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Comment sensibiliser les jeunes aux dangers de l’alcool sur les réseaux sociaux ?

Campagne de communication sur les conduites addictives lancée en 2018. Département des Alpes-Maritimes

L’alcool est très représenté sur les réseaux sociaux, associé à des scènes de divertissement, que les jeunes observent et partagent à leur tour. Cette présence contribue à banaliser l’alcool dans la vie des jeunes et à cacher les effets pernicieux de son abus.

Les campagnes anti-alcool qui s’adressent aux jeunes, qu’elles mobilisent des moyens de communication traditionnels ou misent sur les réseaux sociaux, sont peu efficaces lorsqu’il s’agit d’inciter à des comportements sains en matière de consommation. Comme l’ont démontré diverses études scientifiques, les jeunes, tout en connaissant les effets dangereux de l’alcool, ont plutôt tendance à adopter des attitudes de résistance et des réponses défensives face aux messages institutionnels.

Campagne « À ta santé », dans la Ville de Rennes, en 2011.

Il semble donc nécessaire de trouver de nouvelles stratégies de communication pour transmettre les ressources de prévention nécessaires aux jeunes et les aider à prendre conscience des comportements favorisant la consommation d’alcool.

Préoccupée par cette situation, Addict Aide (une organisation française mobilisée contre les problèmes d’alcoolisme) a lancé sur les réseaux sociaux avec l’agence BETC une campagne originale, « Like my addiction », dans le dessein de montrer combien il est facile d’ignorer les signes de l’alcoolodépendance. Dans cette campagne, Louise Delage, une jeune Parisienne de 25 ans, s’est créé un profil sur Instagram. Ses photos avaient des légendes simples, comme « moment de détente avec les amis », « en train de danser ». Les usagers d’Instagram qui voyaient ce profil ne savaient pas qu’il s’agissait d’une campagne. En un mois seulement, Louise avait déjà 65 000 followers et ses photos avaient reçu 50 000 likes.

Cependant, dans son dernier post, les usagers ont découvert qu’il s’agissait d’un compte fictif dont le but était de montrer « une personne que les gens connaissaient au quotidien, mais dont ils n’avaient soupçonné à aucun moment qu’elle était alcoolodépendante ». En effet, dans chacun de ses 150 posts, Louise Delage apparaissait avec un verre d’alcool. Le but de cette campagne était de servir de « révélateur » aux problèmes d’addiction.

Groupes de discussion

La campagne de BETC a indéniablement eu des répercussions au vu du nombre massif de « likes » qu’elle a généré sur Instagram. Cependant, récemment encore, nous ne mesurions pas exactement dans quelle mesure elle avait pu contribuer à combattre l’addiction à l’alcool, ni si cette forme de communication alternative aux campagnes traditionnelles pouvait aider à freiner l’influence pernicieuse des images liées à l’alcool circulant en ligne.

Louise Delage, fausse alcoolique, mais vraie campagne contre l’addiction (FranceInfo, 2016).

Selon les résultats d’une recherche que nous venons de publier, ce type d’approche peut aider à mieux préparer les jeunes à identifier la présence d’alcool sur les réseaux sociaux, à être critiques sur les intentions des images qu’ils voient défiler et à adopter des comportements plus sains.

Un total de 124 jeunes (71 femmes et 53 hommes) âgés de 19 à 25 ans, inscrits sur Instagram, et ne connaissant pas cette campagne de « Like my addiction », ont participé pendant trois semaines à l’expérience que nous leur avons proposée. Celle-ci s’est déroulée dans le Laboratoire LipsiMedia de l’Université de Valladolid.

Dans une première phase, de nombreuses variables ont été testées, montrant que la présence de l’alcool sur les photos de Louise Delage postées sur Instagram échappe à la plupart des participants. Par ailleurs, ceux-ci croient, en général, qu’inclure, sur les réseaux sociaux, l’alcool dans des scènes de divertissement et de bonheur n’a pas d’effet sur les conduites quotidiennes de ceux qui ont vu ces images.

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Dans une deuxième phase de la recherche, les jeunes ont été divisés en deux groupes. Un groupe (contrôle) a participé à une mise en commun lors de laquelle on l’a d’emblée informé des dessous et des spécificités de la campagne « Like my addiction » ; on a aussi montré à ceux qui y ont participé des images de campagnes institutionnelles, puis se sont tenues des conversations permettant à tous et toutes de partager leurs opinions au sujet de l’alcoolisme sur les réseaux sociaux.


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Avec le second groupe, sur une durée équivalente, le formateur a également instauré une dynamique interactive mais en utilisant une autre procédure, dite méthode dialogico-critique. En quatre étapes, au fil de questions suscitant la curiosité et la réflexion des candidats sur le dispositif d’images, il s’agissait d’amener les membres du groupe à déceler par eux-mêmes la présence d’alcool sur les photos de Louise Delage, à démonter les ressorts de cette influence et comprendre comment l’alcool, à leur insu, pouvait s’imposer dans leur esprit comme quelque chose de positif.

Construire des récits

Dans une troisième et dernière phase, on a évalué les comportements sur Instagram de tous les participants pendant une semaine suite à la session formative. Les résultats montrent que, alors que les jeunes du groupe contrôle (conversationnel) n’ont pas changé leur attitude sur Instagram, les participants du groupe dialogico-critique ont, eux, modifié de manière significative leur conduite sur ce réseau social. Ils justifient ce changement en affirmant que l’expérience autour de la campagne « Like my addiction » a déclenché chez eux une prise de conscience et que, désormais, ils prêtent plus d’attention à ce qu’ils font sur Instagram, aux « likes » qu’ils attribuent et à ce qu’ils partagent.

Tout cela est confirmé par l’analyse de leur conduite réelle sur Instagram pendant les semaines qui ont suivi la période formative.


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En conclusion, cette étude scientifique montre que, pour prévenir les jeunes des effets pernicieux de l’alcool, on ne peut s’arrêter à des campagnes institutionnelles montrant soit les conséquences négatives, soit des messages moralisateurs ou en appelant à la responsabilité (selon une stratégie de « push » marketing). La voie suggérée par cette recherche du Laboratoire LipsiMedia est d’utiliser des campagnes qui construisent des récits pouvant attirer les jeunes, au moyen d’une méthode éducative interactive simple et efficace qui capte leur intérêt, incite à la réflexion et à un changement de conduite (selon une stratégie de « pull » marketing).

Cette méthode peut être mobilisée dans la lutte contre la dépendance à l’alcool et est utile pour les institutions publiques chargées de la prévention des conduites addictives et de l’éducation à la santé.


La version initiale du texte a été traduite par Patricia Couderchon, professeur certifié d’espagnol et de FLE.

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