La rentrée scolaire 2015 s’est annoncée, sous le sceau de la laïcité. Les événements dramatiques de janvier avaient mis en lumière l’école dans sa capacité à créer du lien social et une série de 11 mesures pour « mettre la laïcité et la transmission des valeurs républicaines au cœur de la mobilisation de l’école » avait été adoptée dans l’urgence.
La charte de la laïcité introduite solennellement par Vincent Peillon en 2013 est désormais affichée dans tous les établissements scolaires français et un enseignement moral et civique a été mis en œuvre de l’école au lycée depuis septembre.
Les concours de recrutement des enseignants sont supposés évaluer la capacité les candidats à faire partager les valeurs de la République, une journée de la laïcité a été définie, la formation des chefs d’établissements a été renforcée ainsi que le contrôle de l’instruction à domicile face aux risques de repli chez les jeunes pouvant représenter un risque pour eux-mêmes, avec l’objectif d’un meilleur repérage. Depuis cette rentrée,les parents d’élèves sont même conviés à signer la charte de laïcité.
L’ouvrage de Rokhaya Diallo et de Jean Baubérot « Comment parler de laïcité aux enfants ? », arrive à point nommé pour donner des références précises, des balises historiques, apporter des réponses, poser des questions…
Un ouvrage nécessaire pour les enfants … comme pour les parents
« Pour tous, la notion de laïcité a besoin d’être clarifiée », souligne le livre, et de fait, la laïcité est devenue une sorte de mot-valise réduit à un signifiant vide parce que trop plein de significations souvent instrumentalisées.
Notre modèle de laïcité à la française nous semble aller de soi : tout se passe comme si elle s’était imposée comme une évidence d’autant mieux partagée que chacun la définit à sa manière…
L’histoire de la laïcité ne devient parfois que celle d’une peur … « La laïcité garantit à chaque citoyen la liberté de pratiquer sa religion, tout comme la liberté de ne pas croire. Elle établit le fait que les différentes croyances sont égales entre elles aux yeux de l’État. Mais en 2015, elle peut être considérée comme un mécanisme de défense contre les religions, elle entraîne alors un sentiment d’injustice et de stigmatisation » écrivent les auteurs.
Deux voix, deux générations, deux intellectuels d’une France pluriculturelle. Rokhaya Diallo est journaliste, écrivaine, réalisatrice et Jean Bauberot est historien sociologue, fondateur de la sociologie de la laïcité.
Trois types de questions
L’ouvrage très pédagogique fait le point sur l’idée de laïcité par un rappel historique suivi de dix fiches destinées aux enfants et illustrées d’iconographies (tableaux, bandes dessinées, photos, affiches) qui abordent les différents aspects du « vivre ensemble ».
« C’est quoi la liberté de conscience ? », « Pourquoi on n’a plus de repas sans porc dans les cantines ? » ; « Et si on n’aime pas les religions, on peut le dire ? » ; « Les signes religieux sont-ils autorisés à l’école ? ; « C’est la religion qui opprime les femmes ? » ; « Pourquoi certains au Québec parlent de laïcité interculturelle ? ».
Chaque fiche se décline en trois types de questions découpées en fonction de l’âge des enfants. Pour les 6 à 9 ans, des réponses simples et concrètes à partir des images. De 9 à 12 ans, une mise en perspective des situations vécues avec une volonté d’ancrage historique et de comparaison. Enfin, pour les 12 à 15 ans, une approche plus ambitieuse et théorique permettant de saisir comment les débats passés font écho à ceux qui ont lieu aujourd’hui.
En France, les controverses autour des questions de laïcité se sont multipliées dans contexte de panique morale : question du voile à l’école, loi de 2004, crèche baby Lou, accompagnement des sorties scolaires par des mamans voilées à l’école primaire, convocation de jeunes filles musulmanes au titre du port d’une robe noire un peu longue, question du port du foulard pendant des stages professionnels imposés par la scolarité, prise à partie d’étudiantes voilées dans certains amphithéâtres des universités, jusqu’à la question de menus sans porc à la cantine.
Quel est ce Commun que définit la laïcité ?
Ce climat passionné, quelquefois hystérique, entraîne des confusions, des autocensures ou des dénonciations peu productives qui inhibent les échanges.
L’ouvrage a le mérite de poser des questions socialement vives, de ne pas éviter les interrogations difficiles, de donner la variété des points de vue. Il déconstruit les idées reçues quand il rappelle par exemple qu’il faut éviter le contresens très répandu aujourd’hui d’étendre la neutralité aux citoyens alors qu’elle concerne la puissance publique, si bien que notre loi de 2004 est une exception.
Les textes internationaux protégeant les droits humains se placent d’ailleurs, précisent-ils, à contre-courant de la loi de 2004 interdisant le port des signes religieux ostentatoires aux élèves dans l’enceinte scolaire …
Nous vivons dans un monde global multipolaire et complexe dans lequel les identités individuelles et collectives s’hybrident et parfois s’opposent violemment. L’après-Charlie a donné lieu à une surenchère dans l’affichage d’une laïcité conçue plutôt comme une réponse défensive que comme un projet pour le vivre ensemble.
La référence fréquente à la laïcité et à « notre modèle républicain » contraste fortement avec les fonctionnements concrets de nombre d’établissements scolaires Pour construire du Commun, l’école (ses savoirs et ses valeurs) est au centre … mais quel est ce Commun à un moment où les conditions mêmes du pacte social sont à reposer ?
La lecture de cet ouvrage est salutaire pour les enseignants, pour les parents et pour les enfants : puisse notre société définir la laïcité comme les auteurs la pensent : une laïcité synonyme de respect de l’altérité, véritable outil du vivre-ensemble, une laïcité opposée à l’uniformité culturelle et plaidant en faveur de la diversité.