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Commerce international : Donald Trump, l’art de se tirer une balle dans le pied ?

Début mars, Donald Trump mettait en scène la signature des mesures protectionnistes visant à taxer les importations d'acier et d'aluminium. Mandel Ngan/AFP

Hausse des droits de douane, abandon du traité transpacifique et du traité transatlantique, renégociation de l’ALENA, sanctions contre l’Iran, extra-territorialité… Alors même que Donald Trump justifie sa politique économique par la défense des intérêts des travailleurs américains, ces mesures pourraient au contraire fragiliser l’emploi aux États-Unis. Pour le comprendre, il faut se pencher sur les processus de productions et leur intégration au sein de chaînes de valeurs internationalisées.

Des réseaux de production mondiaux complexes et interdépendants

Dans les années 1990 et 2000, la croissance du commerce international a été tirée par la fragmentation des processus de production entre de nombreux pays partout sur la planète. Ce déploiement mondial de la chaîne de valeur a été favorisé par la libéralisation du commerce et des investissements. Les pays industriels ont délocalisé dans les pays à bas salaires les tâches les plus intensives en main-d’œuvre. En conséquence, les pays émergents se sont spécialisés dans l’assemblage de composants importés en franchise de droits de douane et transformés dans des zones franches d’exportation (ou « export processing zones »).

Les entreprises, associées dans des réseaux mondiaux complexes de filiales et de sous-traitants, sont ainsi devenues plus interdépendantes. Puisque les différents composants et biens intermédiaires traversent les frontières à chaque étape du processus de production, toute initiative protectionniste d’un pays se répercute sur toute la chaîne de production. Les effets sont amplifiés.

Donald Trump ouvre la boîte de Pandore du protectionnisme

La crise de 2008 a vu l’effondrement du commerce mondial, mais elle n’a pas ravivé les tensions protectionnistes : celles-ci auraient en effet risqué d’aggraver la crise, en démantelant les chaînes de valeur. Mais aujourd’hui, Donald Trump, qui bénéficie pourtant d’une conjoncture économique favorable (et peut-être à cause d’elle), oriente sa politique commerciale sans tenir compte de ces préoccupations lorsque, consciemment ou non, il vise par ses mesures à désintégrer la chaîne de valeur pour la réintégrer aux États-Unis.

À cette fin, Robert Lighthizer, le représentant américain au commerce, renégocie l’ALENA (accord de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique), afin notamment de mieux protéger l’industrie automobile américaine : les voitures produites sous la bannière étoilée devront demain être plus américaines qu’elles ne le sont aujourd’hui. Suivant la même logique, il lève des droits sur les importations de machines à laver. Mais, dans le même temps, l’effet de ces mesures est réduit par la taxation des importations d’acier, ce qui augmente paradoxalement les coûts de production de General Motors et de Whirlpool et abaisse leur compétitivité…

Le solde commercial bilatéral, un argument fallacieux

Le Président Trump persiste à envisager des sanctions contre la Chine au nom de son déficit commercial colossal (environ 300 milliards de dollars). Pourtant, prendre le solde commercial bilatéral comme une preuve de déloyauté n’a aucun sens. Seul compte le déficit avec le reste du monde, et celui-ci est avant tout imputable à l’excès de consommation des ménages américains, qui accroît les importations. Au niveau macro-économique, la balance courante d’un pays est en effet mécaniquement déficitaire lorsque l’épargne nationale ne suffit pas à couvrir à la fois l’investissement et le déficit budgétaire. Quelles que soient les mesures protectionnistes qui seront prises, ce déficit devrait s’aggraver avec le creusement attendu de son « jumeau », le déficit budgétaire.

Le déficit avec la Chine ne se convertit ni en PIB ni en emplois perdus. La valeur ajoutée des exportations chinoises n’est pas uniquement d’origine chinoise. Elle intègre des composants et des biens intermédiaires non seulement américains, mais aussi japonais, coréens, allemands… Un solde commercial qui serait calculé à partir de l’origine de la valeur ajoutée, et non de la valeur « brute » des exportations, diminuerait fortement le déficit bilatéral avec la Chine, grand importateur des biens intermédiaires (disques durs, circuits électroniques…) qu’elle assemble puis exporte. Le projet de taxer 50 milliards d’importations chinoises revient donc à taxer des produits intermédiaires originaires du monde entier (et même des États-Unis !) et pas seulement la production chinoise.

Ré-américaniser les chaînes de valeur

Les États-Unis veulent durcir les règles d’origine de l’ALENA, que les exportateurs doivent respecter pour bénéficier des exonérations tarifaires (62,5 % de la valeur du bien finale produite dans la zone pour l’automobile). Des exigences plus fortes favoriseraient la relocalisation de la production de composants aux États-Unis. Les coûts de production augmenteraient, mais la chaîne de valeur serait ré-américanisée.

Le retrait des États-Unis des méga-accords comme le Traité transatlantique (TTIP) ou le Traité Trans-Pacifique (TPP) vise aussi à « casser » l’approfondissement d’une chaîne de valeur régionale. Le TPP contenait en effet des règles d’origine relativement peu contraignantes et sa couverture géographique incluait des pays très impliqués dans les réseaux de production comme le Japon, la Malaisie, le Mexique ou Singapour.

De la même façon, le retrait des États-Unis de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien et la réintroduction des sanctions contre l’Iran vise un objectif similaire. En effet, au nom de l’extra-territorialité (qui permet à la justice américaine de poursuivre les entreprises étrangères pour des faits commis hors des États-Unis), le bannissement des exportations américaines vers l’Iran s’applique aux composants américains incorporés dans les exportations des pays tiers vers le pays sanctionné.

C’est ainsi que le fabricant chinois de téléphone mobile ZTE s’est récemment vu menacé d’interdiction d’importation de composants et de matériels américains pendant sept ans, ce qui a suspendu l’activité des 75 000 employés de l’entreprise. Un avertissement fort est ainsi lancé aux firmes étrangères. Elles devront renoncer à exporter vers l’Iran, ou trouver à se fournir ailleurs.

Le cas ZTE met en évidence les contradictions de la politique de Donald Trump, dont il peine à s’échapper. En sanctionnant cette entreprise qui s’était affranchie de l’embargo américain, les États-Unis pénalisent les firmes américaines exportatrices de composants électroniques. Ce qui va contre l’objectif affiché, puisque cette mesure creuse encore davantage le déficit des États-Unis avec la Chine !

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