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Concilier finance et management dans les entreprises familiales

Extrait du rapport Baromètre KPMG des entreprises familiales (juin 2014). KPMG

« Cet article est publié dans le cadre du premier festival de la Revue Française de Gestion, « Finance, stratégie, gouvernance : 40 ans de Revue Française de Gestion » organisé le 17 novembre 2017 à l’IAE de Grenoble en partenariat avec le CERAG, The Conversation France et XERFI Canal Productions. Les auteurs du numéro spécial de la RFG « Concilier finance et management » publié en 2009 et coordonné par Michel Albouy, étaient invités à s’exprimer sur le thème : « Une décennie après la crise financière : quel regard, quelles évolutions… ? »


Est-il possible de concilier finance et management dans les entreprises familiales ? À la question posée, l’article rédigé dans les colonnes de la Revue Française de Gestion (G. Hirigoyen, 2009), concluait que le sens de la réponse dépendait de la façon dont les spécificités de ces entreprises sont gérées et plus largement dont elles faisaient l’objet d’une gouvernance appropriée de la part des dirigeants.

Pratiquement une décennie après la crise financière, qu’en est-il ? Quelles évolutions déceler ? Quels regards porter ?

La période post-crise est significative du maintien d’une dualité des comportements des entreprises familiales : d’une part, la persistance de comportements ancrés sur une volonté de maintien du contrôle du capital par le noyau familial et de l’indépendance stratégique. D’autre part, l’émergence de comportements qui traduisent une adaptation voire une inflexion par rapport aux critères traditionnels de contrôle du capital, d’indépendance, et de rétention de l’information.

Contrôle du capital et de l’information…

Dans les entreprises familiales qui privilégient contrôle du capital, indépendance et rétention de l’information, les options de financement restent limitées.

La spécificité de leur modèle de gouvernance implique une réticence naturelle à l’idée de laisser échapper le contrôle qu’elles exercent sur l’entreprise sans pour autant hypothéquer le besoin de financer l’investissement à long terme. Dans le baromètre européen des entreprises familiales de KPMG-EFB publié en juin 2014, 87 % des entreprises déclarent que le maintien du contrôle est un facteur clé de leur succès, soit une augmentation de 15 % par rapport à 2013.

Cette situation soulève des problèmes particuliers dès lors que ces entreprises doivent trouver des financements qui répondent aux besoins recensés. Elles expliquent les besoins à court terme par la gestion courante (39 %), la croissance interne sur les marchés existants (32 %) et la création ou l’amélioration de leurs produits et services (17 %). À long terme leurs besoins sont dus aux acquisitions (22 %), la conquête de nouvelles zones géographiques (18 %) et de nouveaux secteurs (16 %).(KPMG, 2014), « Financement des entreprises familiales de taille intermédiaire : les investisseurs privés, clé de leur croissance ? »)

Pour financer ces besoins, les entreprises recourent à un mode de financement traditionnel avec principalement du financement bancaire (30 % des entreprises interrogées selon KPMG) ou de l’autofinancement (28 %). L’augmentation du capital par les membres de la famille est de 4 %.

Pour les entreprises familiales en croissance, la dette à court terme constitue un aspect essentiel du financement notamment du fait d’un besoin en fonds de roulement plus élevé. Cette utilisation de l’endettement à court terme contribue en retour à leur croissance.

À remarquer toutefois que si le prêt bancaire demeure une source essentielle du financement des entreprises familiales, depuis la crise, celle-ci a eu tendance à se réduire. Sans pour autant recourir à des financements alternatifs, comme le crowndfunding ou les prêts inter-entreprises prévus par l’article 167 de la loi Macron.

Cette persistance d’un actionnariat familial en liant patrimoine de la famille et performances de l’entreprise conduit à privilégier la valorisation du patrimoine à long terme sur la performance à court terme. Un tel comportement peut s’avérer toutefois trop frileux et conduire à laisser de côté des opérations de restructurations notamment par voie de fusion-acquisition qui s’avèreraient pertinentes pour la croissance de l’entreprise.

L’enquête KPGM précitée fait apparaître toutefois que plus d’une entreprise sur deux envisage d’ouvrir son capital à long terme laissant ressortir que les dirigeants familiaux s’intéresseraient à de nouveaux modes de financement tels que l’apport de capitaux par des investisseurs privés, des fonds d’investissement ou l’appel au marché financier par l’introduction en bourse.

Ouverture du capital… private equity et bourse

Dans les entreprises familiales qui acceptent l’ouverture du capital, les options de financement se diversifient.

Les raisons pour lesquelles les entreprises familiales font appel aux investisseurs privés pour se financer sont nombreuses. Beaucoup d’entre elles considèrent que les critères imposés par les banques sont excessifs, que le niveau des contraintes imposées par les investisseurs privés en matière d’informations à fournir est moindre. Enfin, que les investisseurs privés raisonnent, comme elles sur le long terme, et qu’au-delà d’un financement sont capables d’apporter une expertise et une expérience tout en étant plus enclins que d’autres catégories d’investisseurs à ce que leurs participations restent minoritaires.

Les financements des entreprises familiales par les fonds de Private Equity ont connu une forte croissance ces dernières années dans la plupart des pays développés (jusqu’à 40 % des placements des fonds d’investissement aux États-Unis, étaient minoritaires en 2013 selon le Région Global private equity) ; tendance confirmée par le rapport de Bain and Co publié en 2017.

Cependant, un tel mode de financement ne va pas sans soulever de questions, relatives notamment aux modalités de sortie des fonds. En effet, lorsque celui-ci décide de se retirer, cette sortie du capital dans certains cas contraint à la vente de l’entreprise ce qui rend ce type de partenariat pas forcément approprié pour l’entreprise familiale.

Les entreprises familiales se tournent vers les marchés boursiers pour y lever des fonds nécessaires à leur croissance. En acceptant d’ouvrir leur capital de façon raisonnable, l’entreprise peut obtenir les moyens de son développement, sans s’alourdir en dette auprès d’une banque ou d’un fonds. L’introduction en bourse peut aussi favoriser la cristallisation d’une partie de la plus-value de l’ancienne génération, dans une logique de cession ou de transmission.

Elles représentent environ 20 % des entreprises cotées sur les marchés d’Euronext France, Belgique, Pays-Bas et Portugal) même si depuis 2011 une douzaine seulement d’entreprises familiales se sont introduites. Soit au total environ 200 entreprises pour une capitalisation boursière de quelque 850 milliards d’euros.

Pour renforcer la visibilité des entreprises familiales cotées auprès des investisseurs, Euronext a lancé le 21 février dernier Euronext Family Business, le premier indice européen dédié aux entreprises familiales (incluant 90 sociétés présentes dans les quatre pays couverts par l’entreprise boursière).

En outre, en janvier 2017, pour favoriser l’éducation financière et boursière de ces entreprises, Euronext a lancé le programme dénommé « Family Share » destiné à l’ensemble des parties prenantes que ce soit les actionnaires familiaux, les dirigeants, les administrateurs et les salariés clés.

En somme, la période post–crise financière n’a pas modifié les conclusions de l’article de 2009, même si quelques évolutions se dessinent par rapport aux comportements observés.

Deux types d’entreprises familiales cohabitent, celles qui restent ancrées dans leurs spécificités principalement de maintien d’un contrôle du capital par le noyau familial rendant d’une part, difficile la mise en place d’une gouvernance disciplinaire ; et d’autre part, limitant leurs options de financement à un financement bancaire. Et les entreprises qui acceptent d’ouvrir leur capital par des prises de participation minoritaires, voire d’introduction en bourse, conciliant finance et management et s’inscrivant ainsi dans les meilleures pratiques de gouvernance.

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