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Corruption et guerre : deux fléaux qui se nourrissent l’un de l’autre

Soldat armé en treillis dans un camp de réfugiés
Photo prise dans un camp de réfugiés en Somalie en 2019. La Somalie est en tête du classement des pays les plus corrompus de la planète. sntes/Shutterstock

L’ONG Transparency International vient de publier son palmarès des pays du monde selon le niveau de corruption perçue en 2022.

L’étude de ce document confirme, une fois de plus, les liens étroits qui existent entre le degré de corruption d’un pays et le risque que ce pays soit engagé dans une guerre, extérieure ou civile. Dans un cercle vicieux inextricable, un pays plongé dans un conflit voit aussi son niveau de corruption croître.

Comment évalue-t-on la corruption dans un pays ?

Depuis sa création en 1995, l’Indice de perception de la corruption (IPC) est devenu le principal indicateur, à l’échelle mondiale, de la corruption dans le secteur public.

Il permet de classer 180 pays et territoires plus ou moins corrompus, en utilisant des données provenant de 13 sources externes, dont celles de la Banque mondiale, du Forum économique mondial, de sociétés privées de conseil et de gestion des risques, de groupes de réflexion et autres.

Les scores attribués – sur une échelle qui va de zéro (0 = forte corruption) à cent (100 = aucune corruption), en fonction du degré de perception de la corruption dans le secteur public – reflètent l’opinion d’experts et de personnalités du monde des affaires.

Indice de perception de la corruption 2022. Cliquer pour zoomer. Transparency International, CC BY-NC

La corruption ronge les États…

La médaille d’or au concours des pays les plus corrompus vient d’être remise à la Somalie, suivie du Soudan du Sud, de la Syrie, du Venezuela, du Yémen, de la Libye, du Burundi, de la Guinée équatoriale, de Haïti, et de la Corée du Nord.

Détentrice du titre peu envié de pays le plus corrompu de la planète depuis 2007, la Somalie a plusieurs points communs avec ses « challengers » liés à leur haut niveau de corruption.

Les pays très corrompus sont caractérisés par une grande faiblesse de l’État. La Somalie n’a quasiment plus d’État. Depuis 30 ans, elle a connu deux guerres civiles, des famines catastrophiques, des interventions internationales ratées, des flux de réfugiés, des morts par centaines de milliers, la corruption entraînant une absence continue de services et d’institutions étatiques même rudimentaires.

Les Somaliens vivent dans un environnement de prédations, de menaces omniprésentes et de privations, cette insécurité impliquant des comportements de survie, comme le recours à la corruption pour avoir accès à de la nourriture ou à des médicaments.

La faiblesse d’un État détérioré par la guerre et la corruption se manifeste aussi au niveau du système judiciaire. Quand l’État est déstabilisé, c’est la loi du plus fort qui s’applique et le plus corrompu peut avoir gain de cause dans un procès, même s’il est coupable. C’est ainsi le cas de la Syrie, deuxième sur la liste (à égalité avec le Soudan du Sud), où l’enchevêtrement de la corruption et de la terrible guerre civile a fait du système judiciaire une jungle où gagnent ceux qui corrompent le mieux les juges.

Naturellement, la corruption entraîne une perte de confiance des populations dans les institutions publiques, détruisant la moindre considération dans le système politique, ce qui accroît le risque d’une chute dans la violence politique, comme on le constate notamment au Venezuela, classé quatrième, qui s’est retrouvé ces dernières années au bord de la guerre civile.


Read more: La corruption peut-elle assassiner la démocratie ? Leçons du Venezuela


… tue la démocratie…

La corruption détériore le système démocratique par différents biais : les populations reçoivent de l’argent pour voter en faveur du pouvoir, les commissions électorales sont achetées pour proclamer des plébiscites en faveur des dirigeants en place, les candidats indépendants sont menacés et même parfois assassinés…

Ainsi, le Soudan du Sud, deuxième du classement, est un cauchemar démocratique. Ce pays indépendant depuis 2011 et dévoré par la guerre civile depuis 2013 est le théâtre de violations permanentes des droits de l’homme : arrestations arbitraires, détentions illégales, tortures, meurtres… Avec la guerre, l’insécurité s’accroît et la corruption se développe encore plus.

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En outre, la corruption détruit la liberté de la presse. Dans des pays très mal classés en termes de liberté de la presse, comme la Corée du Nord ou la Russie, la propagande des autorités se déploie sans que le moindre désaccord ne puisse être formulé dans l’espace public, ce qui laisse se propager le discours belliqueux des dirigeants et les agressions se multipliaient.

Pays particulièrement corrompu, le Yémen, cinquième au classement établi par Transparency International, est ravagé par la guerre depuis 2014 – un conflit alimenté par la sous-information des populations du fait d’une presse aux ordres des acteurs qui contrôlent les diverses zones du pays. L’ONG Reporters Sans Frontières présente ainsi la situation du pays : « Les médias yéménites sont polarisés par les différents acteurs du conflit et n’ont d’autre choix que de se conformer au pouvoir en place, en fonction de la zone de contrôle dans laquelle ils se trouvent, sous peine de sanctions. »

… et accroît les inégalités économiques

Enfin, dans une nation où règne la corruption, une petite minorité accapare la richesse nationale, la corruption pouvant être définie comme « l’utilisation de son pouvoir personnel à des fins d’intérêts privés contre l’intérêt collectif ».

Quand l’injustice sociale règne, les tensions économiques se développent, ce qui crée un terreau particulièrement favorable à la guerre civile. Le Soudan du Sud a été ainsi dépeint comme une kleptocratie, un système dans lequel la classe dirigeante s’approprie les ressources publiques pour son propre profit au détriment du bien-être public.

L’histoire d’Haïti est également parsemée de despotes, comme la famille Duvalier, qui ont mis en place un système de prédation économique visant à les enrichir au détriment de leur population.

Cercle vicieux

Au final, un cercle vicieux s’est installé qui débute par la corruption, impliquant des tensions permanentes puis des conflits et, par suite, plus de crimes et de guerres.

Comme le montre le dernier indice de corruption de Transparency International, les pays les plus corrompus sont tous des pays instables économiquement, politiquement et socialement. Si tous ne sont pas en guerre, tous sont, selon des modalités différentes en crise profonde.

Au fil des conflits, toutes les institutions de gouvernance ont été détruites. L’insécurité incite à se livrer à tous les trafics. Sans institutions de contrôle, un sentiment d’impunité totale s’installe et la corruption devient systémique. La diffusion de la corruption en fait alors une norme sociale : « corrompre, c’est la seule manière de survivre », pourraient s’exclamer en cœur les populations des pays les plus corrompus…

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