À quelques années d’écart, le dirigeant de Danone et celui de Nestlé ont été remerciés. Cela vient rappeler qu’une entreprise doit d’abord satisfaire ses clients et ses actionnaires (si elle est privée). En l’oubliant, les cours des groupes helvète et français ont été bousculés et les dirigeants priés d’aller voir ailleurs.
Deux grandes entreprises du secteur agroalimentaire, Danone et Nestlé, ont récemment fait l’objet d’un changement de direction qui remet en question leur management. Dans les deux cas, on retrouve la même pression des marchés financiers insatisfaits de leurs performances. Ces deux grandes entreprises se croyaient à l’abri. Et pourtant la dure loi des clients est venue leur rappeler que pour une entreprise privée la satisfaction des clients est leur première mission. Dans la foulée, leurs administrateurs ont décidé de ne pas renouveler les mandats de leurs PDG.
Danone ou les désillusions de l’entreprise à mission
La nouvelle est tombée le 23 novembre 2020, entre 1 500 et 2 000 postes seront supprimés chez Danone, dont près de 400 en France. L’annonce faite par son PDG, Emmanuel Faber, est tombée comme un couperet. Elle s’inscrit dans un plan d’adaptation tracé par le patron du groupe d’agroalimentaire français, soucieux de renouer avec la croissance et la rentabilité.
Comme nous l’écrivions, « l’enjeu pour Danone est de retrouver la confiance des actionnaires, alors que l’action Danone a perdu plus d’un quart de sa valeur en 2020. C’est d’ailleurs lors d’une réunion d’investisseurs, organisée de manière impromptue, qu’il a dévoilé un peu plus sa stratégie et livré des objectifs chiffrés ».
Une baisse d’un milliard des ventes
Mais ce retour aux fondamentaux du PDG de Danone ne lui aura pas permis de sauver son fauteuil. Le 14 mars 2021, Emmanuel Faber, a été démis de ses fonctions à la majorité des voix des administrateurs. Ainsi, le patron emblématique du CAC 40 a dû s’incliner devant la contre-performance du groupe depuis la pandémie du COVID-19. Avec un titre en chute de 25 % en 2020 et des ventes en baisse d’un milliard d’euros à cause de la crise sanitaire. Bref, les clients et les investisseurs ont eu raison de ce patron fervent militant de l’entreprise à mission.
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Tant que la rentabilité était là, et même si ses leçons de morales avaient tendance à irriter les milieux économiques, Emmanuel Faber pouvait s’adonner à sa passion de l’entreprise socialement responsable. Mais voilà, toute entreprise privée doit surtout penser à ses clients et à ses actionnaires. Ces derniers sont exigeants. Bref, le mythe de la gentille entreprise à mission a pris du plomb dans l’aile.
La mission : redresser les marges
Le successeur d’Emmanuel Faber, Antoine de Saint-Affrique, occupe la fonction de directeur général de Danone depuis septembre 2021 et administrateur depuis avril 2022. Son parcours est classique pour une grande multinationale : précédemment, il a occupé le poste de directeur général de Barry Callebaut d’octobre 2015 à septembre 2021. De septembre 2011 à septembre 2015, il a été président d’Unilever Foods et membre du comité exécutif du groupe Unilever.
Sa mission chez Danone est clairement de redresser les marges et le chiffre d’affaires du groupe tout en reprenant les ambitions de ses prédécesseurs dans la santé : produits sains, nutrition médicale et infantile. Ceci étant cet élan retrouvé dans les rangs du groupe peine toutefois à se concrétiser sur les marchés financiers. La normalisation n’a pas encore donné tous les résultats escomptés. Le graphique 1 montre le retard de l’action Danone (en bleu) sur le CAC 40 (en rouge) sur les 5 dernières années.
**L’action Danone comparée au CAC 40 sur 5 ans (2019-2024)
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Nestlé ou la reconquête des clients
Mark Schneider, qui, depuis sept ans, était à la tête du géant de l’agroalimentaire Nestlé a lui aussi été démis de ses fonctions. Il va donc passer la main, début septembre 2024, à Laurent Freixe, qui a dirigé la zone Europe, puis la zone Amérique du groupe, pendant de nombreuses années. Ici encore, on retrouve la sous-performance boursière de l’action par rapport aux indices. Le graphique 2 montre cette sous-performance de l’action Nestlé par rapport aux grandes valeurs suisses.
Depuis janvier 2022, le titre sous-performe de 27,5 points les grandes valeurs helvétiques. Deutsche Bank observe que le statut boursier du titre s’est détérioré par rapport à son secteur européen.****
**L’action Nestlé comparée aux grandes valeurs suisses
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Pour Nestlé comme pour Danone, le redressement passe par la reconquête des clients. Cela sera d’autant plus difficile que le géant suisse est accusé de comportements peu éthiques comme de vendre dans les pays du Sud des aliments trop sucrés pour les bébés. Ou d’avoir vendu des pizzas contaminées sous la marque Buittoni. Il fait aussi face à un scandale sanitaire sur ses bouteilles d’eau minérale. Bref, l’image du groupe a été bien écornée.
La santé c’est bon pour la Bourse
Suite à la publication d’un article du Financial Times rapportant que la majorité de ses produits n’obtiennent pas un score suffisant pour être jugés bons pour la santé dans le système de notation australien semblable au Nutriscore français, le groupe s’est engagé à modifier sa stratégie. Nestlé promet, par exemple, de réduire la quantité de sel et le nombre de calories dans ses produits et d’accroître la valeur nutritionnelle des aliments, grâce à des investissements importants dans la recherche et développement. Il est intéressant de noter que c’est in fine la pression des marchés financiers qui va conduire ce géant de l’agroalimentaire à adopter un comportement plus responsable pour retrouver la confiance de ses clients.
Danone comme Nestlé doivent se transformer pour satisfaire la demande de leurs clients et améliorer leurs performances financières. Ce faisant, ces deux grandes entreprises doivent retrouver les fondamentaux de toute entreprise privée sur un marché concurrentiel. Leur taille n’est pas une garantie de survie. Loin de leur communication sociétale plus ou moins sincère et de leur superbe, il leur faut retrouver tout simplement la confiance de leurs clients et de leurs actionnaires : business as usual.