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Bactéries Escherichia coli colorisées observées au microscope. NIAID / Flickr, CC BY-SA

Conversation avec Marc-André Selosse : « La richesse de la biologie commence au cœur du quotidien »

Biologiste au Muséum national d’Histoire naturelle, professeur associé aux universités de Gdansk (Pologne) et Kunming (Chine), chercheur spécialiste des champignons et des micro-organismes, Marc-André Selosse, présent aux Tribunes de la presse 2020 à Bordeaux, invite à considérer les microbes sous un nouveau jour. Il s’attache aussi à transmettre ses connaissances à travers l’enseignement et la vulgarisation.


Selon vous, les microbes utiles « construisent les plantes, les animaux et les civilisations », ils sont « la santé ». Avons-nous une image erronée de ces micro-organismes ?

Marc-André Selosse : Il persiste dans la société une vision des microbes comme des fauteurs de troubles. Ce qui est vrai dans un sens, mais il est important d’avoir un discours plus nuancé: les microbes sont aussi essentiels pour notre santé. Le manque de diversité microbienne nous rend malades. Bien entendu, cela est complexe: il faut prendre en compte l’environnement et les facteurs génétiques, mais diabète, obésité, asthme, allergies ou encore autisme s’expliquent en partie par un déficit en microbes. L’apparition de l’hygiène a permis de sauver de nombreuses personnes de la peste, du choléra ou de la tuberculose. Dans le même temps, cela a entraîné une perte de diversité microbienne dans nos organismes. Réintroduire certaines bactéries disparues pourra peut-être nous soigner dans le futur. Mais attention, les remèdes que nous trouvons aujourd’hui sont peut-être des sources de problèmes demain.

Vous évoquez régulièrement le concept de « saleté propre ». Qu’entendez-vous par là ?

M.-A. S. :En apparence, la saleté propre est un paradoxe. Un médecin, Stéphane Gayet, a proposé de différencier l’hygiène et la propreté. La première correspond à ce qui est bon biologiquement alors que la seconde est un code social. Or, le problème est de trouver une juste coïncidence entre ces deux notions. Prenons un exemple. À la grande époque de Versailles, les gens nous semblent très sales, alors qu’ils n’avaient pas cette impression entre eux. Aujourd’hui, bien au contraire, nous sommes face à un excès de propreté. Il faut laisser à nouveau entrer certains microbes dans notre environnement, tout en se protégeant des nuisibles. Je pense pour ma part que la saleté propre commence donc par la vaccination, et se poursuit par moins de nettoyage.

Quel comportement adopter alors que l’hygiène fait partie des gestes barrières contre l’épidémie de Covid-19 ?

M.-A. S. : On peut avoir des inquiétudes sur certains comportements. En particulier la désinfection frénétique des mains avec une solution hydroalcoolique. Ce gel laisse les saletés chimiques… Quand on dispose d’un point d’eau, il faut plutôt utiliser le savon, beaucoup moins agressif pour la peau et ses microbes favorables. Le gel doit s’employer surtout en période épidémique (Covid-19, grippe saisonnière) et alors, dans des cas précis, au moment de contacts contaminants ou quand on va toucher ses muqueuses, se frotter les yeux, ou encore porter un aliment à la bouche… Le reste du temps, il faut respecter les microbes de la peau, qui la protègent. Hors période épidémique, je ne vois pas pourquoi utiliser du gel.

Vous défendez l’importance de la vulgarisation, de la transmission des savoirs « savants ». Pourquoi est-ce primordial que le grand public s’empare des connaissances scientifiques ?

M.-A. S. : La vulgarisation ne consiste pas à expliquer ce que l’on sait. C’est se couler dans l’environnement d’une personne qui se pose des questions et lui apporter des pistes de réponses accessibles. Une attitude d’empathie est très importante, synchrone avec la personne dans ce qu’elle vit, voit, conçoit et utilise. À partir de là, on explique pour étendre sa vision. Vulgariser implique d’accompagner, de faire un bout de chemin avec un public et de revisiter le quotidien, en écoutant les questions. On ne peut pas parler à tout le monde, mais on peut s’appliquer à toucher le plus grand nombre.

Quotidiennement, j’essaye de porter et de transmettre vers la société les connaissances issues de la biologie en général, pas seulement de mon laboratoire. Je passe à présent beaucoup moins de temps en recherche qu’à raconter, à écrire des livres et des articles de vulgarisation. Aujourd’hui, on a une grande production de connaissances. Elles doivent être mises au service du citoyen pour qu’il comprenne ce qui l’entoure et fasse des choix informés. Cela relève de sa liberté, et de notre fonction sociétale, à nous autres chercheurs.

Comment s’y prend-on pour vulgariser ?

M.-A. S. : C’est simple : je ne sais pas. Je me laisse faire et j’expérimente. La formation des enseignants ou la composition des programmes de biologie des lycées, où je suis actif, me semble un bon début. À côté de cette formation initiale, il y a ce qu’on pourrait appeler la formation continue des adultes. Elle passe par les livres, les articles, les conférences, mes chroniques sur France Inter, des vidéos sur le Net. Dans mes ouvrages, je revisite l’ordinaire, les choses que tout le monde a vues. Pour cela, j’écoute beaucoup les questions des gens. L’idée est de partir du quotidien et de questions banales.

Les connaissances sur les objets de tous les jours résonnent avec une autre façon de voir le monde ordinaire. Peut-être qu’à partir de cela, on peut mieux prendre soin de son environnement et de soi-même. J’essaie de partir toujours du réel, et si possible dans la nature, devant une assiette, ou au supermarché. La richesse de la biologie commence là, au cœur du quotidien.

Est-ce que les scientifiques, selon vous, pratiquent assez la vulgarisation ?

M.-A. S. : On ne demande pas aux conducteurs de bus de nous expliquer comment conduire leur véhicule. Les scientifiques font leur métier, chercher, et on ne peut pas leur reprocher de ne pas vulgariser. Par contre, collectivement, nous, chercheurs, portons une faute : ne pas avoir assez su organiser le métier pour permettre à certains d’entre nous de prendre le temps de vulgariser. Aujourd’hui le scientifique-vulgarisateur, c’est un peu trop « celui qui a raté sa carrière », ou un acteur de second ordre. La vulgarisation traîne cette image d’une activité non rémunérée et qui n’est donc pas très noble. Les aventures individuelles de transmission des savoirs, malheureusement, ne sont pas assez reconnues ni soutenues par l’institution universitaire.

Comment valoriser la vulgarisation de la biologie ?

M.-A. S. : Nous avons besoin d’une interdisciplinarité qui mêle mieux les points de vue. Cela implique de dépasser la croyance que les sciences humaines suffisent comme formation de base. C’est en partie vrai, mais ce n’est pas suffisant. Les sciences vivantes, seules, ne vont pas non plus nous sauver. C’est l’équilibre des disciplines qui permet à nos concitoyens d’agir, aux journalistes d'expliquer et d'analyser, aux décideurs de décider. Reste à construire cet équilibre. Nous ne sommes que des morceaux du monde vivant. Rien ne va sans une connaissance de ce monde-là. Je ne fais pas le plaidoyer d’une discipline isolée, mais celui d’une façon de l’intégrer dans une vision systémique.


Propos recueillis par Lucile Bihannic et Armelle Desmaison, étudiantes en master professionnel de journalisme à l’Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA).

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