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Le 1er juin dernier, le prix de l'électricité a augmenté de 6 %. Shutterstock

Comprendre les mécanismes derrière la hausse de 6 % du prix de l’électricité

Le 1er juin dernier a marqué une nouvelle hausse du tarif de l’électricité en France, à hauteur de 6 % : une mesure polémique dont Jean‑Bernard Lévy, PDG d’EDF, s’est dédouané en renvoyant la responsabilité vers l’État.

Le ministre François de Rugy a insisté de son côté sur l’augmentation des coûts d’EDF, rappelant que le gouvernement n’avait aucune responsabilité dans le calcul du tarif, imposé par la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

Les causes de cette croissance sont en réalité plus complexes.

Mettons de côté les taxes et le tarif d’utilisation (calculé par la Commission de régulation de l’énergie à partir du coût du réseau) qui n’ont pas progressé. Cette hausse de 6 % du tarif provient d’une hausse de 18 % de la part du tarif consacrée à la fourniture d’électricité (production et commercialisation). Cette décision émane de la CRE, qui a la responsabilité de calculer le tarif et doit respecter deux principes.

Le premier principe, formalisé dans la loi, prévoit la couverture des coûts de production, d’approvisionnement, et de commercialisation de l’électricité par EDF. Avec la libéralisation du secteur de l’électricité, EDF achète une partie de son électricité sur un marché de gros européen (une sorte de bourse où les producteurs et revendeurs d’électricité échangent des volumes importants d’électricité). La valeur de l’électricité sur ce marché de gros évolue en fonction de l’offre et la demande. Depuis janvier 2017, un nouveau coût est apparu avec la mise en place des obligations de capacité, un dispositif qui a pour objectif de garantir la sécurité d’approvisionnement en cas de pic de consommation.

Le second principe est celui de la « contestabilité » du tarif réglementé de vente par les concurrents d’EDF : celui-ci doit en effet être calculé de telle façon que les rivaux de l’énergéticien historique puissent faire des offres de prix inférieurs. Une partie de la hausse du tarif provient du fait que les concurrents d’EDF ont des coûts qui augmentent aussi, mais plus fortement qu’EDF. C’est donc (en partie) pour permettre la concurrence que l’on augmente le tarif. Constat surprenant : pour quelle raison les concurrents d’EDF, selon la CRE, ne peuvent pas proposer des offres à des prix plus bas que le tarif proposé par EDF et pourquoi est-il nécessaire de leur garantir la possibilité de faire des offres à un prix plus bas ?

Pour comprendre cette situation, il faut étudier comment la concurrence a été introduite en France.

Les années 2000 et la libéralisation du marché

La libéralisation du secteur de l’électricité date en France de l’année 2000. Le pays rejoint alors un marché européen de l’électricité de plus en plus interconnecté et marqué par une intensification des échanges. On comprend ainsi pourquoi le prix de marché de l’électricité européen définit en grande partie le prix de marché français.

Ce dernier connaît des variations très importantes car il réagit très fortement aux écarts entre offre et demande. Lorsque les capacités de production explosent, les producteurs vendent au niveau de leur coût de fonctionnement, sans même rentabiliser leurs investissements. Quand elles apparaissent insuffisantes, les prix s’élèvent jusqu’à encourager les producteurs à investir.

Quant aux clients, leur consommation est assez peu sensible au prix. Par conséquent, le marché ne converge pas rapidement vers l’équilibre et les prix peuvent rester loin des coûts, à la hausse ou à la baisse.

Au début de la libéralisation, les prix ont d’abord chuté, les clients industriels électro-intensifs ont donc quitté le tarif car ils pouvaient bénéficier de prix moins cher (25 €/MWh) en achetant directement sur le marché de gros. Mais dès 2003, les prix ont commencé à augmenter. Avec la loi sur l’énergie de 2006, les industriels obtiennent le droit bénéficier à nouveau du tarif, possibilité accordée par les députés, inquiet des risques de fermeture d’usine à cause de la hausse du prix de marché.

En 2008, la hausse atteint son maximum : le contrat à terme pour une consommation stable d’électricité s’élève à 90 €/MWh, à comparer avec le tarif réglementé qui permet d’accéder à une électricité à un coût équivalent de 40 €/MWh.

L’instauration d’un tarif réglementé

En 2007, les fournisseurs obtiennent le droit de proposer des offres de marché aux consommateurs particuliers. Le prix de marché de gros étant alors très haut, les fournisseurs autres qu’EDF n’avaient aucune chance de se développer : l’Autorité de la concurrence a alors imposé à EDF de fournir à ses concurrents l’électricité à un prix fixé par l’État, inférieur au prix de marché, pour pouvoir concurrencer le tarif. C’est de là que vient le principe de la « contestabilité » du tarif, qui depuis n’a cessé d’être défendue par le Conseil d’État.

En 2010, la loi NOME a consolidé cette organisation en permettant aux fournisseurs alternatifs d’obtenir 100 TWh d’électricité – un quart de la production nucléaire – à un tarif de 42 €/MWh, nommé « Accès régulé au nucléaire historique » (ARENH). Il s’agit d’une régulation asymétrique, justifiée par l’objectif de développer la concurrence : concurrence très artificielle puisque les différents fournisseurs ne font que vendre de l’électricité achetée en gros à un tarif réglementé avantageux (et qui, grâce à cette modalité, n’augmente pas).

La situation s’est inversée en 2016 : le prix de marché de gros européen est descendu en dessous de l’ARENH, à cause d’importantes surcapacités dues au développement des énergies renouvelables et aux efforts d’économie d’énergie. Le gouvernement a saisi l’occasion pour introduire une part du prix de marché de gros dans le calcul du tarif, qui correspond à la part des activités d’EDF qui ne relève pas du nucléaire c’est-à-dire ?. Les consommateurs ont ainsi pu bénéficier de la baisse du prix.

Et ils ne sont pas les seuls à en avoir profité : les fournisseurs alternatifs ont pu acheter sur le marché de gros une électricité encore moins cher que l’ARENH, bénéficiant de marges confortables tout en proposant à leurs clients des prix inférieurs au tarif. Ils ont développé leur clientèle en investissant dans un marketing offensif.

La sidérurgie figure, avec la chimie et l’industrie du papier, parmi les secteurs électro-intensifs. Boris Horvat/AFP

Des prix à nouveau en hausse depuis 2018

Mais, courant 2018, la situation s’est à nouveau retournée : le prix de marché de gros est remonté, en lien avec l’augmentation du prix des quotas CO2 (qui ont dépassé les 20 €/t de CO₂). Les fournisseurs alternatifs sont donc revenus vers l’ARENH pour se protéger de cette hausse. Mais ayant développé leur clientèle, ils avaient besoin de 130 TWh, tandis que le volume de l’ARENH est limité à 100 TWh. Ils ont donc été « rationnés » et ont dû acheter sur le marché le volume manquant, dans une période, fin 2018, où le prix de marché était au plus haut, à plus de 70 €/MWh.

Voilà pourquoi les fournisseurs concurrents d’EDF sont confrontés à une hausse de leur coût d’approvisionnement.

La CRE considère que le tarif réglementé de vente doit être augmenté pour permettre aux fournisseurs concurrents de le « contester ». L’Autorité de la concurrence quant à elle ne partage pas cette interprétation : elle estime que le principe de contestabilité n’impose pas une augmentation du tarif, mais qu’il est interprété au détriment de l’intérêt du consommateur. Certes, le tarif doit être contestable, mais il suffit qu’il le soit par les concurrents les plus compétitifs et pas nécessairement par tous les autres.

Du côté des consommateurs

Que conclure de cet événement ? Le consommateur français sort-il gagnant de la mise en place de la concurrence et de la libéralisation du secteur de l’énergie ?

Pendant près de dix ans, les consommateurs en ont été protégés par le maintien du tarif et de l’ARENH, construit sur la base des estimations de coûts. Les fournisseurs concurrents d’EDF ont pu se développer grâce à la construction artificielle d’une concurrence, délimitée en amont par une offre régulée, l’ARENH, limitée à un certain volume et, en aval, par le tarif réglementé de vente.

En 2016, ils ont cru pouvoir se libérer de ce cadre en accédant de façon opportuniste à un marché de gros où les prix s’étaient effondrés, tout en comptant sur la possibilité de revenir à l’ARENH en cas de hausse des prix. À la fin de l’année 2017, ils ont même utilisé l’ARENH pour des opérations d’arbitrages sur le marché de gros : ils ont revendu sur le marché de gros à des prix élevés des contrats à termes d’électricité pour l’année 2017, achetés à bas prix sur le marché pendant l’année 2016, puis ont racheté de l’ARENH pour les remplacer.

Les paradoxes du gouvernement

Sur la même période, EDF, vulnérable face à cette baisse, a dû vendre davantage sur le marché de gros : parallèlement, le groupe devait faire face à des coûts croissants de production de son électricité, notamment du fait d’investissements de prolongement de la vie des centrales nucléaires. EDF a ainsi dû vendre son électricité à un prix inférieur à son coût complet de production, comme les autres fournisseurs européens. L’État, principal actionnaire d’EDF, lui a demandé d’importants efforts de réduction des coûts (1 milliard d’euros).

Le gouvernement a aussi profité de la diminution des prix de marché de gros en 2016 pour augmenter la Contribution au service public de l’électricité. Cette taxe qui a servi à financer le développement des énergies renouvelables a augmenté de 7 €/MWh en 2011 à 22 €/MWh en 2016 ; elle représente aujourd’hui à peu près 16 % du tarif. Cette hausse est restée dans l’ombre car, dans le même temps, les autres éléments du tarif n’ont pas augmenté, voire ont baissé. Mais l’augmentation actuelle du prix de marché de gros dévoile ces hausses.

Au sein de l’administration, on réfléchit à réformer la loi NOME de façon à rendre l’ARENH plus « symétrique » et éviter que les variations du marché de gros ne viennent trop influencer le tarif.

Cet épisode révèle combien la concurrence sur le marché de l’électricité en France est une construction artificielle. Cette concurrence n’a probablement pas eu d’effet sur les coûts de production, mais elle a entraîné une situation où le consommateur français est de plus en plus exposé aux variations du prix de marché de gros européen, fluctuations très importantes sans relation avec les coûts français.

La lecture des commentaires dans la presse et sur les réseaux sociaux montre que cette situation alimente la méfiance vis-à-vis de l’État et de sa politique énergétique, au moment où le secteur doit investir pour prolonger son parc nucléaire ou développer les renouvelables et donc devra faire face à une hausse des coûts.

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