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Covid-19 Museum ou comment agréger les traces laissées par la pandémie dans un musée virtuel

La Covid-19 laisse des traces dans son sillage. Pour faciliter le travail des futurs historiens – et des curieux, un musée numérique est né. Iakov Filimonov, Shutterstock

Qu’est-ce qui relie les dessins d’enfants confinés et les services hospitaliers Covid+, les commerces essentiels et les travailleurs-clés, les discussions sur le Redemsivir et celles sur la Chloroquine, les vaccins et les cours en visioconférence ?

C’est le Covid-19 Museum, une plate-forme de dépôt, de consultation et d’étude, qui agrège des données hétérogènes sur un web distribué, et inclut un moteur de recherches et des ressources de calcul pour les explorer.

Imaginez un « GAFA » en service public, un « Wikipédia » des objets numériques, un lieu virtuel où soient potentiellement rassemblées toutes les données en lien avec l’apparition du SARS-CoV-2. Ce musée numérique du présent retrouverait pour part la vocation du premier Musée, celui d’Alexandrie : il réunirait chercheurs et artistes, curieux et critiques, amateurs et professionnels autour de leurs objets de soin, d’étude et d’étonnement.

« Un musée est une institution permanente sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation. » (Conseil international des musées)

La Covid-19 a-t-elle besoin d’un musée ?

Le 5 avril 2020, alors que l’UNESCO appelait à la préservation des « documents officiels liés au Covid-19 », depuis la mi-mars, j’imaginais le Covid-19 Museum, agrégateur de données sur la Covid-19, en accès libre, respectant les trois principes suivants : données ouvertes, science ouverte, recherche reproductible. Tout objet, qu’il soit scientifique, artistique, littéraire, peut être ouvert (suivant les cas) à la consultation, l’utilisation, la copie et la transformation. La science ouverte, quant à elle, veut rendre les produits de la recherche accessibles et permettre la compréhension des moyens de leur obtention. Finalement la recherche reproductible assure qu’il soit possible de reconstituer le déroulé de la recherche dans un but de vérification des résultats produits. Destiné à la préservation, le Covid-19 Museum pourrait mettre en lien des documents officiels, comme ceux des Archives départementales des Vosges, de la Ville de Paris, du MUCEM ou d’une université, mais aussi de tous documents numériques ou pouvant l’être, incluant les interviews, les plaisanteries partagées, les photographies, les vidéos ou les dessins d’enfants effectués pendant le confinement.

Ces dessins par exemple, déposés sur les étagères virtuelles du Museum, forment alors un corpus mémoriel consultable par tous : lors d’une visite virtuelle par une classe accompagnée de son enseignant, la consultation de ces dessins peut permettre de les commenter et de faciliter la prise de parole sur les expériences vécues par chacun. Il est aussi possible de faire appel à l’intelligence artificielle pour extraire de ces dessins des motifs, récurrents ou exceptionnels, susceptibles d’interprétations par les spécialistes de l’enfance.

À la mi-avril 2020, le New York Times s’interrogeait sur ce que les historiens trouveraient lorsqu’ils se pencheraient rétrospectivement sur la pandémie de la Covid-19.

Un projet de taille

Le nombre d’objets numériques collectés depuis le début de la pandémie, qui nécessiteraient des capacités de la taille d’un Google ou d’un Amazon, rend-il le projet irréaliste ?

Il est en fait possible de s’appuyer sur le concept de « web distribué » pour relier entre elles les milliers de collectes effectuées en France et les centaines de milliers de collectes effectuées à travers le monde. Le Covid-19 Museum agrégera ces collectes, pour devenir à la fois une archive dont les historiens auront besoin, et l’instrument de lecture et d’interprétation de cette archive. Comme un « Wikipédia » des objets liés à la Covid-19, cet outil mis au service de tous, chercheurs, artistes, politiques, journalistes ou grand public, autorisera un regard, qu’il soit microscopique ou macroscopique, sur cette première pandémie de l’ère numérique à paralyser le monde.

Mieux, il contribuera à résoudre deux crises accentuées par la nécessité de gérer la pandémie : celle de la légitimité de la décision politique et celle de la légitimité scientifique de « l’expert ». Devoir porter un masque ou pas, confiner ou pas, fermer les restaurants, ouvrir les supermarchés, autoriser l’école, interdire l’université, vacciner, ne pas se faire vacciner… des décisions délicates, critiquées (comme cela se peut et se doit en démocratie), déterminantes pour le présent et l’avenir de nos sociétés. Le Covid-19 Museum entend faciliter la reconstitution des processus de la prise de décision.


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Laquelle s’appuie entre autres sur la consultation d’experts, qui influencent souvent l’opinion publique par leurs interventions dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Mais que penser quand les experts ne sont pas d’accord entre eux ? Quand les résultats récents ne semblent pas reproductibles, ou les données accessibles, comme dans le cas de l’article sur l’hydrochloroquine du Lancet, revue scientifique de référence, qui a d’abord permis de justifier le retrait de ce traitement, avant d’être dénoncé par cette même revue et de finir barré en rouge du mot : retracted ? Est-ce la limite de l’exercice scientifique ? Ou plutôt, et plus que jamais, la preuve de sa nécessité ?

Le Covid-19 Museum, construit selon le principe de la science reproductible, est un outil au service de la recherche scientifique qui conserve non seulement les données, mais aussi l’usage de ces données. Il permettra aux scientifiques, aux décideurs, aux entrepreneurs, aux journalistes et à tous ceux qui souhaitent l’utiliser, de retracer le cheminement logique d’une étude effectuée sur des données incluses dans le Covid-19 Museum, de l’hypothèse scientifique à sa conclusion.

En effet, le Covid-19 Museum rendra possible de déposer des « preprints », c’est-à-dire une prépublication scientifique avant qu’elle ne soit évaluée (et validée) par les pairs. De plus, l’utilisation de blockchains, qui autorisent le stockage, le partage et le suivi des informations de manière sécurisée, permettra de retrouver, lors d’une demande d’accès pour fouille et extraction de connaissance, la liste des contenus étudiés, le code ayant permis leur étude et la sortie produite – ces informations sur les modalités de consultation devenant à leur tour des données analysables du Covid-19 Museum.

Construire un musée collaboratif et distribué

La construction du Covid-19 Museum repose, en effet, sur trois éléments fondamentaux : le partage efficient et sécurisé des données collectées, l’organisation et la faisabilité des analyses et finalement la restitution des analyses réalisées avec les garanties suffisantes de qualité à leur accès et à leur vérification. Chaque objet y sera intégré avec ses mots-clés ou tags produits par le collecteur. Le Covid-19 Museum assurera de son côté la construction d’un moteur de recherche capable de parcourir les tags pour offrir une recherche efficace dans les objets partagés. Il n’imposera pas d’ontologie commune, mais assurera la traduction entre les ontologies de chacun des acteurs (archives, musées, collectivités territoriales, particuliers…) par son moteur de recherche.

Le Covid-19 Museum veut en effet offrir un modèle de partage respectueux des acteurs des collectes, qui protège à la fois leur propriété intellectuelle et leur muséographie et qui garantisse les niveaux de partage fixés pour chaque objet : consultation simple, consultation et recherche, voire sous licence Creative Commons. Informatiquement, il reposera sur une brique logicielle. Installée sur une archive protégeant une collecte, cette brique permettra le partage des liens sur les objets de la collecte et le partage de leurs tags. Installée sur une « ressource de calcul », par exemple un ordinateur individuel, elle autorisera l’utilisation de cette ressource pour faire de la fouille de données dans l’esprit des projets seti@home ou folding@home, qui utilisent le calcul distribué pour rechercher de la vie intelligente non terrestre dans l’univers ou pour simuler le repliement de protéines pour la recherche médicale.

De même qu’une phrase signifie davantage que l’ensemble des mots qui la constituent, de même le Covid-19 Museum, agrégateur de données, fera-t-il émerger plus, et autre chose, que l’ensemble des données collectées qui le constitueront : des questions, des idées, des solutions, des possibilités. Outil mis au service de la recherche, de la prise de décision politique, de l’art, de la mémoire, de l’entreprise et du public, réalisé par tous et pour tous, il sera un bien commun.

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