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Les médias sociaux ont contribué à brouiller la frontière entre vie privée et vie professionnelle.

Comment les employés LGBTQIA+ adaptent leurs usages des réseaux sociaux vis-à-vis de leur entreprise

Malgré l’attention grandissante portée aux actions en faveur de la diversité et de l’inclusion, il reste beaucoup à faire. Le mariage entre personnes de même sexe, par exemple, n’est légal que dans 28 pays. En outre, le fait d’être transgenre reste criminalisé dans 13 pays, et ces personnes ne peuvent pas changer de sexe dans au moins 47 pays.

Le manque de soutien juridique est également apparent sur le lieu de travail, où de nombreuses personnes s’abstiennent de révéler leur statut LGBTQIA+ afin d’éviter d’éventuelles discriminations et obstacles dans leur progression de carrière. En effet, agir professionnellement signifie souvent adopter des comportements hétéronormatifs, tels que le choix des vêtements, le ton de la voix, en évitant les maniérismes et les conversations qui pourraient mettre en évidence leur identité sexuelle.

Certains employés LGBTQIA+ cherchent ainsi à ne pas divulguer ou à contrôler les informations les concernant dans les conversations en présence de leurs collègues. Cependant, les canaux des médias sociaux, tels que Facebook, Instagram, Twitter, TikTok, et bien d’autres, sont chaque jour plus omniprésents dans les situations liées au travail, présentant de nouveaux contextes pour les LGBTQIA+.

S’opposant à l’idée de cacher ou de contrôler les informations sur soi, les médias sociaux permettent aux employés et aux managers d’avoir des aperçus de la vie de chacun au-delà de l’environnement de travail traditionnel. Les messages postés de chez soi sur Twitter, à propos des difficultés liées au travail ou même les actions menées par l’entreprise sur TikTok sont des exemples courants de la manière dont les médias sociaux brouillent de plus en plus les frontières entre vie professionnelle et la vie privée.

Nous réfléchissons tous, d’une façon ou d’une autre, aux moyens de nous présenter de manière favorable en ligne afin d’accroître notre notoriété et d’obtenir le respect de nos pairs ainsi que de nos supérieurs. Pourtant, les LGBTQIA+ peuvent être confrontés à des défis supplémentaires dans ce processus. Notre récente recherche, issue de 480 heures d’observation et 20 entretiens avec des employés homosexuels, suggère que les médias sociaux créent un dilemme pour ces employés.

Une frontière vie professionnelle-privée plus floue

Pour ces derniers, ces plates-formes sont généralement considérées comme des espaces sûrs où ils peuvent s’exprimer de manière plus authentique. Lorsque les lignes de démarcation entre vie professionnelle et vie privée s’estompent sur la toile, les employés se posent la question suivante : comment faire pour que les médias sociaux restent des espaces sûrs et, dans ce même temps, maintenir une posture professionnelle ? En fin de compte, nous avons constaté que les employés n’ont pas de réponse précise à cette question, et tentent de gérer cette situation au mieux, en adoptant trois comportements possibles :

Comportement en miroir : incertains des impacts possibles des médias sociaux sur leur carrière, la plupart des employés tentent d’atteindre des niveaux de divulgation similaires dans les situations en présentiel et en ligne, dans un continuum allant du maintien secret à la révélation de leur sexualité. Calvin*, analyste en ressources humaines, illustre ce comportement ainsi :

« Je ne poserais jamais une photo de moi et de mon partenaire sur mon bureau, et je ne dis pas que je suis gay. Si on me demande, je ne mens pas… En ligne, je ne crée pas de groupe spécial, mais je ne poste pas beaucoup non plus, et je ne posterais jamais une photo où j’embrasse mon partenaire, par exemple. »

D’autres, comme Gabriel, cadre commercial, adoptent plusieurs mécanismes supplémentaires, comme créer une fausse relation amoureuse avec une amie, la poster et la taguer sur des photos. Il contrôle également chaque demande d’amitié et évite d’utiliser des expressions qui pourraient exposer son homosexualité dans les interactions en face à face et en ligne.

Les plates-formes peuvent apparaître à certains comme comme une zone refuge où ils peuvent s’exprimer librement.

Déstigmatisation en ligne : certains employés ont le sentiment d’être limités au travail et ont besoin de repousser les limites de ce qui est considéré comme professionnel. Ils utilisent les médias sociaux pour amplifier leur voix dans des efforts de déstigmatisation en ligne, qui sont souvent impossibles au travail. Ethan, cadre en marketing, donne un exemple de ce comportement :

« Aujourd’hui, j’adopte une posture plus militante, sans me soucier autant du qu’en-dira-t-on. Par exemple, l’une de mes dernières photos sur Instagram est une belle photo de mon partenaire et moi sur la plage, avec une esthétique très “girly”. »

En agissant ainsi, il fait en sorte que les médias sociaux restent des espaces sûrs, et montre également aux autres collègues que l’expression de l’homosexualité n’est pas un manque de professionnalisme. Mario, analyste marketing, a mentionné Ethan comme un modèle à suivre. Comme lui, il partage intentionnellement des messages sur les causes LGBTQIA+ et des sujets plus légers, comme les divas de la pop et les mèmes.

Refus de l’effondrement du contexte : à titre d’exception, les employés peuvent ne pas considérer que les médias sociaux provoquent de plus en plus l’effondrement du contexte du travail et de la vie privée, adoptant des comportements disparates dans les situations en face à face et en ligne. C’est le cas de Francis (coordinateur marketing), qui mentionne :

« Je sépare complètement vie privée et vie professionnelle. Je ne parle pas de mes affaires au travail. Personne n’a rien à voir avec ça. »

Cependant, ils ne transfèrent pas ces inquiétudes à l’environnement en ligne, où il était généralement ouvert sur sa sexualité. Il s’est donc comporté différemment dans les situations en face à face et en ligne.

Des mesures face aux problèmes

Nous avons constaté que le fait de surveiller et de contrôler constamment qui voit quoi et quand en ligne est stressant pour les employés homosexuels, qui sous-estiment souvent les efforts nécessaires que les médias sociaux exigent. En effet, le terme « miroir » vient du terme anglais « fun house mirrors » (miroirs déformants des parcs d’attractions), dans lequel on voit des images déformées inattendues de soi-même. Cacher des informations et maîtriser les configurations de confidentialité sur les médias sociaux constituent des tâches laborieuses, et les collègues pourraient facilement trouver des informations sur la sexualité de leurs pairs.

Le fait de nier l’effondrement de contexte ne semble pas non plus profiter aux employés, car les collègues ne comprennent pas pourquoi on se comporte différemment dans les situations en face à face et en ligne. Ethan commente qu’il est « difficile de comprendre une personne comme Francis car il finit par reproduire des préjugés, en montrant qu’on ne peut pas être gay ici ».

Les comportements peuvent différer entre les situations en face-à-face et en ligne.

Ces difficultés à contrôler les images en ligne sur les médias sociaux sont peut-être la raison pour laquelle certains employés adoptent des efforts de déstigmatisation. Fatigués des mécanismes constants et croissants pour correspondre à un type « professionnel » idéal, ces employés concluent que la normalisation et la différenciation de leurs sexualités sont la meilleure ligne de conduite.

Malgré l’orientation spécifique de notre recherche, les médias sociaux et le comportement professionnel ont un impact plus ou moins important sur tous les employés. D’après nos recherches, les organisations pourraient prendre certaines mesures face les problèmes que nous avons identifiés dans notre étude :

  • La sensibilisation : développer une formation sur les médias sociaux pour les employés et les managers et discuter des éventuels biais inconscients impliqués dans les interactions en ligne quotidiennes pourrait être une bonne mesure pour sensibiliser aux problèmes liés aux médias sociaux. La première étape consiste à problématiser ces interactions qui génèrent des problèmes pour de nombreux employés.

  • Des stratégies et des politiques claires : au lieu d’encourager l’utilisation des médias sociaux de manière informelle uniquement, les organisations pourraient mieux relier le rôle des médias sociaux à des stratégies organisationnelles plus larges. Un grand nombre des insécurités que nous avons observées sur le terrain provenaient d’un manque de clarté sur le rôle des médias sociaux au travail.

  • Cartographier et inclure les personnes marginalisées : dans notre étude, l’entreprise a décidé de cartographier les employés qui s’exprimaient sur les problèmes dont ils souffraient, tant au travail que sur les médias sociaux. Cette démarche a été essentielle pour le développement de leurs actions inclusives, qui ont également pris en compte les impacts potentiels des médias sociaux dans les interactions quotidiennes sur le lieu de travail.

Permettre à ces employés de participer à la formulation des actions et des objectifs a une double fonction : (1) elle apporte une légitimité aux actions de l’entreprise aux yeux des autres employés, car ceux qui souffrent sont également engagés à aider l’organisation à s’améliorer ; et (2) elle devient un guide fiable pour les responsables, qui sont rassurés que leurs actions reflètent les problèmes ressentis par les employés.


* Les prénoms ont été modifiés.

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