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Dans les années folles, une mode féminine encore très corsetée

Tamara de Lempicka, Jeune Fille en vert (détail), 1927-1930, huile sur contreplaqué, collection du Musée national d'Art moderne, Paris. Jean-Pierre Dalbéra / Flickr

Inspirées par la lingerie des XVIIIe et XIXe siècles chez Alexander McQueen ou par la garde-robe de Frida Kahlo chez Jean-Paul Gaultier, bon nombre de grandes figures de la haute couture se sont emparées du corset au cours des dernières décennies. Régulièrement, la presse spécialisée se plaît à annoncer son retour dans les garde-robes modernes où il est souvent présenté comme une pièce du vestiaire d’une féminité exacerbée, libre et assumée.

Pourtant, il y a cent ans, dans les années 1920, le corset semblait s’éloigner des silhouettes à la mode. L’accès des femmes au travail et de nouvelles habitudes de vie, moins codifiées, transforment le vestiaire féminin au lendemain de la Première Guerre mondiale.

La journée, on constate la persistance d’une ligne droite et éloignée du corps, un attrait pour le sportswear et les formes offrant une plus grande liberté de mouvement. Dès le XIXe siècle, l’essor des stations balnéaires où l’on tolère une garde-robe moins conventionnelle et plus confortable séduit les classes bourgeoises. Les travailleuses, quant à elles, apprécient de libérer leur démarche et leurs gestes par des coupes plus courtes et leurs formes par des vêtements moins près du corps.

Louise Brooks par Russell Ball, dans les années 1920. Wikimedia

Le soir néanmoins, la sophistication reste de mise. Les robes raccourcies et décolletées dans le dos sont embellies de perles, sequins et broderies brillantes pour les sorties mondaines et les soirées dansantes. Ce rejet des conventions anciennes, vestimentaires et morales, notamment par les jeunes femmes, est cristallisé par la figure transgressive de la garçonne.

En plus d’un corps virilisé, dont les épaules et les hanches doivent désormais sembler alignées, les magazines mettent en avant la nouvelle mode des cheveux courts, en apparence plus simple d’entretien. Cette épure vestimentaire, associée à un corps plus largement dévoilé, signifierait donc l’abandon du dessous roi depuis plusieurs siècles : le corset.

Une allure de jeune garçon

La presse spécialisée a souvent recours au vocabulaire de l’enfance pour désigner la nouvelle allure androgyne). On parle ainsi volontiers de « silhouette de jeune garçon » ou encore de « chevelure d’éphèbe ». Le corps fait l’objet de toutes les attentions : activités sportives, massages, rituels de beauté à pratiquer chez soi ou en salons et régimes drastiques sont vantés.

Pour celles qui souhaiteraient des méthodes plus rapides, de nombreux conseils nutritionnels et des publicités pour des coupe-faim sont proposés au sein des pages des revues. Pour les femmes dont les formes perdurent, le corset ou la gaine présentent l’avantage de minimiser les hanches ou la poitrine. Des bandages en tout genre permettent aussi d’amincir cous, seins et chevilles. Rappelons aussi que pour les femmes venant des milieux populaires, l’accès à ces salons de beauté est coûteux et chronophage. Quant aux produits de régime, ils représentent un achat régulier qu’elles ne peuvent se permettre. Pour les convaincre, des publicités proposent des coupe-faim dont les mérites sont à la fois de nourrir et de faire économiser de l’argent sur les repas !

Ainsi, l’acquisition d’une pièce de lingerie, par l’intermédiaire des grands magasins ou de la vente par correspondance, est un investissement moins important et plus durable. Le corset continue donc d’être la solution miracle pour obtenir dans l’instant une silhouette de jeune fille moderne, mince et galbée, valorisée tout au long de la décennie. Le temps de la libération n’est donc pas encore venu !

Le corset, symbole d’une morale conservée

Les formes de contraintes pour le haut de l’anatomie féminine ont porté des noms différents au fil du temps : corps, corps piqué, corps à baleines ou corset.

La discipline corporelle des apparences, matérialisée par le port du corset, symbolise la droiture de l’esprit et de l’âme et est avant tout défendue par les milieux aristocratiques puis bourgeois. Enlever le corset, c’est faire preuve d’une très grande liberté de mœurs. Le comte Mercy-Argentau, ambassadeur d’Autriche en France, écrivait en effet régulièrement à l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche qu’il fallait absolument que sa fille, Marie-Antoinette se résolve à mettre « le grand corps » car il comptait parmi les « moyens très utiles pour plaire au roi et à M. le dauphin ».

Après la Révolution, une grande figure des Merveilleuses, Madame Tallien, choque ses comparses en affirmant ne jamais avoir porté de corset. La jeunesse et la tenue de sa poitrine étaient selon ses dires, dues à des bains de fraises et de framboises écrasées. Presque deux siècles plus tard, c’est le même choc lorsque des militantes féministes brûlent leurs soutiens-gorge à l’occasion de l’élection de Miss America 1969.

Madame Tallien par François Gérard, 1804, musée Carnavalet.

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Dans les années 1920, un changement important s’opère. Les magazines de mode tels Vogue et Art, Goût, Beauté, ou les revues pratiques diffusant des patrons de couture, destinés aux femmes de milieux plus modestes, sont bien moins enclins que les magazines plus luxueux à faire disparaître le corset de leurs pages. Dans ces titres hebdomadaires plus modestes, la place accordée aux pièces de corseterie est plus importante. Ces nouvelles habitudes liées à la liberté des mœurs se diffusent donc un peu plus lentement au sein des classes populaires.

Par la valorisation d’un corps mince d’adolescente, les femmes modernes nient les attributs habituellement associés à la maternité : la poitrine doit être amenuisée, les hanches et la taille désormais alignées comme sur un corps masculin. Si la minceur est prônée, la maigreur, elle, fait peur, renvoyant aux pratiques malthusiennes, dont plusieurs lois réaffirment l’interdiction au début des années 1920. Un corps trop maigre renvoie dans l’imaginaire collectif de l’époque, à un corps incapable de porter la vie, les attributs de la maternité en étant gommés.


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Les revues les plus traditionnelles s’adressant davantage à des mères de famille, les valeurs du foyer traditionnelles y restent encore majoritairement vantées et rendent compte des nouveaux conflits entre générations.

Corset-gaine vers 1927. Wikimedia

Dans tous les journaux et magazines de mode, l’idéal de la jeune fille est érigé en modèle vestimentaire et corporel. Ce sont désormais les plus âgées qui prennent pour canon de beauté les plus jeunes et non plus l’inverse. Le corps des femmes doit rester le plus longtemps possible jeune et tonique et cela doit en plus paraître le plus naturel possible. La plupart des femmes continuent de porter des dessous contraignants : corsets, corselets, brassières et surtout le corset-gaine. Celles qui osent les enlever matérialisent ainsi un désaccord entre les grands-mères, les mères et les filles. Les revues rappellent que ne pas porter le corset, même en étant jeune et très mince, c’est prendre le risque de perdre en élégance et en chic. Celles qui l’enlèvent commettent un faux pas et se donnent ainsi une allure bien trop négligée. Le célèbre et luxueux magazine Art, Goût, beauté qualifie d’ailleurs le corset de « correcteur et défenseur du corps » en janvier 1926.

De nombreux articles mentionnent néanmoins que la plupart des femmes ne veulent désormais plus mettre de corsets, alors comment faire pour contenter les modernes ? Dans le numéro du luxueux magazine Art, Goût, Beauté du 1er janvier 1926, il est dit que « les femmes ne veulent plus de la contrainte du corset ».

Le nouveau corset

Le discours de mode peut se révéler bien ambivalent, et ce parfois au sein du même magazine. Si le corset est souvent jugé démodé et réservé aux grands-mères et aux mères, l’allure moderne nécessite de gommer tous les attributs de l’« ancienne » féminité. La « ligne simple » comme on la surnomme alors, exige de nouvelles pièces de lingerie plus adaptées au raccourcissement des jupes et à la valorisation de ce corps jeune à la poitrine et aux hanches amoindries. Ainsi, certains articles et publicités vantent les avantages du « nouveau corset ». Les noms et les formes sont très variées : ceintures-maillots, corsets-gaines mais aussi corsets assumés figurent au sein des pages.

Vogue France – Juin 1925. Gallica (BNF)

Mais les exigences sont neuves. Le nouveau corset doit à la fois garantir à celle qui l’utilise une silhouette droite, aux formes gommées comme le veut la mode du temps, tout en apportant confort et souplesse pour les activités sportives. Sur toutes les publicités, des médecins signent de petites critiques bien formulées, chargées de convaincre les lectrices des bienfaits de ces nouvelles pièces. La ceinture réductive de Madame X promet ainsi la réduction d’au moins six centimètres de tour de taille ou de hanches en une semaine.

Pour le sport ou encore la conduite automobile, on leur conseille de recourir à de « simples ceintures de caoutchouc », emprisonnant néanmoins la taille et les hanches, voire les cuisses. Quant au laçage, trop fastidieux, il est remplacé par de petits boutons ou une bande élastiquée, jugés plus pratiques. Les années 1920 renouent aussi avec le cache-corset, une petite pièce de lingerie à bretelles, souvent porté accompagné d’un jupon et remplaçant la combinaison pour les robes plus légères. La lingerie, comme les vêtements et même les fourrures doivent néanmoins avoir une coupe et une épaisseur simplifiés à l’extrême pour éviter de rajouter trop de volume au corps.

La décennie 1920 est souvent présentée comme un temps d’émancipation pour les femmes. Il est vrai qu’il est de plus en plus toléré de dévoiler son corps, de pratiquer un sport, de fumer ou de conduire une voiture. Néanmoins, les femmes, malgré des décennies de combat, n’ont pas accès au droit de vote. De plus, les pratiques de contraception et d’avortement sont de nouveau formellement interdites et réprouvées. Après le traumatisme de la Grande Guerre, les femmes ont pour tâche d’aider au repeuplement de la France. Du côté du vestiaire, malgré une allure simplifiée, le corset reste, dans les années 1920, le symbole d’une morale conservée et d’un corps aux volumes maîtrisés. Les pièces s’adaptent désormais à la nouvelle silhouette en vogue ou aux nouveaux hobbies comme les activités sportives mais le corset n’est pas encore prêt de tirer sa révérence.

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