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Comment photographier un président « jupitérien » ?

Dans la cour du Louvre, au soir du 7 mai 2017. Eric Feferberg/AFP

La confection de l’image officielle d’Emmanuel Macron est maintenant lancée. Dans quelques jours, le vingt-cinquième président de la République aura son portrait. Un cliché de 50 X 65 cm qui ne dira rien sur l’homme lui-même. Un cliché qui fera même oublier le candidat d’En marche. Mais un cliché qui, en s’offrant au regard dans les mairies, commissariats, préfectures, ambassades, devra désormais solenniser une figure d’État. Et de fait, l’affiche officielle sera tirée à plus de 55 000 exemplaires. Elle fixera pour cinq ans l’image du « président jupitérien », celle que les cérémonies s’évertuent à composer depuis l’élection d’Emmanuel Macron à l’Élysée.

Retrouvailles du vainqueur avec ses électeurs, célébration du 8 mai, cérémonie d’investiture, réception diplomatique : les premières mises en scène le font entrevoir. Une majesté bien singulière est revendiquée par le locataire de l’Élysée. François Hollande avait confié à Raymond Depardon, le photographe des gens simples, le soin de dresser son portrait. En arrière-plan, la façade du Palais sur laquelle flottaient les drapeaux français et européen. Un cliché de format carré censé banaliser les mystères propres aux « sommets de l’État ». De la Cour Napoléon du Louvre au château de Versailles, de l’Arc de triomphe aux jardins de l’Élysée, Emmanuel Macron mobilise une toute autre culture visuelle pour « faire président »

Portrait officiel de François Hollande par Raymond Depardon (2012). Élysée

Une déférence d’État

« Enfin » : c’est le mot qu’ajoutent généralement les commentateurs en décrivant les rituels qui, ces dernières semaines, ont transmué le candidat en chef des armées et tête de l’exécutif. Expression à peine voilée d’un soulagement qui, après les critiques sur les années Hollande, encourage à décrire le « style » du nouveau Président. Le qualificatif de « jupitérien » a été avancé en octobre dernier. Une formule répétée depuis à l’envi. Comme si, par quelques postures, le chef de l’État avait déjà réussi à se démarquer de ses deux prédécesseurs. Restaurer l’esprit originel de la Ve République, trouver de la verticalité, nourrir une certaine distance à l’égard des médias ou l’activité quotidienne du gouvernement : telles seraient les caractéristiques de la manière dont Emmanuel Macron incorpore ses nouvelles fonctions.

« L’hyper présidence » de Nicolas Sarkozy tout autant que « la présidence normale » de François Hollande furent deux façons décriées d’habiter la magistrature suprême. Certains vont même jusqu’à affirmer qu’elles auraient provoqué l’affaiblissement de notre démocratie et contribué à une détérioration de l’image de la France dans le monde. Pourtant, ces manières de faire avaient été acclamées en leur temps. Et la photographie officielle de chacun de ces chefs d’État saluée en tant quel telle. Illusion d’optique ? En tout cas, la question se pose : qu’en sera-t-il demain avec la figure, et donc la fiction, qu’incarne Emmanuel Macron ?

On ne peut qu’en appeler à la prudence. Il faut se garder d’associer un style de conduite à des choix esthétiques ou symboliques. Cela n’est pas suffisant pour comprendre ce qui fait un Président. Les gestes et les rites qu’il accomplit ne relèvent pas seulement de l’ornement ou la de communication. Faire bonne figure pour un Président, c’est bien autre chose. C’est rendre visible, dans le cadre d’un protocole établi, un fonctionnement cohérent de l’État. Une représentation qui peut même devenir grandeur si son tenant lieu incarne une forme d’exemplarité. C’est tout l’enjeu de l’autorité de la pose que fixe chaque photographe. Elle n’est véritablement efficace qu’en parvenant à instituer une relation de respect entre les Français et l’État.

Le portrait à venir

La photographie officielle du nouveau Président parviendra-t-elle à remplir cet objectif ? Le défi n’est pas mince. Louis XIV déjà le répétait : « La nation ne fait pas corps en France ». C’est pourquoi il ajoutait qu’elle réside « toute entière dans la personne du roi ». Mais qu’en est-il sous la Ve République ? Sous ce régime, le Parlement peine à disputer au Président une telle prérogative. Car le chef de l’État, élu au suffrage universel direct, « tient lieu » de tête de la nation. Une présence substituée qui évidemment n’est pas sans péril. L’histoire l’a montré. Donner un visage au peuple proclamé souverain, c’est prendre le risque de trop personnaliser le pouvoir. Avec pour effet d’élever des monuments à l’orgueil ou de céder aux courtisaneries comme aux préjugés.

Portraits officiels. Laurence Houor-Remy

D’où la méfiance d’un Léon Gambetta lors de son discours d’Albertville, le 25 septembre 1872 :

« La République n’a pas besoin d’un homme ; elle peut et doit savoir s’en passer. La République a besoin de tous et de chacun (…). C’est précisément l’honneur de la République, en face de tous les autres régimes, en face de toutes les autres combinaisons de gouvernement, de pouvoir se passer d’un homme et d’une famille. »

En république, la souveraineté a toujours un visage mais il est allégorique. C’est celui d’un fondé de pouvoir qui doit mettre en majesté la seule volonté de la nation. La photographie officielle du chef de l’État en livre une représentation codifiée. Avec pour seul « sceptre » la rosette de grand-croix de la Légion d’honneur.

D’autres agencements sont névralgiques. Parc de l’Élysée ou bibliothèque ? Cadrage de trois-quarts ou plan rapproché ? Lumière de plein air ou d’intérieur ? Drapeau uniquement tricolore ou associé à celui de l’Union européenne ? Regard direct ou hors-champ ? C’est à ces questions que devra répondre le cahier des charges propre de ce nouveau cliché. On parle de Soazig de la Moissonnière, la photographe du candidat de la campagne d’En Marche, pour le mettre en œuvre. Mais l’expectative demeure quant aux règles de composition qui seront finalement retenues.

Restaurer ou renouveler ?

Chaque Président s’est efforcé d’« habiter » ce cliché officiel. À sa manière et selon son époque. Adolphe Thiers l’a fait, au début des années 1870, en grande tenue de la Légion d’honneur et la main sur un substitut de sceptre ; Mac Mahon, son successeur, en renouant avec la tradition du buste militaire, avec épaulette et plastron recouvert de médailles ; Jules Grévy, le premier Président républicain, en demandant à Pierre Petit, photographe de l’épiscopat, un portrait austère : en redingote de bure, sans décorum ni grand-cordon ; Sadi-Carnot en renouant avec le plan rapproché et une symbolique républicanisée de la Légion d’honneur.

Sous la Ve République, de Gaulle a imposé, lui, l’image du secret et du sacré, la main sur trois livres. Un modèle qui s’appuyait sur l’aura de l’appel du 18 juin. D’où le port ostensible du collier de l’ordre de la Libération et la tenue d’officier général. Georges Pompidou s’est drapé, de son côté, de l’écharpe de soie rouge moirée du Grand Maître de l’ordre de la Légion d’honneur. Un insigne depuis tombé en désuétude.

De quelle importance – et surtout de quelle nature – seront les ruptures de la scénographie macronienne ? Impossible, bien sûr, de renouer avec la majesté de l’âge classique, celle qu’affectionnait François Mitterrand, le premier président à s’asseoir devant l’objectif. ll avait demandé à Giselle Freund, la photographe des grands écrivains des années 1930, de le saisir surpris dans sa lecture des essais de Montaigne. 1974 : Giscard d’Estaing créa un autre coup de force visuel. Âgé de 48 ans, il voulait symboliser la « jeunesse » et la « réforme ». Aussi abandonna-t-il le frac pour le complet veston et le traditionnel papillon blanc pour une cravate. L’opérateur fut Jacques-Henri Lartigue, le photographe de la bourgeoisie de la Belle Époque. D’où l’usage du plein air, avec un cadre horizontal resserré sur un visage, alerte et décidé, le tout se découpant sur la couleur blanche du drapeau national.

Le Président Giscard d’Estaing en 1974 par Jacques-Henri Lartigue. Élysée

« Casser les codes » : la formule est à la mode. Mais encore faut-il savoir de quels codes il s’agit. Première option : sont visés ceux nés au début des années 2000 lorsqu’avec l’introduction du quinquennat, le régime s’est transformé. Dans ce cas, le réformisme d’Emmanuel Macron se positionne clairement comme une entreprise de restauration. Une façon de réhabiliter une légitimité perdue, certains diront avec malice de faire du vieux avec du neuf.

En revanche, seconde option, si la cible en est les codes de la « monarchie républicaine » chère au général de Gaulle ou confortée par François Mitterrand. Là, une voie nouvelle s’ouvre. Une voie conforme au projet que le chef de l’État s’est engagé à conduire en matière législative : instiller une représentation proportionnelle, réduire le nombre de députés, moraliser la vie publique. En un mot, un nouveau cap est fixé. La photographie officielle du président Macron serait alors un moment de vérité. En plein réalignement partisan, elle plaiderait pour moderniser mais aussi pour démocratiser des institutions que les électeurs avaient jugées, il y a moins d’un mois, à bout de souffle.

Soyons-en donc sûrs : un tel portrait sera scruté à la loupe.

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