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Jody Wilson-Raybould se fait prendre en photo en compagnie d'une femme
La députée indépendante Jody Wilson-Raybould est prise en photo après les cérémonies marquant la publication du rapport sur les femmes autochtones disparues et assassinées à Gatineau, le 3 juin 2019. Elle s'est opposée à la motion en appui au projet de loi 96, de la CAQ. La Presse Canadienne/Adrian Wyld

Constitution : au lieu de les ignorer, Québec devrait faire des nations autochtones ses alliées

La motion du Bloc québécois visant notamment à reconnaître, en vertu de l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982, le droit des provinces de modifier leurs constitutions respectives s’est vue refuser, la semaine dernière, le consentement unanime à la Chambre des communes.

Si l’adoption unanime de cette motion en appui au projet de loi n°96 sur la langue officielle et commune du Québec, le français, déposé le 13 mai par la CAQ, n’a pas fonctionné, c’est parce que la députée Jody Wilson-Raybould s’y est opposée.

Cette opposition est tout sauf anodine.

Dans une publication sur Twitter faisant référence à cet épisode, Wilson-Raybould mentionne qu’elle en aurait long à dire sur les enjeux liés à la langue et aux nations, étant elle-même une femme autochtone. Certains y ont vu une opposition semblable à celle du député manitobain Elijah Harper, en 1990, qui refusait la prolongation du débat portant sur l’Accord du lac Meech.

Il faut toutefois aller plus loin dans notre analyse et saisir cette occasion de réfléchir à un important angle mort dans l’approche de la CAQ. Mes travaux des dernières années ont cherché à élargir le champ d’application de l’interculturalisme dans le but de concilier la pleine reconnaissance de droits collectifs pour les peuples autochtones avec ceux de la nation québécoise. De manière générale, l’interculturalisme est un modèle qui s’appuie sur la recherche d’un équilibre entre les droits collectifs et les droits individuels. Cette approche encourage ainsi un mode d’intégration qui protège les droits des minorités, mais qui vise tout de même la formation d’une identité commune.

Simon Jolin-Barrette en train de parler, en compagnie de François Legault
Le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, en compagnie du premier ministre François Legault, lors d’une conférence de presse après le dépôt d’une réforme sur les droits linguistiques, le 13 mai, à Québec. La Presse Canadienne/Jacques Boissinot

À cet égard, si l’article 159 du projet de loi n°96 est une tentative louable d’amorcer une mise en application du droit à l’autodétermination de la nation québécoise, elle ne prend toutefois pas en considération le droit à l’autodétermination des nations autochtones du Québec.

Une tension commune avec le cadre constitutionnel canadien

Les points de tension entre la société québécoise et le cadre constitutionnel canadien ne datent pas d’hier. Ils se sont accentués depuis la fin des années 1960. À son arrivée au pouvoir, Pierre E. Trudeau a extrait du rapport de la commission Laurendeau-Dunton (Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme), et ce, d’une manière à la fois stratégique et biaisée, sa vision multiculturaliste du Canada. Celle-ci repose ultimement sur l’idée d’une primauté des droits individuels sur les droits collectifs, ces derniers étant revendiqués par les nations minoritaires que sont la nation québécoise et les nations autochtones.

Cette façon de concevoir la société canadienne n’est jamais parvenue à répondre aux besoins spécifiques de la nation québécoise. Pour exister pleinement à l’intérieur du cadre canadien, elle devrait être formellement reconnue comme nation bénéficiant d’un statut particulier. Ceci implique notamment la pleine maîtrise d’œuvre en matière de langue et de culture afin de mettre en place les mécanismes institutionnels lui permettant d’assurer sa pérennité dans le contexte nord-américain, malgré les énormes pressions culturelles, politiques et socioéconomiques qu’elle y subit.

Une tension semblable avec le cadre constitutionnel canadien s’est développée tout au long de l’histoire du côté des nations autochtones. En 1970 s’organisait notamment une vive opposition à sa politique du Livre blanc qui visait l’abolition de toute distinction entre les Indiens et le reste de la population canadienne. Or, il se trouve justement que les fondements philosophiques du Livre blanc sont aussi multiculturalistes, en ce que cette politique cherche à réaffirmer la primauté des droits individuels sur les droits collectifs.

En éliminant le statut juridique distinct des Autochtones (c’est-à-dire celui d’« Indien », tel que prévu par la Loi sur les Indiens de 1876), on aurait fait disparaître, du même coup, certains droits collectifs des communautés autochtones.

Une nécessaire reconnaissance réciproque

Malgré les disparités importantes entre ces peuples, il existe une certaine convergence historique et conceptuelle entre la quête d’autodétermination de la nation québécoise et celles des nations autochtones. Cela dit, les méfaits à l’endroit des nations autochtones sont encore plus graves, puisqu’ils ont pris la forme d’un colonialisme aboutissant à un génocide culturel.

Le problème est que les intérêts de la société québécoise ont été trop souvent poursuivis au détriment de ceux des nations autochtones, ou à tout le moins menés dans une totale indifférence à leur égard. La société québécoise aurait pourtant tout intérêt à adopter une politique d’interculturalisme affirmant la reconnaissance réciproque de la nation québécoise et des onze nations autochtones qui se trouvent sur le territoire du Québec.

Un bon premier pas dans cette direction serait d’incorporer au corpus juridique québécois la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, mais nous pourrions même aller beaucoup plus loin. Le Québec doit miser sur le fait que la perception de l’incomplétude du cadre constitutionnel canadien est vécue d’une manière analogue pour les nations autochtones et pour la nation québécoise. Il aurait été ainsi plus fécond que le projet de loi n°96, et la modification de la constitution qu’il prévoit, reflète cette possible convergence.

Pour revenir à l’opposition de Wilson-Raybould, il serait dommage que la revendication de prérogatives par le Québec soit vue d’un mauvais œil par les nations autochtones. Comment se fait-il en effet qu’en 2021, le Québec ne parvienne toujours pas à s’associer à ces alliés naturels que pourraient être les nations autochtones dans sa quête d’autodétermination à l’intérieur du Canada ?

La réponse est que le Québec n’a que trop rarement lui-même joué son rôle d’allié. En ce sens, il doit se rendre d’emblée plus inclusif envers les nations autochtones, pour qui le cadre constitutionnel actuel est tout aussi inadéquat.

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