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Comment les clubs de football européens peuvent-ils regagner des fans perdus ?

Avec la crise sanitaire, le stade Vélodrome, à Marseille, n’a pas fait le plein depuis bien longtemps. Wikimedia Commons, CC BY-SA

« J’ai toujours aimé l’Olympique de Marseille mais j’essaie aussi de me détacher de ce que veut dire une victoire, une défaite, en interne, par rapport à la culture d’entreprise que je veux mettre en place ».

Avec cette déclaration, le 8 décembre dernier lors d’une conférence organisée à Paris, le président de l’OM Jacques-Henri Eyraud, invitait à se méfier des « fan in a suit », des « fans en costume », qui, aux postes de direction, laisseraient trop parler leur amour pour le club, perdant de vue le cap qui doit être tenu lorsque survient une défaite.

Par la même, il dégradait encore un peu plus sa relation déjà bien compliquée avec les supporters phocéens, un des facteurs entraînant finalement son renvoi au mois de février. Ceux-ci lui reprochaient précisément une approche trop entrepreneuriale d’une institution reste pour eux avant tout une affaire de passion.

Jacques-Henri Eyraud a souvent été critiquée pour une gestion trop entrepreneuriale de son club. Flickr, CC BY-SA

Reste que, bien que les équipes sportives demeurent des organisations particulières, la professionnalisation, l’approche basée sur les données et l’internationalisation leur confèrent des similitudes frappantes avec les entreprises plus classiques. Les clubs essaient notamment de garder autant de clients que possible (de « fans » en l’occurrence).

Malgré l’engagement généralement plus prononcé des aficionados de sport, les conserver peut s’avérer chose difficile, surtout dans une période de pandémie de Covid-19 qui a entraîné la fermeture des stades.

Cet engagement dépend notamment du succès sportif de l’équipe. La perte du championnat national du Paris Saint-Germain, au détriment de Lille, couplée à son élimination de la Ligue des Champions ne devrait par exemple pas rester sans effets sur sa base de fans !

Les clubs tentent aussi d’engranger de nouveaux fans et de fidéliser les supporters déjà présents grâce à des campagnes plus complètes, par exemple en allant directement à leur rencontre. Cela est possible avec les tournées à l’étranger de présaison, ou par l’intermédiaire de vidéos et de mises à jour régulières sur les réseaux sociaux.

Par exemple, à quelques heures de la finale de la Coupe de France contre Monaco, le 19 mai, le Paris Saint-Germain organisait une session sur la plate-forme Twitch pour permettre aux supporters de dialoguer avec un joueur et un historien du club.

Cependant, peu mettent en œuvre une stratégie de reconquête cohérente pour récupérer les fans perdus. Cela a de quoi surprendre : reconquérir ces clients coûte généralement moins cher que d’en acquérir de nouveaux et les chances de réussite s’avèrent plus importantes. Autrement dit, le retour sur investissement apparaît plus élevé.

Pour autant, cela peut sembler imprudent d’investir aveuglément dans les clients perdus. Des études antérieures montrent en effet que les clients peuvent revenir volontairement, surtout lorsque ceux-ci affichaient une relative satisfaction avant de quitter l’entreprise. Distinguer les fans perdus qui peuvent revenir volontairement de ceux qui demandent un effort de l’entreprise semble ainsi crucial, de même que comprendre le comportement de ces groupes à leur retour.

Nos travaux montrent que les données disponibles gratuitement sur les réseaux sociaux peuvent, en la matière, apporter une aide précieuse.

Départs sans retour

Les clubs de football professionnels investissent et utilisent des outils de gestion de la relation client (GRC) pour suivre leurs campagnes. Dans de nombreux cas cependant, les perceptions émotionnelles, telles que la satisfaction, échappent à ces outils, et lorsqu’ils les captent, cela ne vaut certainement pas pour tous les clients. L’identification des supporters susceptibles de revenir devient alors plus difficile.

Notre étude se concentre sur les achats d’abonnements d’une grande équipe de football belge qui joue régulièrement en Ligue des Champions. Elle montre que nous pouvons, grâce aux réseaux sociaux, prédire avec précision et de façon solide quels fans reviendront après défection.

Nos résultats sont obtenus sur quatre saisons. Nous contrôlons plusieurs facteurs qui changent chaque année et peuvent influencer la probabilité de retour des supporters (par exemple : classement, trophées, présence en Ligue des Champions, transferts, etc.).

Dans les données GRC, le fan perdu a laissé ses traces dans la base de données, même s’il ne l’alimente plus après son départ. Sans surprise, nous constatons qu’en général, un intérêt antérieur plus élevé pour l’équipe augmente la probabilité d’un retour.

Une exception apparaît cependant : les aficionados qui avaient montré un intérêt particulièrement important pour l’équipe avant de disparaître ont une probabilité plus faible de revenir.

Ces fans peuvent, par exemple, avoir déménagé hors de la région, changé d’intérêts ou de situation familiale, ou encore exprimé un mécontentement extrême non pris en compte dans les données.

Cependant, quelle qu’en soit la raison, celle-ci semble suffisamment importante pour qu’ils soient détournés du club malgré leur intérêt passé, ce qui rend moins probable un retour si le club ne lance pas une campagne de reconquête.

Bien que les données GRC présentent une certaine valeur, nous constatons que les données collectées sur les réseaux sociaux restent beaucoup plus informatives pour identifier les fans perdus qui pourraient revenir volontairement.

Des « likes » riches en information

En effet, ces données traduisent mieux les perceptions émotionnelles vis-à-vis de l’équipe. En outre, les données GRC concernant les supporters perdus deviennent rapidement obsolètes, car aucune nouvelle donnée n’est ajoutée à la base, tandis que les fans mettent à jour régulièrement leurs profils sur les réseaux.

Notre étude utilise des données recueillies sur Facebook que chaque équipe peut obtenir, même lorsque les supporters n’achètent plus d’abonnements au stade.

Parmi ces données, les commentaires sur la page Facebook du club renvoient immédiatement à la perception émotionnelle vis-à-vis de l’équipe. Sans surprise, les commentaires négatifs conduisent à une probabilité plus faible d’un retour volontaire.

De façon surprenante, les « likes » supplémentaires sur la page de l’équipe ou sur les pages en lien avec elle offrent davantage d’information que les commentaires. Ils démontrent un intérêt continu pour l’équipe.

Reste enfin la participation déclarée aux événements sur les réseaux sociaux. C’est le type de données qui fournit la plupart des informations. En effet, cette présence « déclarée » ne se traduit pas forcément par une présence réelle pour la plupart des personnes, mais démontre qu’il subsiste un intérêt pour le club.

Bien dépenser

La collecte de ces données gratuites pourrait permettre à l’entreprise d’économiser l’effort et le coût des offres de reconquête. Il y a cependant un hic, cela pourrait engendrer des coûts indirects. Les fans peuvent en effet réduire leurs dépenses à leur retour dans le giron du club. Dans notre étude sur le club de football belge, les supporters ont, en moyenne, dépensé 7 % de moins en abonnements lorsqu’ils reviennent sans campagne de reconquête.

Notre étude invite donc à rechercher un compromis entre la réduction attendue des dépenses lorsque les clients reviennent volontairement et le coût d’une opération de promotion visant à les reconquérir. Collecter des données sur les réseaux sociaux pour les fans perdus peut donc s’avérer utile pour prédire leur retour et leur comportement à ce moment, mais aussi pour éviter des coûts inutiles en termes de communication.

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