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Les jeunes sont très perméables aux idées conspirationnistes. La stratégie recommandée n'est pas de confronter, mais plutôt d’introduire un doute dans l’esprit des jeunes. Shutterstock

Comment l’école peut aider à contrer les idées complotistes chez les jeunes

Les théories du complot gagnent du terrain depuis le début de la pandémie. Les jeunes, plus méfiants envers les autorités, sont particulièrement à risque de sombrer dans ce type de croyances. Quel rôle l’école peut-elle jouer ?

Professeures à l’Université du Québec à Trois-Rivières au département des sciences de l’éducation, nous nous intéressons notamment aux défis rencontrés par le personnel enseignant lorsqu’il doit aborder des thèmes sensibles et des sujets controversés en classe.

La mission de l’école

L’école a trois missions principales : l’instruction, la qualification et la socialisation. Ensemble, ces trois missions contribuent à son rôle social, en faisant la promotion des « valeurs à la base de la démocratie et en [veillant] à ce que les jeunes agissent, à leur niveau, en citoyens responsables ».

Il n’est donc pas surprenant que les débats sur ce que l’école doit enseigner reviennent régulièrement dans la sphère publique. Rappelons, à titre d’exemple, le débat autour de l’implantation des nouveaux programmes d’éducation financière et d’éducation à la sexualité, ou encore celui qui persiste sur le programme d’Éthique et culture religieuse depuis 2008.

Développer son esprit critique

Que peut faire l’école pour éviter la prolifération d’idées complotistes ? Soulignant que l’un des rôles de l’école est de développer la pensée critique, Normand Baillargeon suggère de faire une plus grande place à la culture scientifique et à l’enseignement des principaux sophismes et de notions d’épistémologie.


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C’est aussi ce que propose Dominic Morin, doctorant en philosophie. « Il est urgent que la société québécoise enseigne à ses jeunes à mieux connaître. Le rôle de l’école dans ce contexte de crise est d’autant plus stratégique dans la mesure où les autorités scolaires ont la responsabilité vitale de fournir aux élèves les moyens de ne pas être emportés dans les dérives de la post-vérité. »

Pour ce faire, il considère que les élèves devraient être initiés à la philosophie à l’école. Une chercheuse de l’INSPQ, Ève Dubé, insiste aussi sur la nécessité de faire « des interventions en éducation sur la manière de consommer l’information.

Des idées déjà en place

Ces idées sont pertinentes. Or elles trouvent déjà leur place dans le cadre du Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) et, par conséquent, dans la formation initiale des futurs enseignants et enseignantes du primaire comme du secondaire.

Par exemple, la démarche de construction d’opinion et d’élaboration d’un argumentaire fait déjà partie du programme de Science et technologie, et du cours d’Éthique et culture religieuse.

Les élèves sont invités à identifier les enjeux sociaux, économiques, historiques et scientifiques relatifs à différentes problématiques, à les contextualiser et à développer leur capacité d’identifier des dilemmes éthiques (valeurs qui s’opposent). Ils s’approprient des connaissances historiques, sociologiques, scientifiques et philosophiques leur permettant d’examiner les choix possibles dans une perspective du vivre-ensemble.

La question du masque

Prenons pour exemple la question du port obligatoire du couvre-visage, qui provoque de fortes réactions chez certains citoyens qui considèrent que cette obligation porte atteinte à leurs libertés. Plusieurs éléments pourraient être abordés lors d’une discussion en classe. Considérant d’abord le fait que le couvre-visage sert surtout à protéger les autres des gouttelettes de la personne qui le porte, les élèves seraient invités à observer les valeurs qui sont en conflit, soit la liberté des uns à ne pas porter le masque et celle des autres à mener leurs activités sans risque d’attraper la Covid-19, dans une optique de mieux vivre ensemble en société.

Des étudiants de l’école secondaire Lasalle Community Comprehensive High School sortent de leur classe pour protester contre les problèmes de sécurité liés à la Covid-19, le jeudi 1ᵉʳ octobre 2020, à Montréal. THE CANADIAN PRESS/Ryan Remiorz

D’autres aspects sont abordés dans le cadre du programme de mathématiques comme l’étude critique des données, tableaux et graphiques, qui permet aux élèves de poser un regard plus critique sur les statistiques, qui présentent seulement une partie de la réalité.

L’éducation à la citoyenneté dans le programme d’histoire vise, elle aussi, à développer chez les élèves la capacité de réfléchir à la vie en société en fonction des apprentissages de l’histoire, et les amener à agir selon les principes de la démocratie et de l’autonomie critique.

Des idées difficiles à aborder

Les idées complotistes, comme d’autres thèmes sensibles, touchent les valeurs et les représentations sociales des enseignants comme de leurs élèves. Discutées régulièrement dans les médias, elles font souvent débat entre experts. Enfin, les savoirs qui les entourent sont complexes et associés à diverses disciplines.

Pour ces raisons, il est très difficile, voire impossible, de proposer une réponse claire et définitive aux idées complotistes en classe. Plus encore, la confrontation risque de confirmer le complot aux yeux des jeunes qui adhèrent à ces idées. La stratégie pédagogique recommandée est plutôt d’introduire un doute dans leur esprit. Pour ce faire, il faut discuter en classe en proposant des réponses nuancées qui reconnaissent la complexité de la question et le niveau d’incertitude qu’elle implique. La tâche n’est pas aisée. Et si de nombreux enseignants et enseignantes parviennent à le faire de manière fort pertinente, d’autres admettent volontiers leur hésitation à aborder cette question directement.

L’importance des petites matières

La difficulté d’enseigner les idées complotistes et d’autres thèmes sensibles est liée à des problèmes structuraux importants. La formation initiale pour le personnel scolaire au primaire accorde peu d’heures à l’enseignement des sciences et de la technologie, de l’univers social et de l’éthique et de la culture religieuse. Or ce sont tous des programmes qui pourraient aborder les idées complotistes. La formation continue, qui offre pourtant des possibilités fort intéressantes, suscite peu d’intérêt dans un contexte de contraintes budgétaires et lorsque les conditions de travail déjà difficiles n’encouragent pas les enseignants à s’y inscrire.

L’organisation scolaire — et plus particulièrement le nombre d’heures attribuées à l’enseignement des « petites matières » comme l’éthique et la culture religieuse, dont les heures d’enseignement se voient souvent amputer au profit d’autres matières —, limite les possibilités de travailler les concepts en profondeur.

Enfin, les examens ministériels (par exemple celui du cours Science et technologie en 4e secondaire) tendent à fortement orienter l’enseignement vers ce qui sera évalué, c’est-à-dire les concepts principaux et certaines démarches technoscientifiques. La démarche de construction d’opinion ou l’étude de la production des savoirs technoscientifiques y sont rarement, voire jamais, abordées.

Il importe donc de rappeler encore et toujours le rôle que l’école doit — et peut — jouer dans le développement de ces compétences citoyennes. Mais il convient aussi de donner aux enseignants et enseignantes les moyens d’atteindre les visées de leurs programmes et de reconnaître le travail qu’ils et elles accomplissent déjà.

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