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Crowdfunding : les nouveaux pouvoirs du consommateur

Le financement participatif est aujourd’hui mobilisé dans quasiment tous les secteurs d’activité. Billion Photos / Shutterstock

Cette contribution est tirée de l’article de recherche « A principal–agent perspective on consumer co-production : Crowdfunding and the redefinition of consumer power », publié dans la revue Technological Forecasting and Social Change, Chaney, D. (2018).


Le crowdfunding est un moyen de financement nouveau pour les entreprises et les porteurs de projets. Contrairement aux moyens traditionnels de financement, qui consistent à faire appel à un petit nombre de grands investisseurs (des banques par exemple), le financement participatif consiste à faire appel à un grand nombre de petits investisseurs (la foule de consommateurs). Si le crowdfunding est un terme relativement nouveau, le financement participatif, qui consiste à faire financer un achat par plusieurs personnes, est en réalité une pratique beaucoup plus ancienne. L’Histoire est d’ailleurs jalonnée d’exemples marquants. Ainsi, dès 1875, la construction de la Statue de la Liberté est financée par un appel aux particuliers. Par divers moyens (loteries, spectacles, etc.), cette campagne a permis de récolter plus de 400 000 francs auprès de 100 000 personnes.

Dans sa médiatisation auprès du grand public, le financement participatif a connu une évolution importante lorsque le réalisateur de cinéma américain John Cassavetes demanda en 1958 que chaque auditeur d’une radio à laquelle il donnait une interview lui envoie 1 dollar. Il arguait notamment les difficultés à faire un film totalement indépendant compte tenu des contraintes commerciales qu’on lui imposait. Le lendemain, il reçut 2 000 dollars qui lui permettront de tourner Shadows.

La bande-annonce du film Shadows dont le tournage a été rendu possible par le financement participatif, en 1958.

180 millions de dollars collectés en une campagne

Le crowdfunding tel qu’il est connu aujourd’hui date de la fin des années 2000 avec l’apparition des plates-formes Indiegogo et Kickstarter qui vont organiser le financement participatif à grande échelle par le biais d’Internet.

La glacière Coolest Cooler, disponible sur le marché grâce aux fonds levés auprès des consommateurs. Coolest.com

Ces plates-formes ont alors permis de financer une grande quantité de projets innovants comme la montre connectée Pebble, les bouchons auditifs intelligents Hush, la glacière haut de gamme Coolest Cooler ou encore l’imprimante 3D Form1. À ce jour, le plus gros succès grand public du crowdfunding inscrit au Guinness Book des Records est le jeu vidéo « Star-Citizen » qui a collecté depuis 2012 plus de 180 millions de dollars auprès de 2 millions d’internautes. Le financement participatif est aujourd’hui mobilisé dans quasiment tous les secteurs d’activité : de la culture à l’immobilier, de la science à l’éducation en passant par la mode ou la gastronomie.

Ce qu’il y a de très particulier dans le crowdfunding, c’est le pouvoir qu’il confère aux consommateurs. En effet, ce sont eux qui sont à l’origine du produit. Sans ces derniers, le projet imaginé par l’entrepreneur ne verra jamais le jour. Ils bénéficient donc d’un poids nouveau dans la société de consommation.

Le triple pouvoir du consommateur

Plus spécifiquement, le crowdfunding apporte trois types de pouvoir aux consommateurs que les entreprises doivent gérer. Tout d’abord, le consommateur bénéficie d’un pouvoir financier. En effet, si le financement participatif est une solution alternative pour les entreprises en quête de financement, ces dernières se placent dans une situation de dépendance vis-à-vis des consommateurs. Ils deviennent alors les gardiens de l’entrée sur le marché : ce sont eux qui, collectivement, vont décider des produits qui auront le droit d’être commercialisés.

Ensuite, le crowdfunding a donné un pouvoir créatif aux consommateurs. Pour les entreprises, le financement participatif est un test grandeur nature : si la campagne de financement en ligne est un succès, cela peut être interprété comme un signal positif sur le potentiel commercial du futur produit. Mais en exposant leur projet aux consommateurs et en leur demandant de l’approuver, les entreprises offrent aux consommateurs la possibilité d’influencer l’orientation créative du projet. Parce qu’ils participent au financement du projet, à l’instar des actionnaires, les consommateurs peuvent revendiquer un pouvoir de décision créatif et demander ainsi à l’entreprise de modifier son projet initial.

Enfin, le crowdfunding offre un pouvoir d’ordre relationnel au consommateur. Pour les entreprises, le financement participatif est l’occasion de créer et de faire vivre une communauté de supporters en ligne. Le crowdfunding génère donc une relation ambiguë avec les individus. En effet, les entreprises et les porteurs de projets se placent dans une situation de dépendance, ce qui peut leur donner l’impression de mendier et, d’une certaine façon, de se rabaisser. En conséquence, le crowdfunding modifie la relation entreprise-consommateurs, au moins au début de la relation.

Les consommateurs imagineront-ils les produits de demain ?

Alors n’est-on pas finalement en train d’assister à une nouvelle répartition du pouvoir ? Pendant très longtemps, le marketing a en effet considéré le consommateur comme un simple receveur d’une offre imaginée par l’entreprise seule. Mais dans le cas du crowdfunding, le raisonnement n’est-il pas en train de s’inverser ? Ne pourrait-on pas considérer que, dans le cas du financement participatif, ce sont les consommateurs qui imaginent les produits qu’ils veulent voir sur le marché et qu’ils utilisent les entreprises et entrepreneurs à leur disposition pour les développer ? De ce point de vue, le crowdfunding participerait au développement d’une société plus démocratique.

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