Menu Close

Commerce : le choc de trop ?

Selon la Coface, les défaillances d'entreprises devraient augmenter de 15% en 2020. (Ici, une rue commerçante de Lyon, le 16 mars). Philippe Desmazes / AFP

L’État s’est donné pour objectif, dans sa production normative récente, de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid-19. Le gouvernement cherche ainsi à limiter la cessation d’activité des entreprises et associations en prenant en compte les incidences sur l’emploi.

Les montants mis sur la table en application des dispositifs de sauvetage de l’économie ont plus que doublé en quelques semaines : 110 milliards d’euros pour le plan d’urgence, d’après les déclarations de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances.

Ils portent en effet la dette à 115 % du produit intérieur brut (PIB) et le déficit à 9 %, selon le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin.

À titre de comparaison, les montants débloqués pour la crise de 2008 s’élevaient à 22 milliards d’euros. Cette somme avait permis de financer immédiatement les mesures du plan de soutien à l’activité et aux petites et moyennes entreprises (PME), sans compter les 175 milliards d’euros d’investissement direct de l’État dans l’économie dans les trois années qui ont suivi.

Un tissu déjà fragilisé

Au-delà de ces chiffres, il convient de rappeler que le tissu économique français n’a pas attendu la crise sanitaire pour être malmené. Des lames de fond de la grogne sociale ont déjà frappé les entreprises françaises : le mouvement des « gilets jaunes » fin 2018 et les grèves contre la réforme des retraites en 2019 avaient déjà fragilisé de manière durable l’équilibre financier de celles-ci.

Ces mouvements ont entraîné des pertes respectives de 0,1 point de PIB sur le dernier trimestre 2018 et 0,1 point de PIB sur le dernier trimestre 2019.

L’épidémie aura-t-elle conduit à un choc beaucoup plus violent : une chute d’environ 6 % au premier trimestre 2020, selon une estimation de la Banque de France.

On ne peut donc que déplorer la fragilité de nos entreprises, qui rend encore plus délicats les efforts de l’État pour les soutenir et relancer l’économie. Plus fondamentalement – « quoiqu’il en coûte » avait dit le président de la République –, ne sommes-nous pas face à la chronique d’une mort annoncée de la plupart des commerces « non essentiels », condamnés à la fermeture depuis le 16 mars dernier ?

Des entreprises comme le chausseur André ou la chaîne de magasins de vêtements Orchestra-Prémaman, particulièrement impactés par les mesures de confinement, ont déjà annoncé leur recours à des procédures de sauvegarde ou de redressement judiciaire.

L’enseigne de chaussures André a été placée en redressement judiciaire le 1ᵉʳ avril 2020. Philippe Huguen/AFP

Afin de juguler l’hémorragie économique en ces temps de « guerre » sanitaire, et malgré les injonctions paradoxales dont le gouvernement fait l’objet, toute une série de mesures générales et spéciales ont été instaurées temporairement en application de la loi d’urgence du 23 mars 2020 pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

Crise exceptionnelle, mesures exceptionnelles

Des dispositions favorisent la prévention des difficultés des entreprises en permettant notamment la reprise des négociations en cas d’échec d’une première recherche d’accord de conciliation, une prolongation des durées du plan dans le cadre de la sauvegarde ou du redressement judiciaire, et une prise en charge rapide par l’AGS (l’association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés) en cas de liquidation judiciaire.

L’économie est stoppée par la pandémie, mais le temps continue de s’écouler, inexorablement. Afin de prévenir les conséquences juridiques fâcheuses que cela implique, des mesures généralisées de prorogation des délais (recours, formalités, etc.) ont été prévues. Il en est de même pour les astreintes et clauses contractuelles de sanction de l’inexécution du contrat, qui seront suspendues sur la même période.

En revanche, ces dispositions ne concernent pas le paiement des obligations contractuelles qui doivent toujours avoir lieu à la date prévue au contrat. Tout ne peut pas indéfiniment être mis entre parenthèses…

Des aménagements sont toutefois accordés aux micro-entreprises pour leurs loyers professionnels et leurs fournisseurs d’énergie. Ces dernières dettes sont reportées ou étalées, et les pénalités financières, suspensions, interruptions et réductions de fourniture d’énergie sont prohibées en cas de non-paiement, cela jusqu’à la cessation de l’état d’urgence sanitaire.

Muriel Penicaud, ministre du Travail lors d’une conférence de presse le 1ᵉʳ avril. Ludovic Marin/AFP

En droit du travail, les mesures emblématiques relatives au chômage partiel et à l’activité partielle se révèlent nettement plus coûteuses.

Vouées à limiter les ruptures des contrats de travail et atténuer les effets de la baisse d’activité, notamment en réduisant le reste à charge pour l’employeur et, pour les indépendants, la perte de revenus, ces dispositions bénéficient à 9,6 millions de salariés et 785 000 entreprises, pour un coût de 24 milliards d’euros. Elles ont permis une très faible augmentation d’inscriptions au chômage, ce qui peut augurer d’une diminution de charge future sur ce poste.

Un risque plus limité qu’ailleurs

L’État, aidé de certaines collectivités territoriales sur la base du volontariat, finance à hauteur de 7 milliards d’euros un fonds de solidarité pour les micro-entreprises.

Son objectif est de prévoir, sous certaines conditions, des mesures d’aides directes et indirectes aux personnes dont la viabilité est mise en cause, notamment des mesures de soutien à la trésorerie avec une aide forfaitaire maximale de 1 500 euros, à laquelle peut s’ajouter une aide complémentaire forfaitaire allant jusqu’à 5 000 euros.

Un prêt garanti par l’État (PGE) jouissant d’une garantie publique des crédits jusqu’à 300 milliards d’euros a enfin été mis en place le 23 mars 2020. Au 11 avril, 150 000 entreprises avaient déjà bénéficié de cette garantie accordée sur simple notification par l’établissement prêteur à Bpifrance. Le poids économique ne se fera sentir qu’en cas de non-remboursement par les emprunteurs.

Ce fonds vient en complément des autorisations de délais de paiement des charges fiscales et sociales ou des remises d’impôts confirmés dans un communiqué du ministère de l’Économie et des Finances du 3 avril.

La France pratique sur ce point la même politique fiscale concernant les impôts directs que ses voisins européens et rationnant par conséquent ses recettes. Elle n’a cependant pas fait le même choix que l’Allemagne ou le Royaume-Uni notamment – voire de la Chine – à propos de mesures d’urgence en matière de taxe sur la valeur ajoutée, pour certaines ciblées uniquement sur les plus petites entreprises ou sur celles en difficulté.

S’il est encore trop tôt pour se prononcer sur l’efficacité de ces mesures, notons que les prévisions en termes de défaillances d’entreprises, certes alarmantes, font état d’un risque plus limité en France qu’ailleurs. Selon une estimation publiée début avril de la Coface, spécialiste de l’assurance-crédit, 58 000 entreprises devraient défaillir en 2020, soit 15 % de plus qu’en 2019. Un niveau supérieur à l’Allemagne (+ 11 %), mais inférieur à l’Italie (+ 18 %), l’Espagne (+ 22 %) ou encore le Royaume-Uni (+ 33 %).

Comme on peut le constater, l’État a multiplié les initiatives pour sortir les entreprises de la crise sanitaire. Cependant, tout ne peut pas venir de lui ; l’État peut beaucoup, mais il ne peut pas tout. On ne peut que se féliciter de toutes les démarches volontaires qui se mettent en place à tous niveaux : citoyens, entreprises privées, syndicats professionnels, collectivités, etc. À cet égard, on peut citer entre autres l’initiative, hors de toute contrainte légale, de l’entreprise Iliad qui vient de créer son propre fonds de solidarité pour ses fournisseurs.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,100 academics and researchers from 4,941 institutions.

Register now