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Comment les syndicats sont utiles aux salariés… et aussi aux entreprises

Rôle et fonction des syndicats (ici Goodyear octobre 2016). Patrick Janicek/Flickr, CC BY

Au début des années 80, deux économistes d’Harvard ont mené une étude fouillée à partir des données du National Bureau of Economic Research et en ont tiré des conclusions rompant avec le discours anti-syndical des économistes libéraux et des milieux d’affaires américains. Richard B. Freeman et James L. Medoff dans un livre qui a fait couler beaucoup d’encre soutenaient l’idée selon laquelle les syndicats pouvaient contribuer à l’amélioration de la performance économique des entreprises.

Les syndicats américains améliorent la productivité

L’ouvrage de Freeman et Medoff.

Selon eux, en donnant la possibilité aux salariés de s’exprimer, les syndicats permettent d’améliorer la communication entre les salariés et leur employeur et par conséquent de réduire la rotation du personnel, l’absentéisme ou les comportements apathiques.

Ils estiment ainsi à 2 % la diminution des coûts du travail due à l’abaissement de la rotation de la main d’œuvre dans les entreprises américaines connaissant une implantation syndicale. En outre, les syndicats inciteraient, selon eux, les dirigeants d’entreprise à améliorer constamment leurs méthodes de gestion. L’« effet choc », décrit initialement par Slichter, Healy & Livernash (1960), repose en effet sur l’idée que l’arrivée d’un syndicat augmentant les coûts de l’entreprise, il est alors dans l’intérêt du dirigeant de rationaliser l’ensemble de ses pratiques de gestion.

Un effet durable et généralisable

Plus de 30 ans après la publication de l’ouvrage de Freeman et Medoff (What Do Unions Do ?, 1984), nous avons voulu savoir si les résultats qu’ils avançaient dans le contexte américain avaient bien résisté à l’épreuve du temps et s’il était possible de généraliser leurs conclusions à l’ensemble des pays industrialisés. Après avoir passé au crible plus de 300 études empiriques (contenant plus de 2 200 estimations économétriques), il ressort globalement de cette revue de la littérature des résultats qui viennent corroborer les analyses de Freeman et Medoff.

Doucouliagos, C., Freeman R.B. & Laroche P. (2017) « The Economics of Trade Unions : A Study of a Research Field and Its Findings », London : Routledge.

Ainsi, la majorité des recherches publiées au cours de ces dernières années fait état d’une productivité généralement supérieure en présence de syndicats, notamment dans le secteur de la construction, de l’éducation et des services aux particuliers. Ces études insistent sur l’importance de la coopération entre les représentants des salariés et les employeurs.

Les travaux les plus récents montrent par exemple que les règles de travail ont d’autant plus de chance d’être efficaces qu’elles n’ont pas été imposées par la direction mais décidées de façon unanime avec les organisations syndicales. Ce constat n’est pas nouveau mais a fait l’objet d’une attention particulière depuis les travaux d’Elinor Ostrom (Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel en 2009) sur les théories de l’action collective et les principes de gestion des ressources communes.

Des variation selon les pays

L’examen attentif des recherches menées au cours de ces dernières années indique également que les effets du syndicalisme sur la productivité varient considérablement selon les pays, en fonction des contextes institutionnels au sein desquels s’inscrivent les relations sociales. Il apparaît par exemple que la syndicalisation est plus souvent associée à de faibles niveaux de productivité en Grande-Bretagne alors qu’elle est liée positivement à la productivité des entreprises dans les pays en voie de développement.

Quelques divergences entre les résultats obtenus par Freeman et Medoff et les conclusions des études plus récentes peuvent néanmoins être soulignées. C’est le cas notamment du lien entre la syndicalisation et la satisfaction au travail. La plupart des études récentes confirme le mécontentement déclaré par les salariés syndiqués mais plutôt que d’y voir un effet « prise de parole » (« voice ») comme Freeman et Medoff, ces études y voient plutôt un problème d’endogénéité.

Cette endogénéité est liée au fait que les syndicalistes sont intrinsèquement moins satisfaits que les autres salariés, ce qui explique leur engagement syndical. Si le débat sur les effets de la syndicalisation sur la satisfaction au travail n’est pas définitivement tranché, les études publiées au cours de ces dernières années soulignent l’importance de la syndicalisation sur l’implication organisationnelle des salariés.

Les salariés se sentant entendus par leur employeur sont plus impliqués et productifs

Ces travaux renforcent les conclusions de Freeman et Medoff quant à la propension plus faible des salariés à démissionner lorsqu’ils travaillent dans une entreprise syndicalement organisée. L’état actuel des connaissances soutient donc l’idée selon laquelle les salariés se sentant entendus par leur employeur sont plus impliqués dans leur travail et par conséquent plus productifs que les autres.

Soulignons toutefois que le niveau de productivité des entreprises connaissant une implantation syndicale ne compense généralement pas suffisamment l’augmentation des coûts liés à la négociation collective, de telle sorte que les bénéfices de ces entreprises sont, à quelques exceptions près, moins élevés en présence d’une organisation syndicale. En poussant les salaires vers le haut, on peut donc s’attendre à ce que les syndicats affectent les profits des entreprises, contribuant finalement à mieux répartir la richesse créée par l’entreprise.

Les syndicats ont une fonction qu’il faut encourager

En résumé, le discours anti-syndical, fortement entretenu dans les milieux managériaux dans certains pays, s’appuie sur l’idée que les syndicats ne rempliraient plus aucune fonction aujourd’hui, si ce n’est celle d’entraver le bon fonctionnement des entreprises. Cette thèse n’est pas récente et trouve son origine dans le refus du patronat de céder la moindre de ses prérogatives et dans un comportement syndical souvent radical, évoquant la lutte des classes et le renversement du capitalisme.

Si cette impression globale demeure forte dans certains pays comme la France, d’autres pays à l’instar des pays scandinaves ont bien compris l’intérêt de coopérer avec les syndicats et ont dépassé cette vision archaïque des relations sociales. Reste que la faible représentativité des syndicats français explique la faible qualité du dialogue social dans notre pays et ses effets très contrastés sur la performance économique des entreprises.

Comme l’ont souligné Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg dans un ouvrage publié en 2012, un syndicalisme avec peu d’adhérents favorise la culture du conflit alors qu’un syndicalisme de masse favorise la coopération. Les syndicats français semblent aujourd’hui bien fragiles et auraient grandement besoin d’adhérents pour s’affirmer comme des acteurs indispensables à la vie économique de notre pays. Il apparaît donc plus qu’urgent de donner un nouvel élan au syndicalisme en France.

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