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Covid-19 et migrations en Afrique : la réduction des mobilités, une riposte efficace ?

Le Burundi a très tôt fermé ses frontières en raison de la pandémie du coronavirus. Des Burundais se lavent les mains à la frontière à l'arrivée de leur rapatriement de la RDC le 1 mars 2020. Onesphore Nibigira / AFP

Cet article a été réalisé dans le cadre de l’initiative Fils d’actualité Covid-19-Migrations (CEPED-MIGRINTER-IC Migrations-Maison française d’Oxford), animés par L. Bacon, T. Lacroix, X. Li, V. Petit, N. Robin et T. Rublon.


Les circulations transnationales constituent l’un des éléments clés de la gestion de la crise du Covid-19 en Afrique.

Dans cet article, nous proposons une analyse cartographique de l’origine des premiers cas détectés dans les pays africains et des enjeux de la fermeture des frontières dans un environnement de fortes mobilités.

Origines des premiers cas de Covid-19 en Afrique

La répartition spatiale de ces mobilités (figure 1) reflète l’historicité et la dynamique des systèmes migratoires auxquels participent les différentes régions du continent africain, et l’ancrage de l’Afrique dans la mondialisation.

Les figures 1 et 2 (cliquez pour les agrandir) représentent l’origine géographique des premiers cas de Covid-19 en Afrique et les motifs de déplacement des personnes diagnostiquées positives.

Tous les premiers cas détectés dans les pays africains partagent une caractéristique commune : il s’agit d’une personne entrée récemment sur le territoire national. Elle a été diagnostiquée soit à l’aéroport, dès son arrivée, soit dans un centre de santé, quelques jours plus tard.

La plupart de ces voyageurs ont été testés positifs après avoir séjourné hors d’Afrique pour des motifs professionnels, familiaux ou religieux. S’y ajoutent des touristes et des résidents étrangers qui se sont déplacés dans le cadre de leur travail.

Peu de premiers cas de Covid-19 résultent d’une transmission intra-africaine. Les quelques exemples répertoriés ont suivi les routes empruntées par les transporteurs routiers et par les commerçants.

Plus modestement, la circulation des personnels des structures nationales de santé et des agences internationales a également participé à la diffusion du virus à l’intérieur de l’Afrique. À Djibouti, deux médecins en provenance d’Égypte ont repris leurs consultations à l’hôpital sans être testés au préalable. En Guinée-Bissau l’un des deux premiers cas est un fonctionnaire des Nations unies venant de la République démocratique du Congo.

Les premiers cas de Covid-19 soulignent également la diversité des mobilités entre pays africains : en Éthiopie, il s’agit d’un Japonais en provenance du Burkina Faso, et au Tchad, d’un citoyen marocain résidant à N’Djamena (Tchad) de retour d’un voyage à Douala (Cameroun).

La complexité des itinéraires suivis par les personnes diagnostiquées positives rend parfois difficile l’identification du lieu de contamination : au Togo, le premier cas de Covid-19 est une commerçante résidant à Lomé, récemment rentrée après avoir séjourné successivement au Bénin, en Allemagne, en France et en Turquie.

En Libye, le patient est entré sur le territoire depuis la Tunisie mais il revenait d’un pèlerinage en Arabie saoudite.

Dans certains pays, plusieurs personnes ont été détectées simultanément, comme au Burundi où les premiers cas sont deux nationaux, revenant respectivement du Rwanda et de Dubaï (Émirats arabes unis).

L’origine des premiers cas de Covid-19 en Afrique rappelle donc la diversité des logiques de mobilité et la pluralité des groupes de population qui les portent sur le continent africain. Ces circulations transnationales, articulées aux mobilités transcontinentales, ont favorisé les échanges avec les principaux foyers de l’épidémie, situés en Asie, en Europe et en Amérique du Nord.

Les migrants, premiers affectés par la fermeture des frontières

Les États africains ont pris des mesures préventives fortes. La Guinée équatoriale est le premier pays africain qui a appliqué ces mesures, dès la détection d’un cas de Covid-19 sur son sol, le 12 mars 2020. Les pays africains les plus touchés par l’épidémie au moment de la fermeture de leurs frontières comptaient moins de 100 cas ; seule l’Égypte approchait les 200 (figure 3). Globalement, plus de la moitié des pays africains ont ordonné la fermeture de leurs frontières alors que moins de dix cas avaient été détectés sur leur territoire. Au total, quinze pays ont pris cette décision avant même la détection d’un premier cas de Covid-19.

À titre de comparaison, des pays occidentaux comme l’Italie, la France et les États-Unis ont pris des mesures similaires lorsque des milliers de cas avaient déjà été détectés sur leur sol.

La réactivité des États africains fut donc exemplaire, d’autant que le contrôle des échanges migratoires constitue un réel défi. En effet, les circulations régionales sont fortement ancrées dans le mode de vie des populations et les migrations transfrontalières facilitées par la perméabilité des frontières terrestres et maritimes. Ainsi, en dix jours (du 16 mars au 26 mars), à l’exception du Liberia, tous les pays membres de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest ont fermé leurs frontières.

Jamais depuis sa création, en 1979, cet espace de libre circulation n’avait connu une telle situation. Ces restrictions ont généré des difficultés, des tensions et des situations dramatiques, en particulier pour les migrants. Ainsi, plus de 2 500 migrants en transit au Niger, au Burkina Faso, au Mali et au Tchad ont été bloqués. Certains ont dû être secourus en plein désert.

Dans la ville de Dakhla (Sahara occidental) de violents affrontements ont eu lieu entre des migrants subsahariens lors des distributions alimentaires. À Arlit, au nord du Niger, une révolte a éclaté dans un camp de migrants en raison des conditions de vie déplorables. Sur les réseaux sociaux, les migrants bloqués en Tunisie, après avoir fui la Libye, ont multiplié les appels à l’aide. « Sans la solidarité des Tunisiens qui sont venus nous faire cadeau d’un peu de nourriture, je serais déjà mort », confie un jeune congolais.

L’épidémie de Covid-19 a également exacerbé les vulnérabilités et les stigmatisations. À Nador (Maroc), les campements des migrants en transit ont été détruits ; à Bamako (Mali), un camp de déplacés a été détruit par un incendie accidentel ; et au Malawi, deux Mozambicains accusés de propager le virus ont été battus à mort.

Le retour des migrants vers leur pays d’origine a également été entravé. [De jeunes Marocains bloqués] dans les villes espagnoles de Sebta et Melilla sont parvenus à rejoindre leur pays en empruntant les voies clandestines utilisées habituellement dans le sens opposé (https://www.bladi.net/sebta-marocains-nage,68248.html).

Pis, des filières de retour clandestines se sont mises en place à partir de l’Espagne pour des immigrants sans papiers qui souhaitaient rentrer au Maroc. La place dans les embarcations se négociait à plus de 5 000 euros, soit cinq fois le même trajet en sens inverse.

Plus au sud, des migrants ouest-africains ont dû attendre plusieurs jours pour franchir la frontière entre le Maroc et la Mauritanie. Des émigrés sénégalais dont trois femmes, en provenance d’Espagne, ont connu la même mésaventure à la frontière entre la Mauritanie et le Sénégal où ils ont été ensuite confinés dans un « centre de santé, fortement surveillé par les forces de sécurité ». Entre le Togo et le Ghana, les contrôles sont appliqués avec la même rigueur. Plusieurs ressortissants ghanéens ont été arrêtés à la frontière. Ils revenaient du Royaume-Uni, des Émirats arabes unis, d’Afrique du Sud ou des États-Unis via l’aéroport de Lomé.

Les mobilités transfrontalières n’ont pas échappé à ces restrictions : 410 pirogues qui assuraient la navette entre le Sénégal et la Mauritanie ont été arraisonnées par les forces de police. Des situations comparables ont été observées sur les voies navigables qui relient le Cameroun au Nigeria. Et l’Afrique du Sud a annoncé la construction d’une clôture de 40 km, le long de la frontière avec le Zimbabwe afin de limiter les échanges quotidiens entre les deux pays.

Les migrations de pêche elles-mêmes ont été perturbées : au Sénégal, les pêcheurs de Yarakh, près de Dakar, et ceux d’Elinkine, en Casamance, se sont opposés au débarquement de leurs collègues venus d’autres pays de la sous-région (Ghana, Guinée Bissau), et habituellement employés par des armateurs sénégalais.

Une mobilité réduite à l’origine grâce une vigilance accrue

L’Afrique est un continent d’intenses mobilités. Au début de l’épidémie, on pouvait donc légitimement craindre une diffusion rapide du Covid-19. Mais, globalement, la vigilance des autorités et la responsabilité des populations ont permis de réduire considérablement les migrations intra-africaines. Dans ce sens, il est significatif que la Côte-d’Ivoire, premier pays d’immigration en Afrique, ne constitue pas aujourd’hui l’un des pays les plus touchés.

L’inégal développement du nombre de cas de Covid-19 sur le continent africain semble donc plus étroitement lié à la réactivité des États après la détection du premier cas Covid-19 sur leur sol et à la gestion interne de l’épidémie (notamment les mesures régulant ou limitant les déplacements entre régions, la fermeture de villes), qu’aux mobilités internationales (« cas importés »).

La fermeture des frontières des pays africains a donc logiquement limité la diffusion du Covid-19 en Afrique. Cette mesure exigeante pour les populations, notamment pour celles vivant des échanges transfrontaliers, peut malgré tout être considérée comme l’une des mesures qui ont participé à éviter, jusqu’à maintenant, le scénario catastrophe initialement annoncé par certains spécialistes et institutions, et repris par les médias.

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