Menu Close

Créer un « Mittelstand » à la française ? L’impossible adaptation du modèle allemand

L'entreprise Winterhalter Gastronom GmbH, cas emblématique de firme du Mittelstand allemand. Faircompany.de

En France, les entreprises allemandes de tailles moyenne et intermédiaire, plus connues sous le terme de Mittelstand, font régulièrement l’objet de débats et constituent un ensemble qui est observé avec fascination et envie. Les discussions sur le Mittelstand portent souvent sur le rôle que pourraient jouer les pouvoirs publics français pour favoriser l’émergence d’un tissu de PME et d’ETI comparable à celui existant en Allemagne.

La France qui, traditionnellement, met les grandes entreprises au cœur de sa stratégie économique, politique et sociale ne dispose pas en effet d’un tissu d’entreprises de tailles moyenne et intermédiaire aussi performant que celui de l’Allemagne. Ce sont pourtant ces entreprises qui sont régulièrement considérées comme l’épine dorsale de l’économie allemande.

Il convient tout d’abord de souligner le fait que le concept de Mittelstand ne repose pas sur un critère quantitatif précis. Le Mittelstand inclut tout d’abord les PME au sens statistique, les grandes entreprises familiales, et enfin les « champions cachés », désignant des entreprises peu connues du grand public qui, dans un secteur spécialisé, ont une position de numéro un, deux ou trois sur le marché mondial à l’instar des sociétés Wirtgen et Winterhalter Gastronom.

Pour comprendre le succès du Mittelstand et pour savoir comment on pourrait créer un secteur similaire en France, il convient de regarder les caractéristiques types de ces entreprises et de leur environnement.

L’entreprise du Mittelstand

Le plus souvent, les entreprises du Mittelstand ont une stratégie se concentrant sur une gamme précise de produits et de services dits « de niche ». Dans une gamme étroite, ces entreprises cherchent à développer une production présentant un niveau de qualité extrêmement élevé.

Une autre caractéristique importante de la stratégie de ces entreprises est l’orientation vers le long terme. Grâce à un actionnariat souvent familial et un ratio de capitaux propres relativement élevé (autour de 27 % en moyenne), les entreprises du Mittelstand jouissent d’une réelle indépendance dans leurs décisions stratégiques.

La conception et l’innovation des produits et services sont très souvent fondées sur le développement et l’amélioration de l’existant pour accroître la qualité, la fiabilité, les fonctionnalités des produits, et donc leur valeur pour l’utilisateur. L’innovation est en général plutôt « incrémentale », avec l’objectif affiché d’améliorer en continu les produits.

La commercialisation des produits et services débute parfois dès leur conception, à laquelle participent fournisseurs et clients, mais aussi au travers de salons et expositions.

L’exportation est une chose « naturelle » pour les entreprises du Mittelstand, dont 30 % ont une activité à l’international. Il est fréquent de voir des entreprises nouer des partenariats avec d’autres entreprises allemandes implantées à l’étranger, en vue d’accroître leur capacité d’action.

Le management dans le Mittelstand est fortement influencé par le caractère familial de ces entreprises (la très grande majorité étant des entreprises familiales). Cela implique un certain niveau de paternalisme dans les relations professionnelles, avec la responsabilité du « patron » vis-à-vis de ses employés. Rappelons que le management allemand est en général tourné vers la recherche du consensus, de l’adhésion de tous les acteurs aux décisions à prendre.

Enfin, les entreprises du Mittelstand entretiennent traditionnellement un lien privilégié avec leur « banque-maison » (la Hausbank). Le plus souvent, la banque peut non seulement se référer à des ratios et ratings, mais aussi prendre en compte des facteurs d’ordres personnel, relationnel et organisationnel, et exercer ainsi une véritable activité de banquier.

Les relations entreprises-environnement sociétal

Le dialogue social dans les entreprises allemandes est caractérisé par le niveau élevé de coopération entre la direction et les instances représentatives du personnel. Le dialogue tend en général à la recherche systématique d’un compromis, débouchant sur des solutions acceptables par toutes les parties prenantes.

Rappelons qu’en Allemagne, les syndicats font généralement preuve d’une grande unité d’action et n’agissent pas dans une logique politique ou idéologique, veillant à toujours rechercher des solutions qui concilient les intérêts des salariés et ceux de l’entreprise.

Nombreux sont les entrepreneurs qui participent activement à la vie sociétale et associative de leur commune ou de leur région. Beaucoup d’entreprises du Mittelstand, même parmi les plus grandes, sont toujours localisées dans la petite ville ou dans le village où a commencé leur développement.

Le rôle que jouent les entreprises du Mittelstand en matière de formation professionnelle est extrêmement important. En Allemagne, 80 % des apprentis sont formés dans les entreprises du Mittelstand qui supportent une part importante du coût de cette formation. La formation professionnelle se fait en alternance par cette « formation duale » (Duales Berufsausbildungssystem), associant l’école professionnelle et l’entreprise.

Les entreprises investissent ainsi dans la qualification et les compétences métier de leur personnel de demain. Ceci permet à l’apprenti de s’insérer aisément dans le monde de travail.

La formation duale permet aussi de transmettre l’amour du « travail bien fait ». Ce souci de la qualité constitue un véritable avantage compétitif et joue pour beaucoup dans la bonne réputation dont jouissent les produits allemands.

L’environnement politique

En Allemagne, la politique fiscale pour les entreprises repose sur un principe de neutralité ; celle-ci n’est donc a priori pas un instrument majeur au service de la politique industrielle. La fiscalité applicable à une entreprise ne dépend pas de sa taille, mais de sa forme juridique. Le fait qu’une entreprise appartienne ou non au Mittelstand est donc sans effet sur sa fiscalité.

Les entreprises du Mittelstand peuvent prétendre à une multitude d’aides et de subventions, comme celles orientées vers la formation, la recherche appliquée et le transfert de technologie, qui existent surtout au niveau régional ou local, mais ils ne les réclament pas systématiquement car ils appréhendent la lourdeur administrative.

Un système complexe et indépendant qui est à l’origine de sons succès

Face à ces multiples aspects caractérisant le Mittelstand allemand, il est bien difficile d’identifier ceux qui contribuent le plus à sa réussite et qu’il faudrait mettre en place en France afin de pouvoir créer un Mittelstand similaire.

En fait, c’est plutôt le système de l’ensemble de ces éléments qui est à l’origine de son succès. Il s’agit d’un système complexe, étroitement dépendant de l’organisation politique, géographique, sociale et éducative du pays, dont les différents éléments constitutifs sont étroitement liés et quasi-indissociables. Les principaux atouts et forces des entreprises du Mittelstand ne peuvent s’épanouir que dans cet entrelacement de différentes dimensions. Cela procure une forte stabilité au système, mais montre aussi clairement l’impossibilité de le transposer tel quel dans un autre pays comme la France, doté de structures nécessairement différentes.

La France possède également des entreprises de taille moyenne ou intermédiaire qui ont beaucoup de succès sur les marchés mondiaux. En même temps, des entreprises du Mittelstand allemand peuvent aussi connaître des difficultés, ce ne sont pas des « entreprises miracles ».

Les politiques menées en France pour soutenir les TPE, PME et ETI vont certainement dans le bon sens, mais les caractéristiques économiques, technologiques, politiques, sociétales et managériales sont très éloignées de l’Allemagne. Ce n’est donc pas un objectif réaliste de pouvoir créer un Mittelstand à la française avec le seul volontarisme politique.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 180,900 academics and researchers from 4,919 institutions.

Register now