Menu Close
Comment se partager l'eau lorsqu'elle se fait plus rare ? Shutterstock

Crises de l’eau : comment gérer les conflits d’usage ?

Après plusieurs étés caniculaires, le président de la République annonçait le 30 mars 2023 un « Plan Eau ». Celui-ci vise à garantir la sobriété de tous les usages et à réduire de 10 % les prélèvements sur la ressource d’ici 2030. Concrètement, la mise en œuvre de ce plan d’action s’organise autour de 5 axes stratégiques : organiser la sobriété des usages de l’eau pour tous les acteurs, optimiser la disponibilité de la ressource, préserver la qualité de l’eau, être capable de mieux répondre aux crises de sécheresse et mettre en place les moyens d’atteindre ces ambitions.

Les quatre premiers axes nécessitent de nombreux investissements : 15 milliards d’euros seraient nécessaires pour moderniser les installations, remplacer les canalisations et accroître la digitalisation des relevés et des factures d’eau. À cela s’ajoute l’évolution de la réglementation sur la qualité et le traitement de l’eau qui pourrait conduire à doubler le montant des investissements. Il faut aussi composer avec la hausse du coût de l’énergie et des charges d’exploitation.

Pour assurer la mise en place et la pérennité des investissements, le cinquième axe stratégique doit permettre de débloquer les moyens financiers face aux capacités d’autofinancement limitées des exploitants. Or, plusieurs acteurs du secteur tirent la sonnette d’alarme.

Faire plus avec moins

La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, ainsi que la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau soulignent que les efforts nécessaires de sobriété, en réponse à la sécheresse historique de 2023, ont engendré une diminution des volumes consommés de l’ordre de 3 à 4 %. Si cette diminution paraît positive au regard de l’objectif de préservation de la ressource, elle engendre également pour les exploitants et collectivités une réduction significative de leurs recettes.

[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]

Les inquiétudes sont aussi liées à l’abandon, par le gouvernement d’Élisabeth Borne, de l’augmentation de la redevance sur les pollutions diffuses, perçue sur la vente de pesticides, et celle sur les prélèvements d’eau pour les cultures irriguées. Bien que compréhensible au regard des charges qui acculent déjà un secteur agricole sous pression, la suppression de ces hausses de redevances n’est pas sans conséquences sur le financement du Plan Eau.

La première devait initialement rapporter 37 millions d’euros de recettes supplémentaires aux Agences de l’eau pour le financement du traitement des eaux, la seconde 10 millions d’euros. En contrepartie de cette perte financière, une contribution exceptionnelle de 100 millions d’euros à destination du Plan Eau était prévue, au travers du versement d’une redevance par EDF pour le refroidissement en eau de ses centrales nucléaires. Ici aussi, la possibilité pour les Agences de l’Eau de toucher les sommes promises semble de plus en plus incertaine.

Dans ce contexte, une hausse généralisée des factures d’eau pour les citoyens n’est pas à exclure pour réussir à financer l’adaptation des réseaux aux enjeux du changement climatique.

Des risques de conflits d’usages

La nécessité d’une consommation raisonnée de la ressource en eau vient aujourd’hui remettre en question le principe de « l’eau paie l’eau » : les recettes issues de la facture d’eau financent à plus de 80 % la gestion et l’exploitation des services. Si le modèle économique actuel du secteur montre ses limites par rapport à son incidence sur le prix de l’eau pour les ménages, il pose aussi des problèmes d’acceptation sociale dans un environnement où la demande va devoir s’adapter à la disponibilité de la ressource.

À l’heure actuelle, les prérogatives du Plan Eau prévoient une diminution de la consommation d’eau des particuliers et des industriels de l’ordre de 10 % à l’horizon 2030, mais pas pour le secteur agricole ou énergétique (refroidissement des centrales nucléaires). Or, à l’échelle nationale, 62 % des consommations d’eau proviennent de l’irrigation des terres agricoles et 14 % de l’énergie. Cette priorité accordée au secteur agricole est à l’origine des violences de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, au printemps 2023. Les « réserves de substitution » ou « méga-bassines » visent à pomper l’eau des nappes phréatiques pour la stocker en vue de l’irrigation estivale des cultures. Indispensable pour une agriculture intensive en période de sécheresse, ce procédé est décrié en partie pour l’accaparement de la ressource qu’il engendre au profit du secteur agro-industriel.

Face à ces protestations et à un prix de l’eau en constante augmentation, les opérateurs principaux locaux – les collectivités et exploitants des réseaux – se trouvent en difficulté. Comment gèrent-ils les attentes contradictoires des différents usagers de l’eau potable ?

Penser globalement la gestion

Une des solutions aux paradoxes économique et budgétaire du secteur, mais aussi aux conflits d’usages induits par la raréfaction de la ressource, est la mise en place de systèmes de pilotage de l’eau sous la forme de « package ». Les recherches en sciences de gestion désignent par « package » un ensemble de systèmes et d’outils de gestion introduits par différents groupes d’acteurs et à des moments différents. Ils génèrent souvent incohérence organisationnelle, lourdeur administrative et incompréhension des agents et des usagers s’il n’est pas pensé globalement.

Notre étude récente s’est penchée sur le processus de création de l’un de ces packages au sein d’une régie d’eau. Celui-ci se compose de cinq catégories d’outils :

  • une convention d’objectifs pour déterminer les principaux objectifs stratégiques de la régie ;

  • un rapport trimestriel pour opérationnaliser la liste d’indicateurs de performance de la convention d’objectifs et faciliter le transfert d’information entre la régie et la collectivité ;

  • un accord d’intéressement pour renforcer la cohésion du personnel et le travail de l’ensemble des agents dans une direction commune ;

  • des tableaux de bord spécifiques opérationnels pour consolider l’expertise technique des services de la régie ;

  • un tableau de bord transversal pour synthétiser les principaux objectifs stratégiques de la régie mentionnés dans la convention d’objectifs.

Une telle variété d’outils au sein du package, mis en place sur plus de 3 ans et portés par un large panel d’acteurs, traduit une volonté d’améliorer plusieurs aspects de la performance.

Un des avantages offerts par la création d’un tel package est la possibilité de renforcer la place du développement durable dans le pilotage de la régie. Le développement durable est tout d’abord présent dans les outils de pilotage stratégique. La convention d’objectifs comprend un suivi du rendement du réseau d’eau potable ou encore du taux de pertes d’eau par branchement. Un tableau de bord transversal inclut une catégorie d’indicateurs environnementaux. Le développement durable est aussi présent dans les outils de pilotage opérationnel avec un rapport trimestriel qui comprend une catégorie spécifique à la protection de la ressource, un tableau de bord spécifique à destination du service exploitation où figure un suivi de la qualité bactériologique et chimique de l’eau ou encore du pourcentage annuel de réseau ayant fait l’objet d’une recherche de fuites.

Dans le cas étudié, c’est la forme du système de contrôle pensé comme un « package » global cohérent qui permet à la fois de répondre aux attentes contradictoires des différents acteurs tout en les réunissant autour d’une thématique transversale qui traverse les frontières de leurs structures organisationnelles de rattachement : la préservation de la ressource en eau. Si pour certains spécialistes des packages la cohérence effective des systèmes de contrôle est peu probable, il dispose d’un potentiel important de réduction des conflits. Son expérimentation doit encore être poursuivie pour en tester son efficacité.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 189,900 academics and researchers from 5,046 institutions.

Register now