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Comment le confinement transforme les « soft skills »

Malgré la distance sociale, la coopération est vécue comme améliorée pendant la crise actuelle. Martin Bureau / AFP

En trois mois, la pandémie du Covid-19 a envahi la planète, provoquant plus de 161 000 décès (au 19 avril 2020), le confinement de la moitié de l’humanité et la récession économique la plus importante depuis un siècle en temps de paix.

De nombreuses voix s’élèvent à travers la planète pour repenser nos modèles économiques et sociaux et ouvrir une réflexion sur le « monde d’après ». En France, un collectif d’associations a mis en ligne une consultation intitulée « Inventons le monde d’après ». Le président de la République Emmanuel Macron a lui-même appelé « chacun à se réinventer » et déclaré que « le jour d’après ne sera pas le jour d’avant » dans ses récentes allocutions télévisées.

Se réinventer

L’avènement du monde d’après impliquera notamment un aggiornamento des compétences individuelles et collectives, contribuant ainsi aux études menées (par l’OCDE ou le BIT, entre autres) pour identifier les compétences clés du XXIe siècle : les soft skills, ces compétences personnelles et relationnelles qui ne relèvent ni de la connaissance ni des savoir-faire.

Nous avons donc, au cours de la quatrième semaine de confinement, proposé un questionnaire en ligne visant à comprendre l’évolution des soft skills des Français pendant cette période de bouleversement.

Notre objectif n’était pas de les interroger sur leur vision de ce qu’il « faudrait théoriquement améliorer » à la sortie du confinement, mais bien de partir de l’existant, avec deux intentions :

  • capitaliser sur ce qui était acquis ;

  • et pouvoir réparer rapidement ce qui s’était dégradé du fait du confinement.

Notre enquête nous a permis d’identifier les soft skills perçues comme améliorées depuis le début de la crise et celles qui se sont au contraire dégradées.

La crise développe avant tout l’empathie

Nous avons identifié cinq soft skills perçues comme améliorées par les répondant·e·s. Ce sont, dans l’ordre décroissant d’intensité :

  • L’empathie

  • La responsabilité

  • La coopération

  • La persévérance

  • La pensée critique

De nombreux verbatim recueillis parmi les commentaires spontanés permettent quelques hypothèses explicatives de cette évolution positive.

L’empathie est la compétence perçue comme s’étant le plus développée. Elle se manifeste envers ceux qui sont directement impactées par le virus, en particulier les malades et leurs familles ainsi que les soignants et autres personnels œuvrant pour le bien commun (« ceux qui sont héroïques »).

La responsabilité s’exerce à différents niveaux : familial (accompagnement des enfants, des personnes vulnérables), professionnel (« nous travaillons quotidiennement pour que nos entreprises survivent avec leurs salariés ») ; et sociétal (« à l’issue du confinement, j’aurais sans doute envie de minimiser mes déplacements »).

Malgré la distance sociale, la coopération est elle aussi vécue comme améliorée. L’usage des outils de télétravail, bien que menaçant pour l’équilibre vie professionnelle/vie privée (« je travaille de 6h à 23h »), est apprécié car il facilite le travail en équipe et la collaboration (« nous sommes en contact permanent et nous avons trouvé de nouvelles marques »).

Malgré les difficultés, le télétravail subi constitue une occasion de renforcer la collaboration avec ses équipes. Guillaume Souvent/AFP

Pour surmonter les nombreuses contraintes liées à l’organisation de cette nouvelle vie, nos répondant·e·s estiment se montrer plus persévérants qu’habituellement. Ils se mobilisent plus que jamais pour remplir leurs différents objectifs (« Je dois garder la forme pour être au top à mon retour en milieu professionnel »).

La pensée critique s’est aussi développée. Les remises en question surviennent au niveau individuel (« je me rends enfin compte que mon emploi n’a aucun sens ») et collectif. De nombreux répondant·e·s expriment leur désir que la crise ne soit pas vaine et qu’elle ouvre une nouvelle ère (« cette pandémie est une chance de nous recentrer sur les vraies valeurs. Profitons-en ! »).

La confiance altérée

Si les répondant·e·s voient le développement de certaines de leurs « compétences douces », ils rapportent également la dégradation de quelques autres.

Les trois soft skills qui se dégradent pendant cette période sont en ordre décroissant d’intensité :

  • La confiance envers les autres

  • L’enthousiasme

  • La sociabilité

La confiance envers les autres apparaît comme la plus altérée. Elle se traduit par une défiance envers les médias (« je ne regarde jamais la télévision »), les gouvernements (« on a des incapables au gouvernement »), les dirigeants d’entreprise qui « n’ont pas la carrure pour assumer cette évolution brutale », ou tous ceux qui, ne respectant pas les règles du confinement, risquent de nous contaminer (« la responsabilité prend le pas sur la confiance envers les autres »).

Les répondant·e·s constatent une baisse de leur enthousiasme. Difficile de trouver de l’entrain lorsque l’on est isolé (« c’est l’horreur, sans conjoint et sans pouvoir en trouver un, dans 20m2, sans voir le soleil »), que notre entreprise ou notre emploi est menacé (« l’objectif : ne pas couler »), ou simplement lorsque l’incertitude s’avère difficile à gérer (« trop de stress, pas assez de réponses »).

La dégradation de la confiance se traduit par une défiance renforcée des répondant·e·s envers les médias et les gouvernements. Ludovic Marin/AFP

La sociabilité est également affectée. La distanciation sociale, imposée physiquement, se traduit dans les esprits. Le recentrage sur le cocon familial laisse penser qu’il est possible de vivre en limitant les liens sociaux, qu’ils soient délétères (« des collègues qui s’espionnent les uns les autres ») ou simplement superflus (« le fait de ne pas être obligée de rendre visite à des gens […], finalement c’est presque un soulagement »).

Il faut noter qu’il y a peu de différences de réponses entre les quelque 325 hommes et femmes français interrogés, que l’âge est un facteur de sérénité (les dégradations sont moins fortes chez les + de 50 ans), et que les conditions du confinement (lieu, nombre de personnes confinées) n’ont pas non plus d’impact sur ces évolutions.

Capitaliser sur les évolutions positives

Les résultats de cette étude dessinent une tendance, qui appelle les managers à la vigilance pour la reprise. Deux grandes préconisations peuvent être faites :

  • La première est de valider avec les collaborateurs ces évolutions positives, en sollicitant leurs témoignages, en leur demandant leur avis, en leur faisant verbaliser leur propre ressenti. Il faut alors souligner l’importance de ces acquis et les aider à les capitaliser.

  • La seconde est d’exercer une grande vigilance sur les trois compétences en berne et de chercher à « réparer » ce qui a été entamé après ces semaines d’isolement : la confiance envers les autres, l’enthousiasme, la sociabilité.

Il s’agira donc de chercher à retisser avec patience du lien social, bien mis à mal par la pandémie, la distanciation sociale, les médias, les réseaux sociaux.

Les résultats de notre étude soulignent l’importance de la dimension relationnelle de ce travail managérial. L’ultime recommandation serait ainsi de mettre de côté les process, les feuilles de route ou encore les tableurs Excel pour passer plus de temps avec les uns et les autres. On peut affirmer sans grand risque que ce temps donné sera grandement apprécié et bien utile.

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