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Coupe du Monde : fatigue, blessure, mental, le rythme infernal d’une compétition hivernale

Karim Benzema en train de contrôler son ballon.
Karim Benzema est le dernier blessé des joueurs de l'équipe de France. A.Taoualit/Shutterstock

La Coupe du Monde de la FIFA a lieu au Qatar en novembre et décembre, des mois qui coïncident avec la période de pleine saison dans le football européen. C'est un défi pour les staffs des équipes nationales participantes et ceux des clubs auxquels les joueurs appartiennent. Quelles sont les pistes pour gérer au mieux cet enjeu ?

L’entraînement régulier et la compétition au cours d’une saison dans le football professionnel européen se caractérisent généralement par une période de préparation pré-compétition de cinq à six semaines, suivie de deux phases de compétition, entrecoupées d’une pause hivernale. Certaines ligues telles que la Premier League anglaise n’ont généralement pas de pause hivernale, ce qui signifie que les matchs sont joués presque en continu tout au long de la saison. Pendant les années de Coupe du Monde, il y a généralement une moyenne de quatre à cinq semaines entre la fin des championnats nationaux et le début de la Coupe du Monde qui a traditionnellement lieu pendant la période d’inter-saison.

Cependant, en 2022, la Coupe du Monde de la FIFA a lieu durant des mois qui coïncident avec la période de la pleine saison dans le football européen. La Coupe du monde étant organisée pendant cette partie de la saison, de nombreux joueurs des équipes nationales (notamment ceux des grandes ligues européennes) n’ont eu qu’une semaine de préparation entre le dernier match de leurs ligues nationales et le début de la Coupe du monde (20 novembre 2022). Et si l'on s'en tient à la seule équipe de France, la liste des blessés - Karim Benzema étant le dernier - et déjà bien longue.

Les exigences physiques et mentales imposées aux joueurs professionnels modernes n’ont cessé d’augmenter ces dernières années en raison de l’augmentation du nombre de matchs disputés pendant les périodes à forte densité de match tout au long de la saison.

Jusqu’à 73 matchs par saison

Afin de montrer l’évolution de ces exigences, nous vous proposons un petit comparatif. Lors de sa saison la plus dense en termes de matchs joués, Michel Platini a disputé 56 matchs en 1980/1981 avec l’AS Saint Étienne (35 en championnat de France, 10 de Coupe nationale, 7 de Coupe d’Europe et 4 avec l’équipe de France). Quelques années plus tard et en 18 ans de carrière, Zinedine Zidane a lui dépassé 3 fois la barre des 60 matchs sur une saison (1995/1996, 1997/1998 et 2003/2004).

Cristiano Ronaldo et Lionel Messi, en activité sur les 15 dernières années ont fréquemment dépassé la barre des 60 matchs sur une saison (9 fois pour le Portugais, et 7 fois pour l’Argentin, avec un « pic » à 69 rencontres en 2011/2012 pour les 2 joueurs), et la palme revient à l’Espagnol Pedri avec pas moins de 73 matchs joués (soit l’équivalent de 130 % de la saison record de Platini) lors de la saison 2020/2021 avec son club de Barcelone et les différentes sélections espagnoles (A, U21 et Olympique), battant ainsi le précédent record du Portugais Bruno Fernandes (72 matchs lors de la même saison).

Étant donné que le nombre de matchs n’est pas réparti uniformément sur une saison typique de 40 semaines, les joueurs peuvent souvent disputer jusqu’à trois matchs sur une période de sept jours.

Outre les exigences physiques et mentales imposées lors d’une rencontre, les joueurs peuvent éprouver une récupération insuffisante en partie à cause des longs déplacements qui peuvent perturber le cycle veille/sommeil. En effet, la mauvaise qualité du sommeil et le stress induit par un match peuvent affecter négativement la forme physique et peuvent même augmenter le risque de subir des blessures et/ou des infections dans la période précédant la Coupe du monde.

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Les équipes nationales sont composées de joueurs issus de différentes ligues et qui ont des niveaux variables de temps de jeu (par exemple titulaires, non-titulaires) en termes de volume hebdomadaire moyen de matchs dans leurs clubs. De plus, les titulaires et les non-titulaires sont exposés à différentes charges externes de match et d’entraînement. Les charges externes sont définies comme le volume global d’activité qu’un joueur effectue à la fois pendant les séances d’entraînement et les matchs. Il est prouvé que cette mesure est en corrélation avec l’état de forme physique d’un joueur et son risque de blessure.

Cela est important à prendre en compte, car nous notons la présence d’une charge de travail dite optimale dans le but d’optimiser la performance physique des joueurs. Celle-ci est variable dans le temps et régulièrement mise à jour par les staffs techniques, afin de ne pas sous-exposer ou surexposer les joueurs à des volumes et des intensités mal adaptés, car dans les deux cas cela aurait des effets néfastes, en diminuant les capacités de performance physique et en augmentant le risque de blessure, notamment musculaire.

Par conséquent, il est difficile pour les équipes nationales de gérer la condition physique des joueurs de manière à ce qu’ils soient physiquement prêts à jouer la Coupe du monde. Cela s’applique particulièrement aux joueurs qui jouent dans les grandes ligues européennes et nous notons un contraste important entre les calendriers des matchs européens et ceux des autres continents. Par exemple, dans la Major League Soccer (MLS) en Amérique du Nord, les matchs seront interrompus à partir du 5 novembre, 15 jours avant le début de la Coupe du monde. De même, dans la J-League japonaise en Asie, la Saudi Pro League et la Qatar Star League, les matchs seront interrompus un mois avant le début de la Coupe du monde, laissant plus de temps aux joueurs de ces continents pour se préparer.

Il est également important de noter que les championnats nationaux de France, d’Espagne et d’Angleterre reprendront leurs matchs le 27 décembre, soit dix jours seulement après la fin de la Coupe du monde. Les clubs voudront que leurs joueurs reviennent indemnes et avec des niveaux de forme physique suffisants pour reprendre la compétition nationale, mais ces objectifs pourraient être compromis par le calendrier de la Coupe du monde.

Quelles recommandations pour la préparation des joueurs ?

Avant la Coupe du monde, l’objectif des équipes nationales et des clubs est de préparer physiquement et mentalement leurs joueurs pour le tournoi. Ceci est particulièrement important pour les non-titulaires d’un club, car il est connu qu’une forte variation soudaine de la charge externe est associée au risque de blessure. De plus, il est prouvé que les joueurs qui subissent des blessures sans contact pendant le camp d’entraînement d’une équipe nationale en préparation d’un tournoi, ont effectué des charges d’entraînement ultérieures inférieures dans leurs clubs par rapport aux charges observées pendant le camp d’entraînement avec l’équipe nationale.

En préparation pour la Coupe du monde, les joueurs qui ont beaucoup joué pour leurs clubs doivent se concentrer sur la récupération pendant la période initiale de préparation du tournoi. Les joueurs qui ont été relativement peu exposés à la compétition devraient augmenter progressivement la charge d’entraînement pendant le camp d’entraînement de l’équipe nationale. Le personnel médical du club doit prendre note de toute blessure traumatique subie par les joueurs au cours de la saison avant le début du tournoi et doit communiquer, tout en respectant les règles locales de confidentialité des données, avec le staff technique de la sélection dans le but d’ajuster la charge de travail si nécessaire. Si cela peut être réalisé, les joueurs peuvent effectivement faire la transition vers leurs équipes nationales d’une manière qui préserve leur condition et sert de base pour une performance optimale à la Coupe du Monde.

Après la Coupe du monde, le défi majeur pour les clubs sera de réintégrer leurs joueurs en fonction de la progression de leur équipe nationale et de leur temps d’exposition lors des matchs joués avec leur sélection. Les clubs auront de nombreux joueurs qui n’auront pas participé à la coupe du monde et qui n’auront pas cessé de s’entraîner. Il est également important de considérer les différentes catégories de joueurs qui participeront au tournoi, par exemple, ceux qui étaient titulaires et ont quitté le tournoi tôt ou tard et ceux qui n’étaient pas titulaires et ont quitté le tournoi tôt ou tard. En conséquence, les charges d’entraînement externes varieront considérablement à mesure que les joueurs reviendront dans leurs clubs après les phases de groupes et plus tard.

Bien soigner le retour au club

Tous les clubs auront des objectifs importants pour la fin de la saison 2022/2023 avec des compétitions nationales et continentales (Ligue des champions, Europa League, etc.) hautement prioritaires. En conséquence, les entraîneurs des clubs voudront que leurs joueurs soient disponibles pour le reste de la saison, en pleine forme et en parfaite santé. De plus, les joueurs titulaires en équipe nationale et en club n’auront, dans certains cas, pas la possibilité de faire une pause entre la fin de la Coupe du monde et la reprise de la saison en club. Les recherches montrent que le risque de blessure est plus élevé dans les ligues qui n’ont pas de pause hivernale (par exemple la Premier League anglaise) par rapport aux ligues qui en ont. Une bonne communication entre le personnel médical et le staff technique du club sera essentielle pour réduire l’incidence des blessures, optimisant ainsi la disponibilité des joueurs.

Avant, pendant et après la Coupe du Monde, une communication sera nécessaire entre les staffs des équipes nationales et ceux des clubs en ce qui concerne la charge de travail des joueurs, car il est possible que certains joueurs soient exposés à des niveaux de stress physique auquel ils ne sont pas habitués. L’échange d’informations entre les équipes nationales et les clubs sera donc important pour améliorer l’état de santé des joueurs internationaux.

Cet échange est primordial, et n’est malheureusement pas routinier. En règle générale, mais encore plus dans la période actuelle, les intérêts des clubs et des sélections ne sont pas forcément en adéquation. Les joueurs internationaux sont généralement sous contrat avec les clubs disputant la prestigieuse Ligue des Champions ou sa « petite sœur » l’Europa League, et ces compétitions ont pris cette saison une part prépondérante dans le calendrier pré Coupe du Monde en plus de l’augmentation du nombre de matchs dans les différentes ligues nationales. De ce fait les entraîneurs de clubs ont eu tendance à surexposer les joueurs par rapport aux saisons précédentes, en augmentant la densité de matchs joués sur les premiers mois de compétition, dans l’objectif d’assurer une qualification pour les phases finales des coupes européennes, qui débuteront en février 2023, après la Coupe du Monde.

Un exemple concret concerne le défenseur international Français de Manchester United, Raphael Varane. Celui-ci s’est récemment blessé au niveau des muscles ischio-jambiers, lors d’une rencontre de championnat face à Chelsea, son 3e match en 7 jours, alors qu’il revenait sur les terrains après une entorse de la cheville gauche. Il s'est entraîné jusque-là à part de l'équipe nationale à Doha.

De ce fait, nous notons que le médecin de l’Équipe de France, le docteur Franck Le Gall, a entrepris une tournée des clubs européens ayant dans leur effectif des joueurs potentiellement sélectionnables par Didier Deschamps, afin de faire le point avec les staffs des équipes avant le rassemblement en sélection et le départ pour le Qatar.

La gestion de la charge de travail lors des transitions entre les clubs et les équipes nationales avant et après la Coupe du Monde sera cruciale. Les clubs et les équipes nationales utilisent une variété de systèmes de suivi de charge externes différents (par exemple les systèmes de positionnement global et le suivi vidéo) et la quantification de cette métrique diffère entre les équipes. Par ailleurs, la littérature scientifique ne fait pas consensus sur les seuils d’accélération et de vitesse en match. Par conséquent, la caractérisation des charges externes variera entre les équipes nationales et les clubs. Compte tenu de ces obstacles, il est essentiel que les équipes nationales et les clubs communiquent étroitement afin de partager des données et des informations sur les systèmes de suivi physique et les différents seuils qu’ils utilisent pour quantifier les charges externes.

Dans les équipes nationales et dans les clubs, des mesures quotidiennes subjectives du bien-être peuvent également être utilisées pour gérer les charges d’entraînement.


Cet article a été co-écrit par Guillaume Ravé, docteur en sciences du sport et préparateur physique au Toulouse Football Club.

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