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CRISPR : un prix Nobel pour une révolution en biologie

CRISPR-Cas9 : un outil de manipulation génétique. NIH Image Gallery / Flickr, CC BY-SA

L’Académie royale des sciences de Suède a décerné le prix Nobel de chimie 2020 à la Française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer Doudna, pour leurs travaux sur le développement d’une méthode d’édition du génome.

Le système CRISPR-Cas est un mécanisme de défense pour la plupart des microorganismes unicellulaires tels que les bactéries : il confère une résistance aux éléments génétiques étrangers provenant de plasmides (morceaux d’ADN qui peuvent se transmettre par transfert, de cellule en cellule) et de bactériophages (virus n’infectant que des bactéries), et fournit une forme d’immunité acquise.

Emmanuelle Charpentier (aujourd’hui directrice de l’Institut Max Planck pour la biologie des infections à Berlin, Allemagne) et Jennifer Doudna (professeure à l’Université de Californie, Berkeley, États-Unis) ont joué un rôle crucial en montrant comment ce système peut être utilisé pour cibler des séquences précises d’ADN.

Comme la plupart des avancées de la science moderne, la découverte de CRISPR et son émergence en tant que méthode d’édition du génome impliquent un grand nombre de chercheurs.

Avant les lauréates, d’autres pionniers

En 1987, Yoshizumi Ishino et ses collègues ont été les premiers à remarquer, dans le génome des bactériés E. coli, des groupes de séquences répétées interrompues par de courtes séquences (ce qui est inhabituel). Francisco Mojica et ses collègues ont montré que des structures similaires étaient présentes dans d’autres organismes et ont proposé de les appeler CRISPR, pour clustered regularly interspaced short palindromic repeats.

En 2005, Mojica et d’autres groupes ont rapporté que les courtes séquences (« spacers ») qui séparent ces répétitions sont dérivées de l’ADN viral.

Kira Makarova, Eugene Koonin et leurs collègues ont proposé que CRISPR et les gènes Cas associés agissent comme un mécanisme immunitaire, ce qui a été confirmé expérimentalement par Rodolphe Barrangou et ses collègues en 2007. Le système CRISPR est responsable de l’acquisition et de l’insertion des « spacers », qui sont ensuite utilisés par le mécanisme de défense.

Un système programmable

L’un des gènes associés à CRISPR, Cas9, code pour une protéine qui « coupe » l’ADN. C’est le bras armé du mécanisme immunitaire. En 2012, Charpentier et Doudna ont montré de manière cruciale que les « spacers » sont utilisés dans le cadre d’une structure à deux ARN qui dirige Cas9 pour faire une « coupe » à la séquence que ces « spacers » représentent. Elles ont également montré que cette structure pouvait être conçue comme un guide « ARN guide » unique, et qu’en manipulant la séquence de cet ARN guide, le système Cas9 artificiel pouvait être programmé pour cibler n’importe quelle séquence d’ADN in vitro.

En 2013, des groupes dirigés par Feng Zhang et par George Church ont rapporté pour la première fois l’utilisation du système CRISPR-Cas9 pour l’édition du génome dans des cultures de cellules humaines. Le système a depuis été utilisé dans d’innombrables organismes, de la levure aux vaches, aux plantes et aux coraux, et est devenu l’outil génétique privilégié par des milliers de chercheurs.

Une révolution technique avec des applications infinies

Les humains modifient le génome des espèces depuis des milliers d’années. Initialement, c’était par sélection artificielle, puis par mutation. Le génie génétique, qui consiste à manipuler directement l’ADN en dehors de la reproduction et des mutations, existe depuis les années 1970. Une bactérie est modifiée en 1973, une souris en 1974, et de l’insuline humaine est produite artificiellement par des bactéries dès 1978.

Cependant, les systèmes basés sur CRISPR ont fondamentalement changé le domaine car ils permettent de modifier les génomes in vivo avec une précision extrêmement élevée, à moindre coût et avec facilité. Il y a maintenant des milliers d’articles scientifiques publiés chaque année sur diverses applications de CRISPR. Doudna et Charpentier sont récompensées pour leur rôle clé dans cette révolution.

CRISPR est un outil révolutionnaire pour la recherche fondamentale, mais il change aussi déjà le monde dans lequel nous vivons.

Des essais cliniques sont en cours sur l’utilisation de CRISPR pour des troubles sanguins tels que la drépanocytose ou la bêta-thalassémie, et pour l’immunothérapie anticancéreuse. Dans chaque cas, des cellules sont prélevées sur les patients, modifiées, et réintroduites. Un pas supplémentaire a été franchi en mars de cette année dans le cadre du traitement de la cause la plus fréquente de cécité infantile héréditaire (amaurose congénitale de Leber) : le système CRISPR a été injecté directement dans l’œil d’un patient, près des cellules photoréceptrices.

L’édition génomique a aussi un fort potentiel dans la production alimentaire. Elle peut être utilisée pour l’amélioration des cultures (rendement, qualité, résistance aux maladies, résistance aux herbicides). Elle a également des applications pour le bétail, où elle peut conduire à de meilleures caractéristiques de production, une meilleure résistance aux maladies et un bien-être animal accru (en éliminant par exemple le recours à des pratiques telles que l’écornage).

Un certain nombre de défis subsistent. Certains sont d’ordre technique, comme le risque de modifications hors cible.


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D’autres sont sociétaux. CRISPR a été utilisé dans l’une des expériences les plus controversées de ces dernières années, avec la tentative de He Jiankui d’utiliser la technologie CRISPR pour modifier les embryons humains et les rendre résistants au VIH, qui a conduit à la naissance des jumelles Lulu et Nana. Nous avons besoin d’une discussion large et inclusive sur la réglementation de ces technologies dans une gamme d’applications.


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Le prix Nobel rend hommage à deux femmes pour leur contribution essentielle dans ce domaine, mais ce n’est que le début des avancées et des changements que va engendrer CRISPR.

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