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Congeler ses ovocytes n’est pas une assurance maternité

La France s'interroge sur la possibilité d'autoriser les femmes à conserver leurs ovules pour augmenter leurs chances d'avoir un enfant, même tardivement. Shutterstock

En France, le débat est engagé autour de la possibilité, pour les femmes, de congeler leurs ovocytes – c’est-à-dire leurs ovules – dans le but de pouvoir les utiliser plus tard pour une fécondation in vitro (FIV). Il s’agit de tenter de pallier l’évolution naturelle de leur fertilité, qui baisse significativement à partir de 35 ans et plus nettement encore autour de quarante ans. Et d’augmenter ainsi leurs chances de pouvoir concevoir un enfant, même tardivement.

Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’est prononcé le 15 juin contre l’autoconservation des ovocytes dite « sociétale », par opposition à l’autoconservation pour motif médical, par exemple en cas de traitement pouvant entraîner une stérilité. Cette position a provoqué la contre-offensive d’un collectif de médecins sous la forme d’une tribune publiée dans Le Monde, déplorant cet avis défavorable.

Un peu plus tôt, l’Académie de médecine s’était prononcée, elle, en faveur de la congélation « sociétale », rejoignant la position affichée depuis cinq ans par le Collège national des gynécologues obstétriciens français. La polémique qui a suivi a amené l’Académie à préciser qu’il fallait veiller à éviter « toute dérive mercantile ».

Il revient maintenant au législateur de se prononcer. La loi relative à la bioéthique de 2011 devrait en effet être révisée prochainement par le Parlement. À cette occasion, la question de l’ouverture de cette pratique à l’ensemble des Françaises, avec ou sans motif médical, sera posée. Quelles seraient, pour les femmes, les implications d’un changement de la loi ?

Un enfant si je veux, quand je veux

Retour sur le passé. La loi de 1967 sur la régulation des naissances a autorisé la contraception, permettant aux femmes de vivre leur vie affective et sexuelle sans crainte d’une grossesse « accidentelle », non désirée. Quelques années plus tard, le désir de la majorité des citoyennes face à la maternité ou à la non-maternité s’est exprimé au travers du célèbre slogan en faveur de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) : un enfant si je veux, quand je veux.

Or, la formule vintage des féministes de l’époque pourrait bien trouver un nouvel emploi avec la revendication du droit à conserver ses ovocytes pour toute jeune femme n’envisageant d’avoir un enfant que dans un avenir relativement lointain.

Vue sous cet angle, la cryoconservation (à très basse température) des ovocytes viendrait s’ajouter aux dispositifs de contraception pour assurer aux femmes la liberté de procréer lorsqu’elles le souhaitent. Elles seraient ainsi libérées des contraintes de l’horloge biologique qui continue de battre de façon immuable, indifférente au recul de l’âge auquel les Françaises décident, de nos jours, de fonder une famille.

De fait, la mise au point de la vitrification – technique ultrarapide de congélation jusqu’à moins 196° – permet aujourd’hui une meilleure conservation des ovocytes. Avec ce procédé, le taux de survie des ovocytes après leur décongélation est sensiblement plus satisfaisant que celui obtenu auparavant par la congélation lente. Il atteint 85,2 % dans une étude portant sur 1 468 femmes, publiée en 2016 par une équipe de la clinique espagnole Ivi. Dans le groupe des patientes âgées de plus de 36 ans, 22,9 % ont pu donner naissance ainsi à un bébé (à l’issue du transfert d’embryons obtenus par FIV à partir de leurs ovocytes décongelés).

Vue au microscope d’un ovocyte entouré de sa zone pellucide (au centre) lors d’une fécondation in vitro, avant l’injection d’un spermatozoïde. Zeiss/Flickr, CC BY-SA

Première naissance à partir d’un ovocyte vitrifié en 2012

L’autoconservation est légale en France depuis la loi relative à la bioéthique de 2011. La première naissance à partir d’un ovocyte vitrifié a eu lieu le 4 mars 2012 à l’hôpital parisien Robert Debré. Mais cette pratique n’est aujourd’hui autorisée que dans deux cas précis, énoncés par le code de la santé publique. Le premier concerne les femmes dont la fertilité risque d’être affectée par une pathologie ou un traitement médical – par exemple, une chimiothérapie ou une radiothérapie contre le cancer. Il ne suscite aucun débat, puisque l’assistance médicale à la procréation (AMP) se trouve définie par la loi comme un ensemble de techniques destinées à remédier à une infertilité médicalement constatée.

Le second cas prévu par la loi reste, lui, controversé. Il s’agit de la conservation d’ovocytes pour son propre usage à l’occasion d’un don anonyme et gratuit au profit d’autres femmes affectées par un problème de fertilité. Cette pratique est destinée à encourager les dons. En effet, le nombre d’ovocytes offerts est, de manière chronique en France, inférieur à la demande des couples.

Afin de pallier cette difficulté, le législateur de 2011 a tout d’abord supprimé une condition qui écartait auparavant certaines candidates, l’obligation d’avoir déjà eu au moins un enfant. Ensuite, il a institué ce système de contre-don. La donneuse d’ovocytes ou le donneur de sperme n’ayant pas encore procréé se voit proposé de conserver pour son propre usage une partie des gamètes (cellules reproductrices) recueillies, au cas où il lui serait nécessaire de recourir, un jour, à l’AMP.

Ce système, pour efficace qu’il soit, apparaît problématique en considération d’un des grands principes applicables au corps humain, à savoir la gratuité du don reposant sur les articles 16-8 du Code civil, L. 1211-4 et L. 1211-5 du code de la santé publique.

Pas d’indemnisation des donneurs

Pourquoi ce choix ? De longs débats ont précédé l’adoption de la loi, et cette mesure a été préférée à un autre puissant moyen d’augmenter les dons, à savoir l’indemnisation des donneurs. Celui-ci a été jugé dangereux au regard du principe de gratuité du corps humain et de ses éléments, qui découle du principe cardinal de dignité de la personne. En effet, la frontière qui sépare la notion d’indemnisation et celle de rémunération est particulièrement poreuse.

Mais sur le fond, la loi n’a pas permis d’éviter cet écueil car la conservation autologue (au bénéfice du donneur lui-même) n’est autre, dans ces conditions, qu’une contrepartie au don de gamètes. Il s’agit, en d’autres termes, d’une contre-prestation, voire d’un échange défini par le Code civil comme « un contrat par lequel les parties se donnent respectivement chose pour une autre ».

Revenons au débat actuel, autour de l’autoconservation « sociétale » des ovocytes, dite aussi « de précaution ». Son autorisation sans condition peut apparaître, à première vue, comme le moyen de mettre fin au « chantage […] éthiquement inacceptable » dénoncé par l’Académie de médecine : pas de don d’ovocyte ? Pas d’autoconservation ! De mon point de vue, pourtant, une technique d’AMP ne devrait pas être autorisée pour résoudre les difficultés posées par une autre, ici la fécondation in vitro avec don d’ovocyte. Si l’autoconservation devait être généralisée à toutes les femmes, elle devrait l’être pour elle-même, après avoir été jugée souhaitable pour la société.

L’autoconservation pose en effet des difficultés spécifiques de plusieurs ordres. Cette manière de préserver son capital de fertilité implique un protocole relativement lourd pour la femme d’un point de vue physiologique, pour un résultat aléatoire. Elle soulève également des questions morales et pourrait représenter, enfin, une charge financière pour la collectivité.

La ponction des ovocytes, un geste réalisé sous anesthésie

La technique s’avère relativement contraignante. Elle implique de se soumettre à des stimulations ovariennes réalisées par des injections quotidiennes d’hormone, à des dosages hormonaux réguliers et à plusieurs échographies ovariennes. La ponction des ovocytes, qui consiste à aspirer les follicules (ovocytes entourés de quelques cellules et de liquide folliculaire), est réalisée sous anesthésie. Si le risque d’effet indésirable est faible, il n’est pas pour autant inexistant, comme le rappelle le CCNE dans son avis.

Par la suite, les femmes souhaitant utiliser leurs ovocytes congelés seront exposées aux aléas de la FIV. En moyenne, quatre à cinq tentatives sont nécessaires pour donner naissance à un bébé, comme l’indique la dernière évaluation de l’Agence de biomédecine. Par ailleurs, l’utilisation d’ovocytes prélevés chez la femme jeune ne protège pas des risques inhérents à une grossesse tardive. On peut d’ailleurs penser que le législateur, s’il choisit de généraliser l’autoconservation des ovocytes, l’assortira d’une limite d’âge pour recourir à la FIV. L’Académie de médecine recommande de la fixer à 45 ans maximum.

Ainsi, des études démontrent que l’autoconservation des ovocytes augmente les chances d’avoir un enfant tardivement, mais n’offre pas de garantie de réussite.

Autoriser l’autoconservation pour toutes les femmes, c’est poser aussi, juste après, la question de son remboursement par l’Assurance maladie. Faudrait-il prendre en charge financièrement toutes les femmes qui y recourent ? Assortir cette prise en charge de l’engagement à donner ses ovocytes non utilisés, une fois dépassé l’âge d’envisager une grossesse, comme l’envisage le CCNE ? Une telle condition entraverait immanquablement la « gratuité » du don, comme expliqué précédemment.

Une technique autorisée dans plusieurs pays

En dépit de ces difficultés, la demande d’un accès à l’autoconservation des ovocytes est forte chez les femmes en France. Elles sont de plus en plus nombreuses à attendre de combiner situation professionnelle et couple stable avant d’envisager la naissance d’un enfant. D’autres pays européens comme la Belgique, la Grande-Bretagne, l’Espagne ou l’Italie ont déjà ouvert cette pratique à toutes les femmes.

Dans un pays où cette possibilité existe, chaque femme se retrouve devant un choix délicat durant la période de sa fertilité : activer, ou non, l’option de l’autoconservation. Pour celles qui décident d’y recourir, une autre question se posera, bien plus tard. S’il reste des ovocytes non utilisés, qu’en faire ? Elles devront décider de les donner soit à un couple infertile, soit à la recherche ou bien encore de les détruire. Un choix qui peut se révéler assez vertigineux.

Ainsi, l’autoconservation des ovocytes peut être considérée comme la dernière marche vers une procréation entièrement choisie pour les femmes. Mais on peut aussi penser qu’elle en offre seulement l’illusion. À chacune de se faire son opinion sur cette technique, après en avoir pesé les avantages et les inconvénients.

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