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Bibliothèque José Vasconcelos à Mexico. AldoRafa/pixabay

Comment les chercheurs choisissent les journaux auxquels ils soumettent leurs articles

Des chercheurs qui cherchent, on en trouve. Des chercheurs qui trouvent… on en trouve aussi. Il suffit de jeter un œil aux bénéfices annuels de l’édition scientifique. Parce que tout ce que trouvent les chercheurs est consigné dans les articles scientifiques qu’ils écrivent et soumettent aux journaux spécialisés qui les évalueront, publieront, diffuseront et archiveront. Or, tous les journaux scientifiques ne se valent pas en termes d’évaluation, de diffusion et de mise à disposition des articles, pas plus qu’en termes de services aux auteurs. Comment les chercheurs choisissent-ils les journaux auxquels ils soumettent leurs articles ?

Ils se posent pas mal de questions ! Notamment : À qui s’adresse mon article ? Quelle est la notoriété du journal que je vise ? Comment mon article sera-t-il évalué ? Qui sera susceptible de le lire ? À quel prix pour moi et pour le lecteur ?

Le double visage des articles scientifiques

Les articles scientifiques sont à la fois l’alpha et l’oméga de la recherche. L’alpha, parce que tout travail scientifique s’appuie sur les connaissances établies préalablement par d’autres scientifiques. C’est à partir de la lecture des articles scientifiques que les chercheurs établissent leurs hypothèses et la méthodologie à mettre en œuvre pour les tester et les discuter. Une fois le travail réalisé et les résultats obtenus, il convient de les communiquer. Des résultats qui resteraient dans un cahier de laboratoire ne servent à personne. Voilà l’oméga de la recherche : c’est dans les articles scientifiques que sont principalement communiqués et archivés les résultats obtenus par les chercheurs.

C’est là la vision idéale de ce qu’est un article scientifique : une pierre à l’édifice de la connaissance. Mais pour le chercheur, un article remplit d’autres fonctions : un retour auprès de son employeur ou de l’agence qui a financé ses travaux, une réalisation à faire valoir lors de la recherche d’un emploi ou pour obtenir de nouveaux contrats de recherche. Ce point est particulièrement important pour les doctorants et post-doctorants lorsqu’il s’agit de postuler pour un poste de maître de conférences ou de chercheur.

Visibilité, accessibilité… et coût

Tous les journaux ne se valent pas en termes de rigueur ou d’accessibilité. Certains sont plus prestigieux et ont un impact médiatique et académique important. Comparés à des articles publiés dans des revues moins notables, les articles publiés dans ces journaux y sont souvent plus lus et plus cités, ce qui augmente en retour la notoriété du journal et des auteurs de ces articles. Les plus connus du grand public sont Nature et Science.

Dans chaque discipline scientifique, il existe une grande diversité de journaux. Par exemple, je travaille sur les interactions plantes-insectes et je suis amené à lire dans des journaux généralistes en écologie ou dans des journaux plus spécialisés en entomologie. Pour publier, je vérifie tout d’abord l’adéquation entre le sujet de mon article et les thèmes couverts par le journal, précisés sur le site web du journal.

Évacuons d’emblée tout malentendu : l’audience des journaux n’est pas une métrique qui reflète la qualité scientifique des articles qu’ils publient et certains journaux extrêmement spécialisés, malgré une audience confidentielle, publient d’excellents articles dans leur discipline. Mais parce qu’on écrit pour être lu, la taille de l’audience est l’un des critères pour choisir un journal. Pour deux journaux publiant des articles dans le même domaine, il est normal de se demander « quel est le journal qui offrira la meilleure exposition de mon article aux membres de ma communauté scientifique ? » Mais ce critère peut être contrebalancé par une question de coût, et d’éthique.

Éditer un journal scientifique a un coût lié aux infrastructures d’archivage et de diffusion des articles, ainsi qu’aux salaires des personnes coordonnant le travail éditorial, même à l’ère numérique. Qui paie ? Traditionnellement les institutions de recherche s’abonnent à des journaux, permettant à leurs chercheurs de lire les articles publiés dans leurs domaines. Les chercheurs (ou plutôt leurs institutions) payent pour lire. Or, pour faire sa veille, un scientifique doit avoir accès à une telle diversité de journaux que le coût des abonnements devient vite prohibitif.


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De plus, la recherche scientifique étant largement publique, les citoyens souhaitent légitimement accéder librement aux résultats de la recherche qu’ils ont en partie financée. C’est ce qui a conduit au développement d’un modèle de publication, le libre accès (open access), où les articles publiés par les journaux sont consultables gratuitement. Ce libre accès est souvent conditionné au paiement de frais de publication par les auteurs (via leurs institutions de recherche). Ce modèle d’« auteur payeur » prend progressivement le pas sur le modèle « lecteur payeur ». Ainsi, à partir de 2020, les chercheurs bénéficiant de subventions de l’Union européenne ont l’obligation de publier leurs articles en accès libre. Or, cela a très souvent un coût, souvent autour de 1 500 euros, mais jusqu’à 4 500 euros par article.

Si la mise à disposition gratuite des résultats de la recherche est louable, sa monétarisation pose question. Les journaux pourraient être tentés d’accepter davantage d’articles, y compris de moins bonne qualité scientifique, et les chercheurs de payer pour « gonfler » leur CV. Ces soupçons ne sont pas nécessairement justifiés mais peuvent peser sur la confiance accordée aux résultats publiés dans les journaux financés par les auteurs des articles.

Certains journaux (PLOS, BMC, Frontiers in…, Scientific reports, Science Advances), édités par des grands éditeurs commerciaux ou des sociétés à but non lucratif, ont fait le choix de donner l’accès à l’intégralité des articles qu’ils publient. Leurs revenus dépendent alors exclusivement des frais de publication payés par les institutions de recherche.

Dans le même temps, certains journaux ont mis en place un système hybride : leurs articles restent accessibles sur abonnement, mais les auteurs peuvent faire le choix de payer pour que leur article soit librement consultable hors abonnement. Les auteurs bénéficient alors du prestige du journal, tout en se pliant aux règles imposées par l’Europe. Mais les institutions paient à la fois l’abonnement à la revue et le libre accès à leur article. On pourra sourciller.

Après la question de la visibilité de l’article se pose donc la question de son coût et de la confiance qui lui sera accordée par la communauté, mais aussi la question de cautionner implicitement un modèle économique dans lequel celui qui produit la marchandise (le chercheur et l’institution qui l’emploie) est également celui qui paie pour en garantir l’accès (les abonnements ou les frais de publication).


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Des initiatives iconoclastes mais vertueuses

Pour pallier les dérives du système actuel, différentes initiatives voient le jour. L’internet met à disposition des outils libres de publication sur le web, qui permettent de publier à très grande échelle à des coûts minimes. De plus, les articles bruts non évalués (nommés preprints) sont de plus en plus couramment déposés directement par les chercheurs dans des archives ouvertes arXiv.org ou bioRxiv.org, ce qui permet de rendre disponibles rapidement et gratuitement les résultats de recherche. Mais à la différence des articles publiés dans les journaux classiques, les preprints ne sont pas encore le système de revue par les pairs (ou peer review) qui consiste en l’évaluation indépendante de chaque article par deux (ou plus !) experts du sujet avant publication.

Différents projets d’évaluation de ces preprints ont vu le jour, par exemple Peer Community in, qui fédère des « communautés de pairs » évaluant et recommandant des preprints dans leur domaine scientifique. Les rapports, les recommandations, les identifiants digitaux des versions successives des preprints, ainsi que les correspondances avec les auteurs sont visibles gratuitement par les lecteurs. Ce système présente une certaine similitude avec les épirevues.

Ces initiatives vertueuses n’évaluent que la qualité scientifique des articles, pas leur potentiel de visibilité ; elles sont iconoclastes mais elles ne bénéficient pas de la notoriété que peuvent avoir certains journaux. Cela peut être un frein à leur diffusion dans la communauté scientifique.


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La recherche, c’est la science, mais pas que

Résumons : le choix du journal conditionne à la fois la visibilité et l’utilisation future d’un article, ainsi que les carrières de ses auteurs. Le chercheur qui soumet un article porte une triple responsabilité : une responsabilité scientifique en ce qui concerne le contenu de l’article, une responsabilité humaine et sociale vis-à-vis de ses co-auteurs (qui peuvent êtres dans une situation professionnelle précaire), et une responsabilité sociétale quant à l’utilisation des fonds publics alloués à la recherche.

Avant d’écrire et de soumettre son article à un journal, le chercheur se pose donc une série de questions qui relève du fond de la recherche mais également des personnes qui la font.

Sur le fond :

  • De quoi mon article parle-t-il ?

  • Qui va-t-il intéresser ?

  • Dans quel journal aura-t-il le plus de chances d’être lu et utilisé par les membres de ma communauté scientifique ?

Sur le « font » :

  • Qui pourra accéder à mon article ?

  • Quel est le coût de la publication ?

  • Qui paie ?

  • Quel délai avant que mon article soit lisible et citable ?

  • Quel est le niveau de crédibilité du journal ?

  • Qui sont mes co-auteurs ?

Le choix n’est ni anodin, ni évident. La réponse à ces questions a plus ou moins d’importance selon les disciplines, selon les chercheurs et selon l’avancement de leur carrière. Chaque choix est justifiable, pour peu qu’il soit réfléchi et assumé. Mais il n’est pas interdit de chercher à faire évoluer les mentalités et les pratiques vers un système de publication plus vertueux.

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