE sont les mêmes, ce modèle montre qu’une valorisation de la vaccination comme bien commun, spécifique à chaque pays, permet d’expliquer les écarts d’intentions de vaccination observés entre la France (47 %), l’Allemagne (69 %), l’Italie (65 %), l’Espagne (64 %), le Royaume-Uni (79 %), le Canada (76 %), le Japon (69 %) et les États-Unis (64 %).

Cette plus faible valorisation du bien commun en France, par rapport à ce que l’on mesure pour l’Allemagne, le Japon ou le Canada, est à rapprocher de la faible part des Français ayant confiance dans les autres individus, en comparaison avec ce qui est observé en Allemagne, au Japon ou au Canada.

La part inexpliquée des différences internationales peut alors être due à la polarisation des opinions politiques, exacerbant la méfiance envers les experts. En effet, en France, ceux qui avaient voté pour un candidat d’extrême gauche ou d’extrême droite à l’élection présidentielle de 2017 étaient 67 % à déclarer qu’ils refuseraient le vaccin, contre 19 % pour ceux qui ont voté pour les partis de centre-gauche et de centre-droit.

Aux États-Unis, 44 % des Républicains contre 81 % des Démocrates accepteraient la vaccination contre le Covid. Au Canada, en Allemagne ou au Japon, ces oppositions liées aux opinions politiques extrêmes restent beaucoup moins vives.

Communiquer sur une action collective

En termes de politique publique, ces résultats indiquent que les autorités doivent faire très attention à la formulation de leur communication, en particulier lorsque la notion de risque est au centre des choix.

Ainsi, une baisse significative des intentions de vaccination apparaîtrait si les médias évoquent la « controverse sur la sécurité des vaccins » plutôt que s’ils affirment qu’il n’y a « aucun effet indésirable observé ».

La première formulation utilise en effet l’impossible absence d’erreur statistique inhérente à toute expérience scientifique pour mettre en scène une pseudo-controverse, alors que la seconde sous-entend que tout résultat scientifique doit être compris avec la mention « statistiquement significatif ».

Mais il est clair qu’avec les préférences présentées plus haut, un doute, même infinitésimal, peut conduire au rejet de l’action.

La communication menant à la prise de conscience d’une initiative visant le bien de la collectivité reste aussi primordiale. On observe ainsi une augmentation significative des intentions de vaccination lorsque l’on précise que « la plupart de vos collègues sont vaccinés », ou que « en me vaccinant, je participe à la lutte contre l’épidémie », ces deux formulations éveillant l’intérêt de participer à une action collective.


Cet article est publié à l'occasion de la « Semaine Risques & Incertitude » organisée par Le Mans Université du 15 novembre 2021 au 19 novembre 2021. Une semaine pour débattre, échanger et ouvrir la réflexion sur les notions de risques et d'incertitude dans le monde sociaux-économique, politique, numérique, environnementale… avec la présence de chercheurs et experts reconnus.

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