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La voiture sans chauffeur de Google (Salon Viva Technology, Paris). Jean-Pierre Dalbéra/Flickr, CC BY

Comment nos transports sont devenus intelligents

Comme de nombreux segments de l’économie, le secteur des transports et de la mobilité enregistre depuis plus d’une décennie une modification fondamentale de son organisation en raison d’une double révolution, à la fois technologique (la digitalisation) et d’usage (nouvelles formes de mobilité, véhicule autonome, autopartage, covoiturage organisé).

Ce mouvement a de profondes conséquences sur les rapports qu’entretiennent les citoyens avec la mobilité, mais également sur le modèle économique des acteurs traditionnels (équipementiers et constructeurs automobiles).

Dans ce nouveau contexte, la relation existante entre l’homme, l’automobile et son environnement proche (infrastructures routières, design urbain) est en cours de réinvention avec le concept de transport intelligent ou de système de transport intelligent (ITS ou STI). Deux grands paradigmes sont aujourd’hui réinventés.

Un écosystème en construction

D’une part, la possession d’un véhicule, représentation économique et sociale de la réussite depuis la Seconde Guerre mondiale, est aujourd’hui remise en cause par une certaine catégorie de la population, et la problématique est désormais centrée sur la liberté et les gains de temps que procure l’usage du véhicule.

D’autre part, le conducteur tend à être progressivement chassé de son véhicule pour n’en devenir qu’un passager. Cette évolution vers le véhicule autonome trouve aujourd’hui une version intermédiaire avec le véhicule connecté, fruit de la rencontre entre l’industrie automobile et les technologies du numérique (système de connectivité).

Le véhicule électrique est aussi présent dans ces nouveaux paradigmes de la mobilité. Le Boston Consulting Group affirmait ainsi, en avril 2017, que près de 25 % des kilomètres parcourus pourraient être réalisés en 2030 dans une voiture électrique partagée et autonome, ce qui permettrait notamment une économie pouvant aller jusqu’à 60 % des coûts d’un trajet classique.

Dans cet écosystème en construction, composé de nouveaux acteurs et de technologies innovantes, le modèle économique des acteurs traditionnels du secteur des transports et de la mobilité est remis en cause. En effet, alors que ce dernier était essentiellement centré sur un produit (la construction d’automobiles), il pourrait de plus en plus reposer sur le client et les services associés.

Transport intelligent, mobilité 2.0 et mobilité 3.0

L’association Atec ITS France, qui rassemble les acteurs des transports terrestres, donne la définition suivante des systèmes de transport intelligents : « les ITS sont nés du mariage des technologies de l’information et de la communication avec les véhicules et réseaux qui assurent la mobilité des personnes et des biens ».

Les ITS permettent ainsi de gérer les externalités liées à la mobilité (bruit, pollution, congestion), d’améliorer le confort et la sécurité des biens et des personnes, et d’optimiser la gestion des infrastructures et des politiques publiques liées à l’ensemble du système de transport.

Les systèmes de transport intelligents. IFPEN, Author provided

La littérature scientifique abonde de nouveaux concepts pour qualifier les révolutions actuelles. Ainsi, la notion de mobilité 2.0, utilisée en référence au web 2.0, considère que l’automobile n’est plus un simple objet de transport : c’est plutôt un outil de mobilité en interaction avec son environnement proche, ainsi qu’un système de communication et d’échange d’informations.

Dans les années récentes, la notion de mobilité 3.0 est apparue. Encore imprécise, elle peut se définir comme une mobilité 2.0 augmentée. Fruit de la convergence du digital et des problématiques de la mobilité, elle permet d’ouvrir l’univers des possibles pour l’ensemble des citoyens dans ses choix modaux. Elle propose un ensemble de solutions de mobilité en temps réel (autopartage, covoiturage, transports en commun, location de vélos) et optimise le système individuel et global.

Enfin, la mobilité 3.0 permet, notamment à travers le véhicule autonome, une révolution pour l’individu avec un gain de temps pour des activités de loisir ou de travail. L’ensemble décloisonner–optimiser–libérer permet de caractériser la mobilité 3.0 et les révolutions qui s’y réfèrent.

Quel développement des ITS dans l’histoire ?

Les ITS sont apparus à la fin des années 60 et au début des années 70, avec le système CACS (Comprehensive Automobile Traffic Control System) au Japon ou l’ERGS (Electronic Route Guidance System) en Allemagne et aux États-Unis.

Historiquement, les ITS sont nés de la reconnaissance des limites des systèmes de transports, avec l’accroissement des phénomènes de congestion et d’accidents de la route. Ainsi, du déploiement des premiers feux tricolores aux États-Unis (1914) ou en Europe (en France en 1923), à l’installation des premiers parcmètres (1935), la logique des premières mesures prises pour gérer les transports se résume à une superposition d’innovations centrées sur les infrastructures routières.

Cette logique d’innovations s’est progressivement déplacée vers le véhicule selon plusieurs priorités des pouvoirs publics : la sécurité, l’accroissement du parc automobile (aux États-Unis par exemple, il comprend plus de 75 millions de véhicules dans les années 60, contre moins de 33 millions en 1946) et la mise en place de nouvelles normes (généralisation des ceintures de sécurité, tableaux de bord rembourrés, standardisation des pare-chocs, etc.).

Entre la fin des années 60 et le début des années 70 sont lancés les premiers programmes de guidage autoroutier, dont la mise en place des premiers capteurs de vitesse, de débit autoroutier et d’occupation des surfaces routières. Seront ainsi généralisés les premiers signaux électroniques de trafic (DMS, dynamic message signs) et les premiers algorithmes de localisation avec leur représentation sur des cartes digitalisées. L’ensemble de ces innovations sera capitalisé par la création des premiers centres de gestion du trafic (TMS, traffic management centers) qui intègrent les données liées à la météorologie, à la vitesse des véhicules, à la congestion et à l’accidentologie.

Les panneaux à messages variables fournissent en temps réel des indications sur les conditions de circulation. Wikimedia, CC BY

Les données collectées sont distribuées aux voyageurs et aux médias (radios notamment). Le centre de gestion du trafic fonctionne déjà à l’époque comme un point de connexion central par lequel transite de nombreuses données (hub) pour les questions routières. L’introduction et la généralisation du GPS (Global Positioning System) à la fin des années 70, avec le partage des activités satellites entre les usages civils et militaires vont permettre d’améliorer les missions des TMS.

De l’IVHS à l’ITS

Les années 80 révolutionnent le secteur des transports avec le déploiement des systèmes intelligents de véhicule sur route (IVHS, intelligent vehicle highway system). Les innovations ne portent désormais plus uniquement sur le véhicule, mais sur la possibilité de le connecter à son infrastructure. Avec l’accroissement de la mobilité, les opportunités économiques se multiplient et le secteur bénéficie de financements via des programmes de recherche publics et privés. Ainsi sont lancés des programmes spécifiques sur les systèmes de contrôle automatique du trafic, et des prototypes de véhicules autonomes avec le programme de la DARPA aux États-Unis (ALV, autonomous land vehicle).

En 1985, le premier prototype permet de rouler à environ 3 km/h sur une route en ligne droite d’environ un kilomètre. L’ALV a été devancé par le laboratoire de robotique Tsukuba au Japon qui, dès 1977, a expérimenté une voiture automatique roulant à près de 30 km/h. En Europe, le programme Prometheus (PROgraMme for a European Traffic of Highest Efficiency and Unprecedented Safety) contribue à financer les logiciels d’aide à la conduite pour les véhicules autonomes. L’Allemagne, à travers ses universités (logiciel de reconnaissance automatique) et ses constructeurs (Daimler-Benz notamment) est aussi en pointe sur ces questions.

Au cours des années 90, la notion de système de transport intelligent apparaît. Le passage de l’IVHS à l’ITS reflète le déplacement de la problématique transport : alors que le véhicule était le centre de gravité du système, il n’apparaît plus que comme un simple maillon d’une offre de mobilité plus globale. Les ITS reflètent la notion de boucle systémique d’interaction autour des quatre composantes : le véhicule, les infrastructures, le système de management et le conducteur. Les innovations technologiques vont ainsi se concentrer sur l’amélioration et la standardisation des systèmes de management de transport, sur les systèmes de navigation intégrés pour le conducteur (GPS, gestion du trafic, tableau de bord) et sur les systèmes de péage électronique.

« Google Car », « Apple Car »

Depuis les années 2000, les ITS se sont généralisés, portés par le processus de digitalisation observé dans les différents segments de l’économie. Les principales transformations ont permis d’améliorer les systèmes d’assistance à la conduite, mais les priorités des acteurs se sont diversifiées. Si la sécurité et les problèmes de congestion restent toujours des vecteurs de développement technologique pour les ITS, les enjeux économiques (réduction de la consommation des véhicules) et environnementaux (baisse des émissions de GES) participent également à la convergence entre le numérique et la gestion du trafic routier. À ce titre, le lancement de l’iPhone en 2007 et la généralisation des smartphones ont accéléré la dynamique des ITS.

Évolution des ITS depuis 1914. US Department of Transportation, IFPEN, Author provided

Ces changements structurels sont portés par la convergence entre les acteurs de la mobilité et ceux du numérique, dont les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Google, par exemple, a lancé un programme de recherche et développement dès 2005 sur la voiture autonome, qui a conduit à la fabrication d’un prototype dès 2010.

Les activités de la Google Car sont désormais confiées à Waymo, entreprise de développement de véhicules autonomes, car Google ne souhaite pas devenir un constructeur automobile. Le géant du Net penche plutôt pour une spécialisation sur les aspects logiciels de la conduite autonome et sur les services d’autopartage du véhicule autonome. Apple a, de son côté, lancé le projet Titan qui réunirait ses ambitions sur les segments du véhicule électrique et autonome. Amazon, quant à elle, a inauguré en mai 2017 en France un centre de développement de logiciels de gestion de trafic de drones pour ses livraisons.


Lyes Aissaoui, étudiant à IFP School et à AgroParisTech, est coauteur de cet article.

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