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Comprendre la grande reconfiguration du commerce mondial

Protectionnisme américain, Brexit ou encore nouvelles routes de la soie en Asie annoncent des changements structurels dans les échanges internationaux. Fotohunter / Shutterstock

Les attaques protectionnistes de Donald Trump en Amérique, le Brexit en Europe et les nouvelles routes de la soie en Asie sont annonciateurs de changements structurels dans les échanges internationaux. Les spécialisations des États-Unis, de l’Union européenne et de la Chine les destinent à des positionnements bien distincts sur le nouvel échiquier du commerce mondial.

Spécialisation de la triade : États-Unis dans les services, Chine dans le manufacturier, Europe entre les deux

Les mesures protectionnistes des États-Unis sont essentiellement concentrées sur le secteur manufacturier qui représente 70 % des échanges internationaux (voir graphique 1A). L’économie américaine se distingue par un désavantage comparatif massif dans ce secteur (graphique 2A). La force de sa spécialisation réside dans les services. Les États-Unis dégagent des excédents très importants dans les services traditionnels, tel le tourisme, mais ils sont surtout leaders sur le marché des services innovants (redevances et brevets, services liés à la R&amp ;D, voir Profils-Pays du CEPII). Ces derniers sont parmi les composants les plus dynamiques du groupe « autres services » qui ont vu leur part plus que doubler dans les flux internationaux du secteur tertiaire (graphiques 1B et 1C).

Isabelle Bensidoun et Deniz Ünal, « Echanges de services, miroir d’un monde globalisé », Carnets graphiques, « L’économie mondiale dévoile ses courbes », p. 68, CEPII, 2018.

En miroir à la spécialisation américaine, la Chine dégage de gros excédents dans le manufacturier et un déficit net dans les services (graphique 2C). L’Europe se situe dans un entre-deux ; elle possède des points forts aussi bien dans les services que dans le manufacturier (graphique 2B).

Les mesures protectionnistes et le Brexit peuvent changer les schémas de spécialisation au sein de cette triade. Les excédents américains dans les services et chinois dans le manufacturier ont atteint des sommets difficilement soutenables au vu de la concurrence internationale et vont probablement perdre de l’ampleur dans le climat actuel de guerre commerciale. Quant à la spécialisation de l’UE, elle sera affectée par la sortie du Royaume-Uni qui est à l’origine des principaux excédents européens dans les services. À l’avenir, le Brexit risque d’éroder dans ce secteur aussi bien les avantages comparatifs du bloc UE-27 que ceux du Royaume-Uni.

Deniz Ünal, « Spécialisation de la triade. États-Unis dans les services, Chine dans le manufacturier, Europe entre les deux », Carnets graphiques, « L’économie mondiale dévoile ses courbes », pp. 62-63, CEPII, 2018.

Spécialisation manufacturière par gamme dans la triade : la Chine toujours dans le bas de gamme

La stratégie « America first » de Trump conduirait-elle à un réengagement américain et à un relatif retrait chinois dans les échanges manufacturés ?

Deniz Ünal, « Spécialisation manufacturière par gamme dans la triade, la Chine toujours dans le bas de gamme », Carnets graphiques, « L’économie mondiale dévoile ses courbes », pp. 64-65, CEPII, 2018.

Plutôt que d’opérer un retour dans l’industrie, les États-Unis semblent s’engager dans les produits primaires : la croissance de leurs exportations de gaz du schiste a pratiquement résorbé leur désavantage global dans les matières premières. Mais si les États-Unis enregistrent un déficit global dans le secteur des produits manufacturés, ils y ont toujours disposé, comme l’Union européenne, de points forts en haut de l’échelle (graphiques 3A et 3B). Les deux pôles avancés de la triade conservent ainsi leur capacité de concurrence hors-prix comme le montrent leurs avantages comparatifs dans les échanges de manufacturés de haut de gamme et de services qui demeurent leurs chasses gardées.

L’accession de la Chine émergente à un statut de leader mondial s’est réalisée grâce à sa puissante capacité de concurrence dans le bas des échelles de qualité (graphique 3C). Mais depuis la grande récession de 2007-2009, elle mise davantage sur les produits de gamme moyenne qui lui procurent des excédents croissants. Les mesures protectionnistes américaines qu’elle subit de plain-pied sont de nature à accentuer cette tendance. L’engagement dans les échanges de services, en vue d’atteindre le niveau de développement des pays avancés, constituera sans doute une étape ultérieure dans la transition chinoise.

Un regain des échanges intrabranche dans l’Union européenne menacé par le Brexit

Le Brexit s’ajoute à l’offensive protectionniste américaine pour brouiller les perspectives européennes. Le départ du Royaume-Uni, déjà source d’un amoindrissement de l’avantage comparatif de l’Union dans les services, va pour partie détricoter l’intense réseau d’échanges intrabranche de produits manufacturés au sein du marché unique (il s’agit des échanges croisés de produits similaires entre les pays).

Alix de Saint Vaulry et Deniz Ünal, « Commerce intra- versus interbranches, regain de similitudes ? », Carnets graphiques, « L’économie mondiale dévoile ses courbes », pp. 66-67, CEPII, 2018.

Au niveau mondial, les échanges intrabranche avaient connu un essor considérable à partir du début des années 1980 pour atteindre leur apogée à la veille des années 2000 (graphique 4A). L’ouverture croissante des économies et l’approfondissement de la régionalisation en Europe comme en Amérique ont favorisé la convergence des structures industrielles. L’échange international basé sur un « commerce de différences » s’est transformé, surtout entre les pays à haut revenu, en un « commerce de similitudes ». Des schémas de spécialisation fine du travail ont vu le jour, alliant le principe des avantages comparatifs aux économies d’échelle de la nouvelle économie. Les échanges de produits intermédiaires et de biens d’équipement ont été au cœur de ce processus (graphique 4B), en particulier dans les filières électronique, électrique, chimique, mécanique et des véhicules (graphique 4C).

Avec la fulgurante émergence chinoise, cet échange de similitudes est entré dans une phase de déclin relatif au niveau mondial. Si les échanges intra-zone ont mieux résisté, la puissance de la spécialisation chinoise, basée sur des prix bas dans un large éventail de filières, a favorisé le retour en force des échanges traditionnels interbranches. La tendance s’est inversée depuis 2012 avec une hausse notable des échanges intrabranche à l’intérieur des régions et surtout au sein de l’Union européenne (graphique 4A). Ce regain d’échanges de similitudes pourrait être remis en cause par les incertitudes liées au Brexit et le déploiement des mesures protectionnistes aux États-Unis.

La désintégration régionale menace l’Europe comme l’Amérique du Nord, alors qu’on assiste à une imbrication de plus en plus profonde des économies en Asie. L’augmentation du commerce intra-branche à l’intérieur du continent asiatique en est le signe. Les nouvelles routes de la soie tissées par la Chine renforceront la convergence des structures productives au sein des pays dynamiques d’Asie-Océanie.

« La reconfiguration du commerce mondial s’accélère », interview de Deniz Ünal pour Xerfi canal, décembre 2018.

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