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Comment les mathématiques peuvent aider à comprendre la croissance de tumeurs

Un mélanome, tumeur maligne du système pigmentaire de la peau, grossi 40 fois. J Wisell

Dans notre vie quotidienne, nous nous sommes désormais habitués à voir des images de tumeurs et de mélanomes. Ces objets ne sont pas entièrement symétriques. Il s’avère que cette asymétrie est utile aux médecins dans leurs diagnostics – mais d’où viennent ces formes asymétriques ?

Instinctivement, nous pensons que les objets symétriques se trouvent le plus souvent dans la nature, mais l’asymétrie est sans doute encore plus fréquente. Pour compliquer les choses, un même objet peut être parfois symétrique et parfois non. Prenez les bulles de savon par exemple : elles semblent parfaitement symétriques quand elles sont petites, mais quand on augmente leur rayon, on voit que la symétrie est rompue et la bulle de savon n’est plus parfaitement ronde. Ce phénomène est dû à la présence d’effets physiques comme le vent et la gravité. La forme finale de la bulle de savon est due à plusieurs facteurs, et l’effet de chacun d’entre eux ne peut être ignoré.

Une grande bulle de savon devient asymétrique. Basile Morin, CC BY-SA

Il en va de même pour la croissance de tumeurs cancéreuses : leurs formes asymétriques sont dues à des combinaisons de phénomènes biologiques. La compréhension de ces phénomènes est au cœur de recherches en cours en biologie et en médecine, et les mathématiques peuvent donner un aperçu complémentaire et précieux des différents mécanismes de la croissance d’une tumeur. En construisant des modèles mathématiques et en étudiant leurs solutions, nous distinguons entre les différents aspects possibles des mécanismes de croissance des tumeurs. Cela peut être utile pour mettre au point des traitements et pour fournir aux biologistes et aux médecins des informations complémentaires.

Peut-on modéliser la croissance d’une tumeur ?

La forme d’une tumeur est le résultat d’interactions entre les cellules tumorales, les cellules saines, les molécules et d’autres tissus. Pour décrire mathématiquement son évolution d’un point de vue global, on peut utiliser une équation dite « de diffusion ». Les équations de diffusion sont de bons outils dans un tel contexte, car elles permettent de décrire les effets globaux d’un processus physique qui se déroule à une échelle beaucoup plus petite.

En général, le processus à petite échelle est la diffusion : un mouvement net de tout objet (par exemple des atomes ou des molécules) d’une région à forte concentration vers une région à plus faible concentration. Un exemple d’un tel comportement peut être l’évolution de la température (de la chaleur) dans une pièce. Nous savons, par expérience, que si nous chauffons une petite partie de notre pièce, la chaleur se répandra bientôt dans le reste de celle-ci. De nos jours, nous savons que cet équilibre thermique est atteint parce que les atomes et les molécules qui composent l’air se déplacent de manière aléatoire et désordonnée. Ce mouvement, appelé « mouvement brownien », doit son nom à Robert Brown, un botaniste anglais qui l’a décrit pour la première fois en 1827 alors qu’il observait le mouvement des particules de pollen dans l’eau. Il est intéressant de noter que les équations de diffusion étaient déjà étudiées en mathématiques depuis 1822, indépendamment des travaux de Robert Brown, lorsque Joseph Fourier a introduit la très célèbre équation de la chaleur.

Cependant, le lien entre la petite échelle (mouvement brownien) et l’effet global de l’équilibre thermique n’a été mis en évidence par Albert Einstein et Marian Smoluchowski qu’en 1905.

Simulation du mouvement brownien avec 1000 particules. Au départ, les particules sont concentrées dans la région carrée centrale et elles se répartissent sur tout l’espace disponible. En rouge, la trajectoire d’une seule particule. Avec l’aimable autorisation de N. Pouradier Duteil

Différents types de diffusion et différents modèles

Einstein a décrit un type particulier de diffusion, aujourd’hui appelé « diffusion linéaire ». Ce type de diffusion est caractérisé par son « déplacement moyen au carré », une moyenne de la quantité de particules qui se déplacent dans le temps. Pour la « diffusion linéaire », le « déplacement quadratique moyen » est linéaire dans le temps, ce qui signifie qu’en moyenne, si nous attendons 5 unités dans le temps, les particules se déplaceront de √5 unités dans l’espace. La linéarité est ici entre la quantité de temps et le carré de la quantité d’espace.

La « diffusion linéaire » n’est pas le seul type de diffusion possible. La classification des différents types de diffusion dépend souvent de cette notion de « déplacement moyen au carré ». Par exemple, dans la « superdiffusion », les particules sont autorisées à « faire des sauts » (aujourd’hui appelés marches de Lévy) et donc à se déplacer davantage dans l’espace. Ce comportement n’est pas seulement commun pour les molécules, mais a été observé chez les animaux. Par exemple, il décrit bien les stratégies de recherche de nourriture d’un albatros. On peut remarquer les différences entre les trajectoires d’un mouvement brownien et celles des Albatros. Dans le premier cas, la particule reste proche de sa position initiale alors que dans le second, l’albatros effectue de longs mouvements, les sauts de Lévy, et d’autres, plus petits.

Trajectoire de recherche de nourriture d’un albatros à sourcils noirs. Nicolas E. Humphries et collaborateurs, PNAS 2012, PNAS License to Publish, Author provided

L’un des principaux avantages des mathématiques est que des techniques et des concepts similaires peuvent souvent être adaptés afin de décrire différentes situations dans la nature. C’est notamment le cas des équations paraboliques, qui sont une généralisation des équations de diffusion ci-dessus, et qui sont utilisées pour modéliser une grande variété de phénomènes tels que les oscillations des prix en bourse ou l’évolution d’un matériau en transition de phase, par exemple la fonte de la glace en eau. La caractéristique commune des phénomènes décrits par les équations paraboliques est toujours la description d’un effet global résultant d’un processus à plus petite échelle.

La forme d’une tumeur

Supposons que chaque cellule se déplace (plus ou moins) de manière aléatoire. Nous pouvons alors décrire l’évolution de la densité de cellules (nombre de cellules par unité de volume) par une équation de diffusion. Mais si l’on considère exclusivement la densité de cellule, il n’est pas possible d’obtenir une évolution qui mène à une forme asymétrique. En effet, une caractéristique des équations de diffusion est exactement de rendre l’évolution plus symétrique, dans un effet similaire à l’équilibre thermique expliqué ci-dessus.

Simulation de la densité cellulaire d’une tumeur (plus c’est blanc, plus c’est dense) : au centre, on peut observer des cellules mourant par manque de nutriments. Avec l’aimable autorisation de Benoît Perthame, Min Tang, Nicolas Vauchelet, M3AS, Author provided

Pour obtenir des asymétries, nous avons besoin de plus d’éléments dans le modèle, mais quel effet faut-il ajouter ? C’est alors que les mathématiques peuvent être utiles à la biologie, car nous, mathématiciens, pouvons tester des hypothèses. En effet, en ajoutant différents éléments au modèle, nous pouvons simuler différents aspects de la croissance de la tumeur et mieux comprendre ses mécanismes. Ces éléments peuvent être par exemple la présence de nutriments (généralement de l’oxygène ou du glucose apportés par les vaisseaux sanguins), dont la présence et l’évolution sont elles aussi modélisées par une équation de diffusion décrivant comment la tumeur consomme les nutriments, ou encore la présence d’une pression externe appliquée par d’autres tissus, par exemple un organe situé d’un côté de la tumeur. En incluant ces caractéristiques dans le modèle, nous pouvons obtenir des formes comme celles de la figure ci-dessus, plus proches de ce que nous voyons dans le monde réel.


La Région Île-de-France finance des projets de recherche relevant de Domaines d’intérêt majeur et s’engage à travers le dispositif Paris Région Phd pour le développement du doctorat et de la formation par la recherche en cofinançant 100 contrats doctoraux d’ici 2022. Pour en savoir plus, visitez iledefrance.fr/education-recherche.


Cet article a été traduit de l’anglais par Elsa Couderc avec l’aide de DeepL.

This article was originally published in English

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