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Conflit israélo-palestinien : les raisons du regain de violence

Un jeune Palestinien lance des pierres
Un jeune Palestinien lance des pierres en direction des forces de sécurité israéliennes, lors d'affrontements à Hébron, en Cisjordanie, le 14 mai 2021. Hazem Bader/AFP

Depuis plusieurs jours, le monde a les yeux tournés vers le conflit israélo-palestinien. Voilà plusieurs années que le Proche-Orient n’avait pas connu une telle escalade.

À Jérusalem-Est, après une semaine d’affrontements consécutifs à des menaces d’expulsion de familles palestiniennes, des tensions ont éclaté sur l’esplanade des Mosquées, troisième lieu saint de l’islam. L’esplanade a été investie par les forces de l’ordre israéliennes le vendredi 7 mai. Des heurts ont éclaté à l’heure de la prière du soir. Résultats : 520 Palestiniens et 32 policiers blessés.

Suite à cela, plus de 1 000 roquettes ont été tirées depuis la bande de Gaza, par le Hamas, vers Israël. En réponse, Tsahal multiplie les frappes sur la bande de Gaza. On compte déjà plus de 150 morts palestiniens et 10 morts du côté israélien.

Pourquoi ces violences éclatent-elles à ce moment précis ? La colonisation, l’expropriation, le contrôle des territoires, les incarcérations massives sont des réalités quotidiennes des Palestiniens. L’administration Trump a donné plus d’une raison au peuple palestinien d’exprimer colère et frustration. Pourtant, c’est aujourd’hui seulement que la violence resurgit – les derniers affrontements comparables remontant à l’opération « Brodure protectrice » à Gaza en 2014.

L’impact de la politique israélienne sur la relation israélo-palestinienne est bien connu : la difficulté à former un gouvernement et la montée de l’extrême droite sont des éléments qui contribuent à l’annexion des territoires palestiniens et à l’éloignement de la solution à deux États. Mais qu’en est-il de la politique palestinienne ? Est-ce un hasard si cette résurgence des violences survient quelques jours après l’annulation des législatives prévues en Palestine le 22 mai, qui auraient représenté le premier scrutin palestinien en quinze ans ?

À qui profitait le statu quo ?

En 1993, l’OLP et Israël ont signé les accords d’Oslo : une déclaration de principe qui a créé l’Autorité palestinienne. Ces accords ont été accueillis comme une lueur d’espoir pour la paix. Seulement, la tragédie d’Oslo, c’est que l’accord prévoyait une période transitoire de cinq ans qui n’a jamais été surmontée. Pendant cette période, les sujets clés du conflit (colonisation, réfugiés, frontières…) devaient être traités ; aujourd’hui, presque 30 ans plus tard, tous ces aspects n’ont toujours pas été réglés. Par conséquent, l’expansionnisme israélien se poursuit, le problème des réfugiés est toujours le même, et l’Autorité palestinienne n’est toujours pas souveraine sur son territoire.

Pourtant, Israël et la communauté internationale se sont plutôt bien accommodés de la situation. Est-ce réellement étonnant ?

Le gouvernement de Benyamin Nétanyahou (en poste depuis 2009) poursuit ses objectifs sans faire de concessions ni rendre de comptes. L’annexion et la colonisation des territoires palestiniens s’amplifient sans obstacle et les forces israéliennes administrent la quasi-totalité du territoire relevant officiellement de l’Autorité palestinienne.

Pour la communauté internationale, il est pratique de considérer que le conflit israélo-palestinien est stabilisé. Personne ne souhaite se confronter à ce dossier diplomatique hautement inflammable. De plus, Israël est un allié de poids au Moyen-Orient pour les Américains et pour beaucoup de pays européens. Chercher à faire pression sur Israël, au sujet de la colonisation et des autres points de discorde avec les Palestiniens, pourrait donc entraîner, pour tous ces pays, des problèmes politico-stratégiques indésirables. Les États du Golfe, notamment Bahreïn et les Émirats arabes unis qui ont récemment signé des accords par lesquels ils reconnaissent l’État hébreu, étaient également encombrés par leur soutien officiel à la cause palestinienne. Par conséquent, la poussière a été mise sous le tapis et les acteurs régionaux et plus lointains ont choisi, ces dernières années, d’ignorer le conflit au Proche-Orient.

Le statu quo semblait donc plus ou moins convenir à tout le monde – à l’exception des Palestiniens, grands perdants de l’échec du processus d’Oslo. Les colons, qui étaient moins de 100 000 au moment des négociations, sont aujourd’hui plus de 400 000. Le territoire palestinien rétrécit à vue d’œil au fil des années et s’apparente aujourd’hui à un archipel divisé par des obstacles en tout genre (255 km de murs et 740 check points en Cisjordanie). Être Palestinien aujourd’hui, c’est vivre sans État, sans passeport, sans monnaie, soumis aux contrôles quotidiens, aux réquisitions des terres exploitables et des réserves d’eau, aux expropriations.

Alors, quelles options reste-t-il aux Palestiniens pour faire changer les choses ? « Les urnes ou l’intifada » nous confiait un membre du Conseil Législatif palestinien en janvier dernier à Ramallah. Cette déclaration résonne aujourd’hui comme une prémonition : c’est probablement en bonne partie parce que les Palestiniens n’ont pas eu accès aux urnes que la situation a dégénéré.

Les élections en Palestine : un espoir de changement déçu

La vie politique et les élections en Palestine sont des sujets peu abordés. Pourtant, ce sont des éléments clés des tensions qui éclatent aujourd’hui.

Les dernières élections palestiniennes ont été organisées en janvier 2006 pour élire le Conseil législatif palestinien. À la surprise générale, ces élections surveillées par la communauté internationale ont été remportées par le Hamas, parti islamiste qui ne reconnaît pas Israël. Les observateurs internationaux avaient validé le déroulement démocratique des élections, et Mahmoud Abbas avait même reconnu le leader du Hamas Ismaël Haniyeh comme premier ministre. Pourtant, les Américains et les Européens ont finalement refusé le résultat des urnes et menacé de couper les aides à l’Autorité palestinienne si celle-ci reconnaissait le gouvernement Hamas. Ce choix a marqué un tournant : depuis quinze ans, la Palestine est scindée en deux, l’Autorité palestinienne administre la Cisjordanie pendant que le Hamas gère Gaza. Les deux camps se sont même violemment affrontés entre 2006 et 2007.

Depuis 2006, en Palestine, il n’y a plus eu d’élections. Aujourd’hui, les jeunes entre 18 et 33 ans n’ont jamais mis de bulletin de vote dans une urne. Cette situation a alimenté un sentiment de méfiance envers les dirigeants palestiniens qui perdent leur légitimité et une frustration vis-à-vis de ce qui est perçu comme de l’immobilisme politique.

Dans ce contexte, le peuple palestinien et surtout la jeunesse ont accueilli avec enthousiasme la nouvelle annoncée par Mahmoud Abbas début 2021 : des élections législatives seraient organisées le 22 mai 2021. La perspective de nouvelles élections était porteuse d’un espoir, à commencer par celui de la réunification de leur peuple à travers la réconciliation du Hamas et du Fatah.

Espoir déçu puisque le 30 avril 2021, Mahmoud Abbas annonçait le report des élections – officiellement parce que Israel n’autorise pas les Palestiniens de Jérusalem à voter ; officieusement, selon un certain nombre d’observateurs, parce qu’il savait que le Hamas sortirait vainqueur du scrutin.

Pas d’élections, donc Intifada ?

La recette pour le déclenchement d’une Intifada, c’est l’accumulation de la frustration, de la colère, des espoirs déçus et une humiliation de trop. Les Accords d’Oslo avaient allumé une lueur d’espoir qui s’était éteinte avec l’assassinat de Yitzhak Rabin en 1995. Et le 28 janvier 2000, la visite sur l’esplanade des Mosquées d’Ariel Sharon, alors chef de l’opposition israélienne, fut, précisément, l’humiliation de trop pour une population palestinienne frustrée par des années de vie sous occupation et de violation de ses droits. Les éléments étaient réunis et la deuxième intifada s’était déclenchée.

« L’histoire ne se répète pas, elle bégaie », disait Karl Marx. Aujourd’hui, la frustration et la colère se sont démultipliées. La perspective de la tenue d’élections législatives palestiniennes a allumé une espérance déçue par le report du scrutin à une date indéterminée. Les menaces d’expulsions dans le quartier Sheikh Jarrah de Jérusalem-Est et l’intervention des forces de l’ordre israéliennes sur l’esplanade des Mosquées auront été les humiliations de trop. À nouveau, les ingrédients sont réunis, si bien que nous sommes au bord de la troisième Intifada. Quand les perspectives politiques et diplomatiques disparaissent, il ne reste plus que les pierres.

Par ailleurs, l’annulation du scrutin palestinien risque d’avoir d’autres effets négatifs sur la résolution pacifique du conflit.

Premièrement, le déficit démocratique en Palestine permet à Israël d’affirmer qu’il n’y a pas d’interlocuteur pour entamer un processus de paix. Dans une Palestine divisée, où trois partis (Fatah, Hamas, Djihad islamique) administrent des bouts de territoire sans coopérer voire en se faisant la guerre, on peut presque légitimement se demander à qui il faut s’adresser. Ainsi, la situation politique palestinienne est une excuse servie sur un plateau au gouvernement israélien pour repousser indéfiniment les discussions et justifier ses actions, d’autant que, aux yeux de l’opinion internationale, une Palestine divisée et non démocratique effraie davantage qu’une Palestine unie et démocratique.

Deuxièmement, l’échec du passage aux urnes a créé une situation dangereusement favorable au Hamas. Avec les élections, face à un Fatah divisé, le mouvement avait l’espoir d’intégrer le Conseil législatif palestinien aujourd’hui contrôlé par les membres du Fatah. Sans élections, il n’a plus d’autres solutions que de redevenir exclusivement comme un mouvement de résistance usant de la force.

Historiquement, le Hamas ne reconnaît pas Israël et prône la violence contre l’État hébreu. Par conséquent, l’échec du processus politique donne raison au Hamas aux yeux de la population palestinienne. Ses militants ont d’ailleurs compris que la conjoncture leur était favorable. Ils se sont très rapidement mêlés aux confrontations sur l’esplanade des Mosquées et se sont imposés comme acteur principal de la confrontation en lançant une pluie de roquettes sur Israël. Ismaïl Haniyeh, chef du mouvement, s’est exprimé dans une allocution télévisée et a déclaré : « Si [Israël] veut une escalade, la résistance est prête. S’ils veulent s’arrêter, nous sommes prêts aussi à nous arrêter. »

Ainsi, la population palestinienne, lassée et désespérée, semble avoir cédé à la violence face à l’absence de solution politique ou diplomatique. Une situation idéale pour le Hamas qui instrumentalise ce désespoir pour affirmer sa légitimité autrement que par les urnes. Israël semble pour l’instant sourd au désespoir palestinien et joue la carte de la riposte. Le ministre de la Défense Benny Gantz l’a annoncé : « Ce n’est que le début. »

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