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Empreinte d'une main dans une bonne terre sombre
Au côté des pratiques funéraires classiques, l'humusation ou « compostage humain » commence à avoir des adeptes. Sorapop Udomsri/Shutterstock

Compostage des défunts : les enjeux sanitaires d’une nouvelle pratique funéraire

Si nous évitons le plus souvent de penser à notre mort, nous savons néanmoins que notre vie s’achèvera tôt ou tard… Dès lors, il reviendra à nos proches de faire le nécessaire – si possible en respectant nos volontés, mais dans un cadre légalement restreint.

En France, seules deux dispositions funéraires sont envisageables : l’inhumation ou sa crémation. Toutefois, il est désormais établi que les bilans sanitaires et environnementaux de ces pratiques sont mauvais : pollution des sols, saturation des cimetières et immobilisation à long terme d’espaces urbains, consommation importante d’énergie ou encore émission de gaz à effet de serre sont autant de sources de préoccupation.

Dans ce contexte, les pratiques funéraires « alternatives » sont de plus en plus plébiscitées. Dans l’Hexagone, nombreux sont ceux qui souhaiteraient que leur corps puisse être (littéralement) recyclé : c’est le principe de l’humusation, une forme de compostage appliquée aux défunts. Il s’agit d’entourer la dépouille de fragments végétaux pour permettre sa décomposition par les micro-organismes.

Bien que directement inspirée des processus biologiques, cette biodégradation soulève de nombreuses questions.

L’humusation et la loi

L’évocation de l’humusation provoque souvent dégoût et ironie, mais cette pratique est loin d’être incongrue : aux États-Unis, le compostage des corps humains a été légalisé dans l’État de Washington en 2019, suivi par les États du Colorado, de l’Oregon, du Vermont et de Californie (2022).

En France, l’obstacle législatif est important. Il est ainsi énoncé clairement dans le Code général des collectivités territoriales que « le maire ou, à défaut, le représentant de l’État dans le département, pourvoit d’urgence à ce que toute personne décédée soit ensevelie ou inhumée […] ». Pourtant, bien que le bilan environnemental exact d’une crémation ou d’un enterrement varie selon les pratiques, leur impact est indéniable (notamment du fait de la confection des cercueils, des monuments funéraires, etc.)

Dans le sillage des évolutions écologistes en cours, l’idée de l’humusation a fait progressivement son chemin parmi la société civile, les médias et jusqu’à l’Assemblée nationale. Dans une proposition d’amendement (n°3179) visant à permettre l’humusation à titre expérimental, la députée Élodie Jacquier-Laforge arguait ainsi que l’humusation était une pratique respectueuse de l’environnement.

Une pratique douce ?

L’humusation repose sur le principe de dégradation naturelle des chairs. La dépouille du défunt est déposée sur un lit de broyats végétaux, puis recouverte de ce même matériau. On crée ainsi une butte de quelques mètres cubes au centre duquel se trouve le corps. Cette disposition le protège des fluctuations extérieures, des animaux charognards et favorise l’action des micro-organismes responsables de sa décomposition.

Au bout de trois mois environ, il est nécessaire de retourner la butte, c’est-à-dire de mélanger le broyat végétal afin de renouveler les particules au contact du corps et d’aérer l’ensemble. Cette opération doit être renouvelée deux à trois fois, jusqu’à obtention d’un substrat homogène. L’objectif est d’obtenir une dégradation totale des tissus mous : après un an environ, seuls les os doivent subsister. Ceux-ci peuvent également être broyés et réintégrés au mélange afin que toute la matière organique soit dégradée et transformée en humus.

Si ce protocole semble assez simple, voire rustique, sa mise en œuvre n’en est pas moins délicate. Tout d’abord parce que l’opération nécessite de la place, du temps et de la manutention (lors des retournements). De ce point de vue, une mise en œuvre rapide et à grande échelle semble à l’heure actuelle délicate. Mais des pratiques similaires sont régulièrement déployées aux États-Unis et au Canada pour la gestion de dizaines de tonnes de carcasses animales, avec une efficacité reconnue.

Ensuite parce que la réussite de l’humusation repose pour beaucoup sur le savoir-faire du maître-composteur : granulométrie du broyat, ratio carbone/azote, humidité, fréquence de retournement, etc. sont autant de paramètres déterminants pour le bon déroulement de l’opération.

Parallèlement à ces aspects techniques, d’importantes contraintes sanitaires existent : non seulement le processus doit être efficace et inodore, mais il doit également conduire à l’inactivation des pathogènes. Car les pratiques funéraires se sont notamment développées au sein des sociétés humaines afin de prévenir les risques de transmission des maladies…

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Risques et santé publique

Depuis l’arrivée de Sapiens en Europe il y a 50 000 ans environ, on estime que plus de trois milliards de tonnes de cadavres humains se seraient décomposées, imprégnant de fait notre environnement, de la terre que nous foulons à nos aliments et jusqu’à l’air que nous respirons.

Si cette idée nous traverse rarement l’esprit, c’est pourtant une des premières objections qui fait surface lorsqu’est abordé le sujet de l’humusation. Il semble en effet a priori risqué de laisser les corps se dégrader naturellement, qui plus est à proximité des vivants. Cette crainte légitime est cependant à mettre en regard de la pratique traditionnelle de l’inhumation. Car enterrer de manière répétée des corps dans un même lieu (cimetière) et à seulement quelques dizaines de centimètres de profondeur comporte des risques sanitaires et environnementaux.

Une récente étude suggère ainsi une possible voie de transmission des virus par la percolation des eaux des cimetières (même si ce cas est peu probable, notamment dans le cas du SARS-CoV-2, très sensible à la dégradation environnementale). À défaut de réelle étude d’impact, l’article R. 2223-2 du Code Général des Collectivités territoriales prévoit seulement pour l’implantation de nouveaux cimetières que « les terrains les plus élevés et exposés au nord sont choisis de préférence. Ceux-ci doivent être choisis sur la base d’un rapport établi par l’hydrogéologue ». Est également surveillé le risque que le niveau des plus hautes eaux de la nappe libre superficielle se retrouve à moins d’un mètre du fond des sépultures.

Les contraintes liées à l’installation des cimetières sont donc étonnamment peu contraignantes, sans même parler des emplacements anciens, progressivement englobés au cœur des villes et dont l’implantation n’a jamais fait l’objet d’une réelle analyse de risques…

Dans le cas de l’humusation, le principe directeur pour assurer la sûreté sanitaire est celui d’une combinaison de chaleur et de durée. En effet, la présence autour du corps de matériaux végétaux et d’oxygène permet aux microorganismes d’augmenter la température locale jusqu’à des niveaux élevés (de 60 à 70 °C environ). L’objectif est d’atteindre un couple température/durée qui garantisse la stérilisation, ou tout du moins la réduction drastique du nombre de virus, de bactéries et autres pathogènes.

Cependant, l’augmentation de température ne suffit pas pour assurer la stérilisation totale : aucune condition d’enfouissement ni de compostage ne permet de neutraliser les prions ni les endospores produites par les bactéries sporulées (des genres Bacillus ou Clostridium par exemple).

La crémation ne pose pas ce problème, les températures extrêmement élevées employées garantissant la destruction des agents pathogènes.

Des interrogations éthiques

Interpellé dès 2016 par la sénatrice Élisabeth Lamure, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve arguait d’un objectif éthique en indiquant que l’humusation faisait débat au regard de « l’absence de statut juridique des particules issues de cette technique » et de « sa compatibilité avec l’article 16-1-1 du code civil ». Cet article prévoit que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence ».

La dimension éthique de l’humusation pourrait pourtant s’intégrer au cadre légal préexistant.

À la fin du processus, un tamisage de l’humus obtenu pourrait être réalisé afin de récupérer les tissus minéralisés, dont la dégradation peut nécessiter plusieurs siècles. Ces restes seraient alors placés dans une urne ou un cercueil adapté, selon les mêmes dispositions que lors des exhumations administratives (c’est-à-dire lors de la reprise des concessions abandonnées dans les cimetières).

Plusieurs personnes tendent la main pour toucher l’urne funéraire d’un défunt
La législation réglementant la dispersion des cendres peut offrir des pistes quant à la destination de l’humus obtenu à partir des corps. VDB Photos/Shutterstock

Resterait le substrat créé par la décomposition conjointe des chairs et des apports végétaux. La solution la plus simple serait son incinération… mais une telle pratique serait en contradiction totale avec la philosophie de l’humusation, qui se veut une approche naturelle et écologique permettant le retour des corps au cycle de la vie.

La dispersion en espace naturel ou dans les zones dédiées des cimetières serait dès lors la meilleure option. Elle pourrait aisément se conformer à la législation sur la dispersion des cendres issues de l’incinération. L’article L. 2223-18-2 détermine de manière limitative la destination des cendres, qui peuvent notamment être dispersées en pleine nature ou dans un espace aménagé à cet effet (jardin du souvenir prévu par les articles L. 2223-1 et 2). La loi n°2008-1350 du 19 décembre 2008 a en effet conféré aux cendres issues de la crémation un statut et une protection comparables à ceux accordés à un corps inhumé.

Vers un débat de société ?

En 2016, le ministre de l’Intérieur avait mentionné la nécessité de réfléchir à ce sujet de manière approfondie avec le Conseil national des opérations funéraires, de nouveau évoqué lors de l’amendement de 2021. Mais les travaux sur l’humusation semblent pour le moment limités, certains députés allant jusqu’à mentionner de potentiels conflits d’intérêts.

Le principal frein semble plutôt être le manque de données scientifiques, techniques et sociologiques pour appréhender objectivement les risques et les attentes liés à cette pratique. L’ouverture d’un plus large débat est donc attendue car, quelques soient les obstacles, une telle évolution ne peut se faire sans intégrer les grands enjeux environnementaux, de santé publique… Mais aussi la volonté des principaux intéressés.

Les deux premiers convergent dans le cadre de l’approche de santé globale One health, qui vise à améliorer la santé des populations en favorisant leur intégration harmonieuse à l’environnement. Les candidats à l’humusation arguent aussi de leur droit à une mort qui les apaise et les rassure, et invoquent leur droit à disposer librement de leur corps et au respect de leur vie privée, prévu par la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Le débat sur les suites de la mort ne fait donc que commencer.


Élise Charrier, Diplômée d’un Master en Droit de l’environnement, Université de Nantes, a participé à la rédaction de cet article.

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